SUPREMA MATRIX COATLICUE
Serpents miroirs aux double crocs
Regard de coquillage aux orbites creux
Croisillons d’écailles en jupe et ceinture
Les paumes ouvertes, les coeurs palpitants
Tonantzin o Ilamatecuhtli notre mère
Ton sang nourrit le soleil et la terre
Ton ventre est la grotte primordiale
Pour le colibri gaucher, faiseur de lune
Huitzilochtli le guerrier bleu.
Mexico.
Travail colossal en ce jour du 13 août 1790, un gros bloc de rocher empêche le terrassement de la nouvelle place voulue par le Vice roi d’Espagne.
Les ouvriers n’en peuvent plus de remuer la terre chargée de cailloux, il faut maintenant détourer et accrocher au palan ce bloc énorme qui semble bien rugueux. Ils n’ont pas creusé profondément mais le nivellement de la place demande par endroit, là où il y a des canaux enterrés, de déblayer.
Ainsi à une faible profondeur, 1m 5o au plus, les pioches s’arrêtent sur cet énorme rocher. La dynamite minière n’existe pas encore …La terre est sèche et les blocs qui se désagrègent laissent apparaitre des mains et des croisillons …Une sculpture !
Étonnement et consternation, les autorités sont prévenues. Sans ralentir outre mesure les travaux, il est décidé de sortir ce rocher. Il n’est pas spécifié par une quelconque description si le bloc de 2 m 50 de long, d’1m 60 de large, d’1m 50 d’épaisseur fut sorti à la verticale ou à l’horizontale puis finalement posé ainsi.
Pesant 12 tonnes ( ou peut être 24 tonnes ? les fiches divergent), cette pierre volcanique du nom d' Andésite, magma calco-alcalin, très courante dans les Andes, fut hissée, tirée, tractée hors du chantier.
Débarrassée de la terre qui l’enserrait, la sculpture se montra en parfaite état.
Les indiens et métis présents lors de ces travaux reconnaissaient les premiers symboles visibles, les serpents entrelacés, les têtes avec dents crochues.
L’effet de ce mastodonte était évidemment très dérangeant en cette fin de XVIIIe siècle. La sculpture semble non seulement étrange mais effroyable car les serpents entrelacés ainsi que le collier de mains coupées et la tête de mort centrale font peur. Monstre ou démon, l’incompréhension est totale.
Sauf pour le scientifique Antonio de Leon y Gama, qui décide le Vice Roi Revillagigedo de la faire transporter à l’Université Royale et Pontificale pour rejoindre la galerie des sculptures.
Cette galerie était constituée par une collection de reproduction de sculptures gréco-romaines, donnée par le Roi Charles III; le contraste fut violent. Les graciles figures aux canons de Phidias ou Praxitèle font faces au bloc cubique lourd et brutal de la nouvelle statue ornée de serpents et de têtes de mort. Les dominicains qui occupent l’université sont consternés. Si la beauté est fille du divin, la laideur est proche du maléfique. Une idole satanique au milieu de l’université pontificale!
Suprema Matrix
La tête de la sculpture consiste en deux grosses tête de serpents face à face, visibles recto verso. Les mains sont aussi des têtes de serpents…le pagne est aussi un entrelacs de serpents ..le ceinture est aussi un serpent noué avec comme grelot infernal, un crâne sur le devant et sur l’arrière!
Personne dans le collège pontifical ne sait réellement ce que représente cet énorme bloc sculpté. Mais les indiens regardent. Ils savent, ils ont reconnu un dieu, une déesse car sa poitrine est visible derrière le collier de mains tranchées alternées avec ce qui s’apparente à de grosses figues de barbarie appelées le nahuatl de nopal, issu du Cactus du même nom. Mais eux savent que cela représente des coeurs humains, ils ont gardés la mémoire des dons anciens... Déesse de la terre et du ciel, de l’infra monde d’où on l’a libérée.
Les offrandes nocturnes commence à entourer la statue et cela exaspèrent au plus haut point les dominicains qui pour cesser ce scandale décident de ré-enterrer la statue dans une des allées annexes de l’université. Elle n’est qu’à 50 cm de profondeur mais elle est ainsi soustraite aux regards. Personne ne connait son nom encore et le silence retombe sur elle. Elle ravivait les croyances anciennes, elle offensait la vision du beau dira plus tard Octavio Paz.
Quatorze ans plus tard, en 1804, une demande incongrue appuyée par l’évêque de Monterrey émane d’un grand savant allemand, Alexander von Humboldt, de passage à Mexico. Il demande l’exhumation du monument pour étude.
Humboldt est un naturaliste extrêmement éclectique qui effectue un voyage scientifique aux Amériques durant cinq ans. Allant des confins des Andes jusqu’à Washington, il veut tout voir, tout étudier. Les Dominicains ne peuvent que s’exécuter. La statue déterrée est abondamment décrite et commentée dans ses écrits.
« Humboldt a joué un rôle important dans la redécouverte d’une statue mexicaine de grande valeur, qu’il étudie, dans ses Vues des Cordillères... comme une « Idole colossale, téotetl ou pierre divine des Mexicains ». (….) Grâce à cette deuxième exhumation, Humboldt peut alors décrire cette monstrueuse idole. Il s’aide des avis du chevalier Boturini et de León y Gama, et il suppose, tout comme eux, qu’il s’agit de la statue de Huitzilopochtli, ou bien de Tlacahuepancuexcotzin et de sa femme Teoyamiqui. Il en donne le nom actuel, en mentionnant que les Mexicains désignaient ce genre de statues, où les pieds et les bras sont cachés sous une draperie entourée d’énormes serpents, sous le nom de cohuatlicuye, vêtement de serpent ».
MINGUET, Charles. Alexandre de Humboldt : Historien et géographe de l'Amérique espagnole (1799-1804). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de l’IHEAL, 1969
Après le départ du naturaliste, que faire de ce monstre qui encombre le couloir de la faculté ? Il n’y a d’autre solution que de l’enterrer à nouveau, ce qui fut fait prestement.
En 1823 une autre demande d’exhumation est faite par William Bullock, antiquaire et naturaliste anglais, qui avait le projet de faire des copies d’oeuvres mexicaines pour une grande exposition à Londres. Il souhaite réaliser des moulages sur les trois grandes découvertes de 1790 . La statue est de nouveau sortie de terre puis le temps du moulage effectué, elle est à nouveau enterrée. L’exposition « Ancient Mexico » aura lieu à l’Egyptien Hall de Londres en 1824.
Vue de l'exposition: La pierre du soleil au centre, Coatlicue est à droite devant la Pierre de Tizoc, le Serpent à gauche semble lui bien fantaisiste.
La statue commence à être connue et les Dominicains ne peuvent décemment plus la laisser hors des regards. La création du Musée National Mexicain en 1825 permettra sa dernière exhumation. Elle est très visitée et commentée. Le rapport de taille entre les humains et la déesse est explicite sur la photographie du dramaturge espagnol Gregorio Martinez Sierra avec une amie devant la Coatlicue en 1930. Alfredo Chavero, pionnier des études pré-hispanique mexicaines fut le premier à reconnaitre la déesse à la jupe de serpent comme étant la déesse Coatlicue, la déesse mère, la Tonanzin qui est mère des dieux et des hommes, des astres et des fourmis, du maïs et de l'agave comme la décrite Octavio Paz. Elle est aussi celle qui mange la vie, se nourrit des cadavres. Elle dévore les fautes que l'on expie par un jeûne de quatre jours et des scarifications rituelles exécutés devant son effigie. Elle est déesse de la fertilité comme de la mort. Elle porte une jupe de serpent noués dont les têtes et cascabelles ( anneaux de la queue) sont finement sculptés.
Le codex de Florence de Bernadino de Sahagùn relate la naissance du dieu tutélaire des Mexicas, Huitzilopochtli.
Dans la Région de Tula près de la montagne de Coatepec, ce qui veut dire la montagne aux serpents, vivait Coatlicue ( Celle qui a une jupe de serpent). Elle était la mère de quatre cents fils, les Centzonuitznahua, ( 400 méridionaux) et d’une fille Coyolxauhqui ( Celle qui des grelots peints sur les joues). En balayant près de la montagne du serpent ..(Certain dise le temple ..) pour faire pénitence, une boule de plumes blanches tomba devant elle. Coatlicue la cacha dans son vêtement. Lorsqu’elle voulu la prendre, elle ne la trouva plus mais su qu’elle était enceinte.
Sa fille furieuse de la voir enceinte exhorta ses frères à la tuer leur mère car elle les avait déshonoré. Terrifiée, Coatlicue se réfugia au sommet de mont Coatepec. Alors que les Centzonuitznahua commandé par Coyolxauhqui revêtaient leurs parures de guerre prêt à la poursuivre, le fils que portait Coatlicue lui parla et la rassura. C’était Huitzilopochtli, le guerrier colibri, dieu du soleil et de la guerre. Un des Uitznahua trahit ses frère et le renseigna sur le moment de l’attaque. Lorsque en haut de la montagne Coatlicue fut attaquée par ses enfants, le jeune guerrier Huitzilopotchli naquit tout armé, avec à son pied gauche une sandale de plumes, il brandit son xiuhcoalt, le serpent de turquoise très coupant et décapita sa soeur Coyolxauhqui, puis jeta son corps en bas de la montagne qui se démembra. Puis se tournant vers ses frères il les massacra, seul quelques uns purent s’enfuir vers le sud, d’où leur appellation de méridionaux.
Avant la description de la statue de Coatlicue et d'évoquer sa fonction, sa position et sa destination; il convient d’évoquer le disque représentant sa fille, Coyolxauhqui.
Une pierre large de plus de 3 mètres et pesant 8 tonnes, fut découverte en 1978 dans une rue près du zocalo, la grande place centrale. Cette découverte, appelée le "disque de Coyolxauhqui" donna le coup d’envoi du grand programme actuel de fouilles du Temple Mayor.
La représentation de la déesse dont la tête tranchée donnera la lune, est très explicite. La déesse montre sa tête, ses bras et ses jambes coupés en laissant apparaitre les rondeurs cartilagineuses des os. Elle porte le cache sexe des guerriers, le maxtlal, un serpent bicéphale noué avec un crâne dans le dos. Ses membres sont ornés de serpent noués, de genouillères et coudières en forme de masque de Tlaloc. Les talons sont aussi ornés de la même manière. La coiffe de plume avec une mèche sortante est aussi un attribut guerrier. Une peinture faciale en bande horizontale passe sous ses yeux et retombe sur les joues avec des grelots. Le disque zemble avoir été trouvé en place car le bas des grands escaliers du temple ont été excavés peu après et à très peu de distance. Le disque devait sans doute recevoir les corps démembrés des sacrifiés jetés en bas des marches. i
Coyolxauhqui - Mexico, museo nacional de Antropologia
Le disque Coyolxauhqui pourrait être plus effrayant car il est assez réaliste, mais la pose est élégante et l’occupation du cercle est très harmonieuse. La sculpture fut exécutée avec beaucoup de maitrise.
L’énorme masse de la Coatlicue de 12 ou 24 tonnes, les avis divergent sur ce point, présente, nous l’avons dit, un côté effrayant. Ce n’est pas par la représentation en elle même de serpents et de crânes. Mais si la statue monumentale d’andésite est impressionnante, c'est bien par sa forme « brutaliste ».
Bloc hiératique et écrasant, la puissance des formes créé le malaise. L’oeil reconnait une statue mais la tête est incompréhensible, la vision de profil est aussi peu discernable, où sont les mains? Puis le dos est aussi terrifiant avec cette tête de mort à mis hauteur alors que les serpents du haut semblent les mêmes que ceux de face.. Depuis les premières sidérations, de nombreuses descriptions et relations furent effectués pour déterminer ce que représentait cette statue. Peu de temps après sa découverte Antonio Léon y Gama pensa identifier l’entité Teyoamique ( L’âme des guerriers morts durant les batailles) associé au Dieu de la guerre Huitzilopochtli, représenté en déesse de la terre. Mais ayant une jupe de serpent, il était naturel de la regarder comme la déesse Coatlicue.
Vue de Face
Vue de Côté
Vue arrière
En détaillant les différentes parties sculptées et même très finement sculptées comme la peau des serpents entrelacées, les chercheurs ont reconnu bon nombre d’attributs que l’on peut expliciter et détailler. Un corps de femme avec poitrine tombante est visible derrière le collier et la jupe.
La poitrine tombante est associée dans les chroniques aux nombreuses maternités.
Voilà le détail qui nous indique un personnage féminin. La tête et les mains sont remplacés par des têtes de gros serpents. La tête forme deux serpents face à face visible recto verso. Ils sont sculpté d’une manière extrêmement détaillés, la tête posée sur leur corps armés comme le font les crotales à anneaux (Rattlesnake ) Leurs têtes et corps sont enserrés dans des anneaux comme souvent dans les représentations de serpent mexica. Il pourrait s’agir d’anneaux de jade. Les crocs sont doubles et proéminents. La langue bifide, large et plate, est recourbée comme les crocs et joue avec le recto et verso. Les deux langues n'ont font qu'une de face. Les mains sont aussi remplacées par des têtes de serpent avec même crocs et langues. La base du cou comporte une série de petits disques plats que l’on peut interpréter comme une convention pour les têtes ou membres tranchés. La tête et les membres coupés de la Coyolxauhqui présentent aussi cette sorte de pointillé. Les serpents sont utilisés dans différentes représentations des codex comme des flots de sang sortant des orifices.
Les jambes très lourdes de la statue sont des pattes énormes pourvues de griffes comme celle du jaguar, un serpent à crocs sors de l'entre-jambe sous la jupe, devant et derrière. Autour des grosses griffes ainsi que sur les bras, on trouve représenté des yeux, gravés en incisions, appelés les « yeux de mort » ( death eyes). Ils sont très souvent présents comme de petits détails à découvrir sur nombre de représentation de dieux et déesses. Leurs significations ne semblent pas clairement établies. Les bras sont repliés, prêts à la prise en une attitude d’attaque ou de défense. Des anneaux entourent les jambes et les bras, cela ressemble à des parures de bracelets de cuivre.
Les détails sculptés montrent une constante avec certaines représentations des codex. Nous reconnaissons les bracelets poignets à bande papier, les crocs du Dieu Tlaloc sur les épaules et les coudes, les coquillages, les plumes…
La jupe est tenue par une ceinture qui retient un large pagne à l’arrière. La jupe est tressée avec des crotales à anneaux dont la queue munie de cascabelle ( anneaux durs qui sonnent) ressemble au maïs tressé ligaturé par deux serpents du large pagne arrière. La peau des serpent est très finement travaillée en filet résille. La ceinture retenant la jupe et le pagne arrière est constituée de deux serpents noués ( ou serpent à deux têtes?). Sur chaque face un crâne humain aux orbites comblés fait office de boucle. Il est a noter que sur le maxtlal, la ceinture des guerriers, il y avait noué à l’arrière un crâne.(cf Coyolxauhqui)
Un large collier descend sur la poitrine dénudée. cette parure a beaucoup frappée le spectateur car elle est aisément reconnaissable comme étant une alternance de mains tranchées ( 4 mains devant, deux derrière) et de coeurs humains dont la représentation est connue car elle dérive de la figue Opuntia Ficus Indica, bien rouge, qui rappelle par association la cardiectomie sacrificielle effectuée en haut des temples décrite par Cortès et Bernal Diaz. La tête de mort sur la face pourrait faire partie du collier car deux mains descendent sur la jupe et encadrent parfaitement la calotte crânienne.
Comment interpréter cette complexité de détails? Rien n’a été taillé par hasard, sans signification. Chaque élément parle. La statue avait une fonction; un discours muet mais compréhensible pour beaucoup et remplissait une symbolique sacrée. Il en est pour preuve la gravure présente sous la statue. Une représentation gravée qui prend l’essentiel de l’espace sous les pieds de la statue. Invisible au monde, elle a une fonction sacrée très forte puisqu’elle repose sur le sol et qu’il s’agit de la bien connue figure du dieu /déesse de la terre Tlaltecuhtli dont les genoux et les coudes sont ligaturés de crânes humains. Tlaltecuhtli, est une entité soit mâle soit femelle, elle est dite dévoreuse de vie, elle mange les cadavres et régénère la vie, il entre en contact avec l’infra monde et les forces du sous sol. Il n’y a pas de temple connu qui lui soit dédié, en revanche son effigie est très courante. En 2006 le plus gros monolithe excavé à Mexico (12 tonnes) représentait Tlaltecuhtli. Il est a noter que l’on pas encore trouvé une seule statue de Huitzilopotchli dans l’enceinte du templo Mayor qui lui est dédié alors qu’une quarantaine de Tlaltecuhtli ont été identifiée!
Relief sous les pieds de la Coatlicue. Représentation de Tlaltecuhtli avec date dans sa coiffe.
Différentes interprétations
La statue n’est pas muette, elle comporte deux dates gravées dans un cartouche. La première « 12 Acalt »(12 roseau ) est située à l’arrière de la « déesse » sur l’épaule, l’autre au dessous du socle dans la coiffe de la représentation de Tlaltecuhtli « 1 Tochtli » (1 lapin ). Ces dates sont pour les chercheurs, commémoratives d’événement liés certainement avec la représentation sacrée sculptée. Pour expliquer cela, il faut se pencher sur le calendrier mexica qui est très élaboré. Pour une approche superficielle mais suffisante retenons qu’ils comptaient le temps en utilisant deux formes de calendrier parallèle, le Xiuitl, (ou Xuihpohualli), solaire et le Tonalpohualli, divinatoire et rituel.
Le premier se compte en 18 mois de 20 jours avec 5 jours supplémentaires pour arriver à 365 jours, les mois (cempohuallapohualli) avaient un nom associé à la divinité à laquelle ils rendaient hommage pendant 20 jours. Le second est une combinaison entre 20 signes (nom des jours mais aussi nom de période) et 13 chiffres qui se combinent par séries de treize numéros par signes pour une fois toutes les combinaisons effectuées repartir à zéro soit après 260 jours. Les combinaisons des deux calendriers s’accordent tous les 52 ans, ce qui constitue une période close. L’année solaire est nommée par le numéro/signe du jour du calendrier rituel qui la commence. La concordance avec le calendrier occidental est assez difficile car les cités avaient un point de départ du calendrier différentes les unes des autres même si elles utilisaient le même système.
Les deux dates inscrites sur la « Coatlicue », 12 Acalt et 1 Tochtli se retrouvent sur un fragment de statue qui semble être assez comparable celle qui nous occupe.
Yolotlicue Mexico, museo nacional de Antropologia
Ce monolithe brisé dont seule la partie torse et base subsiste est appelée la « Yolotlicue » ( Celle à la jupe de coeurs). Cette statue extrêmement endommagée fut trouvée en 1933 près de la façade ouest du Templo Mayor, elle ressemble en bien des points stylistiques et iconographiques à la Coatlicue sinon qu’au lieu de serpents tressés sa jupe est faite de coeurs humains alignés.
Elle montre les mêmes dispositions de bras repliés et la base de sa tête par de précieux indices indique la naissance de deux gros serpents. Voilà une indication majeure qui permet de regarder les deux statues comme très comparables. Celle que l’on a considérée comme un unicum, serait donc la seule intacte d’une paire?
L’étude de gros fragments détenus par le musée anthropologique permit aussi de rattacher à une autre (ou à plusieurs autres) statues comparables en taille et au style de la Coatlicue et la Yolotlicue. Les chercheurs en ont conclu que plusieurs monolithes avaient été érigés autour de l’esplanade du templo Mayor. Ces statues colossales avaient certainement une fonction protectrice, évocatrice, didactique, symbolique mais bien sur aussi sacrée. Les dates gravées ont donné lieu à plusieurs interprétations. Les dates pourraient chacune faire référence à des événements dramatiques comme une invasion de criquets dévastateurs de culture dont un codex décrit l’existence en l’année 12 Acalt, ce qui correspond à la date de 1480/1481. Les annales de Quauhtitlan cités par la chercheuse Elisabeth Boone mentionnent 12 Acalt comme étant l’année de la création et de la destruction des quatre ères solaires qui précède la création du cinquième et actuel soleil. Le professeur C.F. Klein de UCLA, nous oriente vers une lecture d’un mythe peu évoqué qui n’a jamais été rattaché à la statue. Celle des « femmes primordiales » qui se sont offertes en sacrifice pour donner naissance et fournir de « l’énergie » au nouveau soleil. Ce mythe est raconté avec des variantes dans plusieurs chroniques dont « L’Histoire anonyme des Mexicains par ses peintures » une source très proche de la conquête coloniale, qui mentionne la création de cinq femmes féroces pour « nourrir » le soleil ou la "Leyenda de Los Soles" qui raconte que le soleil étant devenu immobile, ce n’est que par le sacrifice collectif de cinq dieux que le nouveau soleil à pu reprendre sa course.
Les femmes étaient désignées par leur jupe/pagne caractéristique et c’est là que les fragments de statues sur lesquels des jupes sont clairement comparables à celles de la Coatlicue et de la Yolotlicue oriente les chercheurs vers une nouvelle explication, une nouvelle interprétation de la statue colossale intacte. Le mythe de la naissance de Huitzilipotchli, indique que le dieu de la guerre, le guerrier colibri est né tout armé en haut de la montagne de Coatepec pour sauver sa mère qui allait être tuée par ses frères dirigés par sa soeur Coyolxauhqui. Il sauva donc sa mère et décapita sa soeur qui est représentée ainsi . Il n’y a aucune mention d’une décapitation de la Coatlicue dans ce mythe et donc d’explications à la symbolique des serpents figurant le sang d’une décollation. Il y a confusion et association avec la jupe proprement dit. Cela est d’autant plus probant qu’il existe deux autres représentations identifiées de la Coatlicue qui ont bien la tête sur les épaules. La coatlicue de Coxcatlan et celle dite « du métro » car découverte en creusant le métro en 1967 .
Coatlicue de Coxcatlan - Mexico, museo nacional de Antropologia
Ces deux représentations de taille plus modestes et bien différentes ( une est debout l’autre accroupie) présentent bien une jupe tressée de serpents mais aussi les autres caractéristiques comme les yeux de mort, les griffes des pieds, les bracelets de cuivre, les coquillage, le tablier arrière, la ceinture tenue par la tête de mort dorsale. Seule la Coatlicue du métro possède un collier de mains et de coeurs mais sans le crâne central. Elles ne sont pas décapitées. Leurs attributs les mets en relation avec Mitlantecuhlti ( Dieu des morts et de la terre) qui est d’ailleurs représenté en cartouche sous le socle .
Coatlicue del metro Photo E. Boone
Le mythe des femmes primordiales sacrifiées pour le soleil induit une représentation de femmes avec leurs attributs jupes qui les déterminent alliées avec la symbolique du serpent comme figuration sanguine remplaçant la tête et les mains. Le sang des sacrifiés régénérant le soleil qui est une justification des offrandes traditionnelles par cardiectomie.
Un certain nombre d’autres entités divines comme Mitlantecuhlti ( Dieu des morts et de la terre) Ciluacoatl ( déesse serpent ancienne déesse de la fertilité ) Cihuapipiltin ( les princesses, déesses des femmes mortes en couche) montrent une série d’attributs comparables, ne serait ce que le collier de mains et de coeurs sur une petite statue de Ciluacoatl pointée par le professeur Boone.
La Coatlicue parmi les fragments
Cette nouvelle orientation d’une lecture du monolithe dite de la Coatlicue nous amène, sans rentrer plus avant dans les nombreuses explications, rapprochements et raisonnements qui permettent à ses deux éminentes spécialistes que sont les professeurs Boone et Klein une nouvelle approche convaincante; à synthétiser et conclure. L’esplanade du Templo Mayor comportait donc plusieurs représentations de déesses colossales à jupes particulières. Détruites, concassées, réemployées dans les nouvelles constructions de 1521. Une à été jetée intacte dans un canal puis le tout a été comblé lors de l’édification de la nouvelle capitale sur les base du templo Mayor rasé.
Ces déesses sacrifiées sont, pour Cécilia Klein et Elizabet Boone à rapprocher des Tzitzimitls, ces démons qui menaçaient pendant les cinq jours supplémentaires du calendrier, de descendre sur terre pour dévorer les humains. Leur attributs les rapprochent. Visage en squelette sans chair, mains et pieds avec griffes, cheveux ébouriffés avec des ornements sacrificiels, visages avec crocs ( masques de Tlaloc?) aux coudes et genoux, représentation d’oeil de mort sur les pieds et les mains. Les Tzitzimitls sont sur les codex Magliabechiano et Tudela représentées avec des colliers de mains et de coeurs.
Tzitzimitl avec collier de mains et coeurs et serpent. Codex Magliabechiano
Une représentation montre également un serpent sortant entre les jambes crochues sous le pagne.. les Tzitzimitls sont dans bon nombre de chroniques ( Sahagun, Historia de Los Mexicanos par sus pinteras) et de codex (Magliabechiano, Tudela Rios, Telleriano Remesis) associés à différentes occurences de dieux et démons ainsi qu’aux âmes des guerriers, ils sont le plus souvent consignés au pluriel et agissent en groupe. Le chroniqueur métis Alvarodo Tezozomoc qui relate les différents aménagements du Templo mayor sous l’empereur Tizoc, décrit l’installation d’une série de larges et massives sculptures de Tzitzimitls autour de l’esplanade du sanctuaire d’Huizilipochtli. Il apparait que les Tzitzimitls auraient donc dévorés les humains à la fin du quatrième soleil ce qui pourrait être lié à la date 12 Acalt sur les deux statues ( Coatilcue et Yolotlicue) et que la série de ces démons destructeurs serait présente comme menace potentielles pour le cinquième soleil ( nouvelle ère) et confirmerait le pouvoir d’Huitzilipochtli qui aurait vaincus ces démons en leur tranchant la tête et les membres comme il le fit pour sa soeur Coyolxauhqui.
Notre statue colossale censée représenter Coatlicue ferait donc partie d’un ensemble de déesses, de femmes féroces, associant par un compliqué syncrétisme nombre d'entités supranaturelles.
Femmes puissantes et potentiellement maléfiques qui selon la professeur Boone auraient été défaites ou contenu par la puissance victorieuse du dieu Huitzilipôchtli, dieu de la guerre, protecteur du soleil.
Cette Interprétation n’est pas celle de Cecilia Klein qui, si elle considère également la « Coatlicue » comme appartenant aux Tzitzimitls, ne souscrit pas à la thèse du combat victorieux du dieu Huitzilipochtli contre les Tzitzimitls. Rien ne permet d’affirmer cela dit-elle. Les arguments et liaisons entre commentaires et chroniques, étude iconographiques sont nombreux. La professeur Klein s’appuyant sur les annales de Quahtitlan décrit les déesses comme auto sacrifiées pour la remise en marche du soleil et ne voit aucune hostilité de la part d’Huizilipochtli, plutôt une collaboration avec elles pour la victoire du cinquième soleil. Elle remarque l’ambivalence de certain texte concernant le rôle purement maléfique des Tzitzimitls. On pouvait explique-t-elle, leur demander d’intercesser en faveur des malades et l’on célébrait leur puissance. Leur sacrifice pour le soleil était loué comme une action bénéfique. Un sacrifice volontaire pour que les Mexica puissent avoir les bénéfices du cinquième soleil, amenant les saisons donc les récoltes et les bienfaits associés.
Une série de plusieurs statues colossales entourait donc le templo Mayor. Leur nombre n’est pas déterminé, quatre ? Six? Pas plus que leur position exacte. Étaient-t-elles sur l’esplanade du temple ou à la base des escaliers aux angles de la place faisant face au sanctuaire double ? Les hypothèses des chercheurs s’affinent néanmoins , la connaissance et la compréhension des Mexica progresse indéniablement bien que les questions soient encore plus nombreuses que les réponses.
Les fouilles du Templo Mayor continuent, l'histoire n'est pas fini d'être écrite.
Lien : Godscollection
L’exposition actuelle « Mexica - Des dons et des Dieux au Templo Mayor» au musée quai Branly-Jacques Chirac ( Avril - septembre 2024) s’intéresse plus particulièrement aux offrandes et constitue un excellent éclairage sur des pratiques extrêmement importantes dans la cosmovision des Mexica puis par projection porte un regard sur les réminiscences actuelles de pratique votive mexicaine.
La jeune fille en costume de princesse aztèque qui est apparue sur la montagne de Teypeyac en 1531 n’a-t-elle pas reprise pour son compte des pratiques bien antérieures et maintenant heureusement plus douces qui perdurent?
La visite de Tenochtitlan "par avion" est possible aujourd’hui grâce au travail absolument inouï de Thomas Kole.
La visite de son site thomaskole.nl est une expérience à faire …le déroulé du paysage ancien puis actuel sur une même vue avec balayage est fantastique !
Les cités jumelles
Thomas Kole 2023
Vues des cités jumelles de Tenochtitlan et Tlatlelolco sur le grand bassin. Les montagnes sont toujours là, les volcans Popocatepetl et Iztaccihuatl. La corrélation symbolique des temples chaulés et des neiges des sommets est frappante. Le bassin à plus de deux mille mètres au dessus du niveau de la mer fut drainé, vidés, les canaux intérieurs comblés pour devenir des rues.
Mexico supplanta l’ile des Mexica.
La grande chaussée décrite par Bernal Diaz del Castillo. Thomas Kole 2023
« Nous marchions par la chaussée, qui est d'une largeur de huit pas et tellement en ligne droite sur Mexico qu'on ne la voit dévier de nulle part. Malgré sa largeur, elle était absolument couverte de gens qui sortait de Mexico et d'autres qui y revenaient dans un continuel mouvement qui avait pour but de voir nos personnes. La foule était telle qu’il nous devenait impossible de garder nos rangs. D’autre part, les tours, les temples, les embarcations de la lagune tout était plein de monde. Nous n’en devons pas être surpris, puisque jamais les habitants du pays n'avait vu ni chevaux ni homme comme nous. Quant à nous, en présence de cet admirable spectacle, nous ne savions que dire, sinon nous demander si tout ce que nous voyons était la réalité; d’une part en effet, il y avait de grandes villes et sur terre et sur la lagune, tout était plein d'embarcations, la chaussée coupée de distance en distance par des tranchées que des ponts recouvraient; devant nous s’étalait la grande capitale de Mexico… »
Bernal Diaz del Castillo LXXXVIII Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne
Bibliographie : publications et ref numériques
Cecilia F. Klein- UCLA
A new interpretation of the Aztzc statue called Coatlicue, " Snakes -her-skirt"Etnohistory April 2008
Daniel Lévine Archéologue / Musée de l'homme Mission templo Mayor
- Le grand Temple de Mexico Du mythe à la Réalité Préface Matos Moctezuma Ed. Artcom' 1997
- Les sanctuaires préhispaniques : une géographie du sacré /Persée.fr 2013 /compte rendu de l'Académie des inscriptions et Belles Lettres.
Elisabeth h. Boone : Austin University,Texas
- The "Coatlicues" at the templo Mayor. Ancient mesoamerica 1999 Cambridge University Press/ jstor.org
Pierre Ragon: Centre d'Études mexicaines et Centre-américaines Mexico Paris Nanterre
- Le templo Mayor de la ville de Mexico -Open edition Encyclopedie des Historiographies/ INALCO Kouamé,Meyer,Viguier. 2020