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FLORIDUM MARE................................
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16 février 2021

L’ATELIER REESE


 Le discret atelier de la rue Durantin. Quartier des Abbesses Paris

rue du durantin

 
Si l’atelier d’artiste a toujours exercé une fascination pour un public averti, il suscite une certaine méfiance et aversion chez les adeptes de l’ordre et de l’hygiène bourgeoises.
Antre alchimique, il révèle l’outillage de la création en accumulant les scories des oeuvres échappées vers leurs destins. Il est habituel d’y attendre un amoncellement énigmatique qui apparaît comme un chaos pour le profane. Sans aller jusqu’aux excès de Lucian Freud ou Bacon, l’atelier, qu’il soit artisanal ou artistique, il subordonne si l’on peut dire, ses dispositions à sa destination. Il témoigne du travail à l’oeuvre.

bouquet reese

L’atelier du 41 rue Durantin s’ouvre sur un petit chemin sinueux entre des grandes tables sur tréteaux et des séries de toiles et panneaux apposés aux murs.
 Il y a des cadres en métal, des panneaux de toiles tendues couvertes d’acanthes, des grands châssis rythmés par de longues étagères pleines de livres, de pinceaux, de peintures et sculptures patinées. L’accumulation y est verticale et horizontale.
On y entre par une petite porte sur la rue qui ne laisse pas présager de la profondeur, qui s’étend sur trois niveaux séparés par de petits escaliers à trois marches…Une sorte de diverticule en micro mezzanine devant une verrière vous attire l’oeil au moment ou vous descendez dans la pièce principale. L’espace est comble, saturé, deux colonnes de métal accolées aux tables occupent le centre.

La lumière vient d’une ouverture zénithale à pans coupés.
Il n’y a que des circulations car il n’y a que des postes de « travail ». L’oeil s’y perd, la présence d’une armée d’ouvrages en cours oppresse.
On ne devient pas le meilleur atelier de peinture de France sans travail.


L’atelier suit au gré des travaux une fébrile activité qui s’achève par un déménagement qui le vide partiellement; comme un ressac, comme un poumon qui respire mais au fil des ans il reste en témoignage de campagnes glorieuses, bon nombre de trophées qui se greffent sur les murs et les étagères. L’atelier semble atteint d’une légère syllogomanie. C’est un lieu extraordinaire qui ne se visite pas. Il peut se fréquenter en invité, ce qui est un privilège.


 

Sebastien & Nicolas REESELes deux frères Reese ne sont associés que depuis 2006, bien que certains diront qu’ils se connaissent depuis l’enfance. Cela pourrait paraitre juste une formule à ceux qui ne comprennent pas les ressorts secrets des liens fraternels dans la confiance et le pardon. Leur affinité, leur goût et sensibilité aux choses de l’art naissent d’un creuset magique; un père australien, une mère anglaise qui se rencontrent à Rome, se marient à Paris et élèvent leurs enfants en Corse. Ils grandissent à l’ombre du meilleur des parrainages:  l’éducation éclectique entre les humanités françaises et la vibration italienne de la « cosa bella » L’équilibre entre le réel et l’idéal.
Voilà quinze ans d’activités couronnées de succès pourrait-on dire plus certainement.
Le succès fut présent dès les premiers engagements sur la scène de la décoration intérieure, succès secret, succès discret sans bruit qui s’étend dans un petit milieu privilégié. L’audience est restreinte mais internationale.
La peinture décorative est présente partout bien qu’invisible à l’oeil du public. C’est le nécéssaire inutile qui est le luxe du superflu comme disait Serge Royaux.
 Esthètes, collectionneurs, amateurs d’objets d’art demandent à leur environnement d’être un miroir réfléchissant leurs gouts. Tout est lié, de l’architecture aux arts plastiques, par le souci de l’écrin qui donne l’âme, l’esprit du lieu, le « genius loci » des « demeures de l’esprit » que certain se plaisent à inventorier avec talent.

L’atelier Reese atteint une maitrise de la peinture qui est loin de n’être que technique.

Mais le terme de peinture est à préciser. La peinture est d’intérieur comme le montre les grands décors monarchiques de 1670 / 1680 du château de Versailles. La peinture d’intérieur est aussi une peinture de chevalet, le chevalet est un outil d’atelier, la toile peut être marouflée et elle l’est le plus souvent pour les compositions les plus ardues. La distinction est donc illusoire et le terme « décorative » accolé à la peinture peut désigner Matisse comme Sert.

 

somewhere Toiles Nicolas
Au château de Versailles « Les sujets des tableaux et sculptures composant les décors étaient inclus dans des programmes iconographiques dont les sens est naturellement politique, dans la résidence du souverain, et dont le principe est la métaphore » écrit Nicolas Milovanovic. ( cf: Du Louvre a Versailles Lecture des grands décors Monarchiques N.Milovanovic  Belles Lettres 2005)

 Colbert concevait ces programmes et Le Brun les transposait en peinture. Certains étaient refusés pour des motifs généralement politiques, mais la liberté d’interprétation du peintre était grande. Les décorateurs d’aujourd’hui sont comme Colbert en son temps, des concepteurs de programmes métaphoriques allant dans le sens de la politique du client. Il se reconnait dans ces programmes plus qu’il ne les inspire. La liberté du peintre est à la mesure du discours évanescent du décorateur qui ne brille que par l’excellence du peintre qu’il emploie. C’est à ce point de création que le niveau général bascule dans l’excellence ou pas. Rubens a fait chuter Salomon de Brosse qui a été limogé car ils avaient un différent sur les arrivées de lumière dans la galerie Médicis. Le peintre peut supplanter l’architecte d’intérieur. Qui se souvient de la querelle entre Poussin et Le Mercier concernant les décors de la galerie du bords de l’eau au Louvre? Qui se souvient de Le Mercier? Le peintre est essentiel à la conception des décors, on peut le qualifier de maitre d’oeuvre du décor.  Il ne s’agit bien évidement pas des réalisations les plus courantes, nous parlons des travaux d’excellence. L’ensemble de la jolie peinture décorative ne rentre pas dans ces propos. L’atelier de Nicolas et Sébastien Reese a quitté il y a bien longtemps maintenant le gros du bataillon des peintres décorateurs, si bien fantasmé par Maylis de Kerangal, qui vont de l’école Van der Kellen à la Lascaux II. Les réalisations de l’atelier Reese sont un éventail qui propulse de l’air pur.

nico reese

 

 


L’ainé, Nicolas, peint et compose. La manière et le médium sont multiples, chaque repli de l’éventail est une spécialité atteinte avec maestria. Peinture à la touche et déliée alliant le trait et le coloris du dix-huitième siècle, ce ne sont pas des copies, pas des « à la manière de » ce sont, avec une vraie sensibilité d’époque qui donne toute la véracité aux ornements, de vrais originaux qui apparaissent.
Peinture à l’eau, peinture à la colle, aquarelle sur fond de calcaire, la subtilité des tons empêche le spectateur inattentif à l’oeil brouillé de voir la qualité des détails, la maitrise du pale dessin qui est l’armature sur laquelle repose la composition de Richard Mique qui n’a jamais fait de voyage dans le comté de Berkshire.



sebastien ReeseSébastien compose et peint. Il est complémentaire de la main du premier, il a l’oeil en couleur, il perçoit les subtilités du « Off White » et est capable de composer une harmonie albuginée pour la pièce maitresse du chef d’oeuvre de Sir Edwin Lutyens dans la Test Valley. Sebastien cadre et colore avec un sens de la lumière que ne renierait pas Sven Nykvist.
Nicolas a fait ses apprentissages à l’académie Charpentier et rue du Métal à Bruxelles, Sebastien lui a étudié le graphisme et la réalisation cinématographique, sa première production picturale montre des plans fixes en noir et blanc, transposition d’un temps suspendu qu’Hopper illustra en couleur.

 Nicolas lui visant les étoiles, s’étourdira dans ses premières oeuvres dans une voie lactée de grand format dont chaque étoile est une goutte d’eau peinte à la martre. Un labeur cosmique obsessionnel qu’il a quitté aujourd’hui pour une peinture personnelle qui fige le regard dans une poésie qui rendrait la macula désirable.


reesssseeee logo

Il y a derrière le sigle Reese studio ou Atelier Reese, le lecteur l’aura compris, bon nombre de possibilités comme avec des chapeaux cachettes. Les décors de l’architecture des grandes demeures rassemblent dans la production de l’atelier, les peintures sur toiles, les peintures sur boiseries, les peintures sur verre (ou plutôt sous verre, tant la technique est inversée, car c’est par l’envers que se trouve la vision du recto) et enfin les peintures sur soie comme par exemple pour la re-création de tissus d’ameublement du château de Versailles ainsi que les grandes compositions pour les appartements de monsieur Thierry de Ville d’Avray place de la concorde. Cette réhabilitation des décors comportait un double défi. Dans le Grand Cabinet, sur les neufs panneaux du XVIII ème siècle, il en manquait malheureusement cinq. Cinq grandes parcloses ( panneau vertical ) à réintégrer en motifs et couleurs. Qui pouvait se charger de ce travail d’orfèvre ?

gros de tours peint

 

L’atelier Reese sut réaliser une continuation des panneaux peints sur soie. Le résultat fut si impressionnant qu’une idée audacieuse vît le jour.
 La salle à manger privée de monsieur comportait un treillage de verdure avec des oiseaux exotiques imaginés par Alexis Peyrotte (1699 - 1769). Cette composition célèbre a disparu comme la plupart des oeuvres de ce grand peintre rocaille si célébré sous Louis XV. Ses peintures du cabinet du dauphin au château de Versailles ne sont connues que par des aquarelles, il en va de même des décors des châteaux de Crecy, de Choisy, de Sceaux qui ont été détruits. Seules subsistent les magnifiques peintures faites au château de Fontainebleau dans le cabinet du conseil du Roi.
Une description des panneaux de verdure de la salle à manger de monsieur de Ville d’Avray subsiste néanmoins aux Archives Nationales. Il s’agissait pour l’atelier Reese de concevoir sur soie un décor reprenant les éléments de Peyrotte. Les arabesques, les oiseaux exotiques, les fleurs et feuillages qui avaient fait la renommée de cette salle à manger, devaient renaître en toute simplicité. Mais s’il y a loin de la coupe aux lèvres, l’on peut affirmer que les fruits n’ont pas désespérés la promesse des fleurs. C’est encore un tour de force. Il faut le dire et le proclamer.

soie peinte reese


Renaître en toute « simplicité » est une formule agréable qui ne donne pas la mesure de la difficulté de l’entreprise. Les heures de travail, la dextérité viennent après la science de la composition. Comme pourrait le dire Sebastien Reese : « l’ordonnance, l’équilibre sont aux panneaux décoratifs ce qu’est un bon scénario pour un film … un préalable. »
Les appartements de monsieur Thierry de Ville d’Avray seront visibles par les amateurs. Des visites seront organisées et il faut espérer un dossier de presse aussi bien réalisé que celui édité pour l’ouverture des nouvelles salles du département des Objets d’Art de l’aile Sully du musée du Louvre en Juin 2014.

Ces compositions réalisées sur du gros de Tours avec feuillages et fleurs parmi lesquelles les oiseaux se cachent semblent avoir sauté les siècles. Le tout est si subtilement « vieilli » intégré dans l’harmonie générale qu’il en devient invisible par lui même. C’est ce qui stupéfie dans cette gageur. Personne n’aurait eu l’audace de s’y aventurer avec ce minimum de temps.
Cette réalisation est d’une si impressionnante qualité qu’il n’est pas pensable de ne pas les distinguer comme « créations » authentiques.
Les créateurs doivent être cités et célébrés.


La décoration intérieure se nourrit de restauration ainsi que de restitution. Le dégagement stratigraphique des surfaces repeintes laissent apparaitre le décor dit de premier état. Celui que l’on se doit de mettre au jour. Le scalpel chirurgical est donc le seul outil pour enlever les strates et conserver le décor original. Le dégagement est donc toujours « mécanique » et non chimique. Les parties dégagées sont restaurées, les parties pas trop détériorées sont « restituées »  Les parties manquantes, disparues ou jamais réalisées sont donc re-créées. Pour réussir ce tour de force, la ré-création, il faut une dextérité peu répandue. Le risque de basculement dans le vrai pastiche est immense; s’attaquer à des panneaux décoratifs en ayant la main de François Joseph Belanger par exemple, est un coup de maitre.

C’est donc patiemment que la réputation d’un atelier émerge. L’éclectisme des compétences, la faculté de relever des défis, la gestion d’équipe pour les grands travaux à l’étranger donnent aux donneurs d’ordre et commanditaires une confiance qu’un seul faux pas fait disparaitre. Aller réaliser des peintures in situ demande une préparation, une souplesse qui se doivent d’être au niveau des interventions. Le studio Reese ne peut égrener les interventions sans faire tourner la tête d’un Phileas Fogg: Los Angeles, Miami, Manhattan, Brooklyn, Londres; Hampshire, Suffolk, Jersey, Vienne, Florence, Lisbonne, Genève, Bâle, Ankara, Moscou, Sidney,

dressing Reese


Le verre devient une spécialité du studio Reese. Peindre sur verre parait être un gage de pérennité en ce qui concerne la peinture et la finition glacée mais le support disparait lui très facilement, ce qui équilibre les choses. La réalisation de motifs décoratifs sous verre comme ceux inspirés de William Morris se doivent d’être à la hauteur du métal précieux qui les protège, le palladium plus cher que l’or. La technique nous l’avons dit, est inversée. Les détails se réalisent en premier jet puis viennent en couches consécutives les différents éléments jusqu’au fond qui masqueront l’ensemble. La technique est la même avec les créations contemporaines. Le studio a réalisé une sorte de « chef d’oeuvre »  pour françois Champsaur: une mer d’indigo se noyant dans sa dilution vers le ciel du matin. Les reflets glacés font de cet Himalaya technique un objet précieux qui réchauffe l’esprit. La poésie s’écrit aussi avec de la peinture à l’huile extra fine.

plxglass reese


Après ces incursions dans les marges, la création peut s’affirmer par un chemin vierge de toutes traces. Sebastien et Nicolas Reese surprennent et déstabilisent le petit monde de la décoration peinte, phagocytée par les antiquaires où ils avaient leurs entrées. Ils deviennent créateurs de miroirs. Ils fabriquent à partir de vitres faites à la main, coulées sur table ( L’encyclopédie nous dit: C’est un procédé qui consiste à mélanger la silice avec des fondants comme de la chaux ou de la soude. L'objectif étant de rabaisser la température. Après ajout de l'eau et du calcin, le mélange est porté à une température de 1 550 degrés.)
Le verre est irrégulier. Il a des vagues et miroite sans le savoir. Le fond le révélera à la lumière qui pour l’instant le transperce.

reese akm


C’est avec ces matériaux que le miroir Reese qui pourrait s’appeler le miroir « sorcier » voit le jour. La découpe, le cadre d’acier, la peinture, les nuances en font un objet magique qui renvoie plus de mystère que de reflets.

Ces créations s’exposent jusqu’à Los Angeles grâce à la Galerie Carole Decombe. Les amateurs commencent à converger, ils seront légions quand l’ordre leur sera donné par la presse spécialisée et que les Reese seront hors de prix pour eux, c’est la fatalité des mouvements grégaires dans le monde du marché de l’art. Avoir un « Acamas » sera une gloire alors que cela est une émotion actuellement. Les formes sont importantes, elles se posent sur le mur qu’elles rejettent loin derrière. Le sujet se place devant le miroir c’est un réflexe de narcisse immémorial mais le reflet vous trahit, votre double vous abandonne, il n’y a que votre aura ectoplasmique qui vous saisit en libérant votre esprit, c’est ainsi que nait l’émotion.
Les commandes viennent de la partie éclairée par les sommets. Ils puisent dans l’obscur anonymat des créateurs les pépites qui éclairent leur travail de décoration. La lumière peut venir de la main qui les choisit, espérons le pour le Reese studio qui réitère ses ventes auprès de Michael S. Smith, qui a su embellir les intérieurs de Cindy Crawford ou Dustin Hoffman avant de décorer les appartements privés du couple Obama à la Maison Blanche.

Michael comme il se présente lui même, chasse en Europe et propose dans son « Jasper Showroom » de Los Angeles les objets qui rentrent dans son vocabulaire décoratif en offrant un choix, sans précédant dans le monde du Design, d’oeuvres toujours nouvelles et en évolution, avec toujours l’idée sous jacente que tout le monde devrait vivre avec les objets qu’il aime.

Pour Nicolas et Sebastien Reese le futur est proche. C’est un glissement vers une personnification de la création qui fera tomber les paravents occultant leurs travaux.

big taff reese


 La peinture toujours à l’oeuvre ( L’exposition à la galerie Decombe l’année dernière )  Les  créations de miroirs ( exposition Zeugma 1 et Zeugma 2 *)  Les géants commandés par Michael S. Smith s’inscrivent dans la durée.

soie peinte reese


L’actualité de l’Atelier est l’ouverture prochaine de l’Hôtel de la Marine avec la visite des appartements de l’intendant au son du « confident » sur les oreilles (pour ceux qui ne le savent pas encore, il s’agit d’un casque connecté).
Découvrir l’atmosphère du XVIII ème siècle restituée sera le point d’orgue du parcours.
L’Hôtel du Garde Meuble anciennement ministère de la Marine, a été très peu ouvert au public. Après trois ans de fermeture, l’ouverture d’un des plus beaux balcons de Paris sera un événement. L’atelier Reese en fait partie et pour sa meilleure part.



balcon concorde


Les visites des appartements sont déjà ouvertes à la réservation sur le site de l’Hôtel de la Marine.
https://www.hotel-de-la-marine.paris

 

* Zeugma 1 & Zeugma 2: Exposition de miroirs Reese à la galerie Carole Decombe à Paris Rue de Lille.

 

 

 

 

Commentaires
D
Tu vois que je lis tes articles. Magnifique sur les frérots si talentueux.Bravoooooo Maestro.
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