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FLORIDUM MARE................................
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10 mars 2024

SOSHUN ou Printemps Précoce

 
 Chikage Awashima dans "Soshun" 1956


Les films de Yasujirö Ozu, décédé en 1963, ne furent diffusés en France qu’en 1978. Ce qui peut paraitre extrêmement étonnant pour un cinéaste qui réalisa de nombreux films dès 1927. En effet l’Europe n’avait les yeux tournés que vers les grands Mizoguchi ou Kurosawa.  Ozu était lui, considéré comme un réalisateur trop japonais de petits films lents et peu spectaculaires.

Films muets, films parlants en profonds noir et blanc puis en couleurs lumineuses à partir de 1958, sa filmographie la plus connue se situe aujourd’hui pour la période d’après-guerre, plus particulièrement à partir de 1950.
Il tourne à partir de 1958, en format 35 mm, en utilisant enfin la couleur. Les ambiances colorées, douces et contrastées ressemblent avec bonheur aux couleurs des films d’Hitchcock.  

Maintenant le cinéma d’Ozu est bien connu en Europe, deux films sont déclarés unanimement comme ses « chefs d’oeuvres »:  Le « Voyage à Tokyo »( Tokyo monogatari) noir et blanc réalisé en 1953  et son dernier film le « Gout du saké » ( Sanma No Aji ) en couleur en 1962, . Ozu meurt l'année suivante d’un cancer à 60 ans.

Juste après le Voyage à Tokyo, il réalise « Soshun » traduit en anglais par « Early spring » et en français par « Printemps précoce ». Il est étonnant que ce film de plus de deux heures ne soit pas considéré aussi comme un de ses chefs d’oeuvres car à partir d’un scénario si simple, il nous livre une pure merveille de réalisation où la beauté des images n’a rien à envier aux propos profonds.
Ce film est une longue réflexion sur l’adultère, l’amour, la famille, la société, le temps avec sa fugacité et sa pérennité. Je ne vais pas ici reprendre les différentes et nombreuses critiques du films qui existent. Sa première sortie en France eu lieu le 8 juillet 1992 lors de la rétrospective Ozu au Max Linder à Paris, puis une version restaurée fut diffusée en 2018.
Il n’est pas dans notre propos non plus de raconter le film à ceux qui ne l’auraient pas encore vu.
 Ils liront avec intérêt les descriptions éclairantes et les réflexions pertinentes sur les différentes strates constituant le film, sur les sites du cinéclub de Caen (cineclubdecaen.com) et de Dvd Classik ( dvdclassik.com) ou même sur l’amusant site Je m’attarde (je-mattarde.com ).
 Nous ne nous occuperons ici que des rapports entre les protagonistes et de l’habitat.

Les personnages en mouvement:

Il est fascinant de retrouver les mêmes acteurs de films en films comme chez Igmar Bergman.. Il travaille en compagnie de fidèles bien que son actrice préférée Setsuko Hara ne figure pas dans celui ci.
 Wim Wenders disait « Si notre siècle donnait encore sa place au sacré, s’il devait s’élever un sanctuaire du cinéma, j’y mettrais pour ma part l’œuvre du metteur en scène japonais Yasujiro Ozu… » Il faut adhérer à son univers si subtil et ténu, ses plans fixes où seul le temps passe.
La caméra au sol avec un angle de vue très bas par rapport aux intérieurs, le fameux plan "tatami" comme le dit le critique Michel Chion dans son article de l’Encyclopédie Universalis sur Ozu «  Légère contre plongée », raccord de regards à 180°, absences de mouvements de caméra ou de zooms, présence au début de certaines scènes de plans vides de personnages ( un immeuble, une montagne, une ruelle ciel), pas de fondus enchaînés…. » lorsque la magie opère, on ne peut, comme avec les films de Bergman, que tous les regarder l’un après l’autre, et se retrouvant dans une poésie apprivoisée, s’en délecter.  

 L’irruption d’une modernité américaine dans la société traditionnelle, la transformation de la famille japonaise, le conflit des générations, le monde de l’entreprise créant le statut de l’employé de bureau, l’alcool et l ‘amitié, la condition féminine, sont les sujets de prédilection d’Ozu. Sujets que l’on retrouve très présents dans les deux heures et plus de Printemps Précoce. La particularité de ce film réside dans le sujet choisi qui avec pudeur et toujours avec des plans épurés traite d’un sujet que le réalisateur n’avait pas approché auparavant avec autant d’acuité, l’adultère.


L’adultère est un des drames les plus rebattu du théâtre ou du cinéma. Comme dans bon nombre d’histoires; L’intrigue est bien connue, l’intérêt est ailleurs:  il travaille, sa femme est lointaine, ils ont perdu leur seul enfant par dysenterie infantile il y a quelques année, il a une brève relation adultère avec une collègue de bureau très libre et moderne, elle le découvre et part se réfugier chez sa mère. Le couple survit malgré tout.
Ce qui est assez fascinant dans cette histoire qui est étoffée par les considérations annexes sur, nous l’avons dit, la modernité occidentalisée, la condition sociale vue par le prisme de la condition d’employé de bureau, la famille et ses transformations, ce sont les rapports entre les hommes et les femmes. Même s’il y a, comme le souligne Wenders lorsqu’il parle du film, une constante universelle  « Aussi japonais soient-ils, ces films peuvent prétendre à une compréhension universelle. Vous pouvez y reconnaître toutes les familles de tous les pays du monde ainsi que vos propres parents, vos frères et sœurs et vous-même. » il y a aussi, et ce serait volontaire de ne pas le voir, une spécificité japonaise qui nous est aussi fascinante qu’incompréhensible.
Les interactions sociales sont pleine de bonhomie comme de respect formel. La politesse est clairement différente de la notre. Les films Français des années cinquante ( Bresson, Becker, Clouzot, Allégret, Clément …) montrent une dureté, une rugueuse communication entre les gens qui se croisent et agissent mais la plus part du temps dans les codes d’une certaine politesse que l’on ne remarque même plus car ce sont des préséances à la française. Ce climat est dû sans doute aux années difficiles de l’occupation pétrie de difficultés économiques et d’un sentiment de défiance. Mais l’homme se lève, lorsqu’une femme lui rend visite, les regards se croisent, les questions amènent des réponses dans une conversation aussi bien familiale qu’extérieure. Les époux se touchent, se rapprochent et dorment dans un même lit. Les amis se saluent et s’étreignent. Au Japon les corps sont distanciés et silencieux.


Chez Ozu, ce qui frappe le spectateur, ce sont justement ces distances physiques entre les membres d’une même famille. Cela est inversement comparable à la promiscuité des assemblées d’hommes aussi informelles qu’une réunion privée de camarades ou qu’une sortie dans un bar où ils sont vraiment coude à coude. Il y a une grande différence entre les rapports familiaux et les rapports entre amis et collègues.
 La parole est très contenue; les sentiments, peu exprimés dans la sphère privée, peuvent sous l’effet de l’alcool (qui a tendance à devenir un personnage à part entière dans certains films) devenir très expansifs entre amis.
 Il y a une sorte de fatalisme, de résignation, un apparent manque d’empathie avec la douleur d’autrui et cela a certainement à voir avoir une culture Zen bien éloigné de nous. Les questions peuvent être très directes, sans gènes, sans « phrases ». Qu’il s’agisse de la perte d’un enfant, des difficultés financières, d’une peine ou désagrément qui ne sont chez nous qu’évoqués avec mille précautionneuses circonvolutions.
"Le patron est furieux ce matin.." dit un employé, "oui, j’ai vu pourquoi ? " répond un autre, parce qu’un camion de la compagnie à écrasé un gosse; silence; puis il reprend en disant, il est furieux parce qu’il trouve que la compagnie à trop payé en dédommagement !  Pas de hauts le coeur…juste acceptation placide.
Les questions sur l’enfant vu uniquement comme une source de problème économique, la question de l’ avortement posée de façon bien brutale sont étonnantes à entendre. La condition des femmes au sein du ménage est impressionnante à observer aujourd’hui. Elle ramasse les affaires que le mari laisse tomber au sol ( très visible dans le film Fin d’Automne ). La confrontation des générations est extrêmement intéressante. La mère dit à sa fille dont le mari découche: « Avec ton père c’était pire, le soir de son mariage, il est allé avec des amis au quartier de plaisir ». Elle explique à sa fille qu’elle n’a rien dit ni fait car elle croyait que les choses en étaient ainsi!

 


La scène entre le mari Sugi et sa femme Shoji qui voit l’adultère confirmé par des preuves matérielles est exceptionnelle de tenue. Le cinéma américano-européen en aurait fait une scène paroxysitique telle que celle de la rupture avec l'amante dont on parlera plus loin; les comportements sont ici inversés. La scène entre les amants est violente, la scène entre les époux devant l'adultère révélé est froide et pleine de retenue tout en étant extrêmement tendue. La froideur inflexible de la femme humiliée, les silences du mari et la qualité du naturel lorsqu’il ment sont stupéfiants. L’épouse trompée fait le constat lucide et sans faux semblant de sa position et pose la question d’une manière affirmée mais sans colère, froidement, la seule question dont la réponse engage son avenir. Une question insensée pour nous, à laquelle il se doit de répondre: « Tu veux que je lui cède ma place ? »  Il s’agit du statu de l’épouse. Aurait elle acceptée? Tout aurait été peut être terminé s’il avait répondu par l’affirmative…La différence flagrante avec l’Europe vient de la question, qui semble presque une proposition.
Il y a en général chez les personnages d’Ozu, quelque chose qui peut nous apparaitre comme un manque de tac, un manque de délicatesse dans les questions qui restent le plus souvent sans réponses. Le personnage se tait. Les yeux baissés, il accepte sans révolte ces « micro-agressions ». Le « never explain, never complain » fonctionne à merveille. Le drame est là; nous le voyons, nous le suivons; mais les protagonistes ne parlent pas entre eux, n’expliquent que du bout des lèvres ce qui les tourmentent. La peine n’est exprimée que de façon solitaire. La femme pleure la tête enfouie dans ses mains, seule et cachée.  L’homme fume en regardant au loin assis à la fenêtre. Nous l’éprouvons par un long plan fixe, eux ne disent rien. Les voisins sont aimables et respectueux mais leurs questions, leurs insinuations sont des carburants pour le drame. La très reconnaissable Haruko Sugimura avec sa démarche les pieds rentrés et son sourire inquiétant, en bonne voisine de maison mitoyenne, sème le trouble et la suspicion tout en expliquant le remède qu’elle a elle même mis au point avec son mari. Les menus gestes de la vie quotidienne sont montrés comme la vie même, vie qui continue malgré le drame.


 La violence existe tout de même. La femme gifle l’homme. A toute volée en allers et retour, le visage de l’homme impassible accuse les coups sans un mouvement pour montrer l’impuissance de la femme livrée aux derniers recours.
Cette scène où « Poisson Rouge » ( Keiko Kishi) fait face à Sugi son amant ( Ryo Ikebe) pour l’explication de rupture est pleine de fureur, de cris et de coups. Elle s’emporte, le gifle à la volée. Il n’esquisse aucun geste pour se protéger ou se défendre. Elle est seule avec sa colère et son chagrin. L’homme est un roc, immobile et impassible. Cette scène intense n’est dû qu’à la condition exceptionnelle de cette femme. Elle est libre. Elle se montre dès le début du film comme une femme autonome qui s’affranchit des codes de la morale commune et exprime ses sentiments.

Une scène inversée aurait été impossible alors et scandaleuse aujourd’hui, même peut être passible des tribunaux…L’époque a changée bien évidemment, ce sont les années dix neuf cent cinquante, d’ailleurs la bande-son en est un témoignage. Les protagonistes utilisent très fréquemment le terme « Sayonara » dans la vie quotidienne alors qu’aujourd’hui il n’est employé que pour réellement dire "Adieu" et ne plus se revoir...on lui préfère le terme de « Ogenki de »(Dewa Ogenki de) (ではおげんきで)  prenez soin de vous, sorte d’ "au revoir" sinon le classique "bye bye" est compréhensible et très usité!

 

l’Habitat

L’organisation de la maison détermine des pièces amovibles aux attributions très spécifiques qui ne sont pourtant pas formellement assignées. La chambre, le salon, la salle à manger peuvent être fluctuantes. Le cinéma d’Ozu durant les années cinquante se situe dans un moment extrêmement intéressant de pénétration de la modernité occidentale dans une structure traditionnelle liée à la notion d’ « Uchi »
Terme qui désigne la famille mais également la maison. L’intérieur est le règne de l'Uchi. L’entité est indissociable de sa hiérarchie et de ses fonctions comme de la conception de l’espace que l’on ne peut séparer de la relation sociale. L’Uchi est le fait structurant de la sociabilité japonaise nous-dit madame Claude Bauhain, professeur à L’Ecole d’Architecture de Paris et spécialiste de l’architecture japonaise.

Intérieur classique Ikkodate


1-Tatami  2-Sol de lattes de bois  3-Sol de terre battue.  

4- cloison de papier Shoji  5- Autel Bouddhiste

 

Les intérieurs de Printemps précoce sont très amusants à détailler.( L’on peut faire de même avec plusieurs films et notamment le film en couleur « Ohayo » ( Bonjour) qui prend pour thème l’arrivée de la télévision). Nous pouvons voir cohabiter l’intérieur traditionnel avec l’électroménager moderne ( bouilloire électriques, aspirateurs; fer à repasser). Les rares meubles occidentaux, chaises, tables ne sont pas encore assez présents pour bouleverser le rapport au sol, mais ils sont là.


 La vie japonaise est faite de souplesse, de glissements, de pas feutrés. La maison aux cloisons amovibles ( Shoji ) demande aux habitants de ne pas exposer leurs bruits aux désagréments des autres. La discrétion et l’évitement des sons forment la base du savoir vivre.
Tout se fait accroupis devant de petites tables ou devant des plateaux posés à même le tatami. Les chaussettes et les génuflexions sont constantes dans le déroulé de la vie du couple.
Les cloisons coulissent, la maison se fait et se défait. La femme dresse les lits le soir, les rangent le matin, elle fait la cuisine ou la vaisselle dans une alcôve de la pièce principale. Seul le bain est dans une pièce à part qui ne se ferme que par une cloison aux silhouettes d’ombres.

 


Les entrées appelées Genkan sont abaissées par rapport au reste de la maison, c’est là où l’on enlèvent ses chaussures. Cela existe aussi dans les cafés ou club de Mah-Jong où l’on dine assis sur des coussins plats. La maison traditionnelle est encore la règle dans Printemps Précoce, seul le bureau est de conception moderne.
Ce sont des maisons construites après la guerre dans la banlieue de Tokyo lors de l’énorme crise du logement. Des « Ikkodate » la maison unifamiliale qui forment un lacis de ruelles piétonnes où les voisins sont très présents car les deux portes d’entrée se font faces et une fois les cloisons ouvertes, les maisons donnent littéralement l’une dans l’autre.
Les maisons sont faites de bois léger doublé avec un étage. Des cloisons en papier tendu sur de grandes claies séparent les espaces intérieurs. Le sol est pourvu de tapis tressés de paille de riz que nous connaissons sous le terme bien connu de Tatami, cela évite tout bruit de pas et permet de disposer cousins, petites tables et couvertures à même le sol. Le foyer était autrefois creusé au centre de la pièce principale appelée Whashitsu et comportait un brasero sous la table ..cette pièce se cloisonne par les murs coulissants suivant une disposition qui varie très lentement au cours des âges.

 


 Dans les films des années cinquante jusqu’au dernier réalisé en 1962 « Sanma no aji » ( le goût du Saké) la maison se présente suivant son ordonnance ancestrale même si les changements amenés par l'occupation sont effectifs. Les costumes traditionnels de l’employé de bureau devenu la règle sont bien incommodes dans la maison. Le kimono devient alors un vêtement d'intérieur. Les femmes se changent, enlèvent leurs jupes et leurs bas et passent une soie nouée souvent ornée de grandes fleurs contrastées, seul les femmes d’un certain âge ou les femmes au foyer portent la tenue adéquate toute la journée.

L'homme enlève veste et gilet et les étale sur le tatami dans un geste automatique. Il se débarrasse de sa chemise et cravate de la même manière. Son épouse lui présente un kimono et ainsi il peut enlever son pantalon. Il porte un long et large caleçon qui s'arrête aux mollets. Sa femme à la charge de tout mettre sur un cintre, enfin il peut s'agenouiller devant la petite table. C’est par la transformation du vêtement que la sphère domestique se trouve ainsi bousculée.
Les changements dû à l’occidentalisation accélérée par l’occupation de 1945 passeront donc d’abord par le monde du travail puis en ricochet par le costume qui devient inadapté pour les hommes devant s’agenouiller à la maison; pour la jupe droite et les vestes cintrées des femmes qui ne peuvent plus s’accroupir avec aisance. De nos jours, la maison montrée dans les films d’Ozu constitue une exception, mais l’agencement moderne pourtant perpétue les codes traditionnels des Ikkodate avec les matériaux actuels. Les architectes continuent à penser la maison de l’intérieur.
L’américanisation se conjugue donc étonnement, et c’est à la gloire de la société japonaise, avec la tradition. Il y a une subtile adaptation au monde moderne en gardant tradition et identité, avec des allers retours inconnus en Europe. Il s’agit plus d’une synthèse que d’un affrontement. Mais si l’habitat s’est adapté aujourd’hui, les villes se sont métamorphosées en mégalopoles même si Tokyo a toujours eu une densité impressionnante pour les occidentaux.

Seul le cinéma d’Ozu montre donc cet entre-deux des intérieurs des années cinquante et spécialement, en filigrane, Printemps Précoce, qui traite le couple avec beaucoup de scènes intimes.
Le contraste avec les scènes de bureau et les intérieurs privés, maisons, cafés, salles de banquet est saisissant. Les protagonistes passent d’un monde à l’autre et se changent devant nous. Il y a une beauté formelle qui nous touche. Les plans sont des tableaux de dépouillement et d’élégance.  La beauté des intérieurs contrastent très fortement avec la laideur des extérieurs de la modernité industrielle.


Pourquoi Printemps Précoce? Pourquoi ne pas avoir détaillé le film réalisé l'année suivante  « Crépuscule à Tokyo » (Tokyo boshoku)? Oui, cela aurait été tout aussi intéressant mais Printemps Précoce contient un charme indéfinissable fait de longueurs et de mélancolie que la multiplicité des personnages, pas tous clairement identifiés, augmente.

Ce n’est peut être pas la clef pour pénétrer l’univers de Yasujiro Ozu, mais ce film peut vous prendre par surprise en vous permettant de vous échapper sur des voies buissonnières qui laissent l’histoire bien loin derrière le propos.

 

Le livre de Gilles Deleuze « L’image temps » vous en dira plus. Page 22.

 

 

Extrait page 22

"Bien qu'il ait subi dès le début l'influence de certains auteurs américains, Ozu construisit dans un contexte japonais une œuvre qui développa, la première, des situations optiques et sonores pures ( toutefois il ne vint qu'assez tard au parlant, en 1936). Les Européens ne l'imitèrent pas, mais le rejoi­gnirent par leurs propres moyens. Il n'en reste pas moins l'inventeur des opsignes et des sonsignes.( * note en bas de page ) L'œuvre emprunte une forme-bal(l)ade, voyage en train, course en taxi, excur­sion en bus, trajet à bicyclette ou à pied : l'aller et retour des grands-parents de province à Tokyo, les dernières vacances d'une fille avec sa mère, l'escapade d'un vieil homme... Mais l'objet, c'est la banalité quotidienne appréhendée comme vie de famille dans la maison japonaise. Les mouvements de caméra se font de plus en plus rares : les travellings sont des « blocs de mouvement lents et bas, la caméra toujours basse est le plus souvent fixe, frontale ou à angle constant, les fondus sont abandonnés au profit du simple eut. Ce qui a pu paraître un retour au "cinéma primitif" est aussi bien l'élabo­ration d'un style moderne étonnamment sobre : le montage­ eut, qui dominera le cinéma moderne, est un passage ou une ponctuation purement optiques entre images, opérant direc­tement, sacrifiant tous les effets synthétiques. Le son est également concerné, puisque le montage-eut peut culminer dans le procédé « un plan, une réplique emprunté au cinéma américain. Mais dans ce cas, par exemple chez Lubitsch, il s'agissait d'une image-action fonctionnant comme indice. Tandis qu'Ozu modifie le sens du procédé, qui témoigne maintenant pour l'absence d'intrigue : l'image-action disparaît au profit de l'image purement visuelle de ce qu'est un person­nage, et de l'image sonore de ce qu'il dit, nature et conver­sation tout à fait banales constituant l'essentiel du scénario (c'est pourquoi seuls comptent le choix des acteurs d'après leur apparence physique et morale, et la détermination d'un dialogue quelconque apparemment sans sujet précis).

G Deleuze

 

*. L’« opsigne » désigne l’image optique pure, tandis que le « sonsigne », l’image sonore pure. Les « opsignes » se divisent en deux autres signes, les « constats » et les « instats », les « constats » représentent un subjectivisme complice, l’abstraction, les mouvements des figures dans l’espace, que l’on pourrait trouver chez un cinéaste comme Fellini. En revanche, les « instats » se caractérisent par un « objectivisme critique », dont la vision est proche, et qui implique une participation, ce qui serait davantage du côté d’Antonioni. 

Source:

https://journals.openedition.org/philosophique/936

 

 

 

 

 

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