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FLORIDUM MARE................................
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22 mars 2021

MEATPACKING MADISON



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2001

(....)


Dans la société appelée PBN : Les Productions Bonne Nouvelle, composée de deux salariés associés égalitaires, j’occupais en 1987 les fonctions de chef d’atelier. Nous étions localisé rue de la lune, dans une assez curieuse construction en pignon sur le boulevard Bonne Nouvelle. Cet immeuble construit disait-on par Eiffel avait une belle terrasse en triangle donnant sur la grande Porte Saint Denis. (il existe toujours)
C’est dans ces locaux que j’ai passé mes trois ans de ce qu’on pourrait appeler mon « apprentissage » J’ y ai attiré mon ami Denis Meillassoux qui très vite participa à cette aventure. Je l’avais rencontré un soir, chez un ami, plus ou moins commun. Nous nous sommes revu dès le lendemain dans un vernissage du peintre chinois Ru Xiao Phan que nous connaissions. Nous y avons exercés nos talents de critique d’art, cela fut le début d’une amitié qui nous amena naturellement à travailler ensemble. C’est avec lui que je suis allé à Manhattan pour la première fois en 1988. (...)

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Denis Meillassoux et Amaury de Cambolas 1996


En 2001, Denis avait un bon contact pour réaliser les décors des boutiques Emmanuel Ungaro. Le décorateur italien, Antonio Citterio, avait conçu une sorte de signature décorative avec un contraste fort entre les bois sombres (masculins) et une patine tirée à l’horizontale d’une couleur rose un peu fuchsia tendre et coloré, très lumineuse.
Les grands murs de jonction entre les présentoirs de bois sombre extrêmement design, sobres et chics, devaient être peints en patine horizontale; ce qui devait laisser par les stries du spalter une grande quantité de nuances colorées allant du fuchsia au rose le plus délicat. C’était assez technique, les stries devaient être horizontales avec une sorte de vibration élégante. Les cabines d’essayage ainsi que le fond des vitrines devaient être aussi peintes avec cette technique et bien évidemment de cette même couleur.

Une Jeune femme brune en tailleur qui se faisait appelée Madame Fourrier était l'interlocuteur de Denis, c’est elle qui gérait la réalisation des décors. Nous avions déjà réalisé les peintures de la grande boutique de l ’avenue Montaigne et maintenant la maison Ungaro voulait ouvrir une nouvelle boutique à New York. Denis fut bientôt sollicité et c’est ainsi qu’il m’embarqua dans cette aventure. Tout ne fut pas simple dès le commencement, car la maison Ungaro voulait exporter en kit sa boutique conçue et fabriquée en Italie sous l’oeil de Citterio. Une fois terminée dans leur atelier de Cantou, il ne s’agirait plus que d’agencer les différents éléments in situ pour minimiser le temps d’immobilisation de leur location et ouvrir le plus vite possible. Denis partit pour l’Italie du Nord, mais cela se passa avec tant de problèmes qu’il en revint assez vite en me disant que ça n’allait absolument pas, que ce n’était pas la bonne méthode et que nous partions réaliser les décors sur place. J’étais très heureux de cette nouvelle comme on s’imagine !
Denis avait suivit les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs ( « il a fait les « ArtDeco » comme l’on disait à ce moment là ) Il possédait un bon coup de crayon, un dessin très sûr pour toutes les architectures. Assez grand, d’allure sportive, il avait ce que l’on appelle, un physique avenant. Son visage régulier, sa masse de cheveux brun et son regard rieur lui assurait un beau succès auprès de tout le monde. Les sourires féminins l’encadraient. Sa verve et son humour faisait le reste. Madame Fourrier n’échappa pas à la règle.

 

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Denis Meillassoux Artiste et Peintre 2015


 Notre voyage fut décidé et organisé assez rapidement. Nous emmenions que le strict nécéssaire, toutes nos fournitures étant facilement accessible là bas. Il fallu trouver un hébergement car la société Ungaro ne pouvait s’en charger nous disait Madame Fourrier. Un budget nous avait été alloué et c’était à nous de nous débrouiller. Denis connaissait beaucoup de monde. Il m’expliqua qu’il connaissait une fille qui habitait New York. Plus précisément il me confia que c’était l’amie d’un ami et qu’elle avait un appartement dans Manhattan.
Evidement cela n’était pas gratuit, c’était d’ailleurs assez cher mais moins que l’hôtel et nous aurions une cuisine. Cette amie du nom de Laurence avait expliqué à Denis que son  « RoomMate » étant parti, elle cherchait un remplaçant, fusse-t-il temporaire; même pour un mois. Elle était d’accord pour nous recevoir tous les deux si nous pouvions partager la même chambre. Comme on s’en souviens, ce n’était pas la première fois pour moi et avec Denis cela ne me posait aucunes difficultés. Cette Jeune femme était photographe et avait disait-elle bien des difficultés à payer son « rent » surtout depuis son divorce.
Affaire fut conclue et nous voilà en partance pour aller travailler à New York! J’étais extrêmement content d’avoir cette deuxième chance!
Nous avions un rendez-vous là-bas, calé par Madame Fournier qui devait mettre les choses en route.
Je ne me souviens absolument pas du voyage, de ces préparatifs ou autres. Nous étions si insouciant, confiant qu’aucune possible gravité liée à ce départ n’a pu certainement fixer mes souvenirs. Nous sommes parti ensemble comme treize ans auparavant, sans aucun souci, en rigolant j’imagine. La complicité qui nous liait dans le travail était l’humour et la dérision. La vie ne se passait pas sans humour. On se moquait facilement de tout, à croire que la dérision nous permettait de supporter toutes les difficultés de notre travail et il y en avait énormément quand on y pense: Les conditions de chantiers difficiles, la lutte pour une place avec les autres corps de métier, les clients tatillons, les peintres en bâtiment sabotant nos fonds et l’obligation de travailler sans confort dans des endroits bruyants ( machines des menuisiers, des électriciens, des carreleurs) plein de poussière de ponçage avec en plus, un minimum de «  commodités » L’eau au robinet dans la cour, pas de vestiaire, pas de toilettes et des problèmes techniques constants.
Les boutiques sont souvent le théâtre d’une sorte de surenchère. Dans un même espace, pressé par une date d’ouverture, vous mettez tous les corps de métier ensembles et vous avez un chaudron explosif. Si vous êtes trop gentil, vous passez en dernier, si vous êtes trop pressants, vous vous mettez tout le monde à dos avec une ambiance qui passe de difficile à épouvantable!
Il faut s’affirmer sans agressivité et accepter en souplesse les aléas du chantier: faire et refaire, aider et se faire aider, prêter du matériel et courir après..etc etc  Denis par son humour rendait les choses si faciles que tout devenait une partie de rigolade même les plus sombres « galères » . On râlait, on s’amusait, on filoutait et on s’en sortait à chaque fois. Il y a plein d’anecdotes qui me font encore rire simplement en y pensant. Lorsque les situations étaient tendues, les réparties et l’aplomb de Denis pouvaient déclencher des fou-rires réparateurs bien qu’ils puissent devenir incapacitants chez moi. Je ne rappellerais que pour les lecteurs avertis ( cela pourrait faire l’objet d’une note plus détaillée) les épisodes du « paillons de Mirapolis », de la « cargolade de Byrrh-Cuzenier », des cubes de PBN, de Tombaize aux Tuileries etc…Je pourrais bien évidemment rajouter Ungaro-Madison.

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Nous sommes arrivés tranquillement en taxi au pied de notre nouvelle habitation. Laurence habitait dans le quartier de MeatPacking au 305 de la W 13th Street. Un bel immeuble fait d’une alternance en damier de briques sombres et rouges avec une grille noire donnant sur un renfoncement. Architecture austère d’une simplicité voulant sans doute rappeler Mies van der Rohe. L’ensemble semble difficile à dater.  L’appartement était agréable. Une petite entrée en angle ouvert donnait sur un long séjour. Un petit couloir sur la gauche ouvrait sur deux chambres face à face avec une salle de bain au milieu. Une cuisine, simple et en retrait près de la porte d’entrée sentait la litière du gros chat qui vivait confiné silencieusement sous les meubles.
L’ensemble était agencé avec le goût sûr d’une bohème bourgeoise chinant ça et là. Des meubles néo 60 se mélangeaient avec de la récupération vintage. Le tout dans les tons beige et verts d’eau, calme, sobre, chic… agrémenté de plantes grasses.
Laurence n’était plus si jeune que son apparence le voulait. Grande et très mince, dérivant même vers ce que l’on appelle la maigreur; ses jambes étaient si fines que tout galbe en avait disparu. Elle portait une grosse tignasse ébouriffée qu’elle manipulait souvent en penchant la tête. Son habillement s’inspirait des anciennes photographies devant lesquelles elle avait du rêver longtemps. Un mélange de Janis Joplin, d’Hendrix et de Talking Heads qui lui donnait évidemment le côté artiste recherché. Elle était moitié jolie, en tout cas elle l’avait peut être été et vivait la dessus. Elle nous accueillie avec beaucoup de gentillesse mais je perçu assez vite durant la conversation une sorte d’irritation de sa part devant l’attitude de Denis.
Assise sur le canapé, elle prenait des nouvelles de leurs connaissances communes, de l'ambiance de Paris, de la teneur du travail qui nous amenait dans « sa » ville. Elle ne me parlait pratiquement pas et pour ma part gardais un silence prudent. Après quelque minutes d’observation, il me semblait qu’elle était agacée de ne pas voir Denis en état d’allégeance, c’est à dire pour me faire bien comprendre, elle trouvait, je pense, Denis trop sûr de lui, trop à l’aise et blagueur. Elle aurait sans doute aimé le voir plus admiratif, plus en demande de conseils et d’explications sur l’impressionnant New York. Elle aurait souhaité le voir la reconnaissant comme une fille de poids, elle voulait être considérée comme une personnalité. Le problème était que ce n’était pas le cas. Tout était fabriqué et Denis le percevait instinctivement.
Il ne la prenait absolument pas au sérieux et rien de ce qu’elle pouvait dire ou penser n’avait pour lui de valeur. Je m’aperçu assez vite qu’il avait parfaitement raison, c’était une boite vide remplie des idées du moments, un personnage construit sur les apparences; sans fondement ni consistance. Elle était « cool » oui, mais larguée, seule et désespérée. Son attitude avec moi, était sans agressivité mais assez lointaine. Elle mit du temps à venir vers moi, puis elle vint trop; comme je l’ai gentiment repoussée, elle resta assez distante jusqu’à la fin du séjour et nous n’avons bien évidemment, pas gardé de lien.

 

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Nous avions rendez vous dès le lendemain avec madame Fourrier sur le chantier de la future boutique. Il fallait se déplacer en métro à partir de la station de la 14 ème rue et cela n’a pas été sans mal car souvent distrait, nous avons plus d’une fois raté nos correspondances!
La boutique était à l’angle de la très passante Madison avenue et de la East 67 ème rue qui arrive en perpendiculaire sur Central Park. J’étais de nouveau dans ce quartier arpenté en 1992. On s’imagine bien que c’était avec un certain plaisir que je retrouvais ces trottoirs plein de bons souvenirs.
Très spacieuse avec des vitrines sur l’angle, la boutique au numéro 790, s’ouvrait sur un dédale de grands présentoirs en construction. Face à l’entrée, un escalier fait de marches plates en verre rose fuchsia ne comportait pas de contre marche. Structure aérienne ultra moderne d’assez bel effet, il desservait un espace d’essayage à l’étage pour les bonnes clientes qui aiment à passer du temps dans une sorte de show room plus privatisé. Il y avait un grand sous sol avec des bureaux et des réserves.
Les travaux étaient très avancés, les peintres italo-américains s’affairaient, les menuisiers (italiens) travaillaient sur les présentoirs. Madame Fourrier enceinte d’une bonne dizaine de mois, nous accueilli toute souriante. Elle nous fit les présentations du chantier et de son responsable, un petit italien noiraud pète sec qui parlait avec accent prononcé en roulant les « r ».
Nous avions notre matériel sauf les liquides. Il nous fallait acheter une assez grande quantité d’essence de térébenthine.
Je n’avais jamais eu à faire des achats auparavant, tout était fourni. Ne sachant pas où aller, on nous indiqua une boutique mais ce n’était pas vraiment la bonne adresse . Aussi incroyable que cela puisse être, nous sommes parti acheter de l’essence dans China Town, dans ce dédale dont les touristes n’effleurent que la surface!  Extrêmement dense, très peuplé avec des arrières cours d’une crasse inimaginable, China Town n’est pas réputée pour ses fournitures de peinture.
Nous avons donc ramené de cette longue flânerie dans la foule, une sorte de pétrole infect acheté dans une boutique bazar qui ne rappelait rien de connu. Cette essence que nous mélangions avec l’huile de lin amené de Paris, nous permit de confectionner un glacis à peu près utilisable malgré son odeur de Kérosène huileux.
 Nous nous mîmes au travail, mélangeant les couleurs pour obtenir ce rose si particulier. Les fonds blancs préparés par les peintres devaient être très couverts, très « nourris » c’est à dire qu’ils devaient impérativement recevoir deux couches de fond uniformes sans maigreurs, ni manques de peinture car notre glacis rentrerait immanquablement dans ces failles. La patine laissera ainsi des tâches brunes affreuses. Il n’y a pas de reprises possibles si ces maigreurs appelées « embus » apparaissaient, c’était l’intégralité du panneau à refaire.  

Un colosse aux bras nus tatoués, avec un bandana ceinturant son front auréolé de maigres cheveux blonds en filasses se faisant appeler James, Denis l’appela pour toujours « le gros James ». Il était responsable du ménage. Fort en gueule, il prenait une place considérable. Denis eut tôt fait de le circonscrire par trois vannes bien senties ( Denis parlait un excellent anglais, imagé et nourri de références cinématographiques plus que littéraires, tout à fait adéquat ici) James et lui rivalisaient de fuckin’jokes. Nous avions un allié face au petit italien hargneux qui ne voulait pas avoir affaire aux « frenchies »
Je ne vais pas détailler les difficultés à travailler en finition dans un environnement si difficile, non, car c’est le lot des boutiques en chantier; mais disons que notre progression était lente et chaotique. La futur boutique attirait beaucoup de passants qui regardaient, questionnaient car comme toujours le chantier débordait un peu sur le trottoir. Il faisait beau, l’air était agréable. Il était d’usage de s’extraire du bruit et de l’agitation pour aller fumer et boire des cafés dehors.
Une matinée, il y eu un attroupement devant la porte. J’étais en train de peindre lorsque le gros James appela « Déniss Déniss  » pour venir voir l’attraction. Il y avait Sigourney Weaver à la porte. Elle voulait connaitre la date d’ouverture et créait l’attroupement. J’ai le souvenir d’une grande femme assez distinguée.


Nos journées de travail s’enchainaient avec des horaires assez souples, les premières journées furent très détendues; ce n’est qu’à la fin que les choses se corsèrent. Nous dûmes peindre les fonds des vitrines. Nous y avions tendu des papiers pour ne pas être vu de la rue mais c’était tellement exiguë que l’on ne pouvait à peine se retourner. Nous effacions à droite lorsque nous peignons à gauche et inversement. Les angles en lignes droites horizontales sont assez difficiles à traiter proprement, c’est à dire sans surcharge de peinture. Il faut patience et coup de main, les cabines d’essayage comportaient ces mêmes difficultés. Il y eut d’autres surprises, des imprévus. Madame Fourrier nous demanda de peindre le sous-sol dans ce même rose. Aucuns murs ne devaient rester blanc. Le problème était que ce sous-sol n’était pas peint du tout. Le chef peintre à qui nous nous sommes adressés pour que les fonds soient préparés, répondit sans ménagement à Denis : « You’re not the priority » Ce qui fait que nous nous sommes attelé à la peinture des murs en roulant grassement cette acrylique blanche américaine à l’odeur écoeurante si caractéristique. Les derniers jours furent donc assez intenses.

La vie avec Laurence n’était pas si simple, nous n’avions pas cette discipline qu’on les anglo-saxons pour la collocation. Nous avions commis l’impair de boire toute la bouteille de « Grapefruit » au petit déjeuné! ( Laurence se levait assez tard ) Elle le fit savoir. Difficile, boudeuse  hâbleuse, elle se vengea en nous obligeant à commander des Sushis. Le tarif était absolument exorbitant. Je me souviens de cette soirée morose, affalés dans son salon à attendre la livraison.  Une discussion sur Castro finie mal tourner car j’étais abasourdi par son inculture nourrie d’un romantisme révolutionnaire idiot. Elle se tenait en lotus avec ses jambes allumettes moulées dans un legging assez désavantageux. Les maigres sushis avalés, nous allions dans nos chambre et là, la soirée commençait car nous parlions, rions en l’oubliant complètement.

Elle n’eut que l’avantage de pouvoir nous faire découvrir des endroits assez amusants. Le quartier de Meatpacking n’était pas en cet été 2001, le quartier si en vue d’aujourd’hui.

 

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Une institution


La transformation n’avait pas encore eu lieu complètement. Il était en cours de « gentrification » mais les entrepôts des bouchers, les vieux abattoirs, les docks existaient encore dans leur vétusté et désuétude. Ce n’était pas un quartier « recommandable ». Bien loin d’aujourd’hui avec ses galeries d’art, ses restaurants bio et le nouveau Chelsea Market. La High Line n’existait pas encore ( elle fut ouverte en 2009) ni le superbe Witney Museum II ( ouvert lui en 2015)
Meatpacking était dans les années 80, un quartier en pleine déshérence, concentrant le trafic de drogue et la prostitution notamment transsexuelle.
La lente reprise s’amorça dans le courant des années 90 pour qu’en 2001, il soit devenu un quartier assez branché pour y habiter. La proximité du « Village » (West et Greenwich) lui donnait l’opportunité de se remplir de son trop plein. Une quantité de petits bars ainsi que quelques restaurants en vue concentraient les prémices des changements à venir.

 

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Nous allions au restaurant « Pastis » ouvert en 1999 qui acquit une fameuse renommée. Situé à l’angle de la rue d’à côté pour nous ( W12st/9Av) Il avait un faux aspect de bistrot français avec une terrasse cernée de plantes en bacs.  A l’intérieur, un carrelage bosselé blanc avec des plaques émaillées d’anciennes publicités en guise de décoration lui donnait un petit genre « Paris est une fête ».
Nous n’y serions pas allés sans Laurence. Mais l’endroit était très agréable. Peu cher avec un bon poulet croustillant. Ce restaurant est devenu une sorte d’icône mondaine où très vite la presse se fit l’écho des apparitions des personnalités venant y diner: Anna Wintour, Liv Tyler, Kate Hudson, Stella Mc Cartney, David Bowie ..etc etc. Personnalités que nous n’avons pas croisées. S’il existait dans la clientèle vue ces soirs là, des gens un tant soit peu connus, ils ne l’étaient pas pour nous.
En revanche Laurence passait, elle, pour une artiste en vue, grâce à son accoutrement. Manteau en pelisse de faux léopard, minijupe sur des collants disparaissant dans des bottes d’arpenteuse de trottoirs, elle arborait un maquillage de petits matins de catastrophe. Nous nous y allions diner mais le plus souvent boire des bières, au bar, sans elle.
Un soir le serveur nous regarda d’un oeil moqueur en train d’entreprendre deux japonaises un peu timides. Je m’évertuais à engager la conversation avec ses énigmatiques jolies touristes. Nous étions affalés sur le comptoir à dire n’importe quoi sûr de notre impunité de français. Denis était en verve, je rigolais de tout ses commentaires à l’emporte pièce lorsque le serveur se mit à rire aussi. Il nous comprenait parfaitement; c’était un marocain d’origine très sympathique, nous étions vraiment chez nous avec un bon allié dans la place.
 “When Pastis opened, it was like Paris had finally come to New York,’’ recalls Martha Stewart. “I and my colleagues so enjoyed the food and the ambience and the friendliness of the place. »
Le restaurant Pastis a fermé en 2014 avec de grands sanglots dans le NewYork Post.  

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H & H


Laurence nous fit découvrir une autre institution qui nous a beaucoup amusé. Un bar de bikers portant le joli nom de « Porcs et génisses » ! (Hogs and Heifers) lui aussi fermé aujourd’hui malheureusement. Il fut obligé de quitter les lieux en septembre 2015 à cause de la hausse de son loyer. Le quartier étant devenu massivement la proie des investisseurs, son nouveau propriétaire ne lui laissa aucune chance.  Le gros James connaissait ce bar, il nous expliqua le jeu de mot associé à ce nom bizarre. « Hogs » est aussi un des noms de la Harley du biker et il aime comme on le sait, parader avec une fille en croupe. On comprends mieux l’allusion.

L’entrée du Bar était filtrée par des clones de Hell’s Angels. Il était en pleine activité à ce moment là. Les « Bikers doorman » vous regardaient avec suspicion, quelques fois demandaient des « ID » pour savoir si vous étiez majeur; vous collaient un bracelet et la porte s’ouvrait.
Le bar était sombre avec une musique rock bien sentie. La première choses qui frappait le visiteur était les milliers de soutiens gorges de toutes tailles et toutes couleurs accrochés absolument partout. Ils englobaient, couvraient, détouraient tout les autres trophées couvrant les murs. Il y avait notamment une grosse Harley Davison scotchée sur la paroi. La deuxième chose frappante était, lorsque vos yeux s’habituaient aux lumières diffuses, les serveuses en soutiens gorge, jeans et bottes texanes. La tradition voulait que les soirées se terminent par des danses féminines sur le bar avec jets de soutiens gorge comme offrande. Nous y avons assistés, nous y sommes retournés plusieurs fois, c’était à deux pas.

 

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H&H Meatpacking  avant destruction.


Nous sommes beaucoup sortis, rentrés tard et levés tôt. Nous avons fait quelques soirées mémorables où notre « lâché prise » s’est distingué. Je me souviens d’un soir où nous avions décidé d’aller diner vers Greenwich village. Nous sommes parti en métro vers Washington square. Nous avons ensuite flâné dans les rues, descendant au gré de notre humeur vers les petites rues de Soho sans but réel. Nous voulions diner quelque part. En passant un carrefour, je vis un bar superbe en angle de rue. Le bar New-Yorkais tient plus du pub anglais que du café français. Les vitres laissent voir un intérieur bien tranché d’avec la rue. Les lumières et l’ameublement sont des incitation à la halte prolongée. Ce bar avait un aspect très attirant. C’était le coin de rez de chaussé d’un immeuble du début du siècle, avec large entablement et belle épaisseur des entre-fenêtres. Les murs extérieurs étaient blanc, les fenêtres carrées montraient un long comptoir dans une pénombre réchauffée par des petits abat jours. Il devait être à peine 19 h et ce fut notre perte. La serveuse était cubaine, il n’y avait personne, les after-work étaient déjà rentrés, très avenante son sourire était fabuleux, elle fit bien son métier.
Nous avons éclusé une bonne dose de bourbon pour que la soirée commence comme une bordée! J’ai un souvenir confus. Il existe une grande différence entre les cuites de désespoir et celles de plénitude quasi panthéiste. C’était vraiment par notre état de plénitude, de gaité libre sans brides d’aucunes sortes; en pleine possession de nos moyens, libérés des contraintes d’un sur-moi ( laissé à Paris) que nous nous sommes laissé prendre à la spirale joviale de l’alcool en pleine air. Nous sommes allés de place en place, diner sans doute quelque part; je ne sais plus …Mais nous marchions très gais sans avoir la moindre idée de notre itinéraire. Nous n’avions pas de carte ou de guide , on picolait de bar en bar.
Après un temps, arrivé devant un petit square, dans un quartier vide, nous avons franchit les barrières pour aller pisser. Nous savions que Jagger et Richard avait eu des problèmes avec ça donc nous étions prudents comme deux toupies chancelantes pouvaient l’être. La nuit venue, les trottoirs étaient vides comme les rues. Il pouvait être cinq heure du matin que nous n’aurions pas été surpris.
On ne savait pas du tout où nous pouvions être. Ayant la tête en vrac et la vision double, triple et floue, nous avons hélés un taxi.
Une grosse voiture jaune s’arrête enfin, nous donnons l’adresse de Laurence en bafouillant tous les deux penchés sur sa fenêtre ouverte. Le gars hésite et nous envoie promener promptement. Il nous indique du doigt la rue d’en face et nous dit quelque chose comme : « It’s here ! you moron » Nous étions devant ce petit parc triangulaire appelé Jackson Square (qui est un des plus anciens petit square de la ville) et qui est situé devant la 13 ème rue où nous habitions. Ce fut un choc! Nous étions revenu, après une longue dérive, devant chez nous. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment.
Le lendemain sur le chantier nous avons peiné à la tache. Après notre déjeuné acheté dans notre Deli coréen où nous avions nos habitudes: salade composée et hamburger à emporter, nous somme allés faire une petite sieste à Central Park. Dire une petite sieste est un euphémisme, nous nous sommes profondément endormi sur une pelouse. Le soleil nous a réveillé après deux heures de bronzage intensif. Denis était rouge vif. Il était difficile de cacher notre état au gros James qui se moquait de notre état chiffonné.

Denis qui comme je l’ai dit, connaissait beaucoup de monde, contacta une de ses connaissances habitant sur place, Franklin un garçon assez sympathique, membre d’une honorable famille du nom de Servan Schreiber. Il travaillait pour une institution internationale tout en faisant des piges pour USA Today. Notre diner fut très instructif car il nous expliqua de long et en large la grande différence qu’il y a entre les codes de séduction américain et français. Le peu de facilité de s’inviter les uns chez les autres. Ce que l’on appelait ici, les « dates » dans les bars. Le jeu des garçons face aux filles. Ce qu’elles attendent, ce qu’ils doivent faire. Rien n’était semblable à ce que l’on savait faire ou comprendre. La psychologie de la jeune américaine paraissait tordre le cou à toute notre compréhension de la chose. Il nous expliqua qu’un « non » pouvait être un « oui » et que « peut être » était sans doute un « non ». Que l’alcool servant chez nous, on le sait de désinhibiteur, pouvait servir ici d’excuse. Que bien des actes pouvaient être sans conséquences pour le lendemain et qu’il est malvenu d’y faire allusion le lendemain à moins d’y être autorisé. Il nous expliqua qu’ à l’université bien des filles se laissent aller à des fellations pour ne pas à avoir à coucher avec le garçon. Ce qui impensable pour nous.  Que le garçon se doit de franchement montrer son désir, ce qui peut être aussi le cas de la fille et que si les rapports sont plus rapidement établis (et peut être en ça plus superficiels) tout doit être fait dans une franchise déconcertante. Mais avec un jeu d’aller et venue régie par des codes dont il faut avoir la maitrise. C’était bien avant le phénomène  MeToo#, tout doit être bien changé aujourd’hui. Il y avait chez lui une vraie souffrance, le statut de français n’avait pas l’air de l’avantager.
denis n’avait pas que des amis à New York il y avait aussi de la famille. Son oncle nous invita à boire un verre au bar du Waldorf Astoria situé sur Park Avenue. La décoration du building qui date de 1931 est une merveille d’Art Deco. J’ai gardé un excellent souvenir de cette ambiance chic et feutrée qui rappelait l’ « Amérique heureuse » du cinéma des années quarante, où l’élégance à la Gary Grant était la norme. L’hôtel est toujours situé sur le Track 61 qui est une gare privée permettant de relier l’hôtel au métro. C’est par cette entrée que venait le président Rooselvet en chaise roulante. Le seul pays du monde à avoir eu un président en chaise roulante! Cet oncle était de passage pour voir son fils Marc.
Nous avons été nous aussi rendre visite à ce cousin germain de Denis qui travaillait dans Manhattan, comme commercial dans une grosse société de création de parfums. Il habitait une banlieue chic appelé Mamaroneck, dans le comté de Westchester au dessus de New Rochelle.
nous avions été le voir à son bureau dans le centre de Manhattan; je ne me souviens que d’un grand building de bureau avec à l’entrée une réception avec le nom des dizaines de sociétés occupant l’immeuble. Denis fut très agacé de s’entendre dire par Marc que nous ne pouvions le voir car il était trop occupé. C’était d’autant plus vexant que Denis lui amenait deux bouteilles de bordeaux qu’il dû laisser pour lui à la réception. Il ne consentit à prendre l’ascenseur pour nous voir rapidement dans le hall qu’à une deuxième visite. Il nous invita à déjeuné le dimanche suivant chez lui, dans sa jolie maison face à la mer dans cette petite ville portant ce sympathique nom indien. Je ne me souviens que de la vue, du jardin avec sa pelouse bien propre. il avait deux enfants en bas âge et une très agréable épouse .Une jeune italienne rousse dont je n’ai pas de souvenir. Je n’ai d’ailleurs aucun souvenir de Marc qui n’a jamais fait le moindre effort à mon égard.Il parlait avec suffisance de son travail et n’arrêtait pas de répéter «  t’sais les Ricains c’est des extra terrestres » Il était aussi grand que Denis, il lui ressemblait assez; à la différence qu’il en était la contre partie canaille. Son rictus et ses arcades sourcilières proéminentes lui ôtait à jamais le côté distingué de son cousin. C’était encore et toujours un jeu de compétition stérile qui liait sa conversation. Nous sommes restés une partie du dimanche, il faisait très beau, c’était amusant de sortir de la ville. Le train qui traverse le Bronx l’emmenant tous les matins dans le coeur de New York; il commençait son travail du jour dès qu’il s’asseyait dans le wagon disait-il avec emphase.

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Le chantier continuait sur sa lancée. Nous arrivions de moins en moins en retard car le trajet commençait à nous être connu. Notre distraction était telle qu un matin, nous nous sommes retrouvés vers la 110 ème rue à l’entrée du Spanish Harlem. Pourtant le trajet était simple; changement sans doute à Lexington Avenue, je ne m’en souviens plus. Mais la longueur des entre-stations, si différente d’avec Paris, dans ce métro tellement bruyant et inconfortable nous berçait jusqu’à nous faire somnoler et oublier de descendre à la bonne station.
 Les peintres finissaient leurs plafonds, nous tirions des bandes de couleur sur les murs; la progression des installations de présentoir donnait un air d’achèvement aux travaux.
Dans cet escalier à deux volées de marche fuchsia transparentes, il avait été installé sur le palier intermédiaire, un grand écran rectangulaire de taille humaine sur lequel face à nous marchaient des grandes filles avec ce déhanchement de défilés de mode qui les obligent à mettre leur talon devant leur hallux (le gros orteil). Cela était assez nouveau et attirait l’oeil d’une manière entêtante, désagréable.
 Une armée d’ouvriers nettoyeurs avaient retirés les protections laissant visible l’élégance de la structure de verre coloré. A la première montée tous le monde s’aperçut d’une petite erreur de conception. Aucune femme en jupe ne pourrait monter à l’étage. Les indiscrètes marches ne cachaient rien. Madame Fourrier fit mettre des opacifiants qui malheureusement dénaturaient la gracile beauté initiale. Voilà la preuve que le cheminement allant de l’idée au réel n’avait pas été effectué par l’artiste concepteur; qui semblait s’être oublier dans un face à face narcissique.

Nous nous réfugions assez souvent dans le bureau du sous-sol. L’on sut par une indiscrétion que la ligne du téléphone mural était connecté à l’Europe. Nous téléphonions gratuitement, les italiens aussi. Les liaisons téléphoniques n’étaient pas aussi fluides et simples qu’aujourd’hui entre les Etats-Unis et la France. C’était très cher et jamais nous n’avons utilisés nos téléphones portables, ni celui de Laurence chez elle.
 Le gros James était une personnalité exubérante, blaguant, râlant, bref une grande gueule. Denis et moi, nous nous entendions bien avec lui et allions dans son sens lorsqu’il se mettait à beugler des « slogans ». C’est une attitude que l’on retrouve aussi en France sur les chantiers. Il n’est pas rare qu’un artisan se mette à pousser un cri libérateur mais aussi fédérateur. Dans le mutisme des intervenants absorbés par leur tâche, il s’opère des contractions de concentration suivies par une libération de satisfaction une fois les micros objectifs atteints. L’artisan a besoin de l’exprimer. Les blagues récurrentes ou les moqueries amicales surgissent alors dans leur silence en des sortes de slogans, reprenant une expression, un nom appelé avec une intonation amusante, qui se répètent en écho parmi les corps de métier travaillant sur le chantier. C’est un phénomène sain démontrant une bonne ambiance générale. Le gros James aimait nous voir reprendre ses formules en choeur et cela fonctionnait surtout si lorsque nous étions disséminé à travailler dans des recoins, sans contact visuel. «  Fuck the damm’ shit » «  Geronimo » «  Hi Ho Silver! »  ou n’importe quoi d’autres déclenchaient des rires entre nous. Il avait stupéfié Denis par une réplique assassine. Râlant comme à son habitude contre les décisions de Madame Fourrier qui ne faisait que des apparitions éclairs. Denis lui dit « Yes, But you know, she’s the Boss! » Il répliqua l’air mauvais «  Noo, She’s a fuckin’ pregnant bitch! ».
 Nous allions acheter notre déjeuné, comme je l’ai dit, chez un coréen qui avait de très bons produits à emporter. Nous circulions en habit de travail. Pantalon plein de tâches de peinture, tee shirt et grosses chaussures de sécurité pleines de poussières (et de taches aussi). Je ne suis pas sûr que nous n’avions pas sur le crâne, vissé cette universelle casquette de base ball. Nous n’étions pas identifiable autrement que comme des « workers ». Nous avons croisés nombre de touristes lors de nos sorties de la journée. Les français sont reconnaissable à leur sac à dos et habillement. Un petit rien, un aspect particulier, un détail et nous les identifions comme français.  Denis s’amusait de l’homophonie entre l’anglais. Je me souviens qu’il me demanda de faire une expérience. Sur la cinquième avenue, habillé en peintre, avec nos salades et burger, je devais m’adresser à un américain que je croiserai, en le regardant dans les yeux, lui dire en français, sans transformer ma voix ou mon intonation :«  Boite à Musique » et attendre sa réaction.
Cela fonctionna absolument parfaitement, il me donna l’heure très aimablement. Ce à quoi je répondis en français toujours « Saint Cloud Paris Match » qu’il conclut par un « You’re welcome ».
Denis s’amusait aussi de transcrire en anglais des formules idiomatiques française comme « And my ass, is it chicken  ?» que le gros James adorait sans le comprendre.

Nous n’allions pas chaque jour déjeuner dans Central Park, les restaurants situés un peu plus loin vers l’Est nous étaient abordables. Après une assez longue marche sous un doux soleil sans doute vers le quartier de Lenox Hill, nous avons trouvé un « Dinner » posé un angle de rue.
Il existe nombre de ces rues intermédiaires droites, longues et impersonnelles qui filent à l’horizon. Elles sont aussi la ville labyrinthe où il ne se passe rien.. Le restaurant était  bricolé comme une sorte de wagon des années cinquante avec un escalier en bois pour accéder à l’entrée située sur son épaisseur. De couleur beige et rouge très fifties, il servait d’excellent hamburgers dans une ambiance de cinéma. Nous étions loin des quartiers touristiques. Très heureux d’être en « immersion » s’oubliant dans un rêve d’un autre personnage dans une  autre vie. Il nous est toujours apparu qu’il n’y avait que les chemins de traverse pour retrouver la vérité d’une sorte de quotidien, de routine qui en nous réincarnant faussement en autochtone, nous dépaysant absolument.
 Je suis sorti fumer une cigarette après le traditionnel hamburger frites ketchup bière. Je m’appuie à un sorte de poteau d’angle sur le côté du restaurant. Habillé en peintre avec mes chaussures de chantier. Je fume tranquillement lorsque devant moi s’arrête une voiture.  Cela s’agite à l’intérieur, ils sortent; le chauffeur ouvre le coffre et sort des valises à roulettes.
Je suis assez près. Je détaille une longue jeune femme en blanc. Très bien faite, extrêmement moulée dans son pantalon, elle réajuste son foulard, ramène ses cheveux en arrière et je reconnais Laetitia Casta. Je ne bouge pas, je regarde. Elle me regarde, nos regards se croisent  brièvement puis accompagnée d’un jeune homme assez efféminé, elle rentre en tirant ses valises dans l’immeuble à coté de moi.  Sorti à temps, Denis la voit passer fugitivement.
Ce qui m’a amusé dans cette scène, c’est la conjugaison de convergences mystérieuses. Le monde n’est pas si simple qu’il parait nous être donné. Cette femme passant là bas est peut être celle qui vous a guidé les mains lorsque, enfant, vous preniez des cours de modelage…Le taxi que vous prenez aujourd’hui, vous ne pouvez savoir que c’est celui dans lequel votre femme à pour la première fois embrassé son amant, il y a deux ans. Vous croisez des gens déjà vu ailleurs ou qui connaissent très bien votre appartement car ils en ont été les précédents locataires. Laetitia Casta arrivant à New York, regardant un peintre à casquette, la cigarette au bec, ne pouvait imaginer que j’étais un français, la reconnaissait parfaitement et qu’il y avait de ça un mois, j’étais dans son village de Loumio.

En arpentant les rues des quartiers un peu excentrés, partant le long des boulevards sans âme, longue marche sans but; je suis tombé en arrêt devant la petite vitrine d’une échoppe assez misérable. Un cordonnier présentait dans le bric à brac de sa devanture, une paire de chaussure noire montante. La forme me plut immédiatement, elles avaient une tenue très militaire authentique.  Nous sommes rentrés demander le prix. La boutique ressemblait à un débarras. Derrière le comptoir encombré de machines à lustrer, poncer, et d’une sorte d’établi de cordonnerie usé par les ans patiné de graisse et de cirage, se tenait un gars hirsute avec une barbe noir lui mangeant le visage. Il portait comme chapeau un journal plié en forme de bateau comme font les enfants en primaire. Nous pouvions voir que sa tête de rusé commerçant. Je discute  sans succès le prix des chaussures de vitrine.Il nous demande d’où l’on vient. Il a lui aussi un bel accent. Denis qui n’est jamais en reste pour demander d’où viennent les gens qui semblent avoir eu un parcours, lui demande son origine. Le gars nous dit qu’il me fera une ristourne si nous devinons d’ou il vient. En cet été de 2001, l’actualité n’est pas celle de l’après septembre à venir. Denis réfléchit et lui dit « Afghan » Un grand sourire éclaire son visage de barbu farouche !! J’achète à prix réduit les chaussures qui malheureusement ne résisteront qu’un an.

Laurence voulait nous présenter certains de ses amis. Elle avait dit-elle vanté Denis à deux architectes décorateurs qu’elle se targuait de bien connaitre. Mais je crains que ce ne fut pour nous une mauvaise introduction.
 Nous sommes allés avec elle dans un grand appartement de Soho, rencontrer deux architectes aquarellistes qui ne la connaissait réellement que par intermédiaire.
Ils nous reçurent dans une sorte de grand studio d’enregistrement à la décoration étrange. Dans le salon se trouvait une longue console d’enregistrement avec ce qui s’apparentait à un Synclavier, une sorte de grand synthétiseur pour composer et enregistrer de la musique « électronique » Un blanc et un noir semblaient y être au travail.
Les architectes nous reçurent dans un bureau attenant. Andrew Zegna et Bernd H.Dams ont eu un certain succès dans les années 2000 grâce à de jolies publications de leur travaux d’aquarelle. Ils créaient des architectures classiques américaines et européennes avec beaucoup de rigueur et de technique. Aquarelles extrêmement léchées, présentées sur un fond unis, ils peignaient soit d’authentiques projets du dix septième ou du dix huitième siècles non réalisés soit des visualisations d’états antérieurs de châteaux classiques.
Le dialogue fut trainant. Laurence se tortillait. Nous n’avions pas grand chose à dire n’étant pas demandeurs. Eux  peut être, ne voulaient finalement que voir nos tête de français.
 En effet, Il me semblait qu’il formait ce que l’on pourrait qualifier de couple gay raffiné et instruit, francophile et brillant. Leurs travaux étaient remarquables de propretés et de maitrise technique; obsessionnel et maniaque. Mais si loin de nos préoccupations.
Ils voulaient finalement savoir si nous accepterions de peindre pour eux des abats jours gratuitement. C’était imprécis et peu motivant ( et pas vraiment enthousiasmé par une surcharge de travail à l’oeil, je pense)
L’un d’eux fit une phrase malheureuse comme «  C’est très simple, je pourrais le faire moi même.. » Denis sauta sur l’occasion et lui répondit instantanément « Hé bien, faites le ! »
Nous ne sommes pas restés longtemps. C’était peu amical. Le musicien, dont je n’ai pas gardé le nom en tête, était dans mon souvenir, un maghrébin en survêtement qui nous parla en franco globish d’une manière assez frimeuse, pieds nus, faussement à l’aise. Il était pour nous juste un connard cool dans son intérieur mixant du rap avec un gars du Bronx. Laurence les regardait comme une groupie des années soixante dix, tout en étant très empruntée et mielleuse.
Je me souviens d’avantage des aquarellistes car il me semble les avoir de nouveau croisés à Paris dans un vernissage du carré rive gauche où ils exposaient. Mon ami Vianney m’avait offert à cette occasion un livre qu’il leur avait acheté « Les vases de jardin » publié chez Alain de Gourcuff. Ce n’est pas du tout dans mes centres d’intérêt et je soupçonne Vianney de s’être facilement débarrassé d’un achat dont il ne savait que faire.


Denis rentra en contact avec ami français qu’il n’avait pas vu depuis des lustres. Alex O.installé en famille à New York travaillait pour l’Agence Elite. Denis et lui semblaient très heureux de se revoir. Quoi de plus facile pour nous que d’aller boire un verre dans notre quartier!
Hogs and Heifers serait l’endroit idéal. Ainsi commença une soirée mémorable. Une soirée que l’absence de photos laisse dans une sorte de rêve éveillé . Ces photographies absentes auraient fonctionné comme des témoignages concrets suscitant des points fixes sur lesquels ma mémoire aurait pu mieux s’accrocher.
 Alex était assez corpulent, blond avec un large sourire. Il avait tout du bon papa. Son travail lui assurait un confortable niveau de vie que son aspect extérieur ne cachait pas. Les bikers le regardèrent d’un oeil torve. Quand à Denis et moi, nous étions toujours plus ou moins habillés en passe partout, une sorte de « causal » sombre et un peu rock roll par rapport à Alex.
 Le bar lui plut énormément, l’ambiance assez électrisée du vendredi nous imprégna rapidement. Les bières et le bourbon se succédaient. Je commandais assez souvent à ce moment là du « Southern Confort » une liqueur de la Nouvelle-Orléans, sucrée et assez alcoolisée cela se boit en cocktail, moi je la préférais pure, c’est évidemment assez traitre.
 Alex et Denis rivalisaient d’anecdotes et de bons mots. Alex est un jovial. Sa corpulence sa force lui permettent d’être à l’aise partout. Il dégagea un bel espace pour nous autour du bar. La musique toujours aussi forte l’obligeait à gueuler en français devant les serveuses amusées. Je ne sais si nous avions diner, sans doute, car il était déjà tard lorsque l’ambiance montant d’un cran nous vîmes deux jeunes filles en jupes monter sur le bar. La masse de garçons nous entourant se mis à siffler, taper du pied. Une sorte d’ovation scandait les déhanchements des deux filles qui franchement s’amusaient. C’est avec de grands sourires, regardant des types qui devaient les accompagner, qu’elles ôtèrent leurs tee shirts en les faisant tourbillonner dans une main.. Elles arpentaient le bar sans renverser les verres, tournaient sur elles même en riant et criant des « yeeep Hô »tonitruant. Alex et Denis s’époumonait à l’unissons en tapant les verres vides sur le comptoir, je sifflais comme à un concert de rock ( ce qui est un encouragement).
Les soutiens gorges devaient immanquablement rejoindre le décor. Comme des Femen avant l’heure, elles se dégrafèrent en même temps. Ce fut spontané et rapide. Elles arboraient fièrement de belles poitrines rondes et lourdes qui s’envolaient avec rythme. Rien ne peut plus charger l’ambiance d’une fièvre érotique que l’imprévu d’un déshabillage consenti comme une offrande à notre testostérone. Alex était fou. Le bon père de famille avait laissé place au grand fauve, au grand sanglier des marais que rien n’arrête.On criait, on dansait, on s’échappait …… on recommandait à boire.

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C’était impossible d’en rester là. Très heureux d’avoir découvert un bar aussi stimulant; Alex ne voyait pas d’autre choix que de nous rendre la pareille. Il arrêta un taxi pour nous emmener West 20 ème rue qui n’est pas très loin de Meatpacking. L’entrée du VIP Club comporte un tapis rouge bordé de petits pylônes du cuivre. Evidemment cela est plus chic. Nous faisons bonne figure malgré nos verres. Deux gros costauds font office de physionomistes, Alex sors son porte monnaie et nous invite à descendre. Les strass, le velours rouge, tout fleurait bon le bordel chic. L’escalier nous amène dans une grande salle à colonnes avec une scène dominant des rangées de fauteuils en ronds autour de petites tables. Il n’était pas possible d’englober d’un seul regard les scènes incroyables qui s’offraient à nos yeux.  Des dizaines de femmes nues dansant et virevoltant autour de petits groupes littéralement scotchés dans leurs fauteuils club.
 La dénomination exact de ce club est « The VIP Club for Adult Entertainment NYC » On y boit, on y écoute de la musique et surtout on y admire toutes les beautés de la création. Venues des quatre coins du monde, triées comme au Crazy Horse Saloon, de ravissante jeunes femmes de tout types, de toutes tailles circulent en bikini fantaisies, soulignant ce que les autres cachent. Elles sont appelées par les clients accrochés à leurs fauteuils et effectuent contre vingt dollars une danse avec effeuillage suggestif sur votre nez. L’entrée dans cette ambiance chaude et enveloppante vous laisse supposer que vous êtes arrivé au paradis puis après trois danses, vous vous apercevez que c’est plutôt en enfer que vous rôtissez de désir. Des mastodontes de la sécurité sont là pour appliquer la loi et l’ordre. S’il est autorisé de parler aux Napées dansantes, il est formellement interdit de les toucher.
 Installés et déjà avec un nouveau verre devant nous, il me semble absolument irréel de voir autour de nous, une grand brune entièrement nue se pencher sur deux hommes en cravates tout sourires, deux filles complices et contraires en déshabillées, une noire et une asiatique, rirent d’onduler ensemble devant des regards ébahis.
 De quelque côté que l’oeil se porte, les divines proportions des corps en mouvement dans la lumière attirent l’oeil. Nous assistons à deux ou trois danses à nos côtés avant qu’Alex d’un signe, envoie une incroyable belle brune sur les flancs de Denis qui s’enfonce dans le cuir du siège. Elle le regarde dans les yeux, sourie malicieusement et s’appuyant de ses deux mains sur les accoudoirs du fauteuil qui lui fait face, se mets a onduler comme une vague sur Denis. Elle se déshabille en une seconde, il lui suffit de tirer sur un petit cordon de strass et son mini maillot s’en va comme une ficelle qui tombe. Nous regardons le spectacle en riant. Elle ne peut comprendre nos encouragements en français. Denis arbore le masque rieur qu’on lui connait si ce n’est qu’il est figé comme une image à l’arrêt. La grande fille tourne et retourne l’effleurant de ses cuisses, frottant volontairement ses « nipples » sur le torse de Denis qui semble en catalepsie. Les lèvres rouges s’ouvre sur des dents brillantes, je vois son souffle agiter la mèche de Denis dont les yeux clignotent comme une alarme incendie. Lentement, je vois sa main gauche remonter vers la cuisse et se poser doucement presque à la naissance du fessier de la dame. Le geste est à peine ébauché qu’un énorme gars "afro american" en costume pose sa main gigantesque sur le bras de Denis qui vivement rebrousse chemin. Elle lève la tête et fait signe d’un sourire à son ange gardien que tout va bien. Epreuve terrible de frustration mélangée à une sorte de test de température interne, cette confrontation me rappelait les danses des « fillettes » Nouba qui fouettant le sol avec leurs lanières de cuir choisissaient parmi les lutteurs vainqueurs assis au pied d’un arbre celui qui allait passer la nuit avec elles. Une fois s’être bien déhanchées en tapant des pieds en rythme, elles posaient sur l’épaule de l’élu, une longue jambes de filles nues rougies de latérite. Les guerriers eux, baissaient la tête, jouant les insensibles, les pas concernés.
La musique soudainement s’arrête pour reprendre dans une mélodie que tout le monde semble connaitre. Les applaudissement fusent. L’ensemble des jeunes filles converge vers les rideaux rouges qui encadrent la scène centrale. Elles disparaissent pour mieux revenir : c’est la revue!
Elles défilent une à une sous les vivats, descendant de la scène vers la salle, c’est une sorte de parade qui a pour fonction de récréer du collectif, un peu à la manière du « Ein Prosit, Ein Prosit » de l’Oktoberfest qui voit toute l’assistance s’arrêter de parler pour chanter et vider sa choppe.

Nous buvons, applaudissons. Alex a eu sa danse que nous lui avons offert après celle de Denis. Il a résisté vaillamment à une jolie grande tigresse d’un brun luisant qui avait reçu les compliments du bon Dieu.
Pour ma part, je croyais mon émerveillement à son comble, j’étais repus. L’emprise des Physis remplissait ma psyché, s’il ont peut dire!  Dans le défilé se profilait devant moi une grande femme auburn vêtue d’une chemise blanche d’homme ouverte sur son micro maillot. Je fus frappé par son apparence. Elle passa devant moi pour bientôt regagner la scène. Grande et assez charpentée, elle portait sans effort une poitrine de belle circonférence. Son corps était entièrement couvert de taches de son. Les tâches de rousseur par millions virevoltèrent dans mes yeux. Son visage encadré de longues mèches de cheveux épais respirait l’amusement avec détachement. Le port de tête participait à la beauté de l’allure. Son visage piqueté possédait une grâce enfantine que ses yeux améliorait d’une beauté mature. Une tête de déesse sur un corps rêve.
Avant d’avoir pu finir ma dithyrambe, je vis Alex fendre la foule, la rattraper, lui parler à l’oreille et lui indiquer notre table. C’était mon tour, j’étais prêt à mourir.
 Ce fut un moment extatique, proche de l’apoplexie. J’étais propulsé comme un cloporte qui n’a connu que son maigre champs de vision, sur le sommet de l’Olympe au banquet des Dieux. Il n’y a rien à en dire plus. J’ai encore des frissons d’épiderme si je me laisse aller à y penser. J’ai après sa danse cruelle où j’étais la victime sacrificielle volontaire, pu discuter avec elle, elle souriait.
Elle s’amusait de ces français si polis. Elle riait assez tendrement de moi, habituée qu’elle était à l’effet dévastateur qu’elle pouvait produire chez certains. Elle avait vu dans mes yeux que je pourrais être le pantin dont parle Pierre Louÿs. A la fin, je refusais d’acheter un calendrier souvenir voyant qu’elle n'y était pas en photo.
 

vip

Club Heaven & Hell


La nuit fort avancée nous cueillie par sa fraicheur; la soirée entière était une ivresse plus forte que celle de nos breuvages. Dans la rue déserte, Alex n’était plus qu’un possédé marchant dans la nuit. Il voulait expurger le démon qui cognait dans sa chair. Par question de rentrer faire couche-couche panier. Il décida que non, ce n’était pas fini, qu’il en fallait encore. Il partit à la recherche d’un hôtel qu’il connaissait après avoir raflé dans ces boites de fer blanc que l’on trouve sur la chaussée, un journal gratuit avec des annonces d’Escorts.
Je serais pas aussi disert sur la fin de notre nuit.
(.....)
Le week end commençait donc par une lente journée ensoleillé de mars. Nous avons trainé sur les trottoirs adjacents de notre rue en flottant au soleil.. Nous ne restions que très peu dans l’appartement, fuyant la compagnie de Laurence qui semblait ne plus nous supporter et réciproquement. Trainer dans New York est une occupation en soi. Il y a toujours un côté mise en scène qui satisfait l’instant. Nous nous baladions un jour de Saint Patrick. La parade irlandaise fut assez amusante avec ses flonflons de cornemuse endiablée. Les irlandais sont, de tout manière, extrêmement sympathiques, même lorsque l’on porte une sorte d’étau sur les tempes et des jambes de bois. Nous sommes allés en fin de journée, trainer du côté du World Trade Center dont l’ombre double, gigantesque pinceau caressait les alentours. Je ne sais ce que nous avons fait le soir. Sans doute rien, si ce n’est que d’aller se coucher tôt.
Le dimanche fut plus culturel, nous sommes allés visiter le superbe Cloister Museum situé après les quartiers de Washington Heights et d’Hudson Heights, à Fort George . Nous avons été en métro puis en bus car le musée se trouve dans le fort du Tyron Park très loin au nord, au commencement de la presqu’ile. Si la visite est absolument passionnante, l’on est partagé entre le soulagement de voir sauvés des trésors inouïs de l’art classique français et la tristesse de les contempler en dehors de leurs milieux d’origine. Des Jubé, des sculptures de cloitres, des statues absolument uniques transportés à des milliers de kilomètres de chez elles, abandonnées après la guerre, vendues par ceux qui n’y voyaient plus en elles que des vielles pierres inutiles.
Je ne sais pas s’il est autant visité qu’auparavant, plus personne ne m’en parle. Il faut admettre que cet étrange musée est très loin des zones habituelles qui concentrent l’intérêt touristique de Manhattan.
Revenus en bus jusqu’à Harlem, nous avons flanés sur les grands boulevards. Le quartier n’était plus celui entre aperçu il y a seulement neuf ans. La transformation était déjà visible, il ne semblait plus contenir de friches gangrénant les blocks.
 Attiré par des chants, nous sommes entrés assister à un formidable godspel qui débordait d’une église toutes portes ouvertes. L’ambiance y était chaleureuse et bienveillante.

Le chantier touchait à sa fin. Les préparatifs du départ commençaient. Le gros James nous retrouvait tous les matins avec sa gouaille. Affrontant en commun les difficultés des chantiers, les liens entre les intervenants s’affirment ou se dénaturent jusqu’à devenir quelque fois un antagonisme. Nous, nous aimions bien le gros James et il nous appréciait en retour, c’était visible.
Une anecdote le prouve. Il nous avait accepté assez pour répondre d’une façon touchante et inattendue à un coup de gueule de Denis. Nous terminions les murs des entrées des cabines d’essayage, lorsqu’arrivant sans précaution, il bouscula violemment un escabeau sur lequel se trouvait la brosse à patine de Denis. La brosse fut projetée dans le sceau de glacis qui éclaboussa les murs alentours. Le glacis a cette particularité de se comporter avec beaucoup plus d’inertie que l’eau. L’essence et l’huile mélangées est un liquide fluide mais lourd et les éclaboussures furent importantes ruinant notre travail de l’heure. Denis explosa de fureur « What the fuck the fuck you do !» « Goddamn’Shit you fuck’d my fuckin’job, you fucker » etc ..etc..Denis gueulait comme un beau diable hors de lui. Je commençais à éponger, à pocher les murs à refaire lorsque je vis le chef des peintres, attirés par les cris, s’approcher. Il assista à toute la scène.
Plus Denis criait plus le gros James se décomposait, conscient de sa bévue. Il n’était pas peintre juste manutentionnaire s’occupant du nettoyage, il était pour lui très malvenu d’endommager le travail des autres. Le gros James nous surprit par sa contrition, lui qui braillait pour un oui ou pour non, intraitable et explosif, il était ici tout penaud disant à Denis « Yes Yes you’re right Déniss Fuck me .. » « yes fuck me » d’une touchante façon. Denis se calma mais cette scène impressionna le petit italien. Il prit à part Denis peu après et lui dit qu’il était dangereux de parler comme ça à un « Felon convicted »( criminel condamné) lui disant que le James avait été en prison pour meurtre et qu’il suffisait de regarder ses tatouages. Le gros James en avait en effet plein les bras. Il arborait notamment deux belles toiles d’araignées sur les coudes.

Nous nous sommes réconciliés sans problèmes et nous lui fîmes des adieux déchirant mais aussi hilarant. Le gros James avait une expression qu’il employait comme ultime provocation, il tétanisait son interlocuteur avec un « I fuck your dead grandmother! » Que l’on peut traduire dans ce contexte par  « N’insiste pas car voilà dont je suis capable ». Après de grandes embrassades sur le trottoir, montant dans notre taxi, Denis lui asséna un «  hé James, don’t forget to fuck your grandmother too !! »  Le gros James éclata de rire en rameutant la boutique « Guess what Déniss told me…. » On ne l’oubliera pas
Laurence voulait que lui soit réglé le loyer en liquide avant de partir. Cela n’était pas simple car nous ne pouvions retirer qu’une modique somme à chaque fois. Trois cents dollars pas plus et cela était aussi plafonné pour la semaine. Denis passait de distributeur en cash machine. Nos rapports ne se sont pas du tout détendu avec l’approche du départ. Elle dû donc se résigner à recevoir la fin du loyer par virement à notre retour. Il était temps de partir; l’ambiance était assez désagréable.
 Denis ne supportait plus le gros chat chafouin qui errait dans notre chambre. le matelas futon était assez bas pour le voir maculé de traces et de poils de la bête. La litière parfumait la cuisine. Il n’était pas dans nos obligations de la descendre de toute manière; et si Denis l’avait fait, il aurait descendu le chat avec.
Nous avons quitté la boutique avec nos affaires sans voir madame Fourrier. Pourtant il est d’usage de faire un point avec le donneur d’ordre avant de partir définitivement. Mais pour une raison inconnue, elle n’était pas là. Il s’en est suivi une engueulade mémorable de la part de Denis qui ne supporta pas le ton de reproche qu’elle eut au téléphone une fois arrivé à Paris. Puis tout s’arrangea comme à l’habitude.
 La boutique Ungaro sur Madison Avenue resta ouverte pendant Neuf ans. Elle laissa la place en 2010 à une autre enseigne de prêt à porter: Michael Kors.
Il est à noter une transformation extérieure de bon aloi concernant la façade. Le premier étage a été intégré au revêtement de carreaux blanc du rez de chaussée. La corniche fut replacée au dessus des fenêtres supérieures, ce qui élève la boutique, qui n’apparaissait pas si grande auparavant.

KORS 15


Dix ans après.




 

Article extrait d' "Itinéraire New Yorkais" 2020 chez l'auteur Paris

 

 

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