Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
FLORIDUM MARE................................
Newsletter
FLORIDUM MARE................................
Pages
9 mai 2021

LE FAUX MARBRE Le Marbre peint Le Marbre feint

 

 

129125291


Le mot marbre vient du grec marmaros ( μάρμαρος ) qui veut dire "pierre polie, qui brille ". Le Littré le défini comme «  Toute roche susceptible de prendre un beau poli. »

Peindre les pierres, peindre le calcaire immaculé. Voilà comment les premières peintures de faux marbre virent le jour.
 La Grèce antique travailla le marbre en bas relief et en rond de bosse. Le calcaire sorti des carrières, découpé, taillé et enfin poli, fût, de Phidias à Praxitèle, de Polyclète à Critios, le médium idéal pour atteindre l’Art total parfait:  La sculpture immaculée taillée dans des blocs de pierre blanche. Cette pierre de Paros est un calcaire dépourvu d’impuretés, éclatant de blancheur sous le soleil de l’Attique. Le marbre blanc fut aussi extrêmement utilisé en architecture sur tout le pourtour méditerranéen durant l'âge héllénistique.
Mais bientôt le besoin de couleur put se faire sentir. Si les statues chryséléphantines apportèrent un peu de diversité et de luxe, vinrent l’idée et l’envie de peindre les parements de marbre blanc avec des couleurs... Les veines furent teintées « artificiellement ». Les temples et Palais s'initiaient à la couleur.

Les couleurs du marbre sont des ravinements d’eaux chargés d’oxyde de carbone, d’oxyde de fer, de cuivre, de chrome, d’hématite, de manganèse qui donnent respectivement les noirs, les rouges, les verts, les jaunes, les violets et leur infinies nuances.
 Les cassures, les pliures, les mouchettés, les refends, les brèches, les nodules sont des accidents de fabrication.

La montagne dans son silence écrase et plisse les sédiments.
 Les plaques dites tectoniques sont le laboratoire des pierres. Inlassablement par l’action conjuguée de la chaleur du magma et de la pression sur la lithosphère, dans cette formidable presse, dans ce four chauffé par les Hadès, le calcaire se cristallise avec toute son eau captive colorée qui le travaille pernicieusement. Peindre le marbre blanc amène à peindre de fausses pierres colorées sur un fond de stuc. Le faux marbre voit le jour en même temps que l’extraction du marbre.


«  Les marbres croissent dans les carrières. Pline le rapporte sous l’autorité d’un éminent naturaliste et d’après le témoignage des ouvriers qui affirment que les brèches qu’ils font aux montagnes ne durent pas, car la pierre, se régénérant, ne tarde pas à les combler. Il déplore le fait : « S’il en est ainsi s’exclame-t-il, le luxe peut espérer ne jamais finir. » De la même manière, Strabon relate que les mines de fer exploitées à ÆThalie, avec le temps se remplissent à nouveau, comme la pierre dans les carrières de Rhodes, le marbre dans celle de Paros, le sel dans les mines de l’Inde, au témoignage de Clitharque. » ….in "Pierres" de R..Caillois

oorthostra2021-05-07 à 17

 La peinture décorative Romaine montre des architectures intérieures peintes. Les maisons de l’aristocratie comme de la haute bourgeoisie ne se concevaient pas sans une décoration murale peinte. Cette habitude, ce goût qui s’étendait sur une large couche de la société, jusqu’aux maisons modestes des commerçants de la petite bourgeoisie eu cours du IIᵉ siècle av.J.-C. au IIIᵉ siècle de notre ère. Les décors d’architectures intérieures ont pour fonction d’ouvrir l’espace en créant des premiers et des arrières plans.
Le faux marbre est un des éléments de l’illusion recherchée. Le marbre utilisé en construction se retrouve comme  tous les éléments architecturaux, les colonnettes, les entablements, les soubassements, peint sur le stuc pour égarer l’oeil et ravir l’esprit. La décoration du mur au fil des styles s’allège pour ne devenir que jardin ou grande scène avec personnages ( « Les mégalographie ») mais le marbre est toujours présent comme éléments luxueux et facilement identifiable .

 


 Les décors du premier style romain montrent une répartition du mur directement inspirée de la Grèce classique. Un appareillage très sophistiqué d’éléments superposés. Le faux marbre est peint sur les soubassements puis gagne toutes les parties architecturées, les orthostrates en carreaux que l’on retrouve réinterprétés jusqu’au XIXᵉ siècle, puis les zones supérieures comme les assises isodomes de rectangle à bossage, les frises, les architraves, les corniches. Les scènes avec personnages et vues de jardins s’inscrivent petit à petit dans cette ordonnance architectonique, engendrant une longue filiation qui va s’inscrire dans l’histoire de la décoration intérieure.


Le traitement romain des marbres en peinture n’est pas des plus réaliste, mais les cailloutis, les mouchetés, les veines hydromorphiques sont déjà présentes.

Le chiquetage, consubstentiel à la création d’une brosse spécialisée pour cet effet, est inventé. Le marbre est reconnaissable par ses teintes et graphismes, il devient concept. La dextérité des peintres montre la possibilité de fixer des archétypes dans leur vision interne. Le marbre modèle est une image mentale.

 
Un décor unique daté du milieu du IIᵉ siècle à Verulamium ( Hertfordshire, Angleterre ) montre un décor de marbre quasi psychédélique couvrant l’intégralité du mur rythmé par des colonnes ne reposant sur rien.  Ce traitement est une interprétation provinciale d’une façon de faire plus maitrisée à Rome et à Pompéi que dans les marches lointaines. Les formes exagérément distordues et répétitives montrent la déperdition de la connaissance du modèle pour ne privilégier que l’effet en le surexploitant.

 

verulamium

 

Le grandiose procure ainsi ses effets. L’accumulation des motifs et le volume des pièces aident à l’impact visuel. L'ensemble est magnifié par des couleurs vives en contrastes, l’oeil s'en trouve subjugué, le spectateur saisi par la magnificence des formes et couleurs.. L’Exonarthex Byzantin de la basilique Sainte Sophie en est un bel exemple. Cette grand entrée comporte une impressionnante série de peintures imitant des marbres et onyx disposés en placage « aile de papillon », les veines sont en miroir, ce qui provoque d’hallucinants dessins colorés que le visiteur intègre sans broncher. L’effet décoratif trouve ici le gigantisme de l’édifice comme allié.

005 Istanbul-Sainte Sophie-Marbre

Détail d'un faux marbre de l'Exonarthex Byzantin

 Istanbul-Saint-Sophie-intérieur-de-léglise

ExonarthexBasilique Sainte Sophie Istanbul


Le marbre utilisé comme du « précieux utile » dans les parements et sols intérieurs des palais est intellectualisé en peinture. Il est présent pour servir non seulement d’accompagnement des sujets représentés mais aussi en aporie face à la création divine.
 La Renaissance italienne nous donne de beaux exemples de peintures de faux marbre en accompagnement mais aussi comme partie intégrante du discours. Saint Thomas assigne à l’image, à la peinture religieuse, la mission de mettre clairement en mémoire « le mystère de l’Incarnation » et la vie didactique des Saints. Mais comment mettre en mémoire un mystère? Même incarné, le mystère est une chose inconnue, comment le figurer en échappant à sa dénaturation idolâtre? Il faut donc, nous renseignent les apologétistes comme les théologiens, créer une image qui porte les deux termes d’une contradiction: Figurer le sensible, le monde visible, la visibilité du verbe divin et l’invisible, l’infigurable, l’inénarrable, le mystère christique.


 Dans son ouvrage « Gloire et misère de l’image après Jésus Christ » Olivier Rey revient sur «  l’exemple paradigmatique » choisi par le philosophe Georges Didi-Huberman dans son étude concernant Fra Angelico, appelé aujourd’hui Beato Angelico:  La Madone des Ombres du couvent San Marco de Florence.Cette fresque ( véritable peinture à fresco) qui a pour nom exact "La sainte Conservation" est située dans le couloir des cellules de moines dominicains dont le frère Angelico faisait partie.

 

b-e-madonna-delle-ombre-2

Réalisée vers 1440, la Vierge et l’Enfant entourés par les évangélistes et les saints protecteurs des Médicis trônent dans la partie supérieure, la partie inférieure est constituée de quatre panneaux rectangulaires debout sur leurs largeurs représentant une idée de marbre une idée de marbre qui nous fait penser à de la peinture abstaite contemporaine. Veinés de droite à gauche en descendant, deux avec des franges d’ocre jaune sur un fond vert strié de rouge et deux autres en dominante d’ocre rouge et de sienne brulée; il est a remarquer la présence de nombreux splités, de grandes giclures, de ce que l'on pourrait reconnaitre aujourd'hui comme des "dripping". La disposition rappelle l’ordonnance des orthostrates romains. Le spectateur est au niveau des marbres et lève les yeux vers la scène de maternité divine. On parle de vertu « anagogique » des images pieuses quand elles nous élèvent vers les choses divines. Ici, les deux parties sont censées avoir cette action. Le niveau supérieur élève effectivement le regard et provoque l’esprit, en est ainsi du soubassement aussi indirectement. Il nous plonge dans l’abstraction du mystère de notre condition humaine. Le moine pénitent spectateur se tient au même niveau que la matière colorée. Le "marbre feint" est utilisée comme la représentation non figurative de l’indicible, de « ce qui ne s’énonce pas »  c’est à dire le mystère de la création.

Les moines sont face à des portes colorées qu'ils devront tenter d’ouvrir mentalement par l’oraison et ainsi accéder au Royaume supérieur. Ces peintures qui imitent le travail abstrait des pierres marbrièrers qui fascinent tant, ont une fonction non écrite. Représenter l’abstraction, c’est se plonger dans sa nuit intérieure pour y découvrir la lumière de l’amour divin comme l’écrit au XVIIᵉ siècle le Bienheureux Jean de C. Chanoine de Saint Sernin.

Ghirlandaio,_ultima_cena_di_san_marco

Couvent des Ognissanti Florence


 Il nous faut donc, dit Olivier Rey, absolument considérer l’oeuvre dans son entier avec la partie inférieure qui est malheureusement le plus souvent absente des reproductions. D’autre fresques comportent ce même dispositif. La grande Cène de Ghirlandaio du couvent Ognissanti présente dans son soubassement, onze panneaux de faux marbres colorés encadrés de noir. Le principe et le but recherchés sont les mêmes. Il faut contempler cette fresque incroyable et comprendre que rien n'est anecdotique, pas plus le paon que les marbres.

Le faux marbre est également intégré dans les compositions de la Renaissance, il devient par sa fonction abstraite une sorte personnification de l’impossibilité humaine à approcher l’infini de Dieu. Notre condition terrestre limite notre connaissance. La nature façonnée par le créateur fait sortir de la roche des pierres colorées et fascinantes. Le peintre les représente avec l’idée d’ « encadrer le figuratif par le non-figuratif, de signifier que le visible est débordé de toutes parts par l’invisible » Le marbre est regardé comme mystère de la création, il vient des forces telluriques mais atteint le divin par son immuabilité.

La fonction ornementale du marbre peint est aussi une façon de célébrer la beauté de la nature qui elle même « fabrique » des images. Fugace comme les couchés de soleil, grandiose comme les paysages, la nature est à l'oeuvre devant nos yeux. Mais elle travaille aussi dans son antre cachée. Les roches polies sont une source d’émerveillement, les « jeux de nature » deviennent des modèles à imiter. L’exploitation des carrières, la mise au point des transports particuliers accélèrent l’utilisation des marbres dans la décoration intérieure.

Abandonné durant le moyen âge, l’utilisation des marbres d’Europe revient en force au XVIᵉ siècle pour culminer au XVIIIᵉ. Le faux marbre suit cet intérêt et permet de combler les vides, de minimiser les coûts. La peinture devient plus réaliste pour aller vers un trompe l’oeil qui est censé faire disparaitre l’idée de la peinture interprétative qui avait plutôt cours en Italie. La palette du peintre se précise ainsi que le graphisme illusioniste. La brosserie spécialisée s’affine pour créer les innombrables effets où la main de l’homme ne sera plus apparente. Les marbres peints d’une manière « conceptuelle» comme ceux de l’école italienne laissent la place à une sorte d’hyperréalisme. Les grands Campans verts, très étirés, de l’Opéra Royal du château de Versailles côtoient les innombrables panneaux peints extrêmement réalistes en couleur. Le château de Versailles donne la grammaire décorative classique qui allie les vrais marbres aux faux, le plus souvent invisibles aux visiteurs non avertis. L’ensemble des châteaux français suivront cette règle qui va se trouver adaptée à toute l’architecture des grandes demeures.
L’appauvrissement des marbres au siècle suivant est manifeste. Les carrières surexploitées ne donnent plus la même magnificence de couleur dans les plaques de grandes tailles. La peinture de faux marbre sera là pour suppléer à la nature déficiente alors que le goût du marbre de se tarie pas, loin s'en faut.

Les grands travaux de Louis Philippe au château de Fontainebleau laissent deux authentiques chefs d’oeuvres que sont les escaliers du Roi et de la Reine. Le décor de faux marbre d’une ampleur extraordinaire atteint ici une maitrise incomparable.

esc roy

Escalier du Roi


L’escalier du Roi transformé au XVIIIᵉ siècle par Gabriel, qui agrandit l'accès en ouvrant le nouvel escalier sur l'ancienne chambre de la duchesse d’Etampes conserve  heureusement le plafond initial de la chambre avec ses magnifiques stucs féminins. Cet escalier a été restauré en 1835 comme celui de la Reine, qui se trouve lui pourvu de grands cartons de tapisseries peints par Jean Baptiste Oudry entre 1733 et 1746. Ces grandes toiles sont encastrées dans les boiseries de la partie haute sous le nouveau plafond à compartiments peints et dorés. Toute la partie basse de l'escalier de la Reine est en faux marbre, ajusté en imitation de placage à bords francs.

Ces compostions de faux marbre dont personne ne parle, que donc peut être personne ne voit, sont extrêmement bien réalisés. Avec une maitrise incomparable, justesse des coloris et réalisme du graphisme, ils tiennent les superstructures qui ont besoin visuellement d’une assise forte. Ces escaliers ne sont malheureusement pas visibles. Les visiteurs les aperçoit de loin sans pouvoir les emprunter. Le nom des peintres est sans doute conservé dans les archives du château mais personne ne s’y intéresse …Le but de ces décors étant de ne pas être vu comme des décors. La maitrise du peintre les a rendu invisibles; personne ne les voit, personne ne les regarde comme des chefs d’oeuvres de technicité et de création.

IMG_7535

Faux Marbre  Escalier de la Reine


Les plaques géantes de faux marbre de l’escalier du Roi semblent devoir imiter le « Rouge Royal » bien qu’elles soient assez proches de l’incarnat Turquin de l’Aude. Ces plaques n’existent pas dans la nature. Ce sont des créations réalisées par un peintre en décor qui a conçu ces panneaux grands formats en respectant les coloris et les graphismes des marbres existants. Il a surtout, en idéalisant la composition des masses, juxtaposées celles ci dans un équilibre créant une belle harmonie.

IMG_7536 2

Escalier de la Reine


La peinture est « construite », les effets retrouvés, les transparences préservées, c’est une peinture « conceptuelle »  La projection d’un marbre idéalisé et pensé: Chaque plaque comporte ses différences comme ses convergences dans un ensemble décoratifs cohérent. Ces grands panneaux sont encadrés par ce qui s’apparente au Gris Turquin, un marbre dense et gris bleuté zébré de refends blancs grisâtres. Cet agencement ne se situe que dans la première montée d’escalier ainsi qu'au rez-de-chaussée.
La partie supérieure est ordonnée de grands panneaux rectangulaires debout sur leur tranches. Trop brunes pour être un pur Saint Anne, il s’agit sans doute d’un mélange de Saint Jean Fleuri de l’Aude et d’un Saint Anne des Pyrénées. La composition est rythmée par des pilastres et des champs de Brèches Grises. Le tout est très dense pour remplir son rôle de soutien au plafond très chargé de peintures, de sculptures et motifs décoratifs de stuc qui est un des joyaux du château.

esc reine

Escalier de la Reine;  vue avec les tableaux d'Oudry

 

L’escalier de la Reine entièrement transformé en 1835 présente une subtile composition de Gris Saint Anne et Rouge Incarnat qui rythme la partie inférieure et monte à l’étage par le limon et la cimaise. Les grands panneaux d’Incarnat sont extrêmement travaillés et montrent une dextérité peu commune de la part de l’exécutant. Il est habituel de n’avoir qu’un peintre par marbre car son dessin est comme une écriture qu’on ne mélange pas avec d’autres. Mais dans ce cas précis, la taille des compositions étant considérable, il serait intéressant de pouvoir étudier de près ces réalisations pour déterminer s’il y a eu éventuellement une deuxième main ou tout du moins des assistants.  Les escaliers du château de Fontainebleau sont les grands oubliés des descriptifs. L’exposition réalisée en 2019 sur les travaux et restaurations de Louis Philippe ( Le Roi et l'Histoire ) ne leurs rendent pas justice bien qu’ils soient des chefs d’oeuvres ayant une fonction qui excède la simple peinture décorative.

 

 


Les anglais reconnaissent le talent de Thomas Kershaw (1819-1898) qui fut un digne représentant de l’école de peinture décorative anglaise dont l’apogée technique et stylistique se situe entre les années 1840 et 1870. Thomas Kershaw remporta des prix prestigieux comme la médaille d’or de l’Exposition (Great Exhibition ) de Londres en 1851, une médaille de première classe à l’Exposition Universelle de Paris en 1855, Le premier Prix de l’Exposition Londonienne de 1862. Sa technique de « Marbleizing » était incomparable, il dû comme le faussaire hollandais Han Van Meegeren, prouver qu’il ne produisait pas des « faux » en utilisant une technique frauduleuse de reproduction. 

Il lui fut demandé, pour faire taire les suspicions et accusations après l’Exposition Universelle, de réaliser un panneau de faux marbre devant témoins. Une démonstration publique de son savoir faire et de sa technique. Il stupéfia son public. La Famille Royale lui commanda de prestigieux travaux comme la décoration de colonnes au palais de Buckingham ainsi qu' à l'Osborn House. Thomas Kershaw fut membre de la « Painter-Stainers Company » pendant plus de trente ans. Le peintre William Holgate (1931-2002) a été désigné par ses pairs comme son digne successeur.
 Le Victorian & Albert Museum rend un vibrant hommage à Thomas Khershaw en présentant ses panneaux de faux marbre encadrés sous verre. Il n’existe rien de tel au musée des Arts décoratifs de Paris. Les grands peintres décorateurs français du siècle dernier sont des anonymes.

 

v&a315116650_042e5a4282_b

 

 

 

 

 

 

 

 

             Victorian & Albert Museum  Londres

 

 




Le faux marbre fait toujours pleinement partie de la décoration intérieure malgré les nouvelles technique de reproduction. Celles-ci sont censées faciliter le travail et sa pérennité, ce qui est une façon de suppléer plutôt à une déperdition du savoir. Les faux marbres en céramique peuvent remplacer l’école disparue des stucateurs marbriers qui ont couvert les entrées parisiennes de chefs d’oeuvres entre 1850 et 1950. C’est toute une génération qui a disparu avec son savoir faire dans la tourmente de la grande guerre. Les céramiques en imitation de marbre ne sont pas encore très répandues et les gammes de coloris et graphismes sont généralement d’esprit très contemporain. Le poli et les transparences sont étonnantes mais manque la composition pensée du peintre. Les agencements sont secs et mécaniques alors que les compositions faites avec du vrai marbre demandaient un choix, une sélection des graphismes qu’il était petit à petit de plus en plus difficile de faire. Le faux marbre permet lui toutes les combinaisons harmonieuses aussi bien en couleur qu’en masses contrariées.
Les faux marbres en papier collés ne sont utilisés que pour les installations temporaires et de petites dimensions. Il s’agit d’un marbre peint photographié et édité sur papiers adhésifs de la largeur des plinthes qu’ils recouvrent. L’illusion est bonne, les répétitions peuvent être évitées en retournant le motif.

TOOOLS

Ensemble de pinceaux particuliers pour peindre les faux marbres.(Source M. Nadaï)


La technique du faux marbre s’apprend dans les écoles de décor peint. Il en existe un certain nombre en France et à l’étranger. L’école Vanderkellen de Bruxelles était la plus célèbre mais depuis la disparition du vieux maitre, le fleuron de la renommée a bien de la peine à se fixer quelque part. Réalisé traditionnellement à la peinture à l’huile fine, il est courant aujourd’hui de peindre des faux marbres à la peinture acrylique, les différences ne sont généralement pas perceptibles par le néophyte bien que la technique soit assez différente. La brosserie spécialisée est bien spécifique pour les faux marbres à l’huile. Les chiqueteurs, les deux mèches, les brècheurs, les fileurs sont des outils indispensables comme le Blaireau et la queue à adoucir. Ils aident à une bonne exécution de l’imitation demandée en créant des effets que les pinceaux classiques ne savent pas produire. La rubrique faux marbre sur l’encyclopédie Wikipedia anglais ( la version française reste à faire ) nous apprend qu’il faut une dizaine d’années pour maitriser cet art! « It typically took an apprentice 10 years or more to fully master the art. » ( Wiki source Marbleizing)

 

peindre le mrbre

Un vétéran à l'ouvrage:  réalisation d'une brèche violette arabescatesque turque.


La contemplation des marbres est un préalable à sa réalisation en imitation. L’oeil pénètre dans les transparences et suit sans effort le parcours sinueux des veinages entremêlés.  S’abimer « s’abymé » s’engloutir dans le calcaire cristallin chargé de rudistes ( coquilles écrasées), de nodules, de micas chloriteux est une initiation à la lecture des pierres. De tout temps, des paysages, des montagnes, des gouffres, des monstres y ont été aperçu. L’attrait pour les images « naturelles » les images « acheiropoïètes »  c’est à dire non faite par l’homme, non exécutées par la main de l’homme. Ces images sont comme l’Icône envoyé à Agbar, une fascination dévorante. Les motifs des marbres comme les dessins des pierres de jaspes, d’Agates ou d’Obsidienne sont été de tout temps admirés comme les témoignages mystérieux du monde invisible. Aujourd’hui avec une approche plus réaliste, la beauté des roches nous entraine sans difficulté dans une rêverie poétique.

« Au coeur de la pierre, demeure le destin splendide qu’elle proclame et qui, comme les formes des nuages, comme le profil changeant des flammes et des cascades; ne représente rien. Il ne figura jamais comme j’ai prétendu tout à l’heure, larve ni lémure qui au vrai n’ont d’apparence que celle que leur prête l’imagination de l’homme; et il arrive qu’elle les fabrique à partir justement de ces dons du hasard. Il n’y eut jamais d’image, jamais de signe, mais l’imprévisible résultat d’un jeu de pression inexpiables et de températures telles que la notion même de chaleur n’a plus de sens. En même temps, ces armoiries sont norme et canon de la beauté profonde, celle que, sur le rivage opposé, les rares réussites du génie s’efforcent d’enrichir ou de retrouver. Elles procurent en outre, prise sur le vif et à tel instant de son progrès, une coupe irrécusable faite dans le tissu de l’univers. Comme l’empreinte fossile, ce sceau, cette trace n’est pas effigie seulement, mais la chose elle-même par miracle stabilisée, qui témoigne de soi et des lois cachées de la lancée commune où la nature entière est entrainée. »  In « Pierres » de Roger Caillois  1966


La beauté du soubassement de la Madone des Ombres de Florence peut être mis en parallèle avec les « Untitled  I - VI » de Cy Twombly.
Ces toiles donc sans titres, en série, peintes en 1986 à Gaeta en Italie, ont été présentées pour la première fois au Met Breur de New York en 2016.  Ces six grands formats rectangulaires étaient exposées légèrement à part dans l’exposition intitulée « Unfinished ».
La série accrochée dans une sorte de renfoncement provoquait un choc visuel et une grande émotion que beaucoup de visiteurs ont ressenti.
Séparées par une longue cloison de verre dépolie par endroit, l’espace ainsi créé avait l’aspect et la fonction d’une circulation. La vision déroulante de l’oeuvre provoquée volontairement par le manque de recul plaçait le visiteur dans la même posture que les moines dans le couloir où la Madone des Ombres a été peinte entre les cellules 25 et 26. La série Untilted  I-VI  n’a pas été incluse dans le catalogue raisonné, Elle est restée invisible dans son atelier jusqu’à la mort du peintre en 2011. Il est dit que personne ne saurait dire si elle est achevée ou non. Mais comme les pierres invisibles dans leurs caches, elle est sortie à la lumière; leur processus s'est donc comme les pierres, achevé. La peinture excède leur cadre blanc, la série parle comme les marbres aux sens du spectateur, un monde à part, mi marin mi forêt primordiale, qui enchante l'esprit.

Capture d’écran 2021-05-06 à 16


 Les toiles de Twombly sont des orthostrates de cascades d’infiltrations de calcite pure dans un fond de sel de fer, de chrome et de silicate de magnésie hydraté si l’on veut les regarder avec l’oeil souterrain du lecteur de Marbres. La beauté répercutée par le travail en série fonctionne comme pour le soubassement de Fra Angelico; l’oeil en pénétrant la matière et le geste renvoie l’esprit à l’introspection mystique, la nuit obscure où il faut trouver la lumière. Le non titre de la série est une porte ouverte comme souvent, à la première sensation du spectateur et c’est en cette occurence que l’on a pu dire que c’était le « regardeur » qui créait l’oeuvre. Le titre, la légende vous bride, vous oriente, vous guide, vous enjoint de penser ce que le peintre a voulu que vous pensiez; l’absence de titre fonctionne de même, mais avec votre liberté intérieure non gouvernée par le rationnel. La contemplation des marbres procède du même ordre, pas de titre, une date étirée sur 40 millions d’années il y a 100  millions d’années. Peindre les marbres c’est balbutier à la surface du monde. Cy Twombly en savait peut être quelque chose. Roger Caillois devait s'en douter.
 

 

 

 

 Untitled I- VI   Twombly fondation 2011

Capture d’écran 2021-05-07 à 19

 

 

 

Capture d’écran 2021-05-07 à 19

 

III   et    II 

 

 Untitled I- VI   Twombly fondation 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires