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FLORIDUM MARE................................
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19 mars 2022

JEDDAH Tour



Djeddah- Arabie Saoudite

 

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« S‘évader, se dépayser, fuir les villes tentaculaires et motorisées qui forment le décor habituel de sa vie quotidienne est un des besoin fondamentaux de l’homme occidental contemporain. Mais, où qu’il aille, il retrouve des formes de vie qui restent, à plus d’un égard, apparentées aux siennes.
En Arabie, en revanche, le dépaysement est total. C’est pourquoi le voyageur qui débarque à Djeddah éprouve si puissamment l’impression d’être débarrassé du fardeau des siècles. « Ici », se dit-il « Il n’y a plus d’histoire; rien qu’un présent suspendu entre deux éternité. »
Tout déconcerte l’étranger qui arrive dans ce pays.
Et d’abord, la transformation de la lumière. On ne regarde pas le ciel: il vous aveuglerait. On se contente de la lueur diffuse qui naît de la réverbération des sables et éclaire les choses par en dessous comme une rampe de théâtre. Puis, au bout d’un instant, quand l’accommodation est faite, on voit s’avancer vers soi des êtres hiératiques dont chaque pas, chaque geste à la grâce un peu irréelle d’un film tourné au ralenti. Le voyageur se sent immédiatement confronté à une énigme. A quoi tient son sentiment d’être transporté sur une autre planète ? A l’intensité de la lumière? A la transparence de l’horizon qui semble doter ses yeux d’une pouvoir accru? Il est tenté d’attribuer l’espèce d’envoûtement qu’il éprouve au fait que toutes choses en Arabie semblent portées à l’incandescence. Mais s’aperçoit bien vite qu’il fait fausse route. Le secret est ailleurs et on finit par le découvrir. C’est que toutes choses, en Arabie, ont conservé leur intégrité. Tout a été décapé, reformé, « sublimé » par les conditions de vie qui n’ont pour ainsi dire pas varié depuis des millénaires. On ne comprend pas peu à peu l’essence de l’Arabie. Il est même possible que l’on y reste indifférent. Mais si on y est sensible, elle se révèle à vous dans une illumination subite. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974


IMG_2266"Ce que nous avions vu de Djeddah sur le chemin du Consulat nous avait plu: après le déjeuner, quand la température fut un peu plus fraîche, ou du moins quand le soleil ne fut plus si haut, nous partîmes donc en touristes sous la conduite de Young, adjoint de Wilson, grand admirateur des choses passées et détracteur des oeuvres présentes.
C’était en vérité une ville remarquable. Les ruelles en couloirs, couvertes d’un plafond de bois dans le bazar principal, s’ouvraient d’ailleurs vers une étroite bande de ciel entre les hautes maisons blanches. Les cinq ou six étages de ces dernières, en calcaire corallien soutenu par une charpente visible, s’ornaient de larges bow-windows qui montaient du sol jusqu’au toit, en panneaux gris. Les vitres étaient inconnues à Djeddah, mais une profusion de beaux treillis et quelques ciselures délicates dentelaient partout les fenêtres. (…..) L’architecture à charpente visible évoquait notre XVI ° siècle (…) Tous les étages faisaient saillie, toutes les fenêtres penchaient dans un sens ou dans un autre; souvent même les murs étaient en pente.
in « Les sept Piliers de la Sagesse »  T.E Lawrence 1936

« La vieille cité de Djeddah a conservé jusqu’à ces derniers temps un charme extraordinaire. C’est un dédale de ruelles étroites, où vont et viennent de riches négociants vêtus de noir comme les patriciens de Venise. Des Marchands de pastèques, de pistaches et d’oranges circulent entre les maisons de cinq ou six étages, mais hautes de plafond qu’elles semblent an avoir au moins dix ou douze. Certaines d’entre elles ont de larges portails sculptés, qui évoquent les palais des turcs qui bordent le Bosphore, car l’ancienne administration ottomane les a marquées de son empreinte. Les façades sont badigeonnées de couleurs tendres : rose, corail, bleu pervenche, vert amande, gris tourterelle. De loin en loin, le vert véronèse ou le noir absolu d’une porte leur donnent juste l’accent qu’il faut pour éviter toute fadeur. Ce décor comporte lui aussi un élément de féérie. Mais c’est une féérie citadine, pleine d’ironie et de malice.
Ce qui surprend le plus,, ce sont les centaines de moucharabiehs suspendus aux façades comme des nids d’hirondelles. Sculptées et ouvragées comme de de petites pagodes, ces loges grillagées permettaient aux femmes d’observer, sans être vues, cette comédie permanente qu’est le septale de la rue. Suspendus dans le vide, ces balcons ajourés, faits avec des milliers de brindilles de teck, évoquent les constructions fragiles que les enfants s’amusent à échafauder avec des allumettes. D’où vient tout ce bois, dans un pays qui en est totalement dépourvu? Chaque morceau provient de Malaisie, d’où il est venu par mer. Il a été porté sur de Chebeks à voiles triangulaires, semblables à ceux qui sillonnent encore la mer rouge.(………)
Du fait que Djeddah est le port par lequel il faut passer obligatoirement pour se rendre à la Mecque, il n’est pas seulement un carrefour des siècles, mais un lieu où se côtoient la plupart des races afro-asiatiques.(…) On y croise les turbans multicolores des Yéménites, des boubous africains, des calots pakistanais. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974


" On découvre encore, par-ci par-là, de belles cafetières de cuivre aux grands becs de toucan et aux couvercles chantournés comme des dômes de mosquées. Mais il faut se dépêcher, car elles auront bientôt disparues." (idm ibid)

Les populations qui passent trop vite d’une civilisation à une autre sont un phénomène étudié aux États-unis par la sociologie… La  « mondialisation » culturelle est à regarder sur le temps long. On note chez ces populations, un phénomène d’ « amalgames » comme dit Benoist-Méchin. Les sociologues déterminent un indice de « Transculturation » déterminé par l’importation des formes, des sujets exogènes dans une production locale qui s’abâtardi pour finalement être supplantée. Par une importation massive de produit manufacturé bon marché, les objets usuels, les objets de décoration, les vêtements changent petit à petit en supprimant le traditionnel. Il n’y a plus de chapka à Moscou, le fez à été éradiqué à Istanbul, la base-cap couvre Djeddah.


«  Le plus souvent répudiant l’abaya brune de leurs pères, les jeunes gens ont revêtu un veston occidental. Le soir, Ils vont prendre le frais sur l’esplanade qui donne sur la mer rouge et boire des jus de fruit ou du coca-cola dans "l’Express bar » qui fait face au ministère des Affaires Etrangères." ( idm ibid)

C’est ainsi qu’aujourd’hui l’on voit des familles, des couples dont la disparité vestimentaire est choquante à l’oeil. La femme est strictement habillée d’une abaya noire qui ne lui laisse que les yeux visibles si elle ne porte pas de lunettes de soleil. Son mari lui a revêtu l’essentiel du négligé américain de l’après sport, le t-shirt, le pantalon de coton appelé « survet » et les sneakers à bande fluo…Il arbore aussi le plus souvent une casquette de base ball.
Le thawb ne semble porté que par une certaine « bourgeoisie » saoudienne, on en voit peu, contrairement à la côte du Hasa…il s'agit de la longue robe blanche immaculée avec de beaux boutons de manchettes blancs; le foulard rouge et blanc  ( de couleur différente suivant les clans) retenu par l’agal noir, ce bandeau caractéristique. Les retours des pans du foulards donnent lieu souvent à beaucoup d’imagination et d’élégance.
Mais la liberté vestimentaire extérieure des hommes, que les femmes n’ont pas, facilite cette dérive transculturelle. Ils se laissent volontiers aller, non plus au « veston occidental »  comme l’avait remarqué Benoist-Mechin mais bien à la mode mondiale du « survêt US ». L’élégance est une notion périmée, où tout du moins en pleine mutation. Le confortable prime …le décontracté est une facilité qui s’impose sans résistance car les référents anciens semblent disparaitre. 

 

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« Déjà on doit chercher la vieille ville au sein de la nouvelle. Elle se cache, apeurée, sachant le sort qui l’attend. Elle n’ignore pas qu’elle sera bientôt éventrée par les bull-dozers. Dans un délai plus ou moins bref, ses nobles demeures ne seront plus qu’un souvenir, car tout le centre de Djeddah n’est qu’un chantier de démolition.
Le coeur se serre en voyant le traitement que notre époque réserve à ces aïeuls vénérables. L’espace ne manque pourtant pas! N’aurait-on pas pu les préserver en construisant la ville nouvelle un peu à l’écart de l’ancienne? »
(….)
« Les générations nouvelles auront donc ce qu’elles désirent: des maisons préfabriquées, des réfrigérateurs, des transistors, des automobiles aux pare-chocs étincelants. Puissent-elles ne pas s’apercevoir qu’elles ont fait un marché de dupes, le jour où elles ont pris le confort pour le bonheur. »
Le mouvement est lancé: rien ne l’arrêtera plus. Déjà les vélos multicolores munis de deux klaxons et de trois rétroviseurs, les vespas et les autos déferlent à travers les rues du nouveau Djeddah avec un vacarme assourdissant. Aussi les conversations vont-elles bon train, surtout entre les jeunes, ponctuées par des éclats de voix et des gestes emphatiques. Mais au bout de quelques jours, on soupçonne  tout cela de n’être que de la frime, une manière de se prouver à soi-même que l’on existe et que l’on est « dans le vent ». Un vent très différent de celui dont les Bédouins se disaient les fils. En revanche, les affaires sérieuses continuent à se traiter avec lenteur et cérémonie. Au fond du Soukh des orfèvres, on aperçoit toujours des vieillards barbus comme des patriarches de l’Ancien Testament qui attendent patiemment le client sur le pas de leur porte en égrenant leur chapelet ou en dégustant de minuscules tasses de café posées sur leur coffre-fort. Là, dans une pénombre complice, mille transactions subtiles se poursuivent comme autrefois, dans une nonchalance voulue et des clins d’oeil furtifs. C’est en silence également - mais ce silence exprime-t-il le dédain, la surprise ou l’envie? - que les femmes voilées de noir défilent devant les vitrines des magasins éclaboussées de néon, où s’étalent les soutiens-gorges et les machines à laver. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

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La vielle ville réduite à sa portion congrue reste un lieu de commerce traditionnel. Les marchés sont quotidiens, les légumes, les fruits, les dattes sont vendues par montagnes sur des petites places au détour du bazar qui lui, distille un enchevêtrement de produits importés que ne renierait pas un marché africain. La foule y est souvent compact en fin de journée. Les anciennes maisons du quartier d’Al Balad sont maintenant préservées comme les derniers spécimens d’une faune disparue. L ’ « Historic district » fait le pari du tourisme futur de l’après pétrole qui commence.
Nous y avons fait des promenades mais la vie l’a quittée. Il n’y a personne derrière les moucharabiehs. Pas d’Azyadé qui murmure le soir lorsque l’on passe. Les chats sont les maitres des ruelles désertes. Ils vous regardent de leur visages triangulaires. Ils survivent à la fournaises des jours et sortent le soir. Ils ont passés un pacte avec l’habitant qui les désaltèrent et les nourrissent à minima contre la chasse aux nuisibles qui n’ont pas d’égouts refuges.

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Vendredi 18 février 2022
   "A 17h45, Je rejoins Murielle pour une promenade dans le centre historique de DJeddah. Près de la Baab Makkah à Al Balad district, s’ouvre un labyrinthe de ruelles avec des marchés: marché bédouin, marché aux épices, marché pakistanais …Les maisons remarquables commencent à être restaurées. Une prise de conscience semble voir le jour. Il y a fort à faire car le quartier traditionnel est dans un sale état. Il y a de nombreuses ruines avec de splendides moucharabieh en excroissance, qui semblent en péril. Nous déambulons alors que la vie s’éveille. Les boutiques ouvrent. Les rues s’animent le vendredi soir. La petite ville historique est vidée de ses commerces, Les marchés se trouvent tout autour. Il y a des passages couverts, c’est le souk traditionnel ..comme à Damas en plus petit, comme à Beyrouth en plus délabré avec des relents de marché sub saharien. Les chats errants sont partout. Les enfants, les femmes, les hommes sont par grappes devant toutes les échoppes ouvrants sur la rue. Le métal, la pierre, les portes et bords de trottoirs sont lustrés des frottements incessants de milliard de pieds, de mains. L’usage poli toute surface. La présence humaine journalière rend la ville brillante et patinée comme un vieil outil. Les gestes, les attitudes, les étales sont figés dans une répétition traditionnelle qui façonne avec dextérité une aisance d’existence qui plonge, malgré les néons et les téléphones portables, dans la nuit des temps. L’Arabie des comptoirs, des caravansérails qui se prolonge jusqu’en Turquie, est là.
   J’achète deux chemises blanches en coton pour 17 euros. La chemise est plus agréable que le t-shirt …Murielle détient un beau sens de l’orientation car elle retrouve son chemin quand moi j’hésite. Elle fait l’acquisition d’un presse agrume en fer blanc très bien pensé..un modèle que nous n’avions pas encore vu !
Nous visitons un joli café avec terrasse aménagée dans une maison vide entièrement restaurée avec poutres et balcons de bois ..il n’y a aucun meubles…seul le premier étage ( qui nous est inaccessible, on ne sait pourquoi ) et la terrasse aux lampions, comportent des tables et des chaises … Il y a une quinzaine de client sur le toit. Des femmes en noir complet, des hommes en blanc et quelques non saoudiens. C’est calme, on boit du café, du thé …la nuit est bien noire au dessus de la ville qui scintille. Nous rentrons  tous les deux en mini bus avec Sultan le chauffeur éthiopien ..Sur sa proposition, on l’appelle et il vient. Diner à l’hôtel avec Bertrand et le reste de l’équipe. Plume et Bertrand me convient autour de la piscine pour une dernière cigarette… quelques histoires de chantier et nous montons nous coucher. Demain rendez vous à 6h15 au petit déjeuné… »
Extrait Journal de bord - AdC- Djeddah-Chantier-Maïa Décors  2022

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« Autour de Djeddah s’édifient rapidement des briqueteries, des cimenteries, des tanneries, des fabriques d’engrais, car une ville nouvelle se développe à vue d’oeil. Les quartiers résidentiels jaillissent en quelques semaines, avec leurs villas luxueuses à air conditionné. Tout ce qui peux se faire vite est prestement exécuté. Mais la finition laisse beaucoup à désirer et tout ce qui exige du temps et de l’application fait tristement défaut. Les maisons neuves, isolées les unes des autres et livrées en pâture à un soleil dévorant, n’ont pour s’en défendre que des tamaris qui ne donne pas plus d’ombre qu’un balais de sorcière. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

 

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La ville à l’américaine à tout dévorée. Depuis la vison du voyageur de 1974, les « freeway » californiens ont zébré la ville comme des rubans infranchissables sur lesquels coulent un flux ininterrompu de tous les véhicules du globe. L’essence à 0,50 centimes est l’étendard du « tout voiture » dans une ville qui s’étend sur une campagne inexistante .. Les espaces vides parsèment le tissu urbain sans plans ni concertation compréhensible, d’immenses quadrilatères de sable et de gravats sont entourés de lot d’immeubles dont les chantiers abandonnés laissent un aspect d’inachevé. Les grands projets d’architectes sont réalisés pour les façades des grandes avenues à six voies. Le siège de l’ARAMCO devant lequel nous passions tous les matins est un grand bloc a quatre façades en oriel inversé qui laisse une étrange impression de jeu optique… Les aménagements urbains collectifs sont en piteux état, les trottoirs sont souvent défoncés ou inexistants. Les rues et ruelles sont en ruines mais l’aluminium et les vitres teintées des grands concessionnaires automobiles brillent en vainqueur au soleil.


« Dans la province orientale du Hasa, le contraste est encore plus marqué, car la présence des grandes entreprises américaines a accéléré le mouvement. On y rencontre deux villes, Qatif et Al Khobar. Bien qu’assez proches l’une de l’autre, un millénaire les sépare. Qatif, ceinturé de remparts est couronné de palmes, sommeille parmi le murmure des sources et le chants des oiseaux. Al Khobar ressemble à un settlement du Texas, avec ses garages, ses entrepôts, ses distributeurs automatiques de chewing-gum et ses autocars qui se croisent dans un bruit de ferraille et de boulons mal serrés, ramenant de leur lieu de travail des équipes Séoudiens au regards absent, vêtus de bleus de chauffe. L’air y sent le métal chaud, le fuel et le goudron. On n’y trouve pas un brin d’ombre et l’asphalte des rues vous brûle la plante des pieds à travers la semelle de vos chaussures. Pourtant, Al Khobar grandit et Qatif se meurt. » (ibid)

 

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El Khobar


Mercredi 20 mars 2019 

  (…..) Nous finissons avant 18 h …Mais le temps gagné à partir plus tôt nous le perdons dans les embouteillages d’Al Khobar… Cyrille et moi nous décidons de faire une petit marche vers la mer ..la nuit descend vite. La lune est déjà claire, c’est la pleine lune.
Nous devons traverser la très large route côtière. Un boulevard allant dans les deux sens de cinq voies, très dense en circulation. Les gros SUV comme toute la gamme des voitures américaines défilent à bonne cadence devant nous. Heureusement des agents du trafic ( Indiens) munis de bâtons lumineux rouges, arrêtent le flux pour nous permettre de franchir cette énorme rocade. Le front de mer est aménagé d’espaces verts avec des bancs de repos sur des plates-bandes ..d’herbes rases, quelques palmiers malingres font toute la luxuriance de l’endroit. Pas de sable mais de gros rochers de digue artificielle donnent sur la mer plate du Golf Persique; pas de marée, pas de vagues..un grand lac noir sur lequel le pont de 24 kilomètres reliant la terre à l’ile de Bahrein scintille dans le lointain. L’air est frais, Il y a pas mal de promeneurs, de couples ( lui en blanc, elle en noir, voilée, masquée) un grand périmètre clos de palissade laisse entendre musique et animation. Nous y entrons sans problème ..c’est gratuit, il faut uniquement donner son nom et son numéro de téléphone. Une entrée pour les femmes, une entrée pour les hommes. De grosses voitures de police avec gyrophares allumées sont stationnées devant les entrées et les sorties.  Dans ce grand espace avec quelques aménagements de repos, nous découvrons regardant l’intérieur de la place (assez vide) toute une succession de stands présentant les arts populaires ..forgerons, vanniers, potiers, musiciens traditionnels, cuisine sur le sol de sorte de crêpes saoudiennes..etc etc . Il y a beaucoup de familles, donc d’enfants ravis de leur sortie nocturne. Il en va de même pour les très nombreuses femmes qui sont là. Nous voyions notamment des grappes de jeunes filles en Habaya noire, voilées qui leurs téléphones à la main semblent très heureuses de pouvoir déambuler en groupe. Voilà bien une catégorie de population que nous ne voyions jamais dans la rue ou dans les voitures ( Je m’étais fait cette réflexion dans les embouteillages ..que des hommes dans les voitures….pas de femmes, nulle part). L’ambiance dans cette fête célébrant les arts traditionnels est assez morose..Beaucoup d ‘équipe de surveillance et d’organisation, des policiers à l’extérieur…Que craignent-ils? pas d’alcool, pas de voyous, pas de délinquance …Redoutent-ils un « attentat terroriste »? C’est assez étrange comme langueur comme non excitation ..Pas de cris, pas de gaité, intempestive … Nous remarquons quelques femmes très jolies, très maquillées apprêtées mais la plus part sont grasses et lourdes…
Nous revenons à l’appartement après avoir fait une petite marche sur le remblai..
Installons notre diner de salades et sandwichs et dinons à quatre ..Paul, Pascal, Cyrille et moi, Malek garde une fois de plus la chambre ..Il viendra diner plus tard, seul …Dissension de groupe disais-je..! »

Extrait Journal de bord - AdC- El Khobar Chantier Tamimi /Amblard 2019

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« Les quatre cinquièmes du pays sont recouvert par des déserts. De la naissance à la mort, l’existence des Arabes se déroule sur ce socle nu où déferlent, jour après jour, des cataractes de lumière. Mais on se tromperait fort si l’on entendait par « désert » une étendue monotone de pierraille et de sable. Non seulement le désert varie selon les heures, mais l’Arabie en contient plusieurs qui diffèrent du tout au tout. Le Nefud ne ressemble pas au désert du Nedjd et le Haïl encore moins au Ruba-El-Khali. Il y a des déserts montagneux et des déserts de sable. Ceux du Hasa sont clairs et argentés; ceux du Ruba-al-khali vont du rose pâle au lie de vin. Quant aux montagnes du Hedjaz, vues à une certaine distance elles sont d’un bleu de saphir comparable à celui qui sert de fond aux toiles de Léonard de Vinci.
Chez nous la terre doit beaucoup au travail des hommes. Elle a été transformée et humanisée par le labeur des générations. Rien de tel en Arabie. Le pays est resté intact. Seuls l’ont façonné les lumières et le vent.  C’est le soleil qui a crevassé et érodé les montagnes; c’est le vent qui sculpte et modifie sans cesse le profil des dunes. Selon que souffle la brise fraiche du « Shamâl » qui descend du Taurus, ou l’embrasement du « Hamsîn » qui remonte l’océan indien. Le désert change de visage au point de devenir méconnaissable. Il varie aussi vite et aussi souvent que la mer. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

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Jeudi 10 mars 2022
« (……) Enfin le déjeuner est annoncé. Bertrand et moi nous discutons en fumant devant le bâtiment du personnel dans lequel nous avons nos vestiaires et salles à manger. Valerie se joint à nous avec son plat ..elle commence à déjeuner dehors. Les autres sont déjà attablés lorsque je me rends compte que Valérie mange mon plat de poulet devant mon nez! Hier, elle avait déjà pris celui de Loïc! Ah ah, elle semble ne pas chercher beaucoup son plat et en prendre un sans trop vérifier!
Emilie nous parle encore de la sortie dans le désert organisée par Madame J. la cliente. Nous confirmons le programme et répercutons les informations données par Média tout à l’heure en présence de Bertrand  ..Nous sommes en plein rêve de trekking dans le désert! Nous allons être reçu sous une tente bédouine montée pour nous, le soir un méchoui sera organisé… Tout le monde est excité par le « désert » ..Ça discute des tenues appropriées. Valérie me demande si je suis déjà allé dans le désert..je lui raconte rapidement ma traversée du Tadémaït en Algérie…Je ne parle pas des autres mais j’y pense en mâchouillant…je pense au Hoggar, à L’Asekrem du Père de Foucault, à la Syrie, de Palmyre la belle, dansant dans la chaleur jaune, de la route nue où seul le croisement Damas, Bagdad comporte une signalétique abrasée par le sable… J’ai vu quelques petits bouts de désert …au Nord du Mexique, le désert de Sonora au dessus d’Hermosillo où nous passions en bus Dina vers Tijuana et la frontière américaine ..Le désert du Néguev en remontant d’Eilat en bus pour aller travailler à Tel Aviv avec Vianney Brintet.. la côte sud de Safaga en Egypte pour les croisières plongées..
Demain nous allons donc dans le désert du Hedjaz !…  Tous le monde s’imagine en méharée dans les dunes ..la nuit sous les étoiles …la mystique du désert. Bon, passée la première excitation, je suis dubitatif..Les Saoudiens partent souvent passer le week-end dans le « désert » comme les libanais vont le week end « à la montagne »,  c’est une expression qui ressemble à notre « week end à la campagne ».
Bertrand se met au travail et nous dit qu’il va rester encore un peu travailler ce soir; alors que nous voilà parti..Bertrand me prend à part en me disant que j’avais raison, Sultan lui a envoyé des photos du site du désert dans lequel nous irons demain..C’est un centre de week-end avec activités et accommodations …Il y a bien une tente bédouine ( d’exposition) mais aussi des bâtiments climatisés … Le bord de la mer est un club..le désert est un « centre aéré » pour passer une journée loin de la ville!
Dans le minibus, assis à côté de Sultan qui me montre des photos de son mariage, de son fils et de sa femme à Adis Abeba, il me confirme que c’est un centre de week-end où l’on peut faire du cheval, faire du moto cross ou du Quad, tirer à l’arc etc … Je me retourne vers le groupe des six derrière moi et commence à réviser leurs rêves…Arthur ne me croit pas, Manon non plus ..Stéphane rigole mais personne ne me prend au sérieux … Puis petit à petit la déception se lit sur leurs visages, ils comprennent mon parallèle avec la plage de vendredi dernier… Ils sont déçus… »
Extrait Journal de bord - AdC- Djeddah-Chantier-Maïa Décors  2022



Depuis sa fondation en 1932, le Royaume d’Arabie a une histoire aussi romanesque que celle de la conquête et l'unification par Abdelaziz Ibn Séoud des différentes régions sous dominations tribales ou claniques. Une fois la guerre terminée, les Ottomans parti, les Hachémites enfuis, les Al Rachid défait, les Shammars pacifiés par le sabre et l’annexion matrimoniale. Ibn Séoud chercha de l’eau. Il en trouva. Il fit venir des ingénieurs agronome des États-Unis …Les jardins et potagers commèrent à grandir dans les oasis du Royaume et surtout dans l’Asir, la région côtière au dessus du Yemen…
En septembre 1920, un Major anglais du nom de Frank Holmes, en effectuant un forage pour trouver de l’eau près de Bahrein fut surpris d’être éclaboussé par un liquide noir et poisseux qui sortait avec force du sol..Il obtint cette concession de forage auprès de l’Emir de Bahrein…Rentré à Londres, il voulut céder son action à des compagnies de la City. Mais cela n’intéressa personne car il y avait assez à faire avec les premiers gisements de l’Iran et de l’Irak. Holmes fini par trouver un acheteur en la personne de la Gulf Oil Company, une petite compagnie américaine…qui acheta la concession pour une modique somme…Puis la revendit 50 000 dollars à la Standard Oil de Californie…Les prospections américaines montrèrent que la région du Hasa et la côte arabique du golf Persique contenait autour de 70% du pétrole mondial.
Le temps avance, la seconde guerre mondiale terminée, les (retors) anglais sont remplacés par les (généreux) américains après l’entrevue  Roosevelt / Ibn Saoud à bord du Quincy sur le lac Amer en Egypte. L’Arabie féodale rentre dans la modernité.
Mais les réticences furent très importantes. La société ultra conservatrice des Wahabites se refusait à tout changement.
Pour faire accepter le téléphone par exemple, Ibn Saoud raconta qu’il fit venir les Oulémans et les docteurs de la loi à Ryad. Il leur dit «  Cette invention moderne que les étrangers m’ont installés dans le Palais m’inquiète. Dites moi si elle n’est pas parasitée par le diable !  Vous allez réciter les versets du Coran ici dans cet appareil ..et vous autres les écouterez dans l’autre pièce avec le deuxième appareil ..si les versets sont entendus avec justesse c’est que le diable ne peux rien,… » Les sages acceptèrent cette modernité sans poser de difficultés. Depuis les milliards de dollars ont transformé le pays avec une vitesse impressionnante mais le féodalisme, lui est lent à s’émousser, à s’éroder, à disparaitre…

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La condition de la femme saoudienne est un marqueur qui doit servir à évaluer la différence qui existe entre la pensée occidentale post-chrétienne et la pensée Wahabite Hanbalite actuelle.
Les avancées du Roi Abdallah se brisent sur les recluses de Djeddah. Depuis la mort de la princesse Mishaal en 1980, lentement néanmoins la situation change. Raif Badawi,le blogueur saoudien condamné aux mille coups de fouet, en prison depuis dix ans, pour avoir prôné la fin de l'influence de la religion sur la vie publique a été libéré en mars 2022 mais est assigné à résidence pour dix ans encore. Un petit rappel s’impose concernant les événements extrêmement révélateur d’une situation collective. En 1977, La princesse Mishaal Bin Fahd Al Saoud, 19 ans, petite fille du frère du Roi Khaled fut exécutée publiquement sur un parking de deux balles dans la tête avant que son amant libanais ne soit décapité d’une façon particulièrement atroce par un des ses frères. L’honneur de la famille royale avait été bafoué par une relation non autorisée, le Roi donna son acceptation. Mais un film relatant le martyre des amants tourné en Angleterre en 1980 fut diffusé à la télévision anglaise et américaine.  « Death of a Princess » d’Anthony Thomas déclencha une grave crise entre Margaret Tatcher et le Roi Khaled. Un incident diplomatique résultant des pressions exercés par le roi pour faire retirer le film. Cette exécution barbare a été ordonné par le frère du Roi sans qu’il n’y ai eu aucun procès et condamnation officielle. La princesse ayant tentée de fuir le pays, elle a avoué sa liaison avec Khaled al-Sha'er Mulhallal, le neveu d'Ali Hassan al-Shaer, l'ambassadeur saoudien au Liban. Les amants devaient mourrir.

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Djeddah - Vendredi 15 Juillet 1977-  à droite la princesse Mishaal.


Les recluses de Djeddah illustre aussi à fortiori cette problématique position des femmes qui se retrouve aussi dans la très nombreuse famille Al Saoud.
Les quatre princesses Sahar, Maha, Hala, Jawahir, fille du roi Abdallah qui régna de 2005 à 2015 furent confinées dans leur maison à Djeddah depuis plus de dix ans avec des restrictions d’eau et de nourriture. Séparée de leur mère réfugiée à Londres car divorcée, l’intransigeance du roi qui jamais ne leur rendit visite et maintient cette incarcération dont ses fils étaient les gardiens fut très choquante pour les médias anglo-saxons. La douleur d’une mère s’exprimant en anglais n’eut que peu d’écho en France. Al Anoud Al Fayez première des trente épouses du roi Abdallah, divorça en 2003. Depuis Londres, elle  essaya de faire venir ses filles sans succès.  Elles seront brisées, séparées, rendus anorexiques et suicidaires. La princesse Hala est morte le 30 Septembre 2021 à l’âge de 47ans. Il n’y a aujourd'hui aucunes nouvelles de ses soeurs.
Le roi Abdallah décédé le 23 janvier 2015 a été reconnu paradoxalement comme plutôt libéral, Il nomma une femme en 2009, ministre déléguée à l’éducation. En 2015, il autorise le droit de vote des femmes aux seules élections existantes dans le royaume, les élections municipales. Elles peuvent aussi se présenter. Une seule à été élue mais doit être accompagnée par un homme sur son lieu de travail ! (A. Amir-Aslani ;  Arabie Saoudite -De l’influence à la décadence -L’archipel 2017)

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La pression des femmes se fait sentir dans la société civile. L’aberration de l’interdiction de conduire produisant une sur-représentation des chauffeurs privés n’est pas tenable.  C’est le seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire de véhicule à moteur. La charrette avec âne oui, mais la mobylette non! Le mouvement des femmes se coordonne dès 2010. Manal al Sharif est la première à être emprisonnée car elle poste des vidéos d’elle au volant…En 2017 l’autorisation est accordée par le roi Salman mais un groupe de conductrices est toujours en prison; l’organisation Human Watch Rights s’inquiète des conditions de détention, comportant des violences et des viols, sans possibilités d'enquête ou de plaintes.
La situation évolue néanmoins, des femmes circulent en voiture et même sans accompagnateur masculin. Mohamed Ben Salman alias MBS ouvre la société pour s’assurer de la paix civile, il réforme pour mieux tenir. Les Saoud n’ont aucune intention de laisser le pays à d’autres.

 

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Reema Al Juffali, née en 1992, est devenue la première femme saoudienne pilote de course professionnelle. Elle est donc une figure historique. En participant à des courses de Formule 4 dans le monde mais aussi cas unique, elle est la première saoudienne à être au départ d' une compétition internationale organisée dans le royaume.( Instagram @reemajuffali - 27k followers !)

Les temps changent…doucement. Le mouvement ne devrait pas s’arrêter mais la "vitesse" doit être très contrôlée dans un pays où sous la modernité apparente, le coeur blanc de l’islam wahhabite est un roc multi séculaire.

 

 


Djeddah ne m’aurait été donné comme sujet de réflexion, de rêverie et déjà de nostalgie sans mon guide, mon ami, qui tout vêtu de blanc, hante ses artères depuis un an; Bertrand de Guilhem de Lataillade.
Ni tout à fait Montfreid pas complètement Lawrence mais assurément le capitaine de cette aventure, il y façonne le goût de ses hôtes, silencieusement avec application, livrant son savoir comme un exorcisme spirituel décoratif.

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Ô Cavaliers, qui déployez vos efforts
Pour hâter sur la terre le pas
De vos montures, dont les sabots s’enfoncent
Profondément dans le sable,
Nous avons été, comme vous
Des voyageurs pressés
Et un jour, comme nous arrivés
Au terme du voyage
Vous serez étendus dans la tombe.

Ali Ibn Sayd   - VII°S

 

 

Commentaires
A
Merci Chère Valérie! Enfin un commentaire! ....(et très aimable..) à suivre...
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V
Très émouvant Amaury de Cambolas ces extraits, cette réflexion sur Jeddah. Bravo!!
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