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FLORIDUM MARE................................
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12 novembre 2021

PEINDRE L'ÂME RUSSE

 

levitan nenuph

1895 Nenuphars- Isaac Levitan

 

Peindre l’âme russe est le sous-titre, ou plutôt le titre, d’une rétrospective de peinture présentée au Petit Palais à Paris jusqu’en Janvier 2022.
Peindre l’âme russe peut être compris d’abord comme un regard d’occidental sur ce continent-état, immense et secret, qui s’étend jusqu’aux confins de la taïga et de la toundra; mais aussi exprimer un souhait résultant des préoccupations de peintres en révolte contre les sujets trop « académiques ».

Un rejet des sujets imposés par cette Académie de Peinture de Saint Petersbourg qui les a formés durant ce 19° siècle de toutes les innovations.  Une volonté de s’émanciper pour aller loin des sujets mythologiques ou religieux vers la Russie de leur âme…
 « Peindre l’âme russe »  Pourquoi et comment?
 Parler d’âme russe renvoie certainement à l’immensité géographique et historique d’un peuple qui se voit comme une multitude sous une strate supérieure, restreinte en nombre, de nobles et de bourgeois concentrés autour de la famille impériale.

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Sans revenir sur la révolte des Quatorze du 9 novembre 1863 dans cette Académie de Peinture de Saint Petersbourg, qui voit les nouvelles conditions du concours de la grande médaille d’or refusées par quatorze artistes sur quinze. Il faut bien établir que cet événement a été considéré comme les prémices d’un soubresaut qui engendrera une nouvelle façon d’appréhender la peinture de genre.

L’âme russe devient alors la préoccupation d’une certaine peinture se voulant aller au contact de la population, non seulement par les sujets traités, par la technique plus réaliste, plus sensible mais aussi physiquement en organisant des expositions itinérantes dans la grandes villes de l’Empire.
 La « société des amis des Expositions Ambulantes », que l’on simplifie en appelant les peintres qui y participent « Les Ambulants », se libèrent du carcan des règles en vigueur. La volonté de peindre, de représenter un sujet, un paysage, un portrait, une scène, vient du profond de l’être. L’oeil projette, la main réalise, l’esprit gouverne. La peinture de genre comme l'on a l’habitude de la dénommer n’est que la représentation d’images mentales, de visions quasi obsédantes que le peintre rejoue en atelier avec ses modèles, pour atteindre par les couleurs et la matière, une représentation physique de son image vue en esprit.
Il suffit d'une image touchante, un enfant avec un agneau par exemple, une image réconfortante, le bonheur du foyer, la jeunesse aux champs, la vie paisible d’un village, un marché, n’importe quelle scène montrant une vie organisée laissant la réflexion, aussi bien celle du peintre que celle du regardeur sensibilisé, vagabonder vers d’innombrables sentiments qui reviennent à chaque vision jusqu’à épuisement du pouvoir de l’image.

Il nous faut aller en Russie, faire ce voyage inversé comme les peintres de l’académie l'ont fait, pour aller découvrir les musées regorgeant d’une vie artistique florissante, explosant de « Russitude » au 19° siècle.

Schématisons rapidement ce parcours de la peinture russe. Les influences viennent d’abord du monde grec avec la peinture apportée par l’avancée du christianisme. Les premiers peintres religieux s’émancipent finalement de cette tutelle pour atteindre, malgré un canon très strict bordant les façons de faire, une excellence que l’on résume par un nom : « Andreiv Roublev »  
Il réalisa au début du 15° siècle, les peintures de l’iconostase de la cathédrale de la Dormition de la Vierge dans la ville de Vladimir ainsi que les peintures des murs de la cathédrale de l’Annonciation du Kremlin à Moscou. Ses réalisations sont des purs chefs d’oeuvre de la peinture…mondiale. Ils n’en sont pas moins très russes. Le film d’ Andrei Tarkovsky de 1966 « Андрей Рублёв » ( Andreï Roublev) restitue avec une force peu commune la ligne profonde qui unit à travers les âges la perception collective d’une âme russe.


Le Tsar Ivan dit « le Terrible » ( 1530 - 1584 ) invita de nombreux artistes étrangers à venir travailler en Russie. Il encouragea les peintres et les sculpteurs russes à s’inspirer de ces maitres. Les doreurs étrangers importèrent aussi leurs techniques, enrichissant ainsi l’esprit de magnificence de la cour. Le Tsar Fyodor ( fils et successeur d’Ivan ) reçu le patriarche Arseniy de Constantinople qui, lors de sa visite remarqua d’admirables icônes dans la chambre de la Tsarine. Il y avait aussi selon ses dires beaucoup de mosaïques réalisées par des maitres russes.
Pierre le Grand qui était très désireux d’avoir non seulement des experts militaires, mais aussi des architectes marins voulut aussi avoir des artistes compétents. Il envoya également à l’étranger de nombreux étudiants qui devaient se perfectionner dans tous les domaines.

Les échanges ne s’arrêtèrent pas avec les  souverains suivants. Anna Ioannovna (L’impératrice Anne) puis Elisabeth II ainsi qu’une grande partie de la noblesse ont fait appel à de nombreux artistes étrangers. Les églises et les palais se transformèrent sous cette impulsion. Parmi ces artistes étrangers, il y eu de remarquables portraitistes comme Pietro Rotari et Stephano Torelli, des créateurs de scènes mythologiques comme Louis Lagrene et Friedrich Grooth  (connus aussi comme peintres animaliers). Catherine II fonda l’Hermitage et créa l’académie des Arts Russes. Cette dernière avait pour but, en autre chose, de favoriser le renouveau de l’art russe en gardant les traditions occidentales au sein d’une école destinée à enseigner le dessin et la peinture suivant les règles du bon goût.
L’Académie fit son office tant et si bien qu'une certaine peinture semble maintenant comme un sous produit de l’art occidental. Il n’en résulta pas moins d’un apprentissage qui permit assez vite la réalisation de purs chefs d’oeuvres. Le 18°siècle se regarde néanmoins comme moins émancipé que le 19°. Mais heureusement l’irruption de cet impalpable sujet, qui résonne facilement en nous, cette fameuse  « âme russe » va donner à la peinture à partir des années 1830, une qualité qui ouvre les portes d’une reconnaissance internationale.
Ce que la littérature russe a en nous provoquée, la peinture russe peut agir de même. Mais elle doit s’imposer à nous physiquement, soit par une exposition au Petit Palais soit si l'on est volontaire, par la visite du Musée Russe de Saint Petersbourg et de la Galerie Tretyakov à Moscou.

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Le Musée Russe de Saint Petersbourg est situé dans le Palais Michel qui dépend du complexe édifié par pierre Le Grand au 18°siècle ..Alexandre III voulut un Louvre Russe; Nicolas II le fit en 1895, les collections n’ont cessé de s’agrandir depuis.

Le Musée moscovite est l’ancienne galerie d’exposition de deux frères, Pavel et Sergei Tretiakov. Devenus de riches entrepreneurs, ils constituèrent une extraordinaire collection qui fut donnée à la ville en 1892. Le musée, inauguré le 15 août 1893, possède les principaux chefs d'oeuvres du siècle, les joyaux admirables des peintres irradiant l' «âme russe » comme trame sous jaccente. .

 

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Ilya Repine né dans une famille de serfs en 1844 est originaire de Tchouhouïv, près de Kharkiv en Ukraine. Il serait aujourd’hui considéré comme Ukrainen. Il se serait peut être aussi lui même considéré comme Ukrainien.
Mais il est russe, complètement russe par son parcours et sa peinture …même sa mort à Kuokkala qui deviendra Repino, nouveau nom donné en son hommage, est Russe.  Son refuge, son exil, ses "Pénates" sont à Kuokkala. Ville appartenant à la Finlande libre après avoir fait parti de l’empire Russe jusqu’à la Révolution d’Octobre. Une vie de peinture, d'expositions, de commandes prestigieuses laisse le très célébré Ilya Repin russe, complétement russe, jusque dans son acceptation de la révolution de 1905 et de son rejet de celle de 1917 internationaliste et sanguinaire.


« Procession religieuse dans la province de Koursk »1883, «  Les haleurs de la Volga » 1873 «  Les cosaques Zaporogues » 1891, « Léon Tolstoï pieds nus » 1901 sont des tableaux devenus très célèbres, il en va de même de ses admirables portraits. Des condensés d’"âme russe" qui outrpassant leurs sujets nous transportent vers une rêverie géographique.
Lorsque l’on voyage en Russie, l’immensité est perceptible. C’est une sensation forte qui, par la connaissance de la carte de plus dix sept millions de kilomètres carrés, nous submerge.
Il faut avoir circulé sur la route forestière de l’aéroport Koltsovo qui va vers Ekaterinbourg dans l’Oural pour s’en rendre compte. Cette large route isolée montre des panneaux routiers aux carrefours comportant plusieurs centaines de kilomètres entre les villes les plus proches comme Perm et Tcheliabinsk. La forêt englobe tout …la capitale est à 1798 km.
 De Napoléon à Barbarossa les témoignages sont éloquents. La largeur de la Moskova à Moscou est un signe. Les quartiers excentrés comme Obushkovskoye où il vous faut aller de Krasnogork par une autoroute disparaissant dans les brouillards de l’Oblast de Moscou, roulant dans la neige sous un ciel de zinc. Les immenses champs vides et nus succèdent à de touffus bois sans lumières. La Neva gigantesque qui ne se fige pas seulement devant la forteresse Pierre et Paul à la bouche du golf de Finlande mais en amont d’une ville gigantesque ou Petrograd existe encore. Il faut le voir pour le sentir ….On peu évoquer l’immense Sibérie, mais c’est une autre chose que d’y avoir circulé. Sylvain Tesson et son axe du loup font taire les voyages en chambre.

La peinture de paysage laisse la part belle au ciel et ses nuages changeants. La forêt, les bouleaux, les isbas et datchas dans une neige aux ombres bleues sont une poétique de l’hiver.

 

isaac Levitan 1

Le Lac Russie 1900 Dernier tableau inachevé  Isaac Levitan

 

 Après la pluie, Plyos » 1889;

  Après la pluie, Plyos  1889     Isaac Levitan

 

 

isaac

 

 

                                  

Tranquille Monastère 1890 Isaac Levitan

 

 


Le printemps et l’automne éclatent de couleur, la terre parle comme le peuple. Ils sont intimement liés par un contrat séculaire de vie.

 

 

 


« Après la pluie, Plyos » 1889;« Tranquille Coenoby (monastère) »1890; « L’appel du soir » 1892; d’Isaac Levitan sont des chefs d’oeuvres peu connus en Europe.
 Le ciel, l’eau, la végétation vibrent à l’oeil dans une étonnante immobilité. Comme une musique déclenchant un flot de sentiment, le sentiment de ce qui a été submerge l’âme du spectateur en lui révélant une présence toujours active. Toute l’éternité de l’immensité russe est là dans un instant, un moment d’incarnation fixé sur toile, l’air y souffle, l’oeil s’y fige et l’esprit voyage dans le temps et l’espace.
L’école de Barbizon s’est magnifiquement illustrée en créant ce genre de peinture d’extérieur et cela avec beaucoup de grâce mais la puissance de l’esprit ne l’a pas autant transfiguré. De l’anecdotique poétique, Levitan en fait une épopée mélancolique vivifiée par l’ "âme russe ".

Izaks-Levitans


Isaac Levitan est né à Kybartaï, dans l’apskritis de Marijampolé en Lituanie, mais il est russe dans toute sa fibre artistique. Il appartient au groupe des Ambulants.  Malheureusement il meurt trop tôt en 1900 à l’aube de ses quarante ans. Si Repine fut très lié à Tolstoï, Levitan lui, fut l’ami de Tchekov et de Pavel Tretyakov. C’est ainsi que que l’on retrouve à la Galerie Tretyakov une succession de paysages époustouflants qui montrent une vision synthétique de la nature que l’on pourrait mettre en concordance symétrique et opposé à Ilya Repine. Lui qui fut un peintre de la figure humaine, un remarquable portraitiste touchant avec autant de sensibilité la psychologie des visages est à l'inverse de Levitan qui extériorise le sentiment panthéiste d’une nature mystique.

 

 

De l’Ukraine à la Lituanie, les sentiments forts d’une appartenance collective à une « âme russe » une « âme slave » si l’on préfère, existent toujours. Il faut pour s’en convaincre regarder la peinture de Denis Gorodnichiy, peintre d’extérieur ukrainien. Il s’inscrit dans une veine « impressioniste » si ce mot veut dire encore quelque chose. Gorodnichyi peint par touches larges, avec des empâtements aux couteaux, à la brosse dure, des paysages baignant dans la lumière, l’eau, la forêt, les arbres.

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Denis Gorodnichiy

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https://www.instagram.com/denisgorodnichy


Une église orthodoxe apparait quelque fois, une maison paysanne projette ses ombres de chaumes sur son flanc, l’eau miroite même à faible profondeur. La neige est particulièrement épaisse. Elle est d’une poudre couverte des traces plus blanches à l’orée d’ombres bleutées, le crissement s’y entend, les pas s’y enfoncent, les arbres la strient de leurs silhouettes. C’est saisissant de violence en vision rapprochée, c’est saisissant de calme et d’éternité en vision lointaine.
 Denis Gorodnichiy déstructure les paysages lissés des peintres du Nord comme Peder Mønsted ( 1859 1941) ou de l'école russe comme celle d’Apollinariy Vasnetsov ( 1856 1933 )…S’il n’atteint pas la précision d’ Ivan Shishkin ( 1832 1898 ) qui est le maitre du paysage russe, c’est que son oeil est différent; il est même « difractant ». Il peint la neige en volume, en surcharge et structure le blanc de titane au couteau à palette. Les formats sont souvent exceptionnellement petits, la puissance en est alors décuplée …L’ « âme russe » transparait dans le « floconnement » des nuages, dans le scintillement d’un soleil rouge, dans le balancement d’un chardon et la contre plongée sur la vallée qu’illumine une fin d’automne aperçue dans la trouée des frondaisons.


La peinture de paysage est un médium pour atteindre la peinture pure comme Soulage la cherche depuis plus de soixante dix ans. Le paysage est une façon d’agencer des masses dans une beauté formelle. Une abstraction de la réalité, une macro-vision qui se recompose avec la distance, qui crée une image dans l’image, visible par tous et compréhensible par tous …C’est la peinture totale qui se forge dans notre monde terrestre.


CHENES SISHKIN

"Etude de Chêne " inachevé 1887  Ivan SHISHKIN





Capture d’écran 2021-11-12 à 11

"Chênaie"  1887  Ivan SHISHKIN Musée Russe Kiev





















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