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FLORIDUM MARE................................

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FLORIDUM MARE................................
8 février 2025

MOI CULTUREL

 

La fascination unique que la Chine semble exercer sur tous ceux qui l'abordent pourrait en un sens se comparer à l'attraction qui rapproche les sexes: elle suscite en effet toute une luxuriante imagerie qui suggère une romanesque touffeur de magie et de mystère, mais elle repose en fait sur une réalité élémentaire — du point de vue occidental, la Chine est tout simplement l'autre pôle de l'expérience humaine.

Toutes les autres grandes civilisations sont soit mortes (Égypte, Mésopotamie, Amérique précolombienne), ou trop exclusivement absorbées par les problèmes de survie dans des conditions extrêmes (cultures primitives), ou trop proches de nous (cultures islamiques, Inde) pour pouvoir offrir un contraste aussi total, une altérité aussi complète, une originalité aussi radicale et éclairante que la Chine.

C'est seulement quand nous considérons la Chine que nous pouvons enfin prendre une plus exacte mesure de notre propre identité et que nous commençons à percevoir quelle part de notre héritage relève de l'humanité universelle, et quelle part ne fait que refléter de simples idiosyncrasies indo-européennes.

La Chine est cet Autre fondamental sans la rencontre duquel l'Occident ne saurait devenir vraiment conscient des contours et des limites de son Moi culturel.
 

 

Simon Leys 1987.   L’exotisme de Segalen

In l’humeur, l’honneur, l’horreur, essai sur la culture et la politique chinoise, 1991

 

 

16 décembre 2024

EARTH TO MOON ou l'ombre du père

 

“Something I have often grappled with, which became the impetus for the book,

was this idea of, is genius worth the collateral damage it can do to a family?” 

Moon Unit Zappa

 

La parution le 20 août dernier en Californie  d’ « Earth to Moon - A memoir » par les éditions Dey Street Books suscita à Los Angeles de nombreux commentaires et recensions assez critiques sur les réseaux.

Ces « mémoires » de la fille ainée du compositeur Frank Zappa sorties également à Londres neuf jours plus tard chez Whiterabbit édition, furent commentées avec intérêt, des micros lui furent tendus et Moon Zappa fut invitée à parler d'elle même et de son livre sur les plateaux de différentes chaines du Net.. En France, ce fut le grand silence, si ce n’est un petit article sur un blog dépendant de Mediapart où sympathiquement l’auteur, fan de la première heure, nous raconte ses concerts et son entrevue avec le musicien disparu en 1993 … La  sortie du livre en français chez Hachette, se fera peut être prochainement, vraisemblablement dans un an.


Le Los Angeles Time y consacra deux articles très documentés, à consulter ici:  Marc Weingarten et Zan Romanoff. Ils sont assez marqués par l’intérêt actuel que suscite une relecture féministe rétrospective d’une libération de moeurs liée à un certain progressisme passé. Le nom de Zappa est très familier parmi le microcosme de la scène musicale angelinos.

C'est donc un témoignage d’une femme actuelle sur sa vie de jeune fille, à l’ombre d’un père extrêmement connu ainsi qu’écouté durant la glorieuse période des années soixante-dix/ quatre vingt avec tous les excès de la scène rock californienne..
Livre de souvenirs et de confidences avec un parfum de règlement de compte, écrit en complète liberté après la disparition de ses parents et la dispersion de ses frères et soeur.

Un récit en hommage à la jeune fille qu’elle a été. Jeune fille écartelée, malmenée, trainant pendant de nombreuses années un sérieux mal être. Un essai de thérapie personnelle.
 Elle est aujourd’hui une femme adulte presque guérie de ses tourments. Mère et divorcée, elle regarde son enfance et raconte le quotidien d’une enfant au sein de ce que certains pourraient appeler une « famille dysfonctionnelle ».

Un témoignage de l’autre côté de la façade publique que Le Guardian et Le Times au Royaume Uni couvriront aussi généreusement, ce qui montre qu’il ne s’agit pas uniquement de « presse people » mais d’un chapitre d’ une saga familiale que les californiens ont découvert à la mort de Frank Zappa en décembre 1993.  Est-il utile de rappeler qu’il fut un auteur compositeur musicien de renommée internationale, brillant par son éclectisme et ses multiples et prolifiques directions musicales?  Un commentateur sulfureux de la société américaine, un artiste poil à gratter de l’administration Reagan ancien gouverneur de Californie ?  Sa mort à cinquante deux ans d’un cancer de la prostate jamais soigné fut très médiatisée. Les interviews lors de sa phase terminale alors qu’il était chez lui sur les hauteurs de Laurel Canyon à Los Angeles frappèrent les esprits par leurs cruelles réalités.  Sa veuve Gail Zappa géra pendant 22 ans son héritage musical en sortant un grand nombre de disques posthumes jusqu’à sa propre disparition en 2015.

MOON UNIT Paperback

Comment vivre dans une famille de la freaks nation?  Que se passait-il dans le quotidien de cette effervescence du « summer of love » beatniks des années soixante à Los Angeles?  Avons nous vraiment conscience du bouleversement opéré par la scène musicale californienne sur l’américaine way of life?


 Once upon a time in Hollywood
 Once upon a time in L.A
Once upon a time in Laurel Canyon…..
La fille ainé de Frank Zappa se libère dans un livre cathartique.

 

 La charge psychologique est élevée. Les traumatismes cachés remontent à la surface et apparaissent comme des bleus que la parole publique doivent panser et soigner
 « Earth to moon » est le nom d’une mise en demeure d’obéir lancée par sa mère, Gail, qui est la première marche descendante vers la base de ses tourments. Moon Unit utilise ses carnets, son « personal diary » ce journal intime où ne sont consignés prioritairement que ses déceptions, peines et injustices ressenties ..sa mémoire traumatique est étayée par les notes prises jour après jour dans un petit carnet de cuir à tranche dorée offert par ses parents.

 Après la charge libératrice contre sa mère effectuée dans les premiers chapitres suivent l’amour/fascination et le ressentiment/déception contre son père trop tôt disparu puis viennent l’éloignement et le regret de l’absence de ses frères et de sa soeur dans la difficile gestion du patrimoine commun.

Captive de l’amour qu’elle porte néanmoins à sa famille, Moon écrit pour s’expliquer elle même, se purger de ses troubles psychologiques, de sa difficulté à vivre. Un travail intérieur pour essayer de retrouver une estime de soi vacillante…., « As a gift to myself » écrit elle dans sa préface. Un « cadeau à elle même » que son premier livre assez oublié intitulé« America the beautiful » paru en 2000 n’avait pas contentée. Ce premier roman a clefs, très proche de son existence d'alors, était déjà une tentative de thérapie par l’écriture mais l’impact en avait été très atténué par la présence de sa mère toujours vivante, gardienne Vestale-Manager du trésor paternel. Lui qui, étrange paradoxe, disait ne pas croire à la postérité pour lui même alors qu’il gardait à la manière compulsive dans la crypte aux archives appelée « the Vault » chaque films et enregistrements de ses concerts et compositions. Énorme et écrasant héritage du père génial, mondialement célébré comme un musicien hors norme et adulé par un aréopage de « fans » dans le monde occidental…Transgenre des courants musicaux, du Rock au Jazz jusqu'à la musique contemporaine internationale.
Le journaliste français Alan Dister est l’un des premiers à raconter sa rencontre en 1966 avec cette drôle de communauté, cette sorte de phalanstère que constituait le groupe appelé « The Mother of Invention » perché au dessus d’Hollywood dans les eucalyptus et les pins de Laurel Canyon, quartier de Los Angeles… La lecture de ce témoignage campe bien le décor et l’ambiance de cette année 1967, date de naissance de Moon Unit Zappa, fille de Gail Sloatman et de Frank Zappa,  fille ainée d’une future famille de quatre enfants.


Le livre comporte deux grandes parties : « Earth » 1967 -1993 et « Moon »  1993 - 2024 sudvisées en trois parties contenant les chapitres.  Ils relatent son existence dans ce bain de réelle marginalité qui la marquera à vie.

"The saying goes that God only gives you what you can handle. Well God didn’t grow up in my atheist, Wiccan, fame-laden, oversexed, teetotaling, drug-free, cloistered, chaotic, non-communicative, workaholic, feral-feeling house"

Le dicton dit que Dieu ne vous donne que ce que vous pouvez gérer » Eh bien, Dieu n'a pas grandi dans ma maison athée, wiccane, pleine de célébrité, obsédée par le sexe, abstinente, sans drogue, cloîtrée, chaotique, non communicative, accro au travail et à l'esprit sauvage.

Hot Rats


A quel moment s’est elle rendue compte que son père était une « Rock star »?  Qui étaient tout ces gens tout nu au soleil dans le jardin?  Comment la liberté totale de moeurs revendiquée peux-t-elle être soluble dans la famille? Pourquoi une inconnue, une femme neo-zélandaise aux seins nus habite dans la maison et couche avec mon père au sous sol ? Pourquoi ma mère est-elle si colérique, violente et exaltée en rupture avec sa propre famille et délirante d’occultisme, de mysticisme pseudo oriental alors que mon père chante le scepticisme sarcastique en commentaire social satirique?

Puis vinrent les absences car les tournées musicales laissent de longs mois la maison vide aux seules mains de la mère omniprésente au trop fort caractère.
 La suprématie affective de la mère sur le fils enfant roi Dweezil, reléguant sa soeur ainée au statut d’aidant ménager puis en baby-sitter pour les suivants est cruellement ressenti. L’acné devient bientôt un problème, la peau se révolte, les premiers amours ne sont pas à la hauteur des espérances ..Qui m’aime? Est-ce que l’on peut m’aimer?  Pourquoi les regards se retournent vers mon apollon de frère, mon génie de père, ma tyrannique de mère et pas sur moi? Quelle est ma place?

 

FZ et Gail Zappa

“What do you do when your mother is your first bully?”    “When you come from that kind of emotional trauma, the only thing you can think about is escaping.”

« Que faites-vous lorsque votre mère est votre première harceleuse ? », « Quand vous sortez de ce genre de traumatisme émotionnel, la seule chose à laquelle vous pensez est de fuir. »


“Something I have often grappled with, which became the impetus for the book, was this idea of, is genius worth the collateral damage it can do to a family?

« Quelque chose avec lequel je me suis souvent débattu, et qui est devenu l'impulsion du livre, était cette idée, le génie vaut-il les dommages collatéraux qu'il peut causer à une famille ? »

Moon à droite

Ces mémoires laissent place, après le cahier d’enfance, le « journal » tenu par une petite fille, à des souvenirs de jeune adolescente qui en première position en tant qu’ainée subie tous les chocs émotionnels et éducatifs généreusement prodigués par une mère trop présente et instable. 

Cette mère qui refuse qu’on l’appelle maman semble dans un premier temps écrasée par la notoriété de son mari qui , avec son groupe Les Mothers of Invention, tourne de long mois dans le monde entier, Gail Zappa gère la maison d’une façon pour le moins chaotique. Moon se décrit comme le supplétif de sa mère entièrement tournée vers le confort domestique et professionnel de son mari. La place du fils Dweezil, devient prépondérante, les deux enfants suivants polariseront également l’attention à son détriment. La place de l’ainé devient de plus en plus difficile lorsque l’on a un caractère doux avec une demande affective forte.
 La musique prime avant tout et lorsque le père absent revient de ses nombreux voyages, il disparait la journée entière pour dormir car il travaille toutes les nuits dans son studio situé au sous sol de leur « complexe » de Laurel Canyon.

L’oeuvre est à l’oeuvre ...Tâche que l’on ne s’imagine pas être effectuée sans sacrifices sur la contingence que représente la « vie de famille ».
La maison tentaculaire est constamment en travaux nous dit-elle. La vie collective des années soixante ayant laissée le pas à la solitude du vedettariat. Gail s’investit et devient une « femme d’affaire » foutraque et omniprésente, elle est la seule à avoir un permis de conduire, elle circule en Rolls Royce et gère le business de leur compagnie de production  ..Barking Pumkin Record ( une description amusante de la grosse dame à lunette aboyant au téléphone qu’elle est devenue… la jeune et jolie jeune fille des premières photographies ayant disparue, il s’agit maintenant d’une matrone hippie-chic autoritaire qui fume )

Gail Manager

 


L’anecdote est touchante, Moon qui est presque adolescente, raconte avoir toujours eu la capacité à imiter des voix et des accents. Son ressort comique à l’école était de se moquer du ton assez trainant et pointu des filles très bourgeoises qui habitaient dans la vallée de San Fernando …elle fit donc rire son père avec ce genre d’imitations et ce drôle d’accent.  Un soir toujours très en demande vers ce père adulé mais vivant à part de la maisonnée, elle glisse sous la porte de son studio une petite lettre de candidature spontanée :

{ Cher Papa, Salut j’ai 13 ans, mon nom est Moon. Jusqu’à maintenant j’ai essayé de me tenir à distance lorsque tu enregistrais. Néanmoins j’en arrive à la conclusion que j’adorerai chanter sur ton disque, si tu voulais bien. J’ai plutôt une jolie voix. Pour plus d’informations contact mon agent Gail au 6504847. Je suis d’une manière générale joignable jour et nuit. J’adorerai faire mon « accent d’Encino » ou mon « accent dood surfer » A plus!  Dood Love Moon XXX }

Le flash Valley Girl

Et c’est ainsi que Moon permit a son père d’avoir un « hit dans les charts » avec la chanson « Valley Girl » qui eu un succès incroyable dépassant les cercles habituels dans lesquels Frank Zappa avait son audience. Le succès amena la jeune fille devant les caméras et devint « connue » …Ce qui n’arrangea paradoxalement pas ses relations familiales.

 

Moon Zappa et son père - Show Tv 1982


Le regard posé actuellement sur cette campagne d’interviews et Talk-show promotionnels jusque sur la côte Est semble toujours très douloureux pour elle. Utilisée et déboussolée, elle en garde un goût amer. Elle tenta d’utiliser cette jeune notoriété pour devenir actrice mais rétrospectivement pense que cela l’a desservie et l’a empêchée de faire des études. Elle se souvient d’avoir été totalement inconsciente quand à la possibilité de faire autre chose que du show business. Son témoignage se poursuit; les années passent, les révélations de ses difficultés d’existence sont de plus en plus criantes, elle en a une conscience aigüe. Le quotidien familial s’estompe au fil des pages au profit de sa vie personnelle qu’elle détaille avec beaucoup plus d’introspection.
Ses difficultés avec les garçons, le souci constant de sa peau hyper acnéique lui rendent la vie douloureuse. Elle se livre sans détours avec une franchise quelque fois déconcertante. Il manque néanmoins certainement certains événements comme son nez changeant. Passons.

A l’image de la mère bien écornée dans les premiers chapitres succède la description de certains moments où son père se retrouve lui aussi dans des positions peu avantageuses. Même s’il faut faire un petit effort mental pour se placer dans l’esprit du début de années quatre-vingt, le dysfonctionnement de la famille est criant. L’épisode de la comédie musicale new yorkaise « Cats « est assez significatif. Très heureuse d’être emmenée à New York par son père assister avec son jeune frère au Musical « Cats »à Broadway, elle se rend compte que ce n’est pas uniquement pour leurs contentements mais bien pour passer une nuit dans la chambre mitoyenne de leur hôtel avec une des danseuses rencontrée précédemment …la sexualité du père est débridée et débordante…Elle n'en dormira pas .


Son frère Dweezil est assez présent dans ces mémoires lors des passages concernant leur adolescence. Vexations, admirations, compétitions nagent en eaux profondes sur l’écume de l’amour fraternel, la complicité, l’espièglerie de deux adolescents dans la marge des projecteurs éclairant le père. La suite des événements est plutôt vide de toutes allusions à ses deux frères et à sa petite soeur Diva…

New York 1982 Dweezil & Moon


La maladie déclarée de son père est un choc avec le réel, la famille se retrouve, se rassemble autour de lui ..Mais la mort arrive en 1993. C’est pour tous une épreuve absolue.

Moon en parle avec beaucoup de tendresse et de tristesse. Le récit très touchant des derniers instants du père ( chapitre 48) la place encore dans une sorte d’à côté familial « Even in my father ’s death I feel like an outsider » ce drame est poignant.  Il semble que la toilette des morts peut être effectuée par les familles. Moon (qui à 26 ans) et sa mère ont lavées le corps avec de l’eau et du savon et l’ont habillé d’un pyjama noir en soie. La description des actions thanatopraxiques est étonnante de la part d’une jeune fille face à son père défunt ..
 Mais ce séisme familial fracture de plus en plus l’unité de façade préservée par la maladie. Les problèmes d’argent, l’absence de testament amplifient l’attitude et le caractère volcanique de la mère…Cela donne des pages douloureuses d’acrimonies…conflit mère fille sans espoir.

Style années quatre-vingt


Puis vint la période d’éloignement, elle raconte ses joies et ses difficultés lors de son mariage et de sa maternité…

Ses espérances professionnelles, son parcours de yogi, sa vie loin de Los Angeles…la famille se fait de plus en plus lointaine…. Ces frères sont de plus en plus absents du récit, sa soeur également, pour finalement à peu près disparaitre…La famille ne se retrouve qu’à travers les contacts toujours délicats avec sa mère...la lutte pour devenir ce que l’on voudrait être.

Les dépenses somptuaires de sa mère alors qu’elle ne vit qu’ avec l’argent gagné avec ses cachets d’actrice de série télévisée (elle vit enfin comme tout le monde)

La société Parking Pumpkin Records semble prospère, Ahmet son deuxième frère aide à gérer le catalogue, Dweezil joue de la guitare et sort des disques de ses compositions.

De Diva la dernière ? On ne sait pas précisément ..elle devient styliste et couturière..aucun des enfants n'ont fait d'études.
Mais la situation financière se révèle tout autre …les déficits sont énormes..Les enfants sont mis face à ces réalités par une mère aux abois.
  La maladie de Gail ,atteinte d'un cancer, est l’occasion de se rapprocher et de trouver enfin la paix espère-t-elle .. Gail est alitée chez elle, dans la chambre même où son mari est mort. La fille aimante s’affaire en aide soignante, ce dévouement lui font espérer une réelle communication, une preuve d’amour réciproque... mais une fois de plus, cela ne se passera pas ainsi.

Gail décèdera en 2015,
Moon vivra le testament de sa mère comme une trahison, les deux ainés seront minoritaires dans la société qui est donc aux commandes des deux derniers enfants. Ils en assumeront seul la gestion et les retombées financières. …Les deux ainés, ceux qui ont joués et chantés avec leur père, sont écartés...incompréhensible trahison posthume de leur mère ....

Les journaux s’emparent de cette cruelle injustice, les déclarations et imprécations dans la presse et sur les réseaux creusent le différent entre les deux ainés Moon et Dweezil et les deux derniers Ahmet et Diva .
La situation financière les place dans l’obligation de vendre la maison pour couvrir les dettes ( environ 5 millions de dollars) creusées par leur mère. La maison sera vendue à Lady Gaga pour 5,25 millions de dollars. Elle sera de nouveau mise en vente peu de temps après et acquise par Lizzy Jagger pour 6,45 million de dollars…

 

Why parent does this? What mother does this? What the fuck did I do? What mother chooses some kids over others? What mother wishes unending love and peace and belief and resources and creativity and total empowerment ans divides a family into a Them and an Us, into a hateful before and an even worse after? What siblings allow that? Who are these people?

Pourquoi les parents font-ils ça ? Quelle mère fait-elle ça ? Qu'est-ce que j'ai foutu ? Quelle mère choisit certains enfants plutôt que d'autres ? Quelle mère souhaite un amour et une paix sans fin, des croyances, des ressources, de la créativité et une autonomisation totale et divise une famille en un Eux et un Nous, en un avant haineux et un après encore pire ? Quels frères et sœurs permettent cela ? Qui sont ces gens ?

La lecture d’Earth to Moon n’est pas uniquement réservé à ceux qui ont les deux pieds dans le monde Zappa mais cela peut très fortement aider à y trouver un intérêt supplémentaire. Il y a donc plusieurs niveaux de lecture.
Les articles du Los Angeles Times glisse de la pure "Gossip Press" vers un début de lecture woke des comportements habituels de la Jet-Set musicale des années 1970. La libération sexuelle, le Flower Power, la Rock’n Roll attitude, les drogues, la communauté inégalitaire musiciens/groupies. Un pre#MeToo face à la domination masculine cachée dans les oripaux du Yippies contest…Une sorte de machisme Rock, une symbolique sexuelle amenant la soumission féminine inconsciente à la libération des moeurs et des attitudes …La disparition de la pudeur bourgeoise et sur-valorisation de la sexualité facile et épanouie font un Woodstock des esprits.  Transformation nécéssaire mais certains y sont des dominants d’autres des dominés sans regard de genre.....Les femmes y trouveront aussi un espace de liberté et d'émancipation ..Les GTO's (Girls together Outrageously ) en sont une preuve.

Il faut lire aussi, avec intérêt, le témoignage de Pauline Butcher   « Freak out, My life with Frank Zappa »

« Do you think if we fucked, you could still work for me as my secretary?" Zappa asked. »

 

Le deuxième niveau de lecture est plus « Zappatophile" cela nous amène au site Wiki zappa Jawaka avec ses 5 830 articles concernant la vie, la musique et l’époque de Frank Zappa. Le livre de Moon Unit en est un témoignage de plus, même périphérique.

Them or Us -  The book


Ceux qui savent et ont lu entre les lignes les nombreuses biographies du musicien ainsi que sa prose elle même, n’auront dans ces mémoires / témoignages que la confirmation de bien des choses subodorées par la connaissance des paroles et des événements des tournées du groupe . Les commentaires satirico-sociaux et les "privates jokes" sont éclairants.

 

Les deux frères, Dweezil le guitariste et Ahmet le chanteur, sortirent deux disques chez Zappa Records sous le nom « Z »:  «  ShampooHorn » en 1993 et « Music for Pets » en 1995.

Des tournées auront lieu ( concert mémorable au New Morning à Paris en juin 1993)..Les musiciens de studio seront les remarqués Terry Bozzio, Mike Kenealy, Scott Thunes, Brian Beller et Joe Travers qui lui sera bientôt l’archiviste du catalogue sorti du « Vault », le coffre fort des archives musicales de Frank Zappa.
 Ces deux CD (absents de Spotify et à soixante euros sur Amazon, seul le premier disque est sorti en vinyle, il est aujourd'hui est à 595€ pièce ! ) sont un lointain souvenir du temps où les frères étaient proches..Dweezil reprendra  en tournées la musique de son père en la faisant vivre avec de nombreux musiciens de talents tout autour du globe….. Alors que son frère lui, gérant le stock, sortit pour le compte du Zappa-Family-Trust de nombreux albums posthumes toujours plus nombreux au risque de la re-dite.

En duo avec son fils ( Écran et musique Live )


Puis vint la discorde, une menace de procès concernant les droits et la gestion du nom même de Zappa verront le jour en 2016.
« This month, the Zappa Family Trust, which owns the rights to Mr. Zappa’s music, informed Dweezil that he did not have permission to tour as Zappa Plays Zappa — the name is a trademark owned by the trust — and that he risked copyright infringement damages of $150,000 each time he played a song without proper permission. »

« Ce mois-ci, le Zappa Family Trust, qui détient les droits sur la musique de M. Zappa, a informé Dweezil qu’il n’avait pas la permission de faire une tournée sous le nom de Zappa Plays Zappa — le nom est une marque déposée appartenant au trust — et qu’il risquait des dommages et intérêts pour violation de droits d’auteur de 150 000 $ chaque fois qu’il jouerait une chanson sans autorisation appropriée. »

Si Dweezil joue la musique de son père et utilise son nom, il lui sera donc demandé des royalties par son propre frère!  Dweezil réagit violemment par voix de presse et change le nom de ses tournées « Zappa plays Zappa » en Dweezil zappa plays whatever the fuck he wants-  the Cease and Desist Tour  ( NYT-plus d’informations ici )
La rupture est donc complète depuis la mort de Gail. L’inégalité de traitement évidente par la disparité des parts attribuées et acceptées par Ahmet et Diva amène à la séparation des enfants.
Moon le vit avec douleur,(Cf: Pourquoi les parents font-ils ça ? Quelle mère fait ça ?), Dweezil menacé d’un procès se défend sur les réseaux et estime que lui seul fait prospérer la cause et porte l’héritage , Ahmet se justifie et clame sa fausse bienveillance en jouant les chefs d’entreprise (bizness is buisness) , Diva se fait de plus en plus discrète en faisant du tricot quelque part…Plus aucun des enfants ne se parlent ..bien que Diva et Ahmet aient certainement des contacts ne serait-ce que par le trust qu'ils gèrent à deux.

L’histoire de l’accord concernant le catalogue Zappa détenu par le Zappa Family Trust et UMG (Universal Music Group ) est aussi une péripétie à long terme commencée par Gail pour faire entrer la musique de FZ dans l’ère numérique. En 2022, les quatre enfants signe un accord pour la gestion complète du catalogue ( musique, images et films ) de leur père  par Universal.. les termes de cet accord ne sont pas publiques et la possible réconciliation ne dure que le temps de la signature.


In a public letter posted on Facebook, Moon opened with the heading, “Things my mother taught me,” and continued: “What’s yours is mine. What’s mine is mine. Your father is mine. What was his was mine. Who he was was mine.

”Dans une lettre publique publiée sur Facebook, Moon commence par le titre « Ce que ma mère m’a appris » et poursuit : « Ce qui est à toi est à moi. Ce qui est à moi est à moi. Ton père est à moi. Ce qui était à lui était à moi. Ce qu’il était était à moi. »

Aujourd’hui le livre de Moon fut annoncé sans aucuns commentaires de la part de ses frères ni de sa soeur.  Ils ont néanmoins via la presse et les réseaux, dit qu’ils ne l’avaient pas lu car elle ne leur avait pas envoyé de copie avant sa parution …Elle répond qu’ils ne l’ont pas demandés….


«  None of her siblings has read it yet. They say she didn’t offer them a chance to see an advance copy.She says they didn’t ask.Will it be yet another occasion for hurt feelings and misunderstandings within a fragile family?
Moon is more optimistic. “My book is an invitation,” she says, “to explore the complicated dynamics together »


Malgré tout Moon est optimiste:
"Mon livre est une invitation pour nous comprendre…dit elle"

La fin du livre s’achève avec le chapitre 70 qui est court, très court …

en voici la transcription :

« I compose a group text. I add contact, add contact, add contact, knowing I don’t require a reply. Even though Frank never had a celle phone and Gail’s old number’s assigned to another user , I mentally add my dead parents as I thumb-type five words to my living siblings. Before I press send, I picture them all healthy and happy and whole. I see Dweezil and Ahmet and diva receive these words and smile. I say the words out loud to myself and presse send.
All is forgiven, I say. Come home
Delivered, It says back »


Je compose un groupe SMS. J'ajoute un contact, j'ajoute un contact, j'ajoute un contact, sachant que je n'ai pas besoin de réponse. Même si Frank n'a jamais eu de téléphone portable et que l'ancien numéro de Gail est attribué à un autre utilisateur, j'ajoute mentalement mes parents décédés tandis que je tape cinq mots avec mon pouce à mes frères et sœurs vivants. Avant d'appuyer sur envoyer, je les imagine tous en bonne santé, heureux et entiers. Je vois Dweezil, Ahmet et Diva recevoir ces mots et sourire. Je prononce les mots à voix haute pour moi-même et appuie sur envoyer.
Tout est pardonné, dis-je. Rentre à la maison
Livré, dit-il en retour »

Moon ne veut pas disparaitre de l’histoire de sa famille, Elle désire une place, sa place; elle veut aimé et être aimé par eux …elle appelle depuis si longtemps …Elle a fait le geste et nous demande, leur demande, de reconnaitre sa douleur ….

 

 

 

Moon to earth....

 

Dweezil 12 ans ...avec Moon 14 ans

Premier single :  "My mother is a space cadet"

co écrit avec Moon et Steve Vai.

1982

 

***

*

 

 

 

26 juillet 2024

HECTOR LEFUEL et la Salle oubliée

IMG_5354

 

A l’ombre dans une petite chapelle sans porte, le visage de bronze d’Hector Martin Lefuel s’enfonce dans le silence.
 Le réseau extrêmement dense de tombes architecturées de la 7eme division du cimetière de Passy cache la sépulture pleine de feuilles du grand architecte mort un soir de réveillon en 1880.

 

LEFUEL


L’oublié château de Neudeck, nous l’avons vu précédemment, fut l’une des ses grandes réalisations méconnues. Mais
Hector Lefuel fut avant tout l’homme du grand dessein. Les innombrables projets et tentatives laissèrent comme un sommet vierge cet objectif qu’un seul d’une longue lignée aurait le privilège d’en recevoir la gloire attachée à son accomplissement.
A la suite de ses pairs et maitres, Duban et Visconti, Hector Lefuel fut celui par lequel le Palais du Louvre retrouva le Palais des Tuileries.
Moment incomparable d’excellence, acmé architecturale qui rattache en un grand déroulé, en un unique quadrangle monarchique, les constructions de François Ier, Henri II, Charles IX, Henri II, Catherine de Médicis, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Napoléon Ier, Louis XVIII, La IIeme République et enfin Napoléon III.

Ce moment fut court, très court, trop court. Il fut malheureusement interrompu brutalement par l’incroyable décision de raser le Palais martyrisé par la Commune .
En 1882, la IIIe République adjugea, après enchères, la démolition de la vieille demeure des Rois à l’entrepreneur Achille Picard pour la somme de 33 300 Francs.

Lefuel acheva donc le grand dessein qui occupait les esprit depuis Henri IV. Les grands travaux du Louvre étaient en grandes parties terminés à la chute de l’Empire en septembre 1870.
 Le ministère Ollivier arrêta les travaux en février. Les derniers ouvriers quittèrent le site le 30 avril. L’agence Lefuel fut dissoute le 1er mai.
La République fut proclamée le 4 septembre.

il faut bien se représenter ce que l’agence Lefuel entreprit en l’espace de quelques années:
Achèvement du Nouveau Louvre 1854 - 1857.
Aménagement intérieur du nouveau Louvre 1857 - 1861
Les nouveaux appartement des Tuileries 1856 1860
Le Pavillon de Flore et la Grande Galerie 1861 - 1870

 

L1

L'ancien Louvre. Le pavillon de l'Horloge (ou pavillon Sully) et son aile gauche Louis XIII, à droite l'aile Henri II. Le Pavillon Daru à l'extrême droite n'est pas encore en travaux. Les façades et les pavillons historiques seront profondement remaniés et unifiés en 1856 . (Baldus 1854)

Lefuel s'engagea avec energie dans un chantier de construction et de transformation d’une ampleur gigantesque, reprenant les plans, les travaux en cours de son prédécesseur Louis Visconti brutalement mort dans son fiacre. Il fut retrouvé inanimé par son cocher au retour d'une inspection de chantier en 1853.
 Les chiffres donnent la mesure de la formidable organisation de l’agence Lefuel. Organisation pyramidale avec un bureau central de quarante neuf membres gérant des lots d’interventions assez autonomes constituant autant de chantiers différents. Les différentes tâches comprenaient les transformations des anciens bâtiments, les nouvelles constructions de la cour Napoléon et les travaux intérieurs du Palais des Tuileries. Chaque lots était dirigé par une équipe d’inspecteurs, de vérificateurs, de conducteurs de travaux et une armée de trois mille ouvriers. Le travail se poursuivait sans relâche autre que le jour du seigneur. Les techniques de construction ne peuvent aujourd’hui que nous impressionner aux vues des ces champs de pierre avec tombereaux attelés devant d'immenses échafaudage de madriers avec des engins de levage rudimentaires. La force animale et humaine étaient extrêmement sollicitées. Les accidents nombreux. Le budget se comptant en allocations de plusieurs millions de francs par sessions semblait illimité.

 

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Construction de la place Napoléon . Aile sud et Echafaudage du futur pavillon Denon. les galeries du rez-de-chaussée sont existantes. (Dimanche 24 mai 1854 Baldus)


L’organisation était le maitre de mot de l’efficacité déployée par les équipes menant ces chantiers parallèles. Lefuel fut secondé par des architectes adjoints de renom comme l’italien Marco Treves et l’américain Richard Morris Hunt qui lui, s’occupa plus particulièrement de l’aile Rivoli regroupant le pavillon de la Bibliothèque. Morris Hunt dessina ultérieurement la façade du Metropolitan Muséum de New York ainsi que le socle de la statue de la Liberté .

Le « Projet d’ensemble des travaux à exécuter tant au Palais des Tuileries qu’aux bâtiments et galeries qui le réunissent au Louvre, rédigé d’après le programme donné par l’Empereur » est présenté par Lefuel aux membres du Conseil.
Il s’agit de la  transformation complète de la physionomie du Palais du Louvre, comportant outre le travail sur les façades anciennes Henri II, la transformation du Pavillon Sully, mais aussi de la création des bâtiments de la cour Napoléon, avec les Pavillons Turgot, Richelieu, Colbert, Denon, Mollien ainsi que la destruction et la reconstruction de la grande Galerie du Bord de Seine comme du pavillon de Flore.
Les nouveaux bâtiments créant six cours intérieures ainsi que l’excroissance du Pavillon des Etats comme le travail de « placage  » c’est à dire le remplacement des anciennes façades devraient actuellement changer le regard porté sur l’art du Second Empire.

 

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Placage des nouvelles façades de la galerie de Diane aux Tuileries avec à droite, les échafaudages du pavillon de Flore.


 La critique rapide, facile de l’architecture du dix neuvième siècle montre une inconpréhension de cet art éclectique comportant une charge ornementale et sculpturale allégorique très importante. Il fonctionne par augmentatif, par rajouts et reprises de style. C'est une architecture privilégiant la continuité, l’intégration dans l’Histoire plutôt que la rupture. Il semblerait que la critique sans nuance de l'architecture du second Empire montre que le Louvre n’est toujours pas perçu comme un véritable Palais Napoléon III.

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L'ancien pavillon de Flore

Le « Gros Pavillon du bord de la Rivière » construit en 1607, puis dénommé Pavillon de Flore d’après un ballet donné par Louis XIV en 1669, fut remanié en 1787 suite à un incendie, puis transformé en Pavillon de « L’égalité » abritant  le comité de Salut Public en 1793. Bien que chargé d’Histoire, ce n'était plus qu'une ruine qui menaçait de s’effondrer dès 1850.


Le Pavillon de Flore fut donc démoli. Le 30 janvier 1861,  Hector Lefuel signale qu’une partie de la corniche de l’étage attique s’est écroulé. Une photographie montre le Pavillon en bien mauvais état avec un étai soutenant la face orientale. Il fut décidé de le détruire entièrement ainsi qu’une partie de la grande galerie pour tout reconstruire avec les mêmes proportions mais avec un décor différent, se démarquant de l’ordre colossal à grand pilastres cannelés.

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Cette photographie montre en 1861 l'état de l'angle sur la seine après la demolition de la grande galerie et du pavillon de Flore. A droite, la premiere travée du château des Tuileries, à gauche l'amorce du pavillon de la Tremoille. Dans l'ouverture pratiquée, l'ancienne cour des Comptes est visible de l'autre côté de la seine. Incendiée comme les Tuileries par la commune en 1871, le bâtiment sera remplacé par la gare d'Orsay. (Photo Baldus )

 

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Vue du chantier de la construction des guichets et du pavillon des Etats. Le dôme Médicis du chateau des Tuileries est visible par l'ouverture. Vue de l'ancien pont du carrousel d'Antoine Remi Polonceau dit pont aux "rond de serviettes" detruit en 1930. (Baldus Décembre 1865)


Carpeaux réalisa sur le tympan de la façade seine du pavillon son "Triomphe de Flore"… « Perdere aedificare » Détruire pour construire, tout changer pour que rien ne bouge, voilà la continuité d’une tradition, "Tradere " Transmettre avec apport et nouveauté…La controverse provoquée par le groupe sculpté par Jean Baptiste Carpeaux en est le témoignage manifeste. La nudité très réaliste du Triomphe de Flore fit jaser, de nombreuses protestations s’élevèrent au point qu’il fut envisagé de déposer la sculpture en cour de réalisation, d’autant que Lefuel contestait la proéminence du haut relief qui dépassait de l’alignement de la corniche.
« Un jour que le sculpteur, sur place, terminait son oeuvre en taille directe, il aperçut en-dessous de lui un bourgeois parisien en haut de forme qui se hissait péniblement sur les échelles de l'échafaudage. L'artiste allait l'admonester quand il reconnut l'Empereur. Celui-ci, parvenu sur la plate- forme, regarda longuement le haut-relief et déclara: " Que tout demeure en cet état ". La Flore avait triomphé (1). » La modernité dans la tradition aussi. 

 

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Echafaudage devant les groupes sculptés de J.B Carpeaux. Nouveau Pavillon de Flore


Les aménagements intérieures furent extrêmement pensés, élaborés et très éclectiques allant du dénuement total de la pierre brute ornée de sculptures reprenant en intérieur, une disposition extérieure comme pour l’escalier de la Bibliothèque (dit escalier Lefuel), l’escalier Denon ou les galeries du rez-de-chaussée jusqu’aux luxe débridé des grands appartements du ministère d’Etat (Ministère des Finances jusqu’en 1985 ) présentant un décor extrêmement riche et raffiné, regardé actuellement comme le paradigme du style Second Empire.  
La statutaire fut particulièrement mise à l’honneur. Plus de 300 sculpteurs et ornemanistes participèrent à cette ruche. Toutes les commandes passées furent honorées y compris les statues refusées ou annulées. Grands sculpteurs ou plus anonymes apportèrent leurs talents. La liste des archives Lefuel est longue de plus de trois cent noms. On y trouve aussi bien le futur opposant politique David d’Angers (qui ne travaille qu'en 1824 sur l’aile Est sous Louis XVIII ) que les grands statuaires du Paris Haussmanien comme de la IIIeme République triomphante: Dielbolt, Simar, Duret, Cavalier, Rouillard, Fremiet, Vilain, Pollet, Bosio, Bonnassieux, Carpeaux, Delaplanche, Dumont, Rude, Perraud, Cabet, Caïn, Carrier Belleuse, Jouffroy ..etc... la liste est immense comme le nombre des réalisations.

Louis Napoléon voulu avoir près de sa résidence impériale une grande salle d’assemblée pour réunir les corps constitués. En effet, la nouvelle constitution élaborée après la période dite « sans partage » du début de l’Empire donnait aux chambres un rôle à jouer dans la vie politique et législative. Formule parlementaire  « rationalisée » qui s’articulait en un « Le président propose, le Conseil d’Etat met en forme, le Corps Législatif vote, le Sénat vérifie la constitutionnalité » (2)

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Salle des Etats 


La grande salle dit « des Etats » fut achevée en 1857, elle n’est pas située comme on l'imagine dans le Pavillon des Etats appelé aujourd’hui Pavillon des Sessions. Celui ci fut construit en excroissance à la grande galerie et devait recevoir les chefs d’Etats étrangers (3); mais bien dans l’aile dite Denon qui regarde la cour Napoléon perpendiculairement à la Seine.

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 Montage anonyme  1859 (?)

 

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Salle des Etats avec le Trône Impérial  ( Première séance officielle le 7 février 1859 )


Cette grande salle recevait chaque année les séances législatives ainsi que des événements exceptionnels comme le banquet donné en l’honneur des généraux de l’armée d’Italie, le 14 aout 1859 ou la réception par l'Empereur des résultats du Plébiscite de 1870.


 Sa taille et disposition intérieure pouvait rassembler plusieurs centaines de personnes. Un grand balcon soutenu par des colonnes cannelées courrait le long des murs dont les hautes fenêtres donnaient sur la cour des Ecuries avec son somptueux fer à cheval donnant sur le manège (aujourd’hui cour Lefuel) et la cour Sud (actuellement Visconti) .
D’une grande hauteur de plafond, la partie supérieur des fenêtres étaient surmontées d’une série d’oculi de grands diamètres laissant le plafond glisser vers les murs en un effet de coupole surprenant. La gigantesque peinture du plafond fut confié au peintre Charles-Louis Müller qui réalisa en un temps record une très grande allégorie qu’il peignit sur une série de grandes toiles installées sur les mezzanines du palais de L’Industrie, transformées en atelier, mis à sa disposition en 1858.
Cette immense composition représentant «  La France Impériale protégeant les Arts, l’Industrie, les Sciences et la Religion. » était encadrées aux extrémités de la salle par le Triomphe des Empereurs Charlemagne et Napoléon Ier. Les photographes Edouard Baldus et Jean Pierre Lampué furent chargés de réaliser des clichés des peintures ainsi que du décor sculpté, le tout complété par une vue générale.
Baldus fut commandités pour suivre les travaux et constituer des archives iconographiques.

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 Porte Nord de la Salle des Etats -1859 Baldus. Toile en tympan de Ch-L Müller "Le triomphe de Charlemagne"


Les portes de la Salle des Etats étaient encadrées d' atlantes sculptés par Pierre-Jules Cavalier. Les photographies de Baldus sont les seuls témoignages de ces réalisations très remarquées pour leurs suaves nonchalances et dont nous n’avons pu trouver plus d'amples descriptions.

 La IIIeme République se vit contrainte de réaffecter cette grande salle à l’usage du Musée du Louvre.

De grandes transformations semblaient nécessaire à la présentation des collections de tableaux. Le plafond de Müller fut détruit et percé pour recevoir une verrière car l’éclairage naturel zénithal était la norme muséographique. Les décors rappelant l’Empire déchu furent détruit en 1886. Le réaménagement complet de la grande salle en galerie fit disparaitre jusqu’à son souvenir .…Les fenêtres furent bouchées, le balcon supprimé. Une large et lourde composition en corniche de staff fut édifiée. Reprenant le rythme des oculis, une série de médaillons représentaient les grands peintres français classiques.

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Salle des Etats fermée au public pendant l'Occupation


Ce large entablement encadrant une verrière vint couronner les murs couverts de tableaux de Maitres jusqu’en 1950. L’arrivée des Noces de Cana provoqua une nouvelle transformation pour mettre le décor plus en conformité avec le gout du jour. Les sculptures et arches furent détruites et laissèrent place à une grande frise à la grecque alors que le bas des murs recevaient des lambris peint en faux marbre.  Le parquet en point de Hongrie fut changé pour une coupe à l’anglaise.

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Salle des Etats 1950


En 1966, la Joconde supplanta Véronèse. L’épuration se fit plus forte. La corniche et les lambris furent démontés. Le parquet redevint en point de Hongrie. Le minimalisme décoratif atteint son point culminant avec la disparition de tout ornement pour la réouverture en 2005 de la salle des Etats pensé par Lorenzo Piqueras. La Joconde est présentée sur un grand panneau autour duquel le flux des touristes s’articule. Les Noces de Cana sont accrochées en pendant avec deux passages latéraux. Une nouvelle verrière avec" led" lumière du jour augmentée d’une climatisation parachève le dispositif généreusement financé par la Nippon Télévision Network. La muséographie est la mise en avant des oeuvres en organisant la disparition des entourages.

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Salle des Etats restructurée.


 La salle des Etats n’est depuis longtemps connue que sous le titre de Salle des Peintures Italiennes pour les visiteurs d'aujourd'hui quant au Japon, elle s’appelle là-bas tout simplement la " Mona Lisa Room".

 

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Salle actuelle 

le site de l'espace Presse du Louvre nous renseigne sur le parti pris décoratif:

"L’architecture de la salle imaginée par Lorenzo Piqueras, l’architecte-scénographe de la précédente rénovation (2001-2005) qui a été consulté à l’occasion de ces nouveaux travaux, a été préservée. Seule la teinte des murs a été repensée. Le parti-pris d’un ton bleu nuit renforce le contraste avec la richesse de la palette des grands maîtres vénitiens - les rouges, les jaunes, les orangés, les verts, caractéristiques de cette période, rehaussés par l’éclat des cadres dorés. Afin d’assurer la continuité avec les grandes salles rouges qui la voisinent, la nouvelle couleur est constituée d’un bleu très dense animé de subtiles variations noires. Les murs ont été travaillés de telle sorte que le visiteur ait une sensation de profondeur. "

 

Foule ...7 à 8 millions de visiteurs par an.


Les pierres parlent. L’architecture écrase le temps humain d’une vie, pour toucher physiquement nos descendants qui avec l’oeil et la main nous retrouvent hors de la mort. Ils nous regardent et nous jugent à l’aulne de l’élévation de l’esprit d’une époque qui a su et voulu laisser une preuve tangible de son existence ou de son non-existence dans l’Histoire .

 

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Notes

1 - G.Poisson  in « Quand Napoléon III bâtissait le grand Louvre » / 1994 Revue du Souvenir Napoléonien N° 393

2 - in Ph.Seguin Louis Napoléon le Grand  Grasset 1990 page 181

3-  Une excroissance symétrique comportant un théâtre était prévue sur l’aile Marsan. Le projet ne fut jamais réalisé.

Les photographies sont tirées du dossier du musée du Louvre "Le photographe et l'architecte" RMN 1995 et

de l'excellent blog d'Andrew Cusack (andrewcusack.com).

13 avril 2024

SUPREMA MATRIX COATLICUE

 

Serpents miroirs aux double crocs
Regard de coquillage aux orbites creux
Croisillons d’écailles en jupe et ceinture
Les paumes ouvertes, les coeurs palpitants
Tonantzin o Ilamatecuhtli notre mère
Ton sang nourrit le soleil et la terre
Ton ventre est la grotte primordiale
Pour le colibri gaucher, faiseur de lune
Huitzilpochtli le guerrier bleu.

 

 

Mexico.
Travail colossal en ce jour du 13 août 1790, un gros bloc de rocher empêche le terrassement de la nouvelle place voulue par le Vice roi d’Espagne.
 Les ouvriers n’en peuvent plus de remuer la terre chargée de cailloux, il faut maintenant détourer et accrocher au palan ce bloc énorme qui semble bien rugueux. Ils n’ont pas creusé profondément mais le nivellement de la place demande par endroit, là où il y a des canaux enterrés, de déblayer.
Ainsi à une faible profondeur, 1m 5o au plus, les pioches s’arrêtent sur cet énorme rocher. La dynamite minière n’existe pas encore …La terre est sèche et les blocs qui se désagrègent laissent apparaitre des mains et des croisillons …Une sculpture !  
Étonnement et consternation, les autorités sont prévenues.  Sans ralentir outre mesure les travaux, il est décidé de sortir ce rocher. Il n’est pas spécifié par une quelconque description si le bloc de 2 m 50 de long, d’1m 60 de large, d’1m 50 d’épaisseur fut sorti à la verticale ou à l’horizontale puis finalement posé ainsi.
Pesant 12  tonnes ( ou peut être 24 tonnes ? les fiches divergent), cette pierre volcanique du nom d' Andésite, magma calco-alcalin, très courante dans les Andes, fut hissée, tirée, tractée hors du chantier.
Débarrassée de la terre qui l’enserrait, la sculpture se montra en parfaite état.
Les indiens et métis présents lors de ces travaux reconnaissaient les premiers symboles visibles, les serpents entrelacés, les têtes avec dents crochues.
L’effet de ce mastodonte était évidemment très dérangeant en cette fin de XVIIIe siècle. La sculpture semble non seulement étrange mais effroyable car les serpents entrelacés ainsi que le collier de mains coupées et la tête de mort centrale font peur. Monstre ou démon, l’incompréhension est totale.
 Sauf pour le scientifique Antonio de Leon y Gama, qui décide le Vice Roi Revillagigedo de la faire transporter à l’Université Royale et Pontificale pour rejoindre la galerie des sculptures.

Cette galerie était constituée par une collection de reproduction de sculptures gréco-romaines, donnée par le Roi Charles III; le contraste fut violent. Les graciles figures aux canons de Phidias ou Praxitèle font faces au bloc cubique lourd et brutal de la nouvelle statue ornée de serpents et de têtes de mort. Les dominicains qui occupent l’université sont consternés. Si la beauté est fille du divin, la laideur est proche du maléfique. Une idole satanique au milieu de l’université pontificale!

 

Suprema Matrix
 

La tête de la sculpture consiste en deux grosses tête de serpents face à face, visibles recto verso. Les mains sont aussi des têtes de serpents…le pagne est aussi un entrelacs de serpents ..le ceinture est aussi un serpent noué avec comme grelot infernal, un crâne sur le devant et sur l’arrière!

Personne dans le collège pontifical ne sait réellement ce que représente cet énorme bloc sculpté. Mais les indiens regardent. Ils savent, ils ont reconnu un dieu, une déesse car sa poitrine est visible derrière le collier de mains tranchées alternées avec ce qui s’apparente à de grosses figues de barbarie appelées le nahuatl de nopal, issu du Cactus du même nom. Mais eux savent que cela représente des coeurs humains, ils ont gardés la mémoire des dons anciens... Déesse de la terre et du ciel, de l’infra monde d’où on l’a libérée.

Les offrandes nocturnes commence à entourer la statue et cela exaspèrent au plus haut point les dominicains qui pour cesser ce scandale décident de ré-enterrer la statue dans une des allées annexes de l’université. Elle n’est qu’à 50 cm de profondeur mais elle est ainsi soustraite aux regards. Personne ne connait son nom encore et le silence retombe sur elle. Elle ravivait les croyances anciennes, elle offensait la vision du beau dira plus tard Octavio Paz.

Quatorze ans plus tard, en 1804, une demande incongrue appuyée par l’évêque de Monterrey émane d’un grand savant allemand, Alexander von Humboldt, de passage à Mexico. Il demande l’exhumation du monument pour étude.
Humboldt est un naturaliste extrêmement éclectique qui effectue un voyage scientifique aux Amériques durant cinq ans.  Allant des confins des Andes jusqu’à Washington, il veut tout voir, tout étudier. Les Dominicains ne peuvent que s’exécuter. La statue déterrée est abondamment décrite et commentée dans ses écrits.

« Humboldt a joué un rôle important dans la redécouverte d’une statue mexicaine de grande valeur, qu’il étudie, dans ses Vues des Cordillères... comme une « Idole colossale, téotetl ou pierre divine des Mexicains ». (….) Grâce à cette deuxième exhumation, Humboldt peut alors décrire cette monstrueuse idole. Il s’aide des avis du chevalier Boturini et de León y Gama, et il suppose, tout comme eux, qu’il s’agit de la statue de Huitzilopochtli, ou bien de Tlacahuepancuexcotzin et de sa femme Teoyamiqui. Il en donne le nom actuel, en mentionnant que les Mexicains désignaient ce genre de statues, où les pieds et les bras sont cachés sous une draperie entourée d’énormes serpents, sous le nom de cohuatlicuye, vêtement de serpent ».
MINGUET, Charles. Alexandre de Humboldt : Historien et géographe de l'Amérique espagnole (1799-1804). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de l’IHEAL, 1969

Après le départ du naturaliste, que faire de ce monstre qui encombre le couloir de la faculté ? Il n’y a d’autre solution que de l’enterrer à nouveau, ce qui fut fait prestement.
En 1823 une autre demande d’exhumation est faite par William Bullock, antiquaire et naturaliste anglais, qui avait le projet de faire des copies d’oeuvres mexicaines pour une grande exposition à Londres. Il souhaite réaliser des moulages sur les trois grandes découvertes de 1790 . La statue est de nouveau sortie de terre puis le temps du moulage effectué, elle est à nouveau enterrée. L’exposition «  Ancient Mexico » aura lieu à l’Egyptien Hall de Londres en 1824.

Vue de l'exposition: La pierre du soleil au centre, Coatlicue est à droite devant la Pierre de Tizoc, le Serpent à gauche semble lui bien fantaisiste.


La statue commence à être connue et les Dominicains ne peuvent décemment plus la laisser hors des regards. La création du Musée National Mexicain en 1825 permettra sa dernière exhumation. Elle est très visitée et commentée. Le rapport de taille entre les humains et la déesse est explicite sur la photographie  du dramaturge espagnol Gregorio Martinez Sierra avec une amie devant la Coatlicue en 1930.  Alfredo Chavero,  pionnier des études pré-hispanique mexicaines fut le premier à reconnaitre la déesse à la jupe de serpent comme étant la déesse Coatlicue, la déesse mère, la Tonanzin qui est mère des dieux et des hommes, des astres et des fourmis, du maïs et de l'agave comme la décrite Octavio Paz. Elle est aussi celle qui mange la vie, se nourrit des cadavres. Elle dévore les fautes que l'on expie par un jeûne de quatre jours et des scarifications rituelles exécutés devant son effigie. Elle est déesse de la fertilité comme de la mort. Elle porte une jupe de serpent noués dont les têtes et cascabelles ( anneaux de la queue) sont finement sculptés.

G. Martinez Sierra 1930

Le codex de Florence de Bernadino de Sahagùn relate la naissance du dieu tutélaire des Mexicas, Huitzilopochtli.

Dans la Région de Tula près de la montagne de Coatepec, ce qui veut dire la montagne aux serpents, vivait Coatlicue ( Celle qui a une jupe de serpent). Elle était la mère de quatre cents fils, les Centzonuitznahua, ( 400 méridionaux) et d’une fille Coyolxauhqui ( Celle qui des grelots peints sur les joues). En balayant près de la montagne du serpent ..(Certain dise le temple ..) pour faire pénitence, une boule de plumes blanches tomba devant elle. Coatlicue la cacha dans son vêtement. Lorsqu’elle voulu la prendre, elle ne la trouva plus mais su qu’elle était enceinte.
Sa fille furieuse de la voir enceinte exhorta ses frères à la tuer leur mère car elle les avait déshonoré. Terrifiée, Coatlicue se réfugia au sommet de mont Coatepec. Alors que les Centzonuitznahua commandé par Coyolxauhqui revêtaient leurs parures de guerre prêt à la poursuivre, le fils que portait Coatlicue lui parla et la rassura. C’était Huitzilopochtli, le guerrier colibri, dieu du soleil et de la guerre. Un des Uitznahua trahit ses frère et le renseigna sur le moment de l’attaque. Lorsque en haut de la montagne Coatlicue fut attaquée par ses enfants, le jeune guerrier Huitzilopotchli naquit tout armé, avec à son pied gauche une sandale de plumes, il brandit son xiuhcoalt, le serpent de turquoise très coupant et décapita sa soeur Coyolxauhqui, puis jeta son corps en bas de la montagne qui se démembra. Puis se tournant vers ses frères il les massacra, seul quelques uns purent s’enfuir vers le sud, d’où leur appellation de méridionaux.


Avant la description de la statue de Coatlicue et d'évoquer sa fonction, sa position et sa destination; il convient d’évoquer le disque représentant sa fille, Coyolxauhqui.

Une pierre large de plus de 3 mètres et pesant 8 tonnes, fut découverte en 1978 dans une rue près du zocalo, la grande place centrale. Cette découverte, appelée le "disque de Coyolxauhqui" donna le coup d’envoi du grand programme actuel de fouilles du Temple Mayor.
La représentation de la déesse dont la tête tranchée donnera la lune, est très explicite. La déesse montre sa tête, ses bras et ses jambes coupés en laissant apparaitre les rondeurs cartilagineuses des os. Elle porte le cache sexe des guerriers, le maxtlal, un serpent bicéphale noué avec un crâne dans le dos. Ses membres sont ornés de serpent noués, de genouillères et coudières en forme de masque de Tlaloc. Les talons sont aussi ornés de la même manière. La coiffe de plume avec une mèche sortante est aussi un attribut guerrier. Une peinture faciale en bande horizontale passe sous ses yeux et retombe sur les joues avec des grelots. Le disque zemble avoir été trouvé en place car le bas des grands escaliers du temple ont été excavés peu après et à très peu de distance. Le disque devait sans doute recevoir les corps démembrés des sacrifiés jetés en bas des marches. 

 

Coyolxauhqui - Mexico, museo nacional de Antropologia

 

Le disque Coyolxauhqui pourrait être plus effrayant car il est assez réaliste, mais la pose est élégante et l’occupation du cercle est très harmonieuse. La sculpture fut exécutée avec beaucoup de maitrise.

L’énorme masse de la Coatlicue  de 12 ou 24 tonnes, les avis divergent sur ce point, présente, nous l’avons dit, un côté effrayant. Ce n’est pas par la représentation en elle même de serpents et de crânes. Mais si la statue monumentale d’andésite est impressionnante, c'est bien par sa forme « brutaliste ».

Bloc hiératique et écrasant, la puissance des formes créé le malaise. L’oeil reconnait une statue mais la tête est incompréhensible, la vision de profil est aussi peu discernable, où sont les mains? Puis le dos est aussi terrifiant avec cette tête de mort à mis hauteur alors que les serpents du haut semblent les mêmes que ceux de face.. Depuis les premières sidérations, de nombreuses descriptions et relations furent effectués pour déterminer ce que représentait cette statue. Peu de temps après sa découverte Antonio  Léon y Gama pensa identifier l’entité Teyoamique ( L’âme des guerriers morts durant les batailles) associé au Dieu de la guerre Huitzilopochtli, représenté en déesse de la terre. Mais ayant une jupe de serpent, il était naturel de la regarder comme la déesse Coatlicue.

 

Vue de Face

 

Vue de Côté

 

 

Vue arrière

En détaillant les différentes parties sculptées et même très finement sculptées comme la peau des serpents entrelacées, les chercheurs ont reconnu bon nombre d’attributs que l’on peut expliciter et détailler. Un corps de femme avec poitrine tombante est visible derrière le collier et la jupe.

La poitrine tombante est associée dans les chroniques aux nombreuses maternités.
Voilà le détail qui nous indique un personnage féminin. La tête et les mains sont remplacés par des têtes de gros serpents. La tête forme deux serpents face à face visible recto verso. Ils sont sculpté d’une manière extrêmement détaillés, la tête posée sur leur corps armés comme le font les crotales à anneaux (Rattlesnake ) Leurs têtes et corps sont enserrés dans des anneaux comme souvent dans les représentations de serpent mexica. Il pourrait s’agir d’anneaux de jade. Les crocs sont doubles et proéminents. La langue bifide, large et plate, est recourbée comme les crocs et joue avec le recto et verso. Les deux langues n'ont font qu'une de face. Les mains sont aussi remplacées par des têtes de serpent avec même crocs et langues. La base du cou comporte une série de petits disques plats que l’on peut interpréter comme une convention pour les têtes ou membres tranchés. La tête et les membres coupés de la Coyolxauhqui présentent aussi cette sorte de pointillé. Les serpents sont utilisés dans différentes représentations des codex comme des flots de sang sortant des orifices.

Les jambes très lourdes de la statue sont des pattes énormes pourvues de griffes comme celle du jaguar, un serpent à crocs sors de l'entre-jambe sous la jupe, devant et derrière. Autour des grosses griffes ainsi que sur les bras, on trouve représenté des yeux, gravés en incisions, appelés les « yeux de mort » ( death eyes). Ils sont très souvent présents comme de petits détails à découvrir sur nombre de représentation de dieux et déesses. Leurs significations ne semblent pas clairement établies. Les bras sont repliés, prêts à la prise en une attitude d’attaque ou de défense. Des anneaux entourent les jambes et les bras, cela ressemble à des parures de bracelets de cuivre.
Les détails sculptés montrent une constante avec certaines représentations des codex. Nous reconnaissons les bracelets poignets à bande papier, les crocs du Dieu Tlaloc sur les épaules et les coudes, les coquillages, les plumes…
La jupe est tenue par une ceinture qui retient un large pagne à l’arrière. La jupe est tressée avec des crotales à anneaux dont la queue munie de cascabelle ( anneaux durs qui sonnent) ressemble au maïs tressé ligaturé par deux serpents du large pagne arrière. La peau des serpent est très finement travaillée en filet résille. La ceinture retenant la jupe et le pagne arrière est constituée de deux serpents noués ( ou serpent à deux têtes?). Sur chaque face un crâne humain aux orbites comblés fait office de boucle. Il est a noter que sur le maxtlal, la ceinture des guerriers, il y avait noué à l’arrière un crâne.(cf Coyolxauhqui)


Un large collier descend sur la poitrine dénudée. cette parure a beaucoup frappée le spectateur car elle est aisément reconnaissable comme étant une alternance de mains tranchées ( 4 mains devant, deux derrière) et de coeurs humains dont la représentation est connue car elle dérive de la figue Opuntia Ficus Indica, bien rouge, qui rappelle par association la cardiectomie sacrificielle effectuée en haut des temples décrite par Cortès et Bernal Diaz. La tête de mort sur la face pourrait faire partie du collier car deux mains descendent sur la jupe et encadrent parfaitement la calotte crânienne.
Comment interpréter cette complexité de détails? Rien n’a été taillé par hasard, sans signification. Chaque élément parle. La statue avait une fonction; un discours muet mais compréhensible pour beaucoup et remplissait une symbolique sacrée. Il en est pour preuve la gravure présente sous la statue. Une représentation gravée qui prend l’essentiel de l’espace sous les pieds de la statue. Invisible au monde, elle a une fonction sacrée très forte puisqu’elle repose sur le sol et qu’il s’agit de la bien connue figure du dieu /déesse de la terre Tlaltecuhtli dont les genoux et les coudes sont ligaturés de crânes humains. Tlaltecuhtli, est une entité soit mâle soit femelle, elle est dite dévoreuse de vie, elle mange les cadavres et régénère la vie, il entre en contact avec l’infra monde et les forces du sous sol. Il n’y a pas de temple connu qui lui soit dédié, en revanche son effigie est très courante. En 2006 le plus gros monolithe excavé à Mexico (12 tonnes) représentait Tlaltecuhtli. Il est a noter que l’on pas encore trouvé une seule statue de Huitzilopotchli dans l’enceinte du templo Mayor qui lui est dédié alors qu’une quarantaine de Tlaltecuhtli ont été identifiée!

 

Relief sous les pieds de la Coatlicue. Représentation de Tlaltecuhtli avec date dans sa coiffe.

 

Différentes interprétations


La statue n’est pas muette, elle comporte deux dates gravées dans un cartouche. La première « 12  Acalt »(12 roseau ) est située à l’arrière de la « déesse » sur l’épaule, l’autre au dessous du socle dans la coiffe de la représentation de Tlaltecuhtli « 1 Tochtli » (1 lapin ).  Ces dates sont pour les chercheurs, commémoratives d’événement liés certainement avec la représentation sacrée sculptée. Pour expliquer cela, il faut se pencher sur le calendrier mexica qui est très élaboré. Pour une approche superficielle mais suffisante retenons qu’ils comptaient le temps en utilisant deux formes de calendrier parallèle, le Xiuitl, (ou Xuihpohualli), solaire et le Tonalpohualli, divinatoire et rituel.
 Le premier se compte en 18 mois de 20 jours avec 5 jours supplémentaires pour arriver à 365 jours,  les mois (cempohuallapohualli) avaient un nom associé à la divinité à laquelle ils rendaient hommage pendant 20 jours. Le second est une combinaison entre 20 signes (nom des jours mais aussi nom de période) et 13 chiffres qui se combinent par séries de treize numéros par signes pour une fois toutes les combinaisons effectuées repartir à zéro soit après 260 jours. Les combinaisons des deux calendriers s’accordent tous les 52 ans, ce qui constitue une période close. L’année solaire est nommée par le numéro/signe du jour du calendrier rituel qui la commence. La concordance avec le calendrier occidental est assez difficile car les cités avaient un point de départ du calendrier différentes les unes des autres même si elles utilisaient le même système.
Les deux dates inscrites sur la « Coatlicue », 12 Acalt et 1 Tochtli se retrouvent sur un fragment de statue qui semble être assez comparable celle qui nous occupe.

Yolotlicue Mexico, museo nacional de Antropologia


 Ce monolithe brisé dont seule la partie torse et base subsiste est appelée la « Yolotlicue » ( Celle à la jupe de coeurs). Cette statue extrêmement endommagée fut trouvée en 1933 près de la façade ouest du Templo Mayor, elle ressemble en bien des points stylistiques et iconographiques à la Coatlicue sinon qu’au lieu de serpents tressés sa jupe est faite de coeurs humains alignés.
Elle montre les mêmes dispositions de bras repliés et la base de sa tête par de précieux indices indique la naissance de deux gros serpents. Voilà une indication majeure qui permet de regarder les deux statues comme très comparables. Celle que l’on a considérée comme un unicum, serait donc la seule intacte d’une paire?
 L’étude de gros fragments détenus par le musée anthropologique permit aussi de rattacher à une autre (ou à plusieurs autres) statues comparables en taille et au style de la Coatlicue et la Yolotlicue. Les chercheurs en ont conclu que plusieurs monolithes avaient été érigés autour de l’esplanade du templo Mayor. Ces statues colossales avaient certainement une fonction protectrice, évocatrice, didactique, symbolique mais bien sur aussi sacrée. Les dates gravées ont donné lieu à plusieurs interprétations. Les dates pourraient chacune faire référence à des événements dramatiques comme une invasion de criquets dévastateurs de culture dont un codex décrit l’existence en l’année 12 Acalt, ce qui correspond à  la date de 1480/1481. Les annales de Quauhtitlan cités par la chercheuse Elisabeth Boone mentionnent 12 Acalt comme étant l’année de la création et de la destruction des quatre ères solaires qui précède la création du cinquième et actuel soleil. Le professeur C.F. Klein de UCLA, nous oriente vers une lecture d’un mythe peu évoqué qui n’a jamais été rattaché à la statue. Celle des « femmes primordiales » qui se sont offertes en sacrifice pour donner naissance et fournir de « l’énergie » au nouveau soleil. Ce mythe est raconté avec des variantes dans plusieurs chroniques dont « L’Histoire anonyme des Mexicains par ses peintures » une source très proche de la conquête coloniale, qui mentionne la création de cinq femmes féroces pour « nourrir » le soleil ou la "Leyenda de Los Soles" qui raconte que le soleil étant devenu immobile, ce n’est que par le sacrifice collectif de cinq dieux que le nouveau soleil à pu reprendre sa course.
Les femmes étaient désignées par leur jupe/pagne caractéristique et c’est là que les fragments de statues sur lesquels des jupes sont clairement comparables à celles de la Coatlicue et de la Yolotlicue orientent les chercheurs vers une nouvelle explication, une nouvelle interprétation de la statue colossale intacte. Le mythe de la naissance de Huitzilipotchli, indique que le dieu de la guerre, le guerrier colibri est né tout armé en haut de la montagne de Coatepec pour sauver sa mère qui allait être tuée par ses frères dirigés par sa soeur Coyolxauhqui. Il sauva donc sa mère et décapita sa soeur qui est représentée ainsi. Il n’y a aucune mention d’une décapitation de la Coatlicue dans ce mythe et donc pas d’explications à la symbolique des serpents figurant le sang d’une décollation. Il y a confusion et association avec la jupe proprement dit. Cela est d’autant plus probant qu’il existe deux autres représentations identifiées de la Coatlicue qui ont bien la tête sur les épaules. La coatlicue de Coxcatlan et celle dite « du métro » car découverte en creusant le métro en 1967 .

Coatlicue de Coxcatlan -  Mexico, museo nacional de Antropologia

 

Ces deux représentations de taille plus modestes ( et bien différentes une est debout l’autre accroupie) présentent bien une jupe tressée de serpents mais aussi les autres caractéristiques comme les "yeux de mort", les griffes des pieds, les bracelets de cuivre, les coquillages, le tablier arrière, la ceinture tenue par la tête de mort dorsale. Seule la Coatlicue du métro possède un collier de mains et de coeurs mais sans le crâne central. Elles ne sont pas décapitées. Leurs attributs les mets en relation avec Mitlantecuhlti ( Dieu des morts et de la terre) qui est d’ailleurs représenté en cartouche sous le socle.

Coatlicue del metro.  Photo E. Boone


Le mythe des femmes primordiales sacrifiées pour le soleil induit une représentation de femmes avec leurs attributs jupes qui les déterminent alliées avec la symbolique du serpent comme figuration sanguine remplaçant la tête et les mains. Le sang des sacrifiés régénérant le soleil qui est une justification des offrandes traditionnelles par cardiectomie.
Un certain nombre d’autres entités divines comme Mitlantecuhlti ( Dieu des morts et de la terre)  Ciluacoatl ( déesse serpent ancienne déesse de la fertilité ) Cihuapipiltin ( les princesses, déesses des femmes mortes en couche) montrent une série d’attributs comparables, ne serait ce que le collier de mains et de coeurs sur une petite statue de Ciluacoatl pointée par le professeur Boone.

 

La Coatlicue parmi les fragments

 

Cette nouvelle orientation d’une lecture du monolithe dite de la Coatlicue nous amène, sans rentrer plus avant dans les nombreuses explications, rapprochements et raisonnements qui permettent à ses deux éminentes spécialistes que sont les professeurs Boone et Klein, une nouvelle approche convaincante; à synthétiser puis conclure. L’esplanade du Templo Mayor comportait donc plusieurs représentations de déesses colossales à jupes particulières. Détruites, concassées, réemployées dans les nouvelles constructions de 1521. Une à été jetée intacte dans un canal puis le tout a été comblé lors de l’édification de la nouvelle capitale sur les bases du templo Mayor rasé.
Ces déesses sacrifiées sont, pour Cécilia Klein et Elizabet Boone à rapprocher des Tzitzimitls, ces démons qui menaçaient pendant les cinq jours supplémentaires du calendrier, de descendre sur terre pour dévorer les humains. Leur attributs les rapprochent. Visage en squelette sans chair, mains et pieds avec griffes, cheveux ébouriffés avec des ornements sacrificiels, visages avec crocs ( masques de Tlaloc?) aux coudes et genoux, représentation d’"oeil de mort" sur les pieds et les mains. Les Tzitzimitls sont sur les codex Magliabechiano et Tudela représentées avec des colliers de mains et de coeurs.

 

Tzitzimitl avec collier de mains et coeurs et serpent.  Codex Magliabechiano

 

Une représentation montre également un serpent sortant entre les jambes crochues sous le pagne.. les Tzitzimitls sont dans bon nombre de chroniques ( Sahagun, Historia de Los Mexicanos par sus pinteras) et de codex (Magliabechiano, Tudela Rios, Telleriano Remesis) associés à différentes occurences de dieux et démons ainsi qu’aux âmes des guerriers, ils sont le plus souvent consignés au pluriel et agissent en groupe.  Le chroniqueur métis Alvarodo Tezozomoc qui relate les différents aménagements du Templo mayor sous l’empereur Tizoc, décrit l’installation d’une série de larges et massives sculptures de Tzitzimitls autour de l’esplanade du sanctuaire d’Huizilipochtli. Il apparait que les Tzitzimitls auraient donc dévorés les humains à la fin du quatrième soleil ce qui pourrait être lié à la date 12 Acalt sur les deux statues ( Coatilcue et Yolotlicue) et que la série de ces démons destructeurs serait présente comme menace potentielle pour le cinquième soleil ( nouvelle ère) et confirmerait le pouvoir d’Huitzilipochtli qui aurait vaincu ces démons en leur tranchant la tête et les membres comme il le fit pour sa soeur Coyolxauhqui.
Notre statue colossale censée représenter Coatlicue ferait donc partie d’un ensemble de déesses, de femmes féroces, associant par un compliqué syncrétisme nombre d'entités supranaturelles.
Femmes puissantes et potentiellement maléfiques qui selon la professeur Boone auraient été défaites ou contenues par la puissance victorieuse du dieu Huitzilipôchtli, dieu de la guerre, protecteur du soleil.

Cette Interprétation n’est pas celle de Cecilia Klein qui, si elle considère également la « Coatlicue » comme appartenant aux Tzitzimitls, ne souscrit pas à la thèse du combat victorieux du dieu Huitzilipochtli contre les Tzitzimitls. Rien ne permet d’affirmer cela dit-elle. Les arguments et liaisons entre commentaires et chroniques, étude iconographiques sont nombreux. La professeur Klein s’appuyant sur les annales de Quahtitlan décrit les déesses comme auto sacrifiées pour la remise en marche du soleil et ne voit aucune hostilité de la part d’Huizilipochtli, plutôt une collaboration avec elles pour la victoire du cinquième soleil. Elle remarque l’ambivalence de certain texte concernant le rôle purement maléfique des Tzitzimitls. On pouvait explique-t-elle, leur demander d’intercesser en faveur des malades et l’on célébrait leur puissance. Leur sacrifice pour le soleil était loué comme une action bénéfique. Un sacrifice volontaire pour que les Mexica puissent avoir les bénéfices du cinquième soleil, amenant les saisons donc les récoltes et les bienfaits associés.

Une série de plusieurs statues colossales entourait donc le templo Mayor. Leur nombre n’est pas déterminé, quatre ? Six? Pas plus que leurs positions exactes. Étaient-t-elles sur l’esplanade du temple ou à la base des escaliers aux angles de la place faisant face au sanctuaire double ?  Les hypothèses des chercheurs s’affinent néanmoins , la connaissance et la compréhension des Mexica progresse indéniablement bien que les questions soient encore plus nombreuses que les réponses.
 Les fouilles du Templo Mayor continuent, l'histoire n'est pas finie d'être écrite.

Lien : Godscollection

 

L’exposition actuelle  « Mexica - Des dons et des Dieux au Templo Mayor» au musée quai Branly-Jacques Chirac ( Avril - septembre 2024) s’intéresse plus particulièrement aux offrandes et constitue un excellent éclairage sur des pratiques extrêmement importantes dans la cosmovision des Mexica puis par projection porte un regard sur les réminiscences actuelles de pratique votive mexicaine. 

La jeune fille en costume de princesse aztèque qui est apparue sur la montagne de Teypeyac en 1531 n’a-t-elle pas reprise pour son compte des pratiques bien antérieures et maintenant heureusement plus douces qui perdurent? En tout cas la vierge dit de Guadalupe est omniprésente dans le Mexique d'aujourd'hui.

 

 

La visite de Tenochtitlan "par avion" est possible grâce au travail absolument inouï de Thomas Kole. Un voyage dans le temps.
La visite de son site thomaskole.nl est une expérience à faire …le déroulé du paysage ancien puis actuel sur une même vue avec balayage est tout simplement fantastique !

 

Les cités jumelles
Thomas Kole 2023

 

Vues des cités jumelles de Tenochtitlan et Tlatlelolco sur le grand bassin. Les montagnes sont toujours là, les volcans Popocatepetl et Iztaccihuatl. La corrélation symbolique des temples chaulés et des neiges des sommets est frappante. Le bassin à plus de deux mille mètres au dessus du niveau de la mer fut drainé, vidé, les canaux intérieurs comblés pour devenir des rues.
Mexico supplanta l’ile des Mexica.

 

La grande chaussée décrite par Bernal Diaz del Castillo. Thomas Kole 2023

 

«  Nous marchions par la chaussée, qui est d'une largeur de huit pas et tellement en ligne droite sur Mexico qu'on ne la voit dévier de nulle part. Malgré sa largeur, elle était absolument couverte de gens qui sortait de Mexico et d'autres qui y revenaient dans un continuel mouvement qui avait pour but de voir nos personnes. La foule était telle qu’il nous devenait impossible de garder nos rangs. D’autre part, les tours, les temples, les embarcations de la lagune tout était plein de monde. Nous n’en devons pas être surpris, puisque jamais les habitants du pays n'avait vu ni chevaux ni homme comme nous. Quant à nous, en présence de cet admirable spectacle, nous ne savions que dire, sinon nous demander si tout ce que nous voyons était la réalité; d’une part en effet, il y avait de grandes villes et sur terre et sur la lagune, tout était plein d'embarcations, la chaussée coupée de distance en distance par des tranchées que des ponts recouvraient; devant nous s’étalait la grande capitale de Mexico… »
 

Bernal Diaz del Castillo  LXXXVIII Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne

 

 

Bibliographie : publications et ref numériques 

Cecilia F. Klein- UCLA

A new interpretation of the Aztzc statue called Coatlicue, " Snakes -her-skirt"Etnohistory April 2008

Daniel Lévine  Archéologue / Musée de l'homme Mission templo Mayor

- Le grand Temple de Mexico Du mythe à la Réalité   Préface Matos Moctezuma  Ed. Artcom' 1997

- Les sanctuaires préhispaniques : une géographie du sacré  /Persée.fr  2013 /compte rendu de l'Académie des inscriptions et Belles Lettres.

Elisabeth  h. Boone : Austin University,Texas

- The "Coatlicues" at the templo Mayor.  Ancient mesoamerica 1999 Cambridge University Press/ jstor.org

Pierre Ragon: Centre d'Études mexicaines et Centre-américaines Mexico Paris Nanterre

- Le templo Mayor de la ville de Mexico -Open edition  Encyclopedie des Historiographies/ INALCO Kouamé,Meyer,Viguier. 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10 mars 2024

SOSHUN ou Printemps Précoce

 
 Chikage Awashima dans "Soshun" 1956


Les films de Yasujirö Ozu, décédé en 1963, ne furent diffusés en France qu’en 1978. Ce qui peut paraitre extrêmement étonnant pour un cinéaste qui réalisa de nombreux films dès 1927. En effet l’Europe n’avait les yeux tournés que vers les grands Mizoguchi ou Kurosawa.  Ozu était lui, considéré comme un réalisateur trop japonais de petits films lents et peu spectaculaires.

Films muets, films parlants en profonds noir et blanc puis en couleurs lumineuses à partir de 1958, sa filmographie la plus connue se situe aujourd’hui pour la période d’après-guerre, plus particulièrement à partir de 1950.
Il tourne à partir de 1958, en format 35 mm, en utilisant enfin la couleur. Les ambiances colorées, douces et contrastées ressemblent avec bonheur aux couleurs des films d’Hitchcock.  

Maintenant le cinéma d’Ozu est bien connu en Europe, deux films sont déclarés unanimement comme ses « chefs d’oeuvres »:  Le « Voyage à Tokyo »( Tokyo monogatari) noir et blanc réalisé en 1953  et son dernier film le « Gout du saké » ( Sanma No Aji ) en couleur en 1962, . Ozu meurt l'année suivante d’un cancer à 60 ans.

Juste après le Voyage à Tokyo, il réalise « Soshun » traduit en anglais par « Early spring » et en français par « Printemps précoce ». Il est étonnant que ce film de plus de deux heures ne soit pas considéré aussi comme un de ses chefs d’oeuvres car à partir d’un scénario si simple, il nous livre une pure merveille de réalisation où la beauté des images n’a rien à envier aux propos profonds.
Ce film est une longue réflexion sur l’adultère, l’amour, la famille, la société, le temps avec sa fugacité et sa pérennité. Je ne vais pas ici reprendre les différentes et nombreuses critiques du films qui existent. Sa première sortie en France eu lieu le 8 juillet 1992 lors de la rétrospective Ozu au Max Linder à Paris, puis une version restaurée fut diffusée en 2018.
Il n’est pas dans notre propos non plus de raconter le film à ceux qui ne l’auraient pas encore vu.
 Ils liront avec intérêt les descriptions éclairantes et les réflexions pertinentes sur les différentes strates constituant le film, sur les sites du cinéclub de Caen (cineclubdecaen.com) et de Dvd Classik ( dvdclassik.com) ou même sur l’amusant site Je m’attarde (je-mattarde.com ).
 Nous ne nous occuperons ici que des rapports entre les protagonistes et de l’habitat.

Les personnages en mouvement:

Il est fascinant de retrouver les mêmes acteurs de films en films comme chez Igmar Bergman.. Il travaille en compagnie de fidèles bien que son actrice préférée Setsuko Hara ne figure pas dans celui ci.
 Wim Wenders disait « Si notre siècle donnait encore sa place au sacré, s’il devait s’élever un sanctuaire du cinéma, j’y mettrais pour ma part l’œuvre du metteur en scène japonais Yasujiro Ozu… » Il faut adhérer à son univers si subtil et ténu, ses plans fixes où seul le temps passe.
La caméra au sol avec un angle de vue très bas par rapport aux intérieurs, le fameux plan "tatami" comme le dit le critique Michel Chion dans son article de l’Encyclopédie Universalis sur Ozu «  Légère contre plongée », raccord de regards à 180°, absences de mouvements de caméra ou de zooms, présence au début de certaines scènes de plans vides de personnages ( un immeuble, une montagne, une ruelle ciel), pas de fondus enchaînés…. » lorsque la magie opère, on ne peut, comme avec les films de Bergman, que tous les regarder l’un après l’autre, et se retrouvant dans une poésie apprivoisée, s’en délecter.  

 L’irruption d’une modernité américaine dans la société traditionnelle, la transformation de la famille japonaise, le conflit des générations, le monde de l’entreprise créant le statut de l’employé de bureau, l’alcool et l ‘amitié, la condition féminine, sont les sujets de prédilection d’Ozu. Sujets que l’on retrouve très présents dans les deux heures et plus de Printemps Précoce. La particularité de ce film réside dans le sujet choisi qui avec pudeur et toujours avec des plans épurés traite d’un sujet que le réalisateur n’avait pas approché auparavant avec autant d’acuité, l’adultère.


L’adultère est un des drames les plus rebattu du théâtre ou du cinéma. Comme dans bon nombre d’histoires; L’intrigue est bien connue, l’intérêt est ailleurs:  il travaille, sa femme est lointaine, ils ont perdu leur seul enfant par dysenterie infantile il y a quelques année, il a une brève relation adultère avec une collègue de bureau très libre et moderne, elle le découvre et part se réfugier chez sa mère. Le couple survit malgré tout.
Ce qui est assez fascinant dans cette histoire qui est étoffée par les considérations annexes sur, nous l’avons dit, la modernité occidentalisée, la condition sociale vue par le prisme de la condition d’employé de bureau, la famille et ses transformations, ce sont les rapports entre les hommes et les femmes. Même s’il y a, comme le souligne Wenders lorsqu’il parle du film, une constante universelle  « Aussi japonais soient-ils, ces films peuvent prétendre à une compréhension universelle. Vous pouvez y reconnaître toutes les familles de tous les pays du monde ainsi que vos propres parents, vos frères et sœurs et vous-même. » il y a aussi, et ce serait volontaire de ne pas le voir, une spécificité japonaise qui nous est aussi fascinante qu’incompréhensible.
Les interactions sociales sont pleine de bonhomie comme de respect formel. La politesse est clairement différente de la notre. Les films Français des années cinquante ( Bresson, Becker, Clouzot, Allégret, Clément …) montrent une dureté, une rugueuse communication entre les gens qui se croisent et agissent mais la plus part du temps dans les codes d’une certaine politesse que l’on ne remarque même plus car ce sont des préséances à la française. Ce climat est dû sans doute aux années difficiles de l’occupation pétrie de difficultés économiques et d’un sentiment de défiance. Mais l’homme se lève, lorsqu’une femme lui rend visite, les regards se croisent, les questions amènent des réponses dans une conversation aussi bien familiale qu’extérieure. Les époux se touchent, se rapprochent et dorment dans un même lit. Les amis se saluent et s’étreignent. Au Japon les corps sont distanciés et silencieux.


Chez Ozu, ce qui frappe le spectateur, ce sont justement ces distances physiques entre les membres d’une même famille. Cela est inversement comparable à la promiscuité des assemblées d’hommes aussi informelles qu’une réunion privée de camarades ou qu’une sortie dans un bar où ils sont vraiment coude à coude. Il y a une grande différence entre les rapports familiaux et les rapports entre amis et collègues.
 La parole est très contenue; les sentiments, peu exprimés dans la sphère privée, peuvent sous l’effet de l’alcool (qui a tendance à devenir un personnage à part entière dans certains films) devenir très expansifs entre amis.
 Il y a une sorte de fatalisme, de résignation, un apparent manque d’empathie avec la douleur d’autrui et cela a certainement à voir avoir une culture Zen bien éloigné de nous. Les questions peuvent être très directes, sans gènes, sans « phrases ». Qu’il s’agisse de la perte d’un enfant, des difficultés financières, d’une peine ou désagrément qui ne sont chez nous qu’évoqués avec mille précautionneuses circonvolutions.
"Le patron est furieux ce matin.." dit un employé, "oui, j’ai vu pourquoi ? " répond un autre, parce qu’un camion de la compagnie à écrasé un gosse; silence; puis il reprend en disant, il est furieux parce qu’il trouve que la compagnie à trop payé en dédommagement !  Pas de hauts le coeur…juste acceptation placide.
Les questions sur l’enfant vu uniquement comme une source de problème économique, la question de l’ avortement posée de façon bien brutale sont étonnantes à entendre. La condition des femmes au sein du ménage est impressionnante à observer aujourd’hui. Elle ramasse les affaires que le mari laisse tomber au sol ( très visible dans le film Fin d’Automne ). La confrontation des générations est extrêmement intéressante. La mère dit à sa fille dont le mari découche: « Avec ton père c’était pire, le soir de son mariage, il est allé avec des amis au quartier de plaisir ». Elle explique à sa fille qu’elle n’a rien dit ni fait car elle croyait que les choses en étaient ainsi!

 


La scène entre le mari Sugi et sa femme Shoji qui voit l’adultère confirmé par des preuves matérielles est exceptionnelle de tenue. Le cinéma américano-européen en aurait fait une scène paroxysitique telle que celle de la rupture avec l'amante dont on parlera plus loin; les comportements sont ici inversés. La scène entre les amants est violente, la scène entre les époux devant l'adultère révélé est froide et pleine de retenue tout en étant extrêmement tendue. La froideur inflexible de la femme humiliée, les silences du mari et la qualité du naturel lorsqu’il ment sont stupéfiants. L’épouse trompée fait le constat lucide et sans faux semblant de sa position et pose la question d’une manière affirmée mais sans colère, froidement, la seule question dont la réponse engage son avenir. Une question insensée pour nous, à laquelle il se doit de répondre: « Tu veux que je lui cède ma place ? »  Il s’agit du statu de l’épouse. Aurait elle acceptée? Tout aurait été peut être terminé s’il avait répondu par l’affirmative…La différence flagrante avec l’Europe vient de la question, qui semble presque une proposition.
Il y a en général chez les personnages d’Ozu, quelque chose qui peut nous apparaitre comme un manque de tac, un manque de délicatesse dans les questions qui restent le plus souvent sans réponses. Le personnage se tait. Les yeux baissés, il accepte sans révolte ces « micro-agressions ». Le « never explain, never complain » fonctionne à merveille. Le drame est là; nous le voyons, nous le suivons; mais les protagonistes ne parlent pas entre eux, n’expliquent que du bout des lèvres ce qui les tourmentent. La peine n’est exprimée que de façon solitaire. La femme pleure la tête enfouie dans ses mains, seule et cachée.  L’homme fume en regardant au loin assis à la fenêtre. Nous l’éprouvons par un long plan fixe, eux ne disent rien. Les voisins sont aimables et respectueux mais leurs questions, leurs insinuations sont des carburants pour le drame. La très reconnaissable Haruko Sugimura avec sa démarche les pieds rentrés et son sourire inquiétant, en bonne voisine de maison mitoyenne, sème le trouble et la suspicion tout en expliquant le remède qu’elle a elle même mis au point avec son mari. Les menus gestes de la vie quotidienne sont montrés comme la vie même, vie qui continue malgré le drame.


 La violence existe tout de même. La femme gifle l’homme. A toute volée en allers et retour, le visage de l’homme impassible accuse les coups sans un mouvement pour montrer l’impuissance de la femme livrée aux derniers recours.
Cette scène où « Poisson Rouge » ( Keiko Kishi) fait face à Sugi son amant ( Ryo Ikebe) pour l’explication de rupture est pleine de fureur, de cris et de coups. Elle s’emporte, le gifle à la volée. Il n’esquisse aucun geste pour se protéger ou se défendre. Elle est seule avec sa colère et son chagrin. L’homme est un roc, immobile et impassible. Cette scène intense n’est dû qu’à la condition exceptionnelle de cette femme. Elle est libre. Elle se montre dès le début du film comme une femme autonome qui s’affranchit des codes de la morale commune et exprime ses sentiments.

Une scène inversée aurait été impossible alors et scandaleuse aujourd’hui, même peut être passible des tribunaux…L’époque a changée bien évidemment, ce sont les années dix neuf cent cinquante, d’ailleurs la bande-son en est un témoignage. Les protagonistes utilisent très fréquemment le terme « Sayonara » dans la vie quotidienne alors qu’aujourd’hui il n’est employé que pour réellement dire "Adieu" et ne plus se revoir...on lui préfère le terme de « Ogenki de »(Dewa Ogenki de) (ではおげんきで)  prenez soin de vous, sorte d’ "au revoir" sinon le classique "bye bye" est compréhensible et très usité!

 

l’Habitat

L’organisation de la maison détermine des pièces amovibles aux attributions très spécifiques qui ne sont pourtant pas formellement assignées. La chambre, le salon, la salle à manger peuvent être fluctuantes. Le cinéma d’Ozu durant les années cinquante se situe dans un moment extrêmement intéressant de pénétration de la modernité occidentale dans une structure traditionnelle liée à la notion d’ « Uchi »
Terme qui désigne la famille mais également la maison. L’intérieur est le règne de l'Uchi. L’entité est indissociable de sa hiérarchie et de ses fonctions comme de la conception de l’espace que l’on ne peut séparer de la relation sociale. L’Uchi est le fait structurant de la sociabilité japonaise nous-dit madame Claude Bauhain, professeur à L’Ecole d’Architecture de Paris et spécialiste de l’architecture japonaise.

Intérieur classique Ikkodate


1-Tatami  2-Sol de lattes de bois  3-Sol de terre battue.  

4- cloison de papier Shoji  5- Autel Bouddhiste

 

Les intérieurs de Printemps précoce sont très amusants à détailler.( L’on peut faire de même avec plusieurs films et notamment le film en couleur « Ohayo » ( Bonjour) qui prend pour thème l’arrivée de la télévision). Nous pouvons voir cohabiter l’intérieur traditionnel avec l’électroménager moderne ( bouilloire électriques, aspirateurs; fer à repasser). Les rares meubles occidentaux, chaises, tables ne sont pas encore assez présents pour bouleverser le rapport au sol, mais ils sont là.


 La vie japonaise est faite de souplesse, de glissements, de pas feutrés. La maison aux cloisons amovibles ( Shoji ) demande aux habitants de ne pas exposer leurs bruits aux désagréments des autres. La discrétion et l’évitement des sons forment la base du savoir vivre.
Tout se fait accroupis devant de petites tables ou devant des plateaux posés à même le tatami. Les chaussettes et les génuflexions sont constantes dans le déroulé de la vie du couple.
Les cloisons coulissent, la maison se fait et se défait. La femme dresse les lits le soir, les rangent le matin, elle fait la cuisine ou la vaisselle dans une alcôve de la pièce principale. Seul le bain est dans une pièce à part qui ne se ferme que par une cloison aux silhouettes d’ombres.

 


Les entrées appelées Genkan sont abaissées par rapport au reste de la maison, c’est là où l’on enlèvent ses chaussures. Cela existe aussi dans les cafés ou club de Mah-Jong où l’on dine assis sur des coussins plats. La maison traditionnelle est encore la règle dans Printemps Précoce, seul le bureau est de conception moderne.
Ce sont des maisons construites après la guerre dans la banlieue de Tokyo lors de l’énorme crise du logement. Des « Ikkodate » la maison unifamiliale qui forment un lacis de ruelles piétonnes où les voisins sont très présents car les deux portes d’entrée se font faces et une fois les cloisons ouvertes, les maisons donnent littéralement l’une dans l’autre.
Les maisons sont faites de bois léger doublé avec un étage. Des cloisons en papier tendu sur de grandes claies séparent les espaces intérieurs. Le sol est pourvu de tapis tressés de paille de riz que nous connaissons sous le terme bien connu de Tatami, cela évite tout bruit de pas et permet de disposer cousins, petites tables et couvertures à même le sol. Le foyer était autrefois creusé au centre de la pièce principale appelée Whashitsu et comportait un brasero sous la table ..cette pièce se cloisonne par les murs coulissants suivant une disposition qui varie très lentement au cours des âges.

 


 Dans les films des années cinquante jusqu’au dernier réalisé en 1962 « Sanma no aji » ( le goût du Saké) la maison se présente suivant son ordonnance ancestrale même si les changements amenés par l'occupation sont effectifs. Les costumes traditionnels de l’employé de bureau devenu la règle sont bien incommodes dans la maison. Le kimono devient alors un vêtement d'intérieur. Les femmes se changent, enlèvent leurs jupes et leurs bas et passent une soie nouée souvent ornée de grandes fleurs contrastées, seul les femmes d’un certain âge ou les femmes au foyer portent la tenue adéquate toute la journée.

L'homme enlève veste et gilet et les étale sur le tatami dans un geste automatique. Il se débarrasse de sa chemise et cravate de la même manière. Son épouse lui présente un kimono et ainsi il peut enlever son pantalon. Il porte un long et large caleçon qui s'arrête aux mollets. Sa femme à la charge de tout mettre sur un cintre, enfin il peut s'agenouiller devant la petite table. C’est par la transformation du vêtement que la sphère domestique se trouve ainsi bousculée.
Les changements dû à l’occidentalisation accélérée par l’occupation de 1945 passeront donc d’abord par le monde du travail puis en ricochet par le costume qui devient inadapté pour les hommes devant s’agenouiller à la maison; pour la jupe droite et les vestes cintrées des femmes qui ne peuvent plus s’accroupir avec aisance. De nos jours, la maison montrée dans les films d’Ozu constitue une exception, mais l’agencement moderne pourtant perpétue les codes traditionnels des Ikkodate avec les matériaux actuels. Les architectes continuent à penser la maison de l’intérieur.
L’américanisation se conjugue donc étonnement, et c’est à la gloire de la société japonaise, avec la tradition. Il y a une subtile adaptation au monde moderne en gardant tradition et identité, avec des allers retours inconnus en Europe. Il s’agit plus d’une synthèse que d’un affrontement. Mais si l’habitat s’est adapté aujourd’hui, les villes se sont métamorphosées en mégalopoles même si Tokyo a toujours eu une densité impressionnante pour les occidentaux.

Seul le cinéma d’Ozu montre donc cet entre-deux des intérieurs des années cinquante et spécialement, en filigrane, Printemps Précoce, qui traite le couple avec beaucoup de scènes intimes.
Le contraste avec les scènes de bureau et les intérieurs privés, maisons, cafés, salles de banquet est saisissant. Les protagonistes passent d’un monde à l’autre et se changent devant nous. Il y a une beauté formelle qui nous touche. Les plans sont des tableaux de dépouillement et d’élégance.  La beauté des intérieurs contrastent très fortement avec la laideur des extérieurs de la modernité industrielle.


Pourquoi Printemps Précoce? Pourquoi ne pas avoir détaillé le film réalisé l'année suivante  « Crépuscule à Tokyo » (Tokyo boshoku)? Oui, cela aurait été tout aussi intéressant mais Printemps Précoce contient un charme indéfinissable fait de longueurs et de mélancolie que la multiplicité des personnages, pas tous clairement identifiés, augmente.

Ce n’est peut être pas la clef pour pénétrer l’univers de Yasujiro Ozu, mais ce film peut vous prendre par surprise en vous permettant de vous échapper sur des voies buissonnières qui laissent l’histoire bien loin derrière le propos.

 

Le livre de Gilles Deleuze « L’image temps » vous en dira plus. Page 22.

 

 

Extrait page 22

"Bien qu'il ait subi dès le début l'influence de certains auteurs américains, Ozu construisit dans un contexte japonais une œuvre qui développa, la première, des situations optiques et sonores pures ( toutefois il ne vint qu'assez tard au parlant, en 1936). Les Européens ne l'imitèrent pas, mais le rejoi­gnirent par leurs propres moyens. Il n'en reste pas moins l'inventeur des opsignes et des sonsignes.( * note en bas de page ) L'œuvre emprunte une forme-bal(l)ade, voyage en train, course en taxi, excur­sion en bus, trajet à bicyclette ou à pied : l'aller et retour des grands-parents de province à Tokyo, les dernières vacances d'une fille avec sa mère, l'escapade d'un vieil homme... Mais l'objet, c'est la banalité quotidienne appréhendée comme vie de famille dans la maison japonaise. Les mouvements de caméra se font de plus en plus rares : les travellings sont des « blocs de mouvement lents et bas, la caméra toujours basse est le plus souvent fixe, frontale ou à angle constant, les fondus sont abandonnés au profit du simple eut. Ce qui a pu paraître un retour au "cinéma primitif" est aussi bien l'élabo­ration d'un style moderne étonnamment sobre : le montage­ eut, qui dominera le cinéma moderne, est un passage ou une ponctuation purement optiques entre images, opérant direc­tement, sacrifiant tous les effets synthétiques. Le son est également concerné, puisque le montage-eut peut culminer dans le procédé « un plan, une réplique emprunté au cinéma américain. Mais dans ce cas, par exemple chez Lubitsch, il s'agissait d'une image-action fonctionnant comme indice. Tandis qu'Ozu modifie le sens du procédé, qui témoigne maintenant pour l'absence d'intrigue : l'image-action disparaît au profit de l'image purement visuelle de ce qu'est un person­nage, et de l'image sonore de ce qu'il dit, nature et conver­sation tout à fait banales constituant l'essentiel du scénario (c'est pourquoi seuls comptent le choix des acteurs d'après leur apparence physique et morale, et la détermination d'un dialogue quelconque apparemment sans sujet précis).

G Deleuze

 

*. L’« opsigne » désigne l’image optique pure, tandis que le « sonsigne », l’image sonore pure. Les « opsignes » se divisent en deux autres signes, les « constats » et les « instats », les « constats » représentent un subjectivisme complice, l’abstraction, les mouvements des figures dans l’espace, que l’on pourrait trouver chez un cinéaste comme Fellini. En revanche, les « instats » se caractérisent par un « objectivisme critique », dont la vision est proche, et qui implique une participation, ce qui serait davantage du côté d’Antonioni. 

Source:

https://journals.openedition.org/philosophique/936

 

 

 

 

 

4 février 2024

LES RUINES DU PALAIS

 

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Parmi les nombreuses notes en souffrance comme en suspend reléguées dans le tiroir de texte, je lis cette petite réflexion écrite un jour de 2014:


J’ai longtemps fréquenté la place du Trocadéro, les Musées de l’Homme et de la Marine. J’aime le grand parvis aux élégantes statues dorées ainsi que les contres allées accessibles par les escaliers que surplombaient les géants de bronze dorés nous écrasant de leurs masses. Ce fut un des terrains de jeux de ma prime jeunesse car mon cousin germain habitait l’ avenue Kleber toute proche.
Après une longue éclipse mais une durable présence dans mon esprit, le Trocadéro s’est dérobé à lui même le jour où je voulu le rencontrer à nouveau en y emmenant mes enfants.

Le chemin allant du parvis jusqu’aux bassins, la succession des escaliers descendant vers le parterre de fontaines n’est plus cette marche silencieuse sur les dalles polies de mon enfance.

La dégradation visuelle commence sur la place elle-même où la foule bigarrée ne porte dans sa masse que deux points de repères très visibles par leurs incongruités..Les vendeurs africains les mains chargées de tours Eiffel entrelacées et les policiers bleu nuit en groupe sans calot comme sacrifiant à l’usage en cour sur cette place où trône sans képi le vaillant maréchal sur son cheval .

 La foule est là, compacte, en groupe, en famille.  L’esplanade des Droits de l’Homme est le théâtre croisé de flux de visiteurs avec des rassemblements d’associations militantes. Le succès touristique de ce monument utilisé comme un balcon sur la tour Eiffel dénature l’ordonnance des plans et masses par un transit constant de groupes bariolés posant en grappe, pour immortaliser ce moment par une photo mille fois recommencée.

Cette hyper-utilisation du Palais de Chaillot par une foule quotidienne provoque bien évidement une dégradation rapide des escaliers, des jardins et aménagements secondaires.
L’entretien ne semble pas suivre le rythme des détériorations.  L’endroit apparait vétuste sale et désespérant.
L’esplanade comme le parterre de fontaines ne ressemble plus à ce qu’il était. Le tourisme de masse lamine toute l’authenticité des lieux . Les contre allées rendues depuis de nombreuses années aux piétons ont oubliées les jeunes patineurs cherchant des voitures pour remonter les pentes en s’accrochant aux portières . Le spectacle de rue, les vendeurs aux tapis, les échoppes à boissons colonisent l’espace. Le Trocadéro n’existe plus, la place du Tertre non plus… »


Huit ans après je retourne au Trocadéro en sortant du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris .. Mes filles patinent sans relâche..l’air est frais sans être vif, l’hiver parisien est bien aimable aux promeneurs.
L’esplanade est toujours bordée de voitures et notamment de deux gros fourgons de Police bloquant toute perspective allant de la place à l’esplanade s’ouvrant sur le ciel. Nous allons du Palais de Tokyo en croisant le Palais d’Iéna vers le Palais de Chaillot reliant à pied sous un doux soleil les trois grandes réalisations de l’exposition de Universelle de 1937. Le Palais de Chaillot prend l’exacte contrepoint de l’ancien Palais du Trocadero, Il s’ouvre vers le ciel, dégage son centre et entoure de ses grands bras le paysage. La masse compacte de l’ancien Palais laisse place à la grande esplanade qui n’est qu’un passage, un appel vers le grand balcon sur la seine. L’ordonnance des fontaines latérales, le pavement en alternance et les huit statues de bronze dorés qui graciles sur leurs socles font aux passants une haie d’honneur. Huit sculpteurs, quatre nus, quatre habillés, sept femmes, un jeune homme …  Mais le spectacle est affligeant. Il y a toujours la foule d’il y a huit ans, le tourisme de masse n’est pas destiné a refluer ..Il se diversifie; le monde s’y retrouve et les populations sont de plus en plus lointaines.

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La cassure est aussi visible dans la pierre comme dans l’adéquation à la forme et au fond. Je regarde les pierres écroulées du bassin du nord qui est sec et sans but ..Les pigeons y picorent les restes des papiers gras parmi les mégots. Leur étanchéité a-t-elle eu raison du toit terrasse du Théâtre national de la Danse? Le parapet est dégradé, les pierres s’écroulent . Comment et pourquoi ?  Les bronzes de sortie d’eau sont corrodés et certaines sorties ont disparues. L’or des statues est terni, tout est triste et abandonné. L'aérienne, l'élégante et merveilleuse Flore du sculpteur Marcel Gimond ( 1894 - 1961) est taguée, humiliée, insultée d’une obscène façon.

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Celle qui donnait le charme et la beauté pour toute un catalogue de photos les plus connues de Paris n’est plus qu’une pauvre chose d’une triste série que personne ne regarde.. La foule regarde la tour Eiffel au travers de leur s« portables »..Les filles bimboïsées en tenue de carnaval lève la jambe ou cambre leur pied pour avantager leur fessiers devant la vue ..même si le sol est sale et les marches denticulées. Rien ne dégrade plus vite qu’une foule de passage dans l’incompréhension total de ce qu’elle voit.

 

Il faut marquer son "passage" par des photos, des centaines de photos; des cadenas, des milliers de cadenas qui font ressembler les parterres au visage des hyper cloutés du BoD-MoD  en folie.

 La pierre des parapets est scarifiée et tatouée par de milliers de graphes incompréhensibles dans toutes les langues de la Babel du monde en voyage. Et ce monde, ce monde …Des vendeurs, des « musiciens » à sono qui susurrent dans des micros à réverbération ..Et les couples par dizaines en habits de cérémonie, de trek, de sieste, de sport, de salle de bain. Ils y sont tous ..avec leurs téléphones, leurs perches, leur sacs, leurs rires insouciants du lieu car il n’y a que la vue sur la « Eiffel tovère » qui les motivent.

 

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L’aquarium des jardins est une fête à noeud noeud …La police déambule, les pelouses sont mortes, la signalétique défigure tout en champignon parasite …Fuyons …le « Trocadéro » n’existe plus depuis longtemps ..

Le grand parterre des fontaines est vide, les palissades nous font croire à une possible rénovation mais les chantiers silencieux sont dans tout Paris…L’ancien Palais du Trocadéro de 1878 a vécu une soixante d’années sous les critiques, il était mal construit parait-il et se dégradait… Le nouveau palais de 1937  passera t-il les 90 ans?  Le regard acéré de la révolution Woke n’y verrait-elle pas qu'une architecture totalitaire des « zeurlesplusombres »? Construit par trois mâles blancs dominateurs ( Carlu, Boileau, Azéma) Hétéro-normés fascinés par le suprémacisme romain neo-classique à la Albert Speer..Hitler à posé, Hitler voulait une copie à Berlin ..Hitler aimait les chiens, Tiens tiens…! Donc pas d’entretien à défendre, pas de crédit à allouer, que l’époque s’en charge …Parvis de Droits de l’Homme? N’est ce pas une provocation pour cet agencement totalitaire?  Qui sont ces géants ? Apollon Musagète et Hercule et son taureau ? Affirmation de la domination masculine en figure de bronze campées en « mâle spread » agressif ..nus et provocants, ils dominent et  écrasent les dominés ….Le Trocadéro doit être détruit ..Carthago delenda  ...
Il est inutile de décrire les agencement de plans, de terrasses et d’escaliers ..la place des statues, le choix des sujets, le choix des vers de Paul Valery sur les frontons. Inutile de décrire les théories architecturales et philosophiques qui lient l’ensemble en oeuvre d’art où l’esprit créé la forme et la forme stimule l’esprit car plus personne ne s’en soucie, les présupposés sont partis, évanouis..Les foules qui s’y pressent, s’empêchent de le voir en « perspective ». Il n’y a que la foule qui accède au balcon comme les vagues sur le rivage.

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Les sorties de fontaine des bassins, cassées et inutiles.

Les bacs à fleurs en cendrier géant

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Les jardins et l'Aquarium

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Le totem ischtyologue est invisible parmi les parasites visuels.

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"L’aquarium des jardins est une fête à noeud noeud "… Les constructions en ciment rose disparaissent derrière les installations d'une ginguette touristique de bas étage.. les pelouses sont rares et les barrières très grossières...Pourquoi?
 

La tour Eiffel est ceinturée de glaces protectrices, impossible de déambuler sous ses jambes,  le champs de Mars mal famé est dangereux le soir...la liaison avec les jardins du Trocadéro et le Palais de Chaillot semble avoir eu lieu ...

Plus un seul Parisien .....

 

Le projet de la Mairie de Paris de végétaliser et de piétoniser le Trocadéro jusqu'à la tour Eiffel a de quoi inquiéter.

Les Préfets de Paris successifs ont alertés et empéchés le projet qui devait aboutir pour les Jeux Olympiques 2024. Le tribunal administratif, en premiére instance puis en appel saisi par la ville a donné raison à l'État.

Créer une vaste zone interdite à toute circulation allant du pied de la tour Eiffel, le pont d'Iéna jusqu'à la place du Trocadéro est une incitation, un blanc seing pour le mercantilisme le plus débridé, meilleur allié du tourisme de masse destructeur. La disparition du quartier est acté en le transformant en "Zone touristique exclusive" organisé en parc controlé épurant les parisiens du périmètre. Plus de circulation, plus de contact avec la ville réelle. Une vitrine mondialisé d'un produit "Paris" désincarné.

Nous en avons déjà un avant goût avec écoeurement.

Les places Parisiennes disparaissent petite à petit sous l'action pernicieuse de la populaire Maire de Paris qui restera comme une démolisseuse plus qu'une bâtisseuse. PLace de la République, Place de la Bastille, Place de la Concorde, Place de la porte Dauphine, Place de la porte Maillot etc .... et Place du Trocadéro maintenant.

Les visuels générés par ordinateur vantant les mérites du projet sont affligeants d'iréalités.

R I P

 

 

 

Merci au Blog de Nella Buscot pour ses jolies photographies des sculptures extérieures du Palais de Chaillot:

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Apollon Musagète 

H. Bouchard ( 1875 1960)

 

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Hercule et le Taureau dompté

A. Pommier (1880 1944)

 


 

 

 

 

***

 

 

28 mai 2023

NOTE DE LECTURE 3

Le roman noir à l’écran, écarts et grands écarts.
Le Cave se rebiffe  / Point Break


Le succès d’un roman noir l’amène à un moment ou un autre à son adaptation cinématographique. Mais le scénario est un genre à part qui redessine, recoupe l’histoire suivant des modes différents de la littérature du genre. L’éclairage donné grâce au succès fait du roman adapté en scénario, même si son titre est conservé, un drôle d’avatar, un drôle de clone, une sorte de faux jumeaux. La distortion peut être grande, même incroyable, même si l’auteur se mêle du scénario  Il en va pour preuve l’excellente langue d’Albert Simonin qui se retrouve « Audiarisé » dans un film portant le même titre que son roman, "Le cave se rebiffe" mais ayant que très peu de convergence dans le déroulé de l’histoire. Dans le film du même nom de Gilles Grangier sorti en 1961, l’histoire « principale » du livre est absente. Le titre et le film ne s'interesse qu'à l’histoire « secondaire ». C'est avec l’aide d’Albert Simonin, qu'il ne fut retenu que cette seconde histoire parallèle de faux « talbins » qui est en toile de fond des événements du roman. La disparition de l’histoire principale évacue aussi les deux principaux protagonistes du roman: le narrateur Max et son ami Pierrot dit « le gros ». Cela est très étonnant..

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"Le cave se rebiffe" est la deuxième volée de la Trilogie de Max le menteur qui a été entièrement portée à l’écran : "Touchez pas au Grisbi" et "Les tontons flingueurs" tiré de "Grisbi or not Grisbi" tous signés Albert Simonin. Les films sont très inégaux et n'ont absolument rien d'une quelconque trilogie.
 Le film est une sorte de comédie grinçante grâce au duo Gabin/Blier avec Maurice Biraud en cave rebiffé..Tout le monde a vu le film, mais le livre de 1954 n’est plus lu.
La langue y est extraordinaire et le devient de plus en plus maintenant…La moralité et le traitement des femmes font hurler aujourd’hui …L’amour ne triomphe pas et les morts s’accumulent dans un Paris à la Police incapable… Le film n’a rien à voir avec l’image donné du « Milieu » par Simonin.

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Il y a un vrai génie de la langue et une vraie narration qui amène le lecteur à poursuivre page après page la traque et les coups tordus puis les défenses dos au mur de Max et du Gros qui ont maillent à partir avec cet ordure d’Aldo….Le Dabe se bat comme un vieux diable ( chose que Gabin ne pouvait plus faire) et le cave se fait la malle sans intervenir dans les péripéties nocturnes parisiennes…II y a du Simenon pour les cafés éclairés dans des rues sombres et les pays exotiques sont du flan pour berner les pigeons. Les femmes sont belles, fortes, sensuelles et certaines bien vénales. L’amour peut naitre mais a utiliser celle qu’on aime comme chèvre, on la sacrifie au loup.. Triste Max.

« Commençant à comprendre à quelle sorte de peaux rouges on avait affaire dans ce coup, le Gros riait plus. La manière dont ces ordures avaient buté Ie môme Francis en se servant de sa cravate enroulé autour d'un pic à glace en guise de garrot, après l’avoir, amarré au fauteuil par les bras et par les jambes,
Indiquait des tueurs méthodiques, sans répugnance devant l’agonie; des demi-dingues sûrement, avec de la cran. plein la tronche. Ils avaient dû le travailler plusieurs minutes, le pauvre môme, pour lui faire saillir à ce point les yeux hors des orbites, pour que sa langue lui jaillisse presque complètement de la bouche, toute violette, presque noire.
Qu'est-ce qu'on en fait, de ce drôle? j'ai entendu le Gros demander.
C'était la question. Appeler les condés pour nous défarguer du coup, venait tout de suite à l'esprit. Seulement, c'était aussi sec ouvrir la voie aux indiscrétions de ces messieurs qui souhaiteraient savoir, par exemple, d'où j'avais tiré l'artiche de cette part d'association! Et ils ne manqueraient pas non plus, vu nos pédigrees détestables, de nous mettre sans retard, le Gros et moi, sous surveillance, et pour un bout de temps! Le turbin qu'on entreprenait avec le Dabe, et un contrôle permanent de nos singeries, ça se trouvait inconciliable.Fallait qu'il décarre d'ici, rapidos, le Francis. Pierrot devait penser comme moi. Il a remarqué:
- Avec la bouille qu'ils lui ont faite, je vois mal le moyen de le sortir en chiquant au bon ami malade!
Une idée me venait. Je devais vérifier. J'ai levé la trappe de la cave. Comme Pierrot avait dû enclencher tous les interrupteurs, elle se trouvait éclairée. J'ai plongé fissa."
Le gros est un personnage idéal pour le jeune Bernard Blier …Max c’est évidement Ventura …le Dabe Gabin …c’est un duo avec Françoise Rosay

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Albert Simonin se laisse aussi aller à la psychologie masculine torturée par le printemps, le tout aggravé par la mode des « sixties » :

"Le mordant, chez les frangines, c'est un phénomène saisonnier. A certaines il faut le grand décarpillage d'été des plages pour emballer, le galbe du bustier sur les roberts, ou bien le serti du short sur les cuissots. A d'autres, c'est le bénard fuseau et le pull moulant strict qui tiennent lieu d'armes secrètes sur les pentes neigeuses; et vous en remarquerez encore certaines indérouillables dans bien des circonstances, mais qui se mettent aussi sec à faire des malheurs pour peu qu'elles endossent le petit tailleur printanier. A chacune son embellie! La race est pas près de s’éteindre! Bon ce qui concernait Fabienne, par ce beau soleil, je m'attendais au pire de sa part. C'est à la frisonnante, toute enrobée d'astrakan, qu'elle m'avait quimpé un mois plus tôt, cette mignonne, au piège de l'arrière saison. Mais depuis quelques jours, je devinais qu'elle me préparait une surprise. Baraquée comme elle l'était, elle pouvait pas manquer de me décarrer à l'improviste une de ces robes claires, soyeuses, bien tendues aux points d'appui, qui sont la perdition de l'homme. Une de ces robes qui vous font comprendre la joie de tourner micheton."

Son écriture très cinématographique campe des scènes classique du cinéma des années cinquante, la phrase est ciselée, rapide et imagée  :
« Tout en pensant à ce gentil péril qui me guettait, je manoeuvrais pour dégager ma Vedette, coincée pare chocs à pare-chocs par deux connards. Un coup en avant, un coup en arrière; tout en me marrant je gagnais des centimètres et, lorsque le mec s'est approché, j'ai cru, une des charrettes que je malmenais lu appartenant, qu'il venait revendiquer.
Il se taisait pourtant, se contentant de me regarder comme s'il voulait prendre ma mesure, et je commençais à franchement le trouver divertissant. Il s'est enfin approché et m'a dit :C'est toi l'acheteur du bar? Sans se gêner, il avait posé sa main droite sur mon épaule et, la main gauche fermée, me désignait la boutique de son pouce arqué à revers de façon prétentieuse.
Sans le tutoiement et l'attitude provocante, j'aurais pu croire à la question d'un loufiat en chômage cherchant après un Job. »

***

 



Point Break de Richard Stark
 

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Richard Stark est l’un des nombreux pseudonyme de Donald Edwin Westlake ( 1933-2008) auteur de plus d’une centaine d’ouvrages, multi récompensé, il est très lu aux Etat-Unis d’où il est originaire. Point Blank publié en 1962 est le premier de la série des « Parker ». Parker est un bel homme, grand, athlétique, froid et méthodique qui fait profession de « braqueur » …le roman connu un certain succès et fut adapté au cinéma dès 1967 sous le titre de "Point Break" que l’on peut traduire par « point de rupture ». Le titre original du livre était « The Hunter » ( le chasseur). Le film réalisé par John Boorman donna son nouveau nom au roman.

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La présence de Lee Marvin en Parker colle très fortement à la personnalité noire et intraitable de son héros, mais l’histoire prend des libertés incroyables par rapport au déroulé de cette « chasse ». Une scène, peu de temps après l’interminable générique, a beaucoup frappée les cinéphiles. Cette séquence qui est une véritable trouvaille, écrase le film qui s’effondre à la fin du premier quart malheureusement. L’histoire dans le roman est pleine de rebondissements. réalistes et bien amenés, la quête de ce héros négatif qui laissé pour mort par sa traitresse de femme, court après son magot injustement gardé par son associé Mal Resnick est évidement très cinématographique. Resnick devient au cinéma " Mal Reese" porté par les yeux magnétiques de John Vernon.

La séquence du « Walking Walker »(à voir ici) où l’on suit la marche rapide de Lee Marvin ressuscité de ses blessures est un pur chef d'oeuvre de mise en scène. Idée géniale qui est encore étudiée dans les écoles de cinéma. la cadence, le rythme des pas de Walker, le son saturé et claquant déconnecté des séquences visuelles, donne une sorte compte à rebours. Une tension très forte monte jusqu’au choc entre Angie Dicksinson et Lee Marvin et la série de coups de feux qui s’en suivent. Le scénario simplifié à l'extrême par certain endroit se trouve inutilement compliqué par certains autres ne porte pas, ne soutient pas l’histoire comme le fait le style d'écriture utilisé pour le roman. La fin est assez pathétique de langueur bien loin de la dernière scène du livre décidement bien supérieur...

 

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Une autre tentative d’adaptation eut lieu en 1999 par Brian Helgeland avec Mel Gibson dans le rôle titre. "Pay Back" ( le remboursement) n’est pas un mauvais thriller, Mel Gibson s’y présente aussi en survivant n’ayant évidement rien à perdre.

Les séquences d’ouverture avaient fait réagir à l’époque car il revient à la vie sans un sou et commence au bas de l’échelle du crime en volant un pauvre bougre pour finir par aller affronter la mafia en cravate pour récupérer sa part de butin. Il n’est pas un vrai « bad guy »  mais un héros plutôt sans scrupule car le film considéré trop sombre et violent par les producteurs fut réécrit et Brian Helgeland remercié. Cela donne lieu à deux ou trois passages où le héros est montré plus appréciable pour un certain public. Le film, s’il collait assez bien au roman lors du début, très vite s’en écarte complètement. L’histoire y est complètement transformée pour laisser apparaitre un Mel Gibson plus positif, pas mauvais en soi ...alors que le Walker de Stark est une machine sans sentiments d’une cruelle efficacité. La réécriture du scénario a dû être difficile car la chasse est une chasse à l’homme pour récupérer sa part du magot volé…Alors les scénaristes ont imaginés un gag récurent qui n’existe absolument pas dans le roman; Mel Gibson corrige (verbalement) plusieurs fois ses interlocuteurs concernant la somme exacte qu’il réclame, c’est à dire uniquement sa part au dollar près! Ce qui est incompréhensible pour les chefs maffieux...Le film dérive petit à petit inutilement vers la comédie sans pourtant quitter completement le genre action qui lui a assuré un beau succès au box office.

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Donald E.Westlake alias Richard Stark

 Un extrait de la prose sans fioriture de Stark avec une précision d'une efficacité redoutable comme celle de son personnage:

« She was a corpse naked on the bed. He stood in the doorway a minute, looking at her. The drapes were drawn against the noon sun, leaving the room as cool and dark as a funeral parlor.
An odor of perfume and cosmetics and cologne was vaguely flower-like. Where a faint breeze rippled the separation of the drapes, sunlight flickered like a candle flame. Far away there was the hum of traffic.
She lay on her back, breasts and belly flattened. She had apparently composed herself for death, legs together, hands crossed at the waist, elbows close to her sides. But, in falling asleep, she had moved, destroying the symmetry.
One knee had bent, the right leg now lying awkwardy L-shaped, the wrinkled sole of her right foot against the side of the left knee, in a kind of graceless parody of ballet. Her left hand was still reposed, palm down, over her navel, but her right arm had fallen away and lay now outstretched, palm up and fingers curled. Her head was canted at an angle to the right, and her mouth had fallen open."

(...)
« In a blackness of shrubbery, he laid her down. Working by feel, unable to see what he was doing, he stripped off the dress and the shoes again. He took out his pen knife. Holding her jaw in his left hand to guide him in the darkness, he stroked the knife across her face. Otherwise, the law would try to have her identified by running a photo in the papers.
Mal would read the papers.
There was no blood on his hands, very little on the knife.
A corpse doesn't bleed much. He wiped the knife on the dress, closed it, put it back in his pocket. »

Point Blank /Stark 1962

La version française existe avec un titre sorti dont on ne sait où….
 

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Une ultime adaptation sortie sous le titre "Payback" en 2021, réalisé par Joseph Mensh semble intégrer dans le scénario une modernité déjà éculée. L'action se situe à Brooklyn, la fiche technique nous renseigne: "Un jeune trader travaillant dans une firme contrôlée par la mafia russe est trahi et envoyé en prison pour six ans. Quand il est libéré, il cherche à se venger." Mais où est Richard Stark?

28 mai 2023

NOTE DE LECTURE 2

Les Grenouilles parlent.....

Jean Pierre Brisset  (1837 - 1919) in Dix siècle de Littérature Angevine .
 

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Dans cet ouvrage publié par l’Université d’Angers et plus particulièrement par le Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l’Anjou et des Bocages, écrit par le célèbre Georges Cesbron l’on découvre un personnage que l’on croyait angevin mais qui finalement ne l’était pas vraiment et même pas du tout. Enfin il fut en poste à Angers, ce qui le rattache par sa singularité à celle indéniable de l’Athènes du Maine et Loire quoiqu’en pu penser monsieur le professeur Poisson qui devint l’ermite de Saint Florent et comme le chante positivement le poète Bobby Lapointe dans « Avanie et Framboise ».


L’école Angevine du XII° siècle et la littérature de Trouvères, de Seigneurs et de Princes est bien documentées dans cette érudite recension des gloires régionales allant du haut moyen âge jusqu’aux « Thesmophores » et « Georgiphiles » en passant par la fondation de l’académie d’Angers. Un chapitre tout à fait singulier fait la part belle au « linguiste » Jean Pierre Brisset qui est injustement oublié aujourd’hui. Car nous avons bien besoin d’un « Paraphrène linguistique » dans ces temps de déperdition de syntaxe et de précisions « vocabularistique »!

« Toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle. »
Jean P Brisset

 Cesbron nous enseigne une simple évidence «  La littérature, est d'abord une affaire de rythme : le désordre de la syntaxe ou de la narration est là pour signifier le désordre de esprit. Mais, avec Jean-Pierre Brisset  (1837-1923 ), la folie vient de loin. Il atteint une frontière où, comme pour Malllarmé, Roussel ou Walfson, viennent finir ensemble le sens et la raison. Des règles de la parole, profondément remuées par l'ordre du symbolisme, dont on se demande s'il est plein ou vide, Brisset reste le pur théoricien, le grammairien d'un versant occulte… »
Les publications de Jean Pierre Brisset nous enseignent par ses titres la pertinence de ses recherches, lui l’inventeur et dépositaire du brevet de la « ceinture-caleçon aérigène de natation à double réservoir compensateur »..très cohérente avec la publication en 1871 de son ouvrage «  La Natation ou l’art de nager appris seul en moins d’une heure ». Malheureusement trop précurseur, ni l’un ni l’autre ne furent un succès commercial.

IMG_1694« La Grammaire logique ou Théorie d’une nouvelle analyse mathématique. » publiée en 1876 avec pour nouveau brevet la « planchette calligraphique » sorte de machine à apprendre à écrire, n’eut pas de suite non plus, la fortune et la renommée se faisaient attendre.
Un « paraphrène" est selon la définition habituelle, une personne atteinte d’un trouble mental rare, se traduisant par un délire chronique sans dissociation mentale, dont le mécanisme prédominant est l'imagination. Les fonctions cognitives sont généralement intactes dit-on. Le trouble est plus ou moins aigu et se trouve facilement dissimulé par la fonction occupée, par exemple: Journaliste, chercheur en Science Humaine ou même syndicalisme militant avec activisme politique…
Pour éclairer sa biographie l’on lira de lui sous la plume de Georges Cesbron, qu’ « il commence à manipuler les langues, déjà soucieux de rendre les mots entièrement méconnaissables ». Entre 1855 et 1877, Brisset fait carrière dans l'armée (campagnes d'Orient, d'Italie, Sedan, captivité en Allemagne) : quand il démissionne, il a le grade de capitaine. Personne ne semble s’être rendu compte de son talent particulier pendant ses années de service. Aucun témoignage particulier ne nous est parvenu. Il semble s’être « très bien comporté » selon la tournure usuelle.

« De 1871 à 1881, il enseigne le français, l'italien, l'allemand, qu'il a appris en autodidacte. Il publie en 1874 la Méthode "Zur Erlernung der französischen Sprache ». A quarante-six ans, « aux portes de la vieillesse », comme il se dit, il a un poste de surveillant à la Gare d’Angers. »
 Sa fiche Wikipedia précise toute fois « En 1890, il publie « Le mystère de Dieu est accompli » et donne plusieurs conférences à Paris, en face de la pâtisserie où il fit son apprentissage sur le boulevard du Temple. En 1895, il prend ses fonctions de commissaire de surveillance administrative à la gare Saint-Laud d'Angers, puis termine sa carrière à la gare de L'Aigle dans l’Orne. En 1900, il fait distribuer à Paris par des crieurs une feuille au format d’un quotidien, « La Grande Nouvelle », qui annonce la parution de » La Science de Dieu ou la Création de l’homme ». Puis il publie en 1906 « Les Prophéties accomplies » (Daniel et l’Apocalypse). À la retraite en décembre 1904, il vit à La Ferté Macé, dans l’Orne, jusqu’en septembre 1907, puis il habite à Paris jusqu'en décembre 1908, avant de s'installer à Angers."

La grammaire logique de Brisset

Le voilà angevin de coeur sinon d’esprit, prêt pour trôner au panthéon des littérateurs locaux ..Commissaire de la surveillance administrative, voilà un poste, certainement captivant qui favorise sa fascination de « l’extérieur », lui qui vient de la campagne et a un sens inné de la nature. Très tôt bien avant sa retraite, il est au contact des mares et des bocages, il observe les batraciens et formule une théorie linguistique qui explicite comme une grande loi fondamentale dans la « Grande Nouvelles » en 1900.
« Toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle. »
Les grenouilles sont pour lui le révélateur de la loi régissant l’ordonnance du monde sensible dans lequel il évolue. « Mon ami, raconte A. J. Verrier, passait des heures, des soirées entières auprès des marais de Saint Serge, il allait apprendre la langue des grenouilles…. Un jour [dit Brisset] que nous observions ces jolies petites, elles nous répondit en poussant pour nous mêmes ce cri si joli. A nos cris, l’une d'elles nous répondit, les yeux interrogateurs, par deux ou trois fois qu'elle disait : Couac., Cou-ac. ..Quoi que tu dis, Quoi que tu dis, Quoi que tu dis ? Il nous était clair que le contact était établi.. » Les grenouilles vont devenir la matrice de l’homme évolué. Elles nous enseignent par leur langage une généalogie linguistique qui explique les convergences homophoniques  : « Tous les hommes, toute l'humanité, ne forme qu'un corps, animé par un même esprit qui se confond avec la parole » (Les Origines humaines, éditions Baudouin, Paris, 1980, p. 20.)

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Impressions d’Afrique de Raymond Roussel (1910) et Locus Solus (1922) procède par un système d’assonances et d’associations d’idées, d’alliances par homophonie pour créer un monde qu’il veut lui, romanesque et théâtral. Alfred Jarry ne procèdera pas autrement avec la pataphyqique et le Sur-mâle Ubu. Brisset est l’un des premiers a aller vers la science et ses démonstrations pratiques en publiant des livres de théorie linguistique. Patrice Delbourg écrit que la danse hallucinatoire des théories de Brisset « rend à la grammaire son vacarme primitif. S'ensuit une cascade vertigineuse d'équations, de vocables, une grande aventure du verbe où chaque nouveau bond fait surgir des richesses phonologiques induites par un léger, un inaudible glissement d'un mot à l'autre “tu sais que c'est bien”, “tu sexe est bien” ; “salaud, sale eau, salle au prix, salle aux pris[onniers], saloperie" Patrice Delbourg, « Jean-Pierre Brisset : l'art d'être grammaire », dans Les Désemparés - 53 portraits d'écrivains, Le Castor astral, Paris, 1996, p. 40.

J P Brisset


Brisset connu une gloire éphémère et plutôt grinçante. Un quart d’heure Wharolien à la Jacques Villeret comme dans le film de Weber « un diner de con ». Il en fut ainsi pour l’ancien fonctionnaire de l’octroi, Henri Rousseau qui fut célébré au Bateau Lavoir par une fête mémorable un dimanche de 1908. On connait l’histoire de cette soirée où le vieux douanier Rousseau fut porté en triomphe par Picasso, Max Jacob et d’autres alors qu’Apollinaire déclamait  « Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire! Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso..! Buvons-les donc, puisque c'est l'heure de boire en criant tous en choeur : « Vive, vive Rousseau ! »  Le vieux peintre de quatre vingt dix ans qui eut la joie de voir un des ses tableaux acheté ( "l'institutrice polonaise ») par Picasso qui l’a déniché dans une boutique du quartier ( en face du cirque Medrano) fut très ému et répondit en remerciant que s’il était un grand peintre français, Picasso lui aussi l’était mais dans le genre africain!  Et bien, comme pour le douanier Rousseau, Brisset fut invité et élu «  Prince des Penseurs » dans une cérémonie imaginé par Jules Romain après la parution des « Origines Humaines »…et cela comme un canular géant destiné à distraire et faire rire ses amis. L’on n’était pas tendre à l‘époque. Élu a quelques voix contre Bergson, il est décrété une « journée Brisset » avec conférences et citations à l’Hôtel des Sociétés Savantes situé 8 rue Danton à Paris, qui est aujourd’hui la Maison de la Recherche, annexe de l'université Paris IV - Sorbonne! Brisset y a pu citer ses aphorisme et sentences comme:
« Le sexe fut le premier excès (...) le pronom je désigne ainsi le sexe et quand je parle, c'est un sexe, un membre viril de l'Eternel-Dieu qui agit par sa volonté ou sa per-mission. C'est en parlant de son sexe que l'ancêtre s'aperçut qu'il parlait de son propre individu, de lui-même (.) Quand on parle de soi on parle de son propre sexe » ( cf:la Science de Dieu)
«  Les vents, la bouche, les dents la boucherie, l'aidant la bouche, l'aide en la bouche, laides en la bouche, laid dans la bouche. L'est dans le à bouche. Les dents-là bouche et la marche-debout, la « corps-rection » « Corps érige-toi... Ai-rigé = j'ai dresse... ri-j'ai = j'ai ri, droit ou raide... La parole forcera tout homme à marcher droit au figuré, comme elle a forcé l'ancêtre animal à y marcher au propre. »

«You you you! you you you ! joie! jeu! jour! Youpipi!
Youpipi ! salut père ! Youpiter ! Jupiter. Youdidi! You-didi! salut les didi! Les premiers hommes s'appelaient
Didi, di... »
« La tribu formait un tra, un trait, une ligne fermée et les bêtes étaient poussées dans une happe, ou trappe... Voici le tra formé. Entendez les cris des chefs : Tra in à, tra en avant, Tra in ar, tra en arrière. Tra deû, tra à droite. Tra, là, là, ici, le trac; au secours! Quelle immense émotion nous avons ressentie quand tout à coup ces scènes se sont présentées à notre esprit.’»
Le douanier Rousseau est resté grâce au Bateau Lavoir ..Brisset fut oublié bien que
Michel Foucault se soit intéressé à son oeuvre, il commente ses mots qui «  sautent au hasard, comme dans les marécages primitifs nos grenouilles d'ancêtres bondissaient selon les lois d'un sort aléatoire. Au commencement étaient les dés. « La redécouverte, écrit l'auteur des Mots et les Choses, des langues primitives n'est point le résultat d'une traduction : c'est le parcours et la répétition du hasard de la langue. » et de Gilbert Cesbron de conclure :
« Brisset est aussi prophète qu’ écrivain prolixe et l'interprétation philologique fait place à l'hallucination, et ensuite sur une approche linguistique qui vise à cerner le fonctionnement du langage dans la psychose pour retrouver enfin, par le biais d'une interprétation lacanienne, les concepts dits de « linguisterie », sans écarter, recourant, cette fois, à l'investissement freudien de la « représentation de mot » et du « langage d'organe », une lecture psychanalytique qui approcherait le cas de Brisset du cas Schreber étudié par Freud : psychose des blessures sociales, exclusion d'un « Nom-du-Père », reconstruction d'un univers qui rende acceptable le fantasme de la castration par le dédommagement de la mégalomanie...
On estimera peut-être que c'est faire beaucoup de crédit à l'orgiasme linguistique de Brisset. Mais, schizophrène ou paraphrène que la dérive emporte, quel que soit son destin dans la nosographie - ou dans l'hagiographie! - des quelques cent-cinquante faiseurs de langues universelles, de langues philosophiques ou de langues auxiliaires au xix siècle, J.-P. Brisset restera le témoin d'une expérience sans doute unique en Anjou, le héraut de l'aventure folle d'un avent des signes que ses compatriotes n'ont point soupçonné.. »

 
 « Quand on est mort, c'est pour longtemps. »  J P Brisset 1883

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28 mai 2023

NOTE DE LECTURE 1

Claude Eveno    Revoir Paris


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Pour effectuer un voyage dans sa chambre, faire une marche immobile bien calé dans son fauteuil en laissant surgir les images et les souvenirs, en se perdant dans des lieux inconnus, il n’est rien de plus réjouissant que de lire le « revoir paris » de Claude Eveno. Les quinze voyages en quinze chapitres sont pour ceux qui ont gouté aux joies de la jeunesse parisienne, un réel plaisir de lecture. Bien que l’incipit soit « Je n’aime pas la place Vendôme » la résonance affective particulière de la ville sur l’auteur fait fortement écho à la notre si l’on a la chance d’en être  pourvue.


« J'ai donc parcouru de long en large le quadrilatère autrefois caché derrière un rideau de filles, en profitant d'une certaine fascination pour son angle près de la Porte, une forme qui articule trois niveaux de sol, celui de la rue Saint-Denis qui descend, celui du boulevard Bonne-Nouvelle qui monte et celui de la rue de la Lune, qui monte encore plus, comme il se doit avec un nom pareil.
Ce jeu de trottoirs à pentes inégales paraît avoir possédé depuis longtemps une attractivité très grande. C'est logiquement depuis ce point haut que les photographes ont souvent pris leurs clichés de la porte Saint-Denis et l'on voit ainsi, tant dans les cartes postales que dans les peintures d'Eugène Galien Laloue sur les Grands Boulevards au début du xx° siècle, que cette triple amorce étagée de trois rues qui se séparent en semblant hésiter à le faire, était un foyer animé auquel Breton n'avait pas fait allusion mais qu'il avait sans doute perçu comme une composante de son attirance mystérieuse pour le boulevard Bonne-Nouvelle.


 Il a pourtant été probablement toujours un peu difficile de s'engager complètement dans la rue de la Lune car la bosse du trottoir surélevé du boulevard et ses magasins offraient sans doute une attraction plus grande que celle des boutiques en amorce dans la rue, à part la pâtisserie disparue aux vitrines illuminées qui vendait autrefois des « brioches de la lune et du soleil», deux variétés dont je ne saurai jamais la différence.

IMG_2247On voit encore aujourd'hui que la rue de la Lune n'était pas une rue pour les badauds, malgré la présence entr'aperçue au loin des colonnes de l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Tant mieux d'ailleurs ! Car on peut y voyager dans un monde sans rapport avec les boulevards, s'étonnant de l'heureux effet d'une église de grande taille dans une voie étroite, n'ayant pour parvis que quelques marches d'escalier et et un square très petit, une disproportion qui fait tout le charme de l'endroit, s'étonnant plus loin de ce qu'on découvre sans s'y attendre au coin des rues que l'on croise, le néon discret du Beverley, dernier cinéma porno de Paris, caché dans la minuscule rue de la Ville-Neuve….. »
Me voilà transporté dans l’aventure des « Productions Bonnes Nouvelles » située au 2 rue de la Lune, dans l’immeuble en tranche de quiche dont la structure métallique invisible sous les moellons, aurait été dessiné par Eiffel. Cette pointe très visible du boulevard avec sa terrasse triangulaire et sa grosse librairie Boulinier au rez-de -haussée fut le centre de mon existence de 1987 à 1990.  Siège de notre SARL appelé PBN, société de décor peint et d’évènements éphémères. Créé avec un ami commercial à la sortie de mes études de peintures décorative, cette société nous a permit d'apprendre sur la forge notre metier peintre décorateur. "Responsable d'Atelier "à 26 ans passant sans transition du statut d'étudiant à celui du proféssionnel aguerri... La grande aventure des parcs d'attraction commencait dans la précipitation de l'avant Euro-Disney, la commande de la société Tuilerie 89 ont été des grands moments ( et des réussites par certain aspects) La société n’existe plus depuis longtemps. Les grandes heures de la célébration du bicentenaire de la révolution française en 1989 lui auront été fatale indirectement, par épuisement et une assez mauvaise gestion.

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Mais les souvenirs du boulevard, de la terrasse dominante, de la montée quotidienne de la rue de la Lune ne sont pas près de s’évanouir et sont même réactivés par la lecture du deuxième voyage de Claude Eveno. Les ateliers ont été transformés en bureaux. Le sentier à quasi déménagé, la rue Saint Denis s’est vidée des ses marcheuses de trottoirs qui nous apostrophaient par désoeuvrement. Le quartier vit comme le phoenix ou le couteau de Lichtenberg, a chacun son ressenti. Ma vingtaine finissante charge des tombereaux d’anecdotes, de plaisirs et de déceptions, remontés dans les émulsions libérées par ce deuxième voyage.

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« ......«Regarde, Zazie, si c'est beau, ce joyau de l'art gothique !» répète inlassablement Philippe Noiret à l'insolente gamine qui ne rêve que du métro pour lui présenter le Panthéon, les Invalides, la Madeleine ou la Sainte-Chapelle en se contentant de passer et repasser devant l'église Saint-Vincent-de-Paul. Je n'aurais peut-être jamais prêté attention à cette église si Louis Malle n'en avait pas fait l'objet de tant de drôlerie. C'était l'un des plaisirs d'avoir habité rue d'Enghien que d'avoir ça dans le paysage, une église gag, dont je n'ai jamais imaginé alors qu'elle puisse être pesante et solennelle, une fois rentré à l’intérieur.
Le comique s'était même augmenté un jour d'une scène qui aurait sans doute séduit le cinéaste, une capture de pigeons dans le square du parvis avec une arbalète à trois flèches lançant un grand filet sur une bousculade de volatiles attirés par les graines jetées à la volée par l'agent municipal chargé de l'opération, lequel agent se trouva vite et vertement apostrophé par une petite vieille amoureuse de ces encombrants oiseaux, persuadée qu'il s'agissait là d'un commencement d'extermination, alors qu'il ne s'agissait que d'un déménagement de colombins surnuméraires vers des forêts lointaines. Je suis venu deux fois visiter l'église, ne voulant pas me contenter d'une stricte impression négative qui me gênait à cause de son architecte, Jacques Ignace Hittorff, dont j'admirais les œuvres les plus connues, le Cirque d'hiver et la gare du Nord. »

La place Franz Liszt, la rue La Fayette, le quartier de ma petite enfance est encore revisité. Un pays natal, c'est une terre si connue, si familière et chargée de sentiments profonds alliant les odeurs et les voix, les pénombres de l’appartement, le grand Suisse à tricorne à plume, la sortie de la messe dominicale et ses religieuses aux chocolats. Le sixième voyage contient pour moi plus de puissance évocatrice personnelle que tous les passages en scooter effectués actuellement dans le quartier par la nécessité de mes déplacements parisiens.

Il y a de nombreuses occurrences qui résonnent pour moi au fil des pages, trop nombreuses pour les énumérer ou les citer toutes: le Jardin des plantes, le rocher de Vincennes, la porte dorée, les jardins des tuileries, Luxembourg ou Butte Chaumont….etc..
Les zones ignorées fleurissent aussi en suscitant l’appel du curieux. Les quartiers inexplorés sont autant d’attrait d’une ville jamais complètement connue tant ses disparités sont formées par l’Histoire.
Claude Eveno malheureusement trop tôt disparu en juin 2022 est un écrivain prolifique, urbaniste et éditeur, qui ne cachait pas ses opinions et affinités politico-culturelles. Ses formules bien ciselées libérant ses détestations comme ses engouements sont marquées par son évolution dans un monde qu’il a vu se bousculer, se transformer. Ne pas être toujours d’accord avec lui, avoir a lui en dire et le contredire est certainement l’assurance d’une tonitruante soirée dans un bistrot bien parisien où sa belle tête si sympathique engageait à la discussion. Ce n’est pas par hasard qu’il évoque la « Psychogéographie » élaboré par Guy Debord ainsi que la « Théorie de la dérive »  le voyage sans autre but que le voyage de soi dans le voyage … « L’exploration sans itinéraire » comme boussole.
 La table des matière de « Revoir Paris » publié en 2017 chez Christian Bourgeois est un régal de poésie mentale à lire en souriant ( Oui c’est long mais on ne s’arrête pas ..)

1er voyage: Place Vendôme - Rue Danielle-Casanova - Place et rue du Marché-Saint-Honoré - Rue Saint-Honoré - Rue Saint-Roch - Rue et place Gaillon - Rue Saint-Augustin
Rue des Filles-Saint-Thomas - Rue des Colonnes - Rue de la Bourse - Place de la Bourse - Rue Feydeau Rue et passage des Panoramas - Passage Jouffroy - Passage Verdeau - Rue du Faubourg-Montmartre - Rue Montmartre - Les Halles.
2eme voyage: Carrefour Strasbourg-Saint-Denis - Passage du Prado Rue du Faubourg-Saint-Denis - Cour et passage des Petites-Écuries - Rue d'Enghien - Passages Brady et du Marché - Rue Bouchardon - Rues du Château-d'Eau et des Petites-Écuries - Rue d'Hauteville - Boulevard Bonne-Nouvelle - Porte Saint-Denis - Rue de la Lune - Rue Notre-Dame-de-Recouvrance - Rue Beauregard - Rues Chénier et Sainte-Foy - Passage et place du Caire - Rues de Damiette et du Nil - Rue Montorgueil - Les Halles.
3° voyage: Église Saint-Paul-Saint-Louis - Passage Saint-Paul - Rue Eginhard - Village Saint-Paul - Rue des Jardins-Saint-Paul - Rue Charlemagne - Rues du Prévôt et de Fourcy
Rues du Figuier et du Fauconnier - Rue de l'Hôtel-de-Ville - Rue des Barres - Rue Grenier-sur-l'Eau - Rue du Pont-Louis Philippe - Quais Bourbon et d’Anjou Rue Saint-Louis-en-l'ile - Pont Saint-Louis - Square Jean XXIII.
4° voyage : Premier jour : Place Henri-Queuille - Avenue de Breteuil- Place Vauban - Avenues de Ségur et de Saxe - Rue Valentin-Haüy - Place Georges-Mulot - Rue Rosa-Bonheur - Place de la République-de-Panama.
Deuxième jour : Avenues de Breteuil et de Saxe - Place de Fontenoy - Avenues de Lowendal et de Tourville - Hôtel des Invalides - Avenue du Maréchal-Gallieni - Pont Alexandre-III.
5° voyage: Place de l'Europe - Rue de Londres - Gare Saint-Lazare - Rue de Budapest - Rue Saint-Lazare - Square d’Orléans Place Saint-Georges - Rue Lamartine - Rue Lafayette  Place Franz-Liszt - Rue Saint-Vincent-de-Paul - Rue Ambroise-Paré - Gare du Nord - Place Napoléon III - Rue de Dunkerque.
6° voyage: Gare de l'Est - Boulevard Magenta - Place de la République - Boulevard Voltaire - Passage, rue et impasse Saint-Sébastien - Rue Pelée - Rue Moufle - Rue et passage de l'Asile-Popincourt - Rue Lacharrière - Square Maurice-Gardette - Passages Guilhem et Rochebrune
Rues Saint-Maur et du Morvan, Pétion et Camille-Desmoulins - Cité Industrielle - Place Léon-Blum - Rues de la Roquette et de la Folie-Regnault - Passage Courtois
Rue Carrière-Mainguet - Passages Alexandrine et Gustave-Lepeu - Cité Beauharnais - Square Émile-Gallé Boulevard Voltaire - Place de la Nation.
 7° voyage: Gare de l'Est - Boulevard Magenta - Place de la République - Boulevard Voltaire - Passage, rue et impasse Saint-Sébastien - Rue Pelée - Rue Moufle - Rue et passage de l'Asile-Popincourt - Rue Lacharrière - Square Maurice-Gardette - Passages Guilhem et Rochebrune
Rues Saint-Maur et du Morvan, Pétion et Camille-Desmoulins - Cité Industrielle - Place Léon-Blum - Rues de la Roquette et de la Folie-Regnault - Passage Courtois
Rue Carrière-Mainguet - Passages Alexandrine et
Gustave-Lepeu - Cité Beauharnais - Square Émile-Gall Boulevard Voltaire - Place de la Nation.
8° voyage: Premier jour : Place de la Nation - Avenue du Trône - Cours de Vincennes - Rue Marsoulan - Cité Debergue Rue du Rendez-Vous - Cimetière de Picpus - Rue de la Voûte - Avenues de la Porte-de-Vincennes et Gallieni - Avenue du Général-de-Gaulle - Avenue de Saint-Mandé.  Deuxième jour : Porte Dorée - Avenue Daumesnil - Chaussée de l'Étang - Avenue de la Pelouse - Rue Jeanne-d'Arc - Rue lean-Mermoz - Place de la Libération - Rues de l'Alouette et Granville - Lac de Saint-Mandé - Avenue Pasteur - Jardin Alexandra-David-Néel.
9° voyage:Place d'Iralie - Boulevard Vincent-Auriol - Rues Yeo-Thomas, Nationale et du Château-des-Rentiers - Rues Marcel-Duchamp, Jean-Fautrier et Trolley-de-Prévaux
- Rues de Patay et du Dessous-des-Berges, Resal et Cantagrel, Régnault et du Loiret - Rues du Chevaleret et Louise-Weiss - Boulevard Vincent-Auriol - Rues
Edmond-Flamand et de Bellièvre, Fulton et Giffard - Quai de la Gare - Quais François-Mauriac et Panhard-et-Levassor - Quai d'Ivry - Quais Marcel-Boyer et Jean-Compagnon (Ivry).
10° voyage: Premier jour : Place et quai Saint-Michel - Rues de la Bûcherie, Saint-Julien-le-Pauvre et Galande - Rues de la Huchette, Xavier-Privas et Saint-Séverin - Rues des Prêtres-Saint-Séverin, Boutebrie et de la Parcheminerie Rues du Sommerard, de Latran et Jean-de-Beauvais Rue des Écoles - Rue et place de la Montagne-Sainte-Geneviève - Place du Panthéon - Rue Soufflot. Deuxième jour : Boulevard Saint-Michel - Rue Gay-
Lussac - Rue d'Ulm - Rues Erasme, Pierre-Brossolette et Jean-Calvin - Rue Mouffetard - Place de la Contrescarpe Rues de l'Estrapade, Laromiguière et des Irlandais - Rues Lhomond et des Fossés-Saint-Jacques.
11° voyage Premier jour : Place Saint-André-des-Arts - Rue de l'Hirondelle - Rues Gìt-le-Cœur et Séguier - Rues de Savoie et des Grands-Augustins - Rues de l'Éperon et du Jardinet - Cour du Commerce-Saint-André - Rue Dauphine - Rues de Nesle et de Nevers - Rues Guénégaud et Mazarine - Rues de Seine et des Beaux-Arts - Rue Jacob et place Furstenberg - Rue de l'Abbaye- Place Saint-Germain-des-Prés.  Deuxième jour : Carrefour de l'Odéon - Rue Monsieur-le-Prince - Rue de Médicis - Rues Corneille et de l’Odéon Rues de Tournon et des Quatre-Vents - Rues Grégoire-de-Tours et Lobineau, Guisarde et des Canettes - Place Saint-Sulpice.
12°voyage: Premier jour : Jardin du Luxembourg, par l’Est. Deuxième jour : Jardin du Luxembourg, par le Sud. Troisième et quatrième jours : Jardin du Luxembourg, par l’Ouest.
13°voyage: Premier jour : Place Raoul-Dautry - Rue du Com-mandant-René-Mouchotte - Places de Catalogne et des Martyrs-du Lycée-Buffon - Rues du Cotentin, André-Gide, Georges Pitard et Georges Duhamel -Rues Castagnary et Jacques-Baudry - Rues Chauvelot, Camulogène et Montebello - Rues du Sommet-des-Alpes et de Cherbourg - Rues du Lieuvin, du Bessin et du Bocage - Rue et villa Santos-Dumont.  Deuxième jour: Place Cambronne - Rues du Laos, de la Cavalerie et du Général-de-Lamirat - Place et rue Dupleix - Rue Violet - Place et rue du Commerce Rues Léon-Lhermitte et Péclet - Rues de Viroflay et de l'Amiral-Roussin - Place Adolphe-Chérioux.
14°voyage: Premier jour : Rue de Châtillon - Avenue Jean-Moulin - Boulevard Brune - Avenues du Général-Maistre, Maurice-d'Ocagne et Marc-Sangnier - Rues Maurice-Bouchor et du Général-Humbert - Rue Wilfrid-Laurier - Place Marthe-Simard et rue Maurice-Noguès - Rue Julia-Bartet.
Deuxième jour : Rue de Châtillon (Paris) - Rue Friant et avenue de la Porte-de-Montrouge - Boulevards Romain-Rolland (Montrouge) et Adolphe-Pinard (Malakoff) - Rue Jean-Bleuzen (Vanves) - Carrefour de l'Insurrection- Rue Ernest-Laval - Villa Léger et villa d'Arcueil - Rues Diderot et Aristide-Briand - Rue du Docteur-Georges-Lafosse et impasse de Bagneux - Rue de Châtillon (Vanves).
15°voyage: Premier jour : Rue Cardinet - Rues Meissonier et Bré-montier - Avenue de Wagram - Rues Nicolas-Chuquet, Philibert-Delorme, Verniquet, Alfred-Roll et Eugène-Flachat - Boulevard Berthier - Avenue Brunetière - Rues Jules-Bourdais, de l'Abbé-Rousselot et de Saint-Marceaux Passage de la Hutte-au-Garde et square Claire-Motte Boulevards du Fort-de-Vaux et de Douaumont - Avenue de la Porte-de-Clichy - Rue André-Suarès - Parc Martin-Luther-King - Rues de Saussure, de la Crèche et Christine-de-Pisan - Porte d'Asnières.
Deuxième jour : Avenue de la Porte-d'Asnières - Rues Pablo-Neruda et Jules-Verne (Levallois-Perret) - Rues de la Gare et Victor-Hugo - Route d'Asnières (Clichy) Pont d'Asnières.
Troisième jour : Pont de Levallois - Quai Michelet (Levallois-Perret) - Pont d'Asnières - Quai du Docteur-Dervaux (Asnières) - Parc de l'Ile-Robinson et Cimetière des chiens - Boulevard Voltaire - Cimetière ancien d'Asnières - Rue des Bourguignons - Gare de Bois-Colombes.
Quatrième jour : Gare d'Asnières - Rues de Bretagne et de l'Ouest - Avenues de la Marne, de l'Étoile, Flachat et Max-de-Nansouty - Rue des Bourguignons - Rues André-Cayron et Michelet - Villa Pauline, passage des Capucines et avenue des Trois-Communes - Rue des Champs, avenue et rue du Bac, avenues de la Cigale et des Basses-Bruyères - Avenue Baudouin et rue de Verdun
Rue de la Station et gare d'Asnières.


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19 février 2023

THE LAST OF US

 

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Le phénomène mondial du Covid 19 semble avoir eu des répercutions sur la créativité … Voilà qu’un jeu vidéo édité par Sony Computer Entertainement en 2013 se transforme en série télévisuelle remarquée et remarquable en 2023. Et cela certainement grâce à l’impact de la pandémie sur les esprits.
 Le jeu vidéo a bien sûr ses adeptes et ses spécialistes, ses magazines et ses critiques, en un mot sa « communauté ». Mais cela reste dans un cloisonnement qui échappe à l’audience internationale des productions de séries réalisées et diffusées par les chaines payantes.
La chaine américaine HBO ( Home Box Office) réitère ses succès internationaux d ‘« Homeland », des « Soprano » ou de « Games of Thrones » avec la réalisation et la diffusion d’une série très impressionnante intitulée: « The Last of Us ».

 

the last of us



Les cinq premiers épisodes sont diffusés en France grâce à un accord de distribution tout récent avec Prime Video, le concurrent de Netflix.
La pandémie donne des frayeurs et aussi des idées. Et cela renouvelle ici, un genre bien défini que l’on appelle la « dystopie futuriste nihiliste » The Last of Us est remarquable par son originalité formelle.
Du film de Fritz Lang "Métropolis"  à "Matrix" le genre est bien connu. Cette nouvelle série s’apparente à un des sous-genres lui appartenant que l’on pourrait appeler « collapsophile ». Cela concerne le futur d’ « Après ». Après la catastrophe, après le basculement du monde tel que nous le connaissons. Tel  l’ « Omega man » de 1971 avec Charlton Heston ou l’angoissant « La route »  tirée du roman de Cormac McCarthy. Le monde est livré à lui même. Il faut survivre. Une errance, une quête dans un monde sauvage parsemé de dangers nous mène de contrées ravagées en paysages effondrés. Les protagonistes révisent leur morale personnelle, s’adaptent à la dureté du temps mais gardent leur humanité. Les autres sont soit des tueurs insensibles en quête de nourriture soit des zombies décérébrés qui ne pensent qu’à mordre.


The Last of Us reprend ces codes si utilisés mais en les régénérant par différents choix très intelligemment agencés. La première scène de l’épisode 1 de la première saison ( la suite est en fabrication) nous mène sur un plateau de télévision en 1968. Deux épidémiologistes sont interrogés sur les craintes d’une pandémie virale pouvant être si facilement répandue par les voyages en avion. Rien de nouveau à cela, nous connaissons bien ce genre de propos. Mais où la série montre son originalité, c’est par le dérapage opéré dans la scène convenue dont on ne saurait rien attendre. L’un des spécialistes nous explique que les épidémies ont toujours existé et que l’homme survit malgré tout. Le monde a connu bien des soubresauts mais les virus ont été vaincu et que pas plus que les bactéries, ils ne sont le plus grand des dangers. La guerre et les maladies ont tué des millions de personnes mais l’homme gagne toujours à la fin. Cet épidémiologiste nous explique alors calmement que les plus dangereux des micro organismes pour l’homme sont les champignons !
La scène est filmée avec beaucoup de soin et de réaliste. Les visages des protagonistes sont adaptés à l’époque; même la couleur semble teintée d’un halo sourd et orangé qui nous plonge dans l’imagerie du début de la couleur de la fin des années soixante. Le ton est donné pour un déroulé assez excentrique dans la composition des scènes. Le temps est déterminé par des encarts: 1968 puis 2003 à Austin au Texas puis 2023 à Boston et retour en septembre 2003 à Djakarta pour ouvrir le deuxième épisode.

epidemiologistes 1968

Ces deux introductions à caractère scientifique force notre compréhension du particulier en l’introduisant dans un général qui nous fait sentir l’ampleur du problème que notre héros aura à affronter. Cette deuxième présentation du problème pandémique se déroule en Indonésie.

autopsie one

Une longue séquence avec une sorte de pesanteur nous amène à faire connaissance avec une excellente actrice indonésienne, Christine Hakim, qui interprète une scientifique spécialiste reconnue et autorité incontestable en Mycologie. Sous l’oeil des militaires, elle constate à sa grande stupeur le passage de la barrière d’espèce d’un champignon entomopathogène. La scène tournée en indonésien est d’une grande force. Le rythme en est lent et oppressant. Comme l’architecte naval devant le plan des caissons étanches perforés du Titanic qui s’assoit en présence du capitaine dans le film de Cameron, elle est la seule au monde à comprendre que le monde est perdu. Le général désespéré par ses propos lui demande que faire, elle tremble, sa respiration s’accélère, pose son thé sur la table et ne dit qu’un seul mot «  Bomb » .. « Bomb this city and everyone in it »

Christine Hakim


 Le décalage entre la douceur de cette dame d’âge mûr avec de jolies lunettes d’écaille et son propos radical nous glace d’effroi… Que sont ces champignons entomopathogènes? Est ce de la science fiction? Non cela est réel. Il n’y a que le saut de la barrière d’espèce qui n’est pas encore actuel. Le champignon Cordyceps de la famille des cordycipitaceae existe réellement. C’est un champignon parasite d’insecte qui prend possession de leurs corps, s’en nourrit et cause leur mort. L’entomologiste de la première séquence d’ouverture nous avait prévenu que la température du corps humain était trop élevée pour ce parasite mais que le réchauffement climatique s’il y avait lieu, permettrait sans doute des mutations de ce tueur redoutable. Le terrible champignon prend ici des allures de Blob dans le générique animé. Une excroissance jaune de ramification multiple utilisant un procédé qui ressemble beaucoup au déroulé du générique de Games of Thrones, les châteaux sont remplacés ici par des Blob.
  Le Blob est un mystère fascinant. Cette sorte de champignon très invasif doté d’une croissance extrêmement rapide car il double de taille chaque jour, semble doté d’une certaine « intelligence » .. Il trouve son chemin direct vers sa nourriture et mémorise ses trajets.. Il peut sortir d’un labyrinthe, les études le démontrent. Se développe et colonise ou se solidifie pendant plusieurs années s’il n’a pas de quoi se nourrir puis renait à la faveur d’une pluie avec nutriments …L’on sait aujourd’hui qu’il n’est ni un animal ni une plante ..c’est un Blob. Pour ceux qui ont des doutes, il faut lire la page qui lui est consacré sur le site du Muséum d’Histoire Naturelle.

Le cordyceps est un parasite d’organisme vivant, le blob heureusement non, mais la connexion entre eux par l’imagination du scénariste Grog Marin fait de cette pandémie fongide une terrifiante explication pour détruire le monde. Les « infectés » sont désormais gouvernés par leur seule envie de mordre et de se reproduire. Ils se transforment en ayant à différent stade de l’évolution du champignon des « excroissances fongiques » qui lui parasitent le visage et le corps. Les infectés sont aussi effrayants que les Orques de sinistre mémoire. Ils périssent par les flammes et les balles mais sont extrêmement rapides dans leurs mouvements d’attaque.

Dans les films comme Dawn of the Dead ( 2004) ou World War Z (2013) les premiers moments sont extrêmement soignés et très tendus. Il faut saisir le moment où tout bascule, le moment de rupture avec la vie précédente et la panique collective qui en découle. Dawn of the Dead montre un début intimiste et prend de la hauteur avec des vues aériennes impressionnantes où le spectateur peut suivre la course folle d’une voiture sur une route de campagne qui va percuter une station service. Dans World War Z, c’est une famille dans l'illusoire protection de l’habitacle de leur véhicule pris dans des embouteillages puis la vue panoramique en spirale d’une ville en feu avec Brad Pitt en hélicoptère, regardant le monde s’écrouler.
Il en est de même ici, les scènes d’avant le chaos sont situées en 2003..un père et sa fille. Des voisins plus âgés et sympathiques avec un gentil chien. Une banlieue très douce de Boston, le soleil et le sourire de la très jeune et jolie actrice Nico Parker ( vue dans Dumbo ) le temps s’écoule doucement en événements de la vie quotidienne apparement anodins, si ce n’est qu’ils ne sont là que pour nous faire toujours craindre le pire. C’est lent et descriptif, soigné et réaliste. Le drame survient bien évidement mais avec un enchainement assez étonnant où le spectateur ne semble voir que ce que la jeune fille ne voit et rien de plus ne lui est dévoilé. L’arrivée impromptu de son père la sauve d'un péril imminent qu’elle ne semble toujours pas réaliser. C’est très précisément daté du vendredi soir 26 septembre 2003. le jour où le monde bascule.

Pedro Pascal


Le père joué par Pedro Pascal est une bonne trouvaille. Cet acteur américano-chilien au physique particulier avait trouvé une belle présence dans un rôle, somme toute secondaire ( une saison ) de la série Games of Thrones. Il y incarnait Oberyn Martell qui meurt rapidement la tête écrasée entre les mains de la « Montagne ». Pedro Pascal poursuit alors une ascension qui, de "Narco" en passant par "The Mandalorian" l’amène à "The Last of Us" où il excelle. Les illustrations du jeu video laissaient apercevoir une sorte de stéréotype malvenu du beau et jeune « collège boy type » dont le cinéma américain a du mal à se départir. Juan Pedro Balmaceda Pascal détient un physique plus complexe pour ce type de personnage qui se dévoile contrasté. Brun, il est physique et viril, le port de la moustache qu’il semble porter à la ville, est assez convaincant pour étayer son profil psychologique.
Des indications très succinctes nous sont données. Il nous appartient d’imaginer son métier, la présence de son jeune frère, sa fille, l’absence de sa femme ..les implications du Desert Storm Combat vétéran aperçu en autocollant à l'arrière de son pick up. Il est très investi et responsable mais loin d’être psycho-rigide; il recèle une faille, une fêlure qui ne semble pas uniquement liée à son passé mais peut être aussi aux drames à venir. C'est un héros positif et torturé qui replace la force et la testostérone à sa juste place derrière le gouvernail d’un intellect et d’une sensibilité.

Le héros tragique fonctionne avec les ressorts de la tragédie: La fatalité, l’honneur, l’amour. La quête qui l’emmènera au travers des Etats Unis comme un chevalier errant, comme un impossible Galaad qui malheureusement ne retrouvera jamais le monde perdu, détruit, oublié par les nouvelles générations. Le couple père /fille ne reste heureusement pas longtemps présent face aux péripéties qui l’entrainent et le lient à une autre jeune fille qui devient sa fille symbolique, celle qu’il ne doit pas perdre car la tentation du renoncement est assez proche derrière les assauts de la culpabilité. Il n’a pas su, il n’a pas pu sauver ses proches. Son frère, Tommy devient le premier mobile de sa quête. Très vite l’honneur et l’amour le lui commandent, la fatalité l’écrase. Il devient encore plus dur à lui même comme aux autres mais la personnalité de la jeune Ellie qu’il doit protéger comme sa fille, le déride, le rachète à son humanité propre.

 

Bella_Ramsey_2022


Voilà de nouveau une belle et très judicieuse trouvaille en la personne de la jeune Isabelle May Ramsey dit Bella Ramsey. Actrice anglaise née en 2003, qui à l’âge de 10 ans fait des débuts très remarqués, elle aussi, dans la série Games of Thrones. Elle y apparaît dans le septième épisode de la sixième saison en interprétant la nièce de feu Lord Commander Jeor Mormon de la Garde de Nuit. Elle impressionne par son physique étrange et médiéval, sa tenue et la force de son jeu. Le choix opéré ici donne au personnage d’Ellie une dimension qui lui permet d’échapper au sempiternel cliché de l’adolescente insupportable qui est l’objet de toute les attentions des adultes forcement en décalage sur la jeunesse et les soucis de celle ci.
Rien ne nous est donné comme présentation des caractères. Ils apparaissent sans introductions comme par exemple l’actrice australienne Anna Torv, qui interprète Tess l’alliée de Joel joué par Pedro Pascal. Sans transition, on retrouve Joel à Boston en compagnie de Tess alors que nous l’avions laissé avec sa fille et son frère Tommy au Texas. Tess est une femme combattante, intelligente et de fort charisme. On ne sait rien de leur relation. Ils forment certainement un couple mais semble plus liés par les événements et leurs caractères que par leurs sentiments. Ils sont entrés en résistance contre l’ordre établi dans les zones de quarantaine où ce qui reste de l’armée américaine organise la vie avec une main de fer. On retrouve en écho parallèle les combats actuels des libertariens contre le pouvoir central, les fascinations survivalistes des milieux apocalyptiques. Car rien n’est très réjouissant dans ce monde de camps retranchés entourés par les infectés qui menacent tout le monde. La FEDRA (fédération) a établie une dictature sévère et punit de mort tous ceux qui sortent sans autorisation du périmètre sous contrôle. Les personnes sont euthanasiées, même les enfants, si le testeur indique une contamination. Cela rappelle le pistolet à température des temps covidiens.
La jeune Bella Ramsey incarne donc Ellie, un rôle prépondérant car elle devient un enjeu considérable et l’alter ego de Joel dans la poursuite désespérée pour la vie.
Elle apparait au milieu du premier épisode, le plus long des cinq diffusés en France à ce jour: 1h 20 mm. C’est une captive qui peu à peu laisse apparaître des informations sur l’importance de son rôle. Elle est peut être l’antidote si recherché depuis vingt ans car le Cordyceps est en elle mais ne peut se développer. Nous pouvons faire un aparté sur le Cordyceps Sinensis qui est actuellement très valorisé pour ses effets énergisants et vitalisants. Il fait partie aujourd’hui des champignons médicinaux très appréciés en Asie. Dong Chon Xia Cao en Chine, Tocheikasa au Japon « le champion chenille » agit sur le corps et l’esprit. Il élimine fatigue et lassitude, régule les hormones, améliore la santé reproductive et sexuelle, est bénéfique pour le système immunitaire et respiratoire!  Il arrive enfin en Europe! Vous pouvez en commander en ligne.

bella Ramsey


Revenons à Bella Ramsey. Sa prestation commence doucement pour prendre une ampleur ravageuse. Son physique y est pour beaucoup, son jeu aussi. Son visage est mouvant comme les dunes, la lumière comme le vent là bas, le sculpte en différent aspect. De terrifiante à jolie, elle passe d’une beauté florentine du quattrocento à une trisomique infernale sortie d’une photo de Peter Witkin. Son oeil est lissé comme celui d’un masque Nô, son front est bombé comme la poupée mécanique et brillante adulée par Donald Sutherland chez Fellini. Son menton rond lui donne cet air juvénile appartenant encore à l’enfance en complète confrontation antagoniste avec ce regard d’oeil inversé.
Le duo Pedro Pascal/Bella Ramsey fonctionne en domino, lui force physique et force mentale mais dépression et angoisses, elle jeune, fine et frêle, n’a pas connue le « monde d’avant ». Elle est gaie et curieuse de tout. Intelligente, elle se joue des règles et des adultes qu’elle décrypte très vite. Elle semble avoir une confiance infinie en elle même. Elle est l’avenir, la personne christique qui sauvera le monde par son sang qui résiste à l’infection.

view


Avec dix millions de dollars de budget par épisode, Last of Us laisse découvrir des décors grandioses, des vues de ruines « romantiques », de friches industrielles, de palais oubliés et secrets. Le directeur de la photographie Eben Bolter réussi à donner une ambiance particulière aux différentes scènes d’intérieur grâce à ses lumières extrêmement bien maitrisées. Le monde d’après ne dispose que peu d’énergie et les lumières sont diffuses, les dédales de couloirs crépusculaires recèlent de pièges et de mystères. La grande scène d’attaque de nuit de l’épisode 5 est en cela une réussite absolue. La lumière fut parait-il très difficile à mettre au point. D’ingénieux systèmes furent expérimentés à partir de grues avec un « filet d’éclairage de 400 tubes LED bicolores de 182 cm en grilles ». La confusion, le feu et les éclairs sont baignés dans une nimbe orange iodée. Le drame de Kansas City semble prendre ici sa conclusion. Les combattants libres ont réussi à renverser l’ordre établi mais la nature se rappelle à eux. Du trou béant sort l’objet de toute nos peurs, le stade fongique absolu de l’homme infecté recelant des défenses inconnues jusqu’alors.
La fin de cet épisode 5, le dernier actuellement, nous oriente vers la conscience d’une possibilité de remède ou d’un antidote bien que les faits en démontre la difficulté.

fongkiller


L’épisode 3 est un amusant pied de nez au spectateur. Basculant dans un prequel, un « flash back » qui s’impose à partir de quinze minutes. L’action se situe le 30 septembre 2003 soit le troisième jour après l’effondrement montré dans l’épisode 1. Nous assistons à un basculement de l’histoire dans une autre, avec deux excellents acteurs qui nous font oublier Joel et Ellie.
Nick Offerman et Murray Bartlett sont au centre d’une relation complexe et tendue, constituant un long développement qui dans sa chute se raccroche à notre duo. C’est extrêmement amusant de voir le scénario se jouer des codes dans un souci de réalisme qui commence par: Et pourquoi pas?

Nick Offerman et Murray Bartlett


La presse critique s’est fait l’écho de contestations sur les réseaux sociaux. De nombreux messages ont déferlé pour se plaindre de ce troisième épisode qui pourtant par son particularisme renforce d’autant le particularisme de la série.


L’interaction avec les infectés étant sommes toutes assez limitée, il en va de même avec le traditionnel film de zombies. Il faut les tuer avant qu’ils ne vous mordent, cela constitue le seul ressort de la confrontation. Ici, la confrontation avec les instances gouvernementales dictatoriales qui organisent la vie des survivants, avec les milices libertariennes voulant vivre en indépendance du gouvernement central donnent une trame de guerre civile dans lequel notre duo doit trouver son chemin. Cela complexifie le ressort dramatique et augmente les périls.

Melanie Lynskey

 

 

 

La personne de Kathleen, cheffe des milices de Kansas city est aussi une très bonne idée. Le personnage du « méchant » se trouve étoffé par une ambivalence que la comédienne néo zélandaise Melanie Lynskey incarne à merveille. Voilà une femme au physique agréable, assez ronde, à la voix douce et compatissante qui se dévoile implacable dans ses décisions drastiques.

Elle fait peur par son implication sans réserve dans le camp du bien en optant pour des méthodes radicales où la fin justifie les moyens employés. Elle impressionne par son autorité douce et argumentée qui fait fi de la vie humaine.

Ce personnage régénère la vision du « bad guy » en plaçant le féminisme guerrier au centre de la problématique de survie. Elle devient le chasseur et notre héros oublie les infectés qui deviennent un problème secondaire jusqu’à ce qu’ils réapparaissent pour faire monter la tension d’un niveau vers un insoutenable impossible que la terrifiante bataille finale termine.

 

  
Voici donc une série utilisant tous les codes traditionnels en les magnifiant par un découpage très surprenant de séquences données dans un désordre à la hauteur du chaos environnant. Le personnage principal, Joel, n’ayant pas encore livré ses secrets, provoque une interrogation pour la suite des aventures avec en maitresse de cérémonie, la jeune Ellie qui elle aussi, va devenir de plus plus ambivalente dans son rôle de teenager pourchassée. Le monde est à fuir et à reconstruire. Il n’y a pas de possibilité pour nous, spectateur, de prévoir la suite tant le monde est hostile aux héros positifs. La saison 1 comporte dix épisodes, cinq sont déjà diffusés.

 

La saison 2 est en tournage. L’avertissement réglementaire relatif au contenu nous renseigne:

« Contient des scènes de nudité, contient des scènes violentes, consommations de drogues, consommation d’alcool, tabagisme, contient du langage grossier, contenu à caractère sexuel »

Tout un programme face à la fin du monde…

yuck!

 

 

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

7 janvier 2023

LE TRIANGLE PARFAIT

triangle money

« It was the first time I had ever had a client conference in which the client was naked - and not only that, but trying to sit on my lap. However, it had been Linda Sandoval who had insisted on the time and place to meet. She was the one who got naked, not me. »



Il s‘agit d’un ton. D’un ton de voix, une narration si simple et efficace qu’elle se fige dans l’attention du lecteur, sans effort, sans résistance. L’histoire se pose dans l’esprit avec ses petits faits et son enchainement qui dans le premier sens du verbe, nous attache, nous captive. Michael Connelly raconte des histoires.
Il est maintenant une des premières personnalités d’un genre particulier de la « littérature » américaine; le fameux roman policier qui déroule ce monde fascinant et terrifiant des marginalités de la vie courante. Ses protagonistes sont l’incursion de notre normalité dans le monde souterrain des déviances, des moments de rupture dans des vies buttant sur, luttant contre, l’irréparable: la mort.
Il y a toujours des morts et des enquêtes, cela pose le roman comme genre…La justice doit triompher de cet irréparable. Le policier; l'avocat; le journaliste est là pour résoudre les mystères dans le but de faire passer la justice réparatrice du monde. Michael Connelly dresse en saga ses « héros » policiers, avocats ou journalistes qui se rencontrent et se retrouvent suivant les textes et les années.



«We were in a privacy booth at the Snake Pit North in Van Nuys. Deep down I knew it might come to something like this - her getting naked. It was probably why I agreed to meet her in the first place."Linda, please," I said, gently pushing her away.

"Sit over there and I'll sit here and we'll keep talking. And please put your clothes back on."

She sat down on the changing stool in the booth's corner and crossed her legs. I was maybe three feet away from her but could still pick up her scent of sweat and orange-blossom perfume."I can't," she said."You can't? What are you talking about? Sure you can.""No, if my clothes are on I'm not making money. Tommy will see me and he'll fine me.""Who's Tommy?""The manager. He watches us[…] »

club


« How much will this cost me?" she asked."Twenty-five hundred for starters payable right now. I can take a check or credit card. Then I go see Seiver tomorrow, and if it ends there, that will be it. If it goes further, then you pay as you go. Just like it works in here."
« She stood up to pull on the G-string. Her pubic hair was shaved and cropped into a dark triangle no bigger than a matchbook .There was glitter dust in it so the stage lights would make that perfect triangle glow.

"You sure you don't want to take it in trade?" she asked. "Sorry, darling. A man's gotta eat. "Once she snapped the G-string into place in the back, she stepped toward me and leaned down in an oft-practiced move that made her brown curls tumble over my shoulders.
"A man's gotta eat pussy, too," she whispered in my ear."

Well, that, too. But I still think I'll take the money this time." "You don't know what you're missing." She stood up and raised her right foot, removing her spike. She wobbled for a moment but then steadied herself on one foot. From the toe of her shoe she pulled out a fold of cash. It was all hundred-dollar bills. She counted out twenty-five and gave them to me. »

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Le «  triangle parfait » est une petite nouvelle de M. Connelly publiée en 2010 dans un livre collectif qui n’a toujours pas pas été traduite en français.  Ici, il n’y a pas de drame, de meurtre ou de mystère…Il n’y a que le ton et l’idée et c’est ce qui donne à la narration la force des autres grands romans publiés depuis 1992, dont certains sont des chefs d’oeuvres d’idées et d’agencements d’intrigues ..

Ce petit texte fut donc publié dans un livre collectif intitulé « The Dark End of the Street: New Stories of Sex and Crime » édité par Bloomsbury sous la direction de S.J. Rozan et Johnathan Sanglofer qui réalisa aussi les illustrations. C’est une commande, un exercice de style pour auteurs. Rozan et Sangloter, eux mêmes contributeurs avec chacun une nouvelle, demandèrent à des écrivains en vues d’imaginer une histoire « policière » utilisant le cocktail classique, mélange toujours à renouveler, du sexe et du crime.


Dix neufs nouvelles inégales en tailles et pertinences furent ainsi rédigées par des auteurs aussi différents que Joyce Carol Oats,  Jonathan Lethem, Laura Lipman, l’irlandais Patrick McCabe, l’anglais Lee Child et Michael Connelly entre autres.

Cette petite nouvelle non traduite dont il est question ici, signée Connelly est loin des production habituelle de l’auteur qui maintenant avec ses adaptations cinématographiques et télévisuelles très réussies acquière une grande notoriété..déjà fortement établie par des ventes remarquables et des prix comme le MWA« Prix mystère de la critique », l’Anthony Award et le Grand Prix de la Littérature Policière, catégorie roman étranger.
Chaque livre des aventures de l’inspecteur Hieronymous « Harry » Bosch, de l’avocat Mickey Haller ou du journaliste Jack Mac Evoy est traduit en quarante langues et diffusé largement dans le monde entier.
« The perfect triangle » caché dans un ouvrage collectif au succès confidentiel est injustement hors de portée du lecteur non bilingue …Voici ici par une petite note la réparation de cette injustice criante. Car la fécondité de Michael Connelly qui sait derrière l’intrigue de ses romans mettre en place une atmosphère jouant sur l’identification du lecteur opérée à plusieurs niveaux, distille ici dans ce tout petit texte, une poétique exclusivement américaine que l’on peut retrouver par exemple dans les paroles et la musique de Tom Waits comme de Springsteen.

Le propos se déroule en trois temps. Une première discussion avec une jeune femme sous le coup d’une « mise en examen » pour un délit mineur. L’intervention de son avocat pour que l’affaire soit classé ou même rejeté par le bureau de police pour vis de forme, puis de nouveau une rencontre avec la jeune femme pour lui annoncer la bonne nouvelle…

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L’ingéniosité de Connelly place la bannière « sex and Crime » sur un registre mineur et très particulier… La jeune femme, Linda Sandoval est une étudiante avocate qui a elle même trouvé la faille dans la procédure …Elle joue son avenir car sa probable condamnation ruinerait sa future carrière. Mike Haller, un des personnages récurrent de Connelly*, est un avocat en cheville avec un policier du nom de Seiver qui supervise les dossiers à présenter au juge …Le monde du sexe est admirablement évoqué en plaçant la discussion dans un club de striptease, le Snake Pit North situé sur l’avenue Van Nuys à Los Angeles. Connelly ne cache pas la sourde excitation de Mike Haller..Il le fait parler, il le fait nous parler, à la première personne..Le « crime » est ce que l’on qualifie d’ "attentat à la pudeur" c'est à dire un bain diurne et naturiste dans le Pacifique…La faille est que le délit n’est recevable qu’en flagrant délit ..alors que dans cette situation, c’est le policier qui a créé le délit en demandant à la jeune femme de sortir de l’eau et donc a lui même provoqué sur le fait, l’attentat répréhensible… Elle aurait dû se vêtir avant de sortir ..Mais le policier lui a ordonné de sortir de l'eau devant témoins. Cette subtilité peut être recevable en droit, mais ne pourrait être immanquablement retenu par le juge donc par sécurité, Seiver, le policier en charge des dossiers, convaincu de l’importance de faire échapper aux foudres de la justice cette futur avocate « protégée » de Mike Haller, trouve un autre subterfuge pour classer l’affaire….

Capture d’écran 2023-01-07 à 15


« Actually, no dispo. I want to talk about making the case go away. Completely. Before it's filed." Seiver's head came up sharply and he looked at me.

"This chick was caught completely naked on Broad Beach. She's an exhibitionist, Haller. It's a slam-bang conviction. Why would I make it go away? Oh, wait, don't tell me. I get it. The sandwich was really a bribe. You're working with the FBI in the latest investigation into corruption of the Justice system. I didn't know it was called Operation Brisket. »

« What are you talking about, an entrapment defense? Is this a joke?"

"It's not entrapment but it's not a valid arrest. The deputy created the crime and that makes it an illegal arrest. He also humiliated her by having her dragged out of the water and put on public display. I think she's probably got cause for civil action against the county. »

(.......)


« But you have an alternate plan," I prompted."Of course I do, Haller."He stood up and moved what was left of his sandwich from the clear spot on his desk."Hold this, Haller."I stood up and he handed me a file with the name Linda Sandoval on the tab. He then stepped up onto his desk chair and used it as a ladder to step up onto the clear spot of his desk.

"What are you doing, Seiver? Looking for a spot to tie the noose? That's not an alternative."He laughed but didn't answer. He reached up and used both hands to push one of the tiles in the drop ceiling up and over. He reached a hand down to me and I gave him the file. He put it up into the space above the ceiling, then pulled the lightweight tile back into place.Seiver got down and slapped the dust off his hands."There," he said."What did you just do?""The file is lost. The case won't be filed.  »

La scène finale pose le dilemme intérieur de l’avocat Haller; il est heureux d’annoncer à Linda Sandoval qu’elle échappera pour toujours aux tracas judiciaires et pourra poursuivre son intention d’intégrer le barreau. Il lutte contre son sur-moi face aux réminiscences des propositions de récompenses formulées lors de son premier entretien avec Linda Sandoval. Connelly joue avec son public masculin et flatte son public féminin.
 Les lumières du bar, les néons du bureau fonctionnel, le mobilier et les ambiances des deux lieux antagonistes, la boite de Strip et la petite pièce surchargée de dossiers du fonctionnaire fonctionnent à merveille pour se renforcer l’un l’autre ..la scène de la baignade uniquement racontée par Haller s’entoure de visions en parfaites résonances avec la position érotisée de Linda Sandoval dans ses entretiens avec Mike Haller. La fin est un « Happy ending » qui satisfait le lecteur….Cette nouvelle n’est pourtant pas « cinématographiable » car la puissance d’évocation est supérieure à tout ce que l’image pourrait montrer, dévoiler et pour ce faire, minimiser. Si simple, si efficace comme un Haiku, le Triangle Parfait est peut être aussi intraduisible sans enlever la pure poésie particulière américaine, existant par ailleurs dans les silences d’Edward Hopper par exemple.

 

Capture d’écran 2023-01-07 à 15


« But I had to see her one more time. Her body had left a memory imprint on me in the privacy booth. And I had started dreaming about being with her now that the case was closed and it could be argued - before the Bar if necessary - that she was no longer a client. Bar or no Bar, I wanted her. There was something intoxicating about having the smartest girl in the room moving up and down on you. »



hall of P

« She paused for a moment, her face hard in the red light bouncing off the mirrors in the club."Okay. Then let's go make Tommy happy."She came back and took hold of my tie. She led me toward the back rooms and the whole way there I thought that there was no doubt that she was going to be a better lawyer than she was a stripper. One day she was going to be a killer in court. »

« Elle s'arrêta un instant, son visage dur dans la lumière rouge qui rebondissait sur les miroirs du club. "D'accord. Alors allons rendre Tommy heureux." Elle est revenue et a saisi ma cravate. Elle m'a conduit vers les arrière-salles et pendant tout le trajet, j'ai pensé qu'il ne faisait aucun doute qu'elle serait meilleure avocate qu'elle n'était strip-teaseuse. Un jour, elle allait être tueuse au tribunal. »

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Extraits de
Short Stories
Michael Connelly
https://itunes.apple.com/WebObjects/MZStore.woa/wa/viewBook?id=0
Le contenu intégral est protégé par des droits d’auteur.

girl girl

 

 

 

 

*  Mickey Haller apparait dans six romans de Michael Connelly dont le dernier intitulé "The Law of Innocence" a été publié en 2020.

 

 

 

 

 

5 novembre 2022

ANTHROPE ART

 

A1


( Attention cet article contient de nombreux anglicismes)



Incipit :
La volonté et les possibilités de la transformation des corps prennent une certaine importance dans la société actuelle mise en vitrine par les réseaux numériques de communication sociale.

Genèse du processus, réflexions artistiques et révolutionnaires.

Réflexions sur le « Bod-Mod » ou modifications corporelles.


Photo Charles Paul Wilp 1960

La main de l'artiste est de l'Art.

Le Ready made n’a pu s’imposer qu’en fracturant des barrières mentales scellées par la raison. C’est à dire qu’il était impensable de percevoir une faïence manufacturée moulée en urinoir comme une fontaine désignée comme oeuvre unique. Le performatif est un outil puissant d’hypnose collective. Il est dit, décrété, affirmé de la position d’où il émane pour créer une vérité. « Je vous déclare unis par les liens du mariage » Qui parle, d’où parle-t-il, sont la condition du performatif. La fonction reconnue et respectée de celui qui « déclare » utilise l’autorité de sa position pour faire naitre par le verbe ce qui n’existait pas quelques secondes auparavent. Par le Ready made, le domaine sacralisé de l’Art s’est trouvé ainsi ouvert à des possibles inimaginables. Des objets, le performatif s’est déployé sur les corps. Nouveau terrain pour y affirmer une démarche artistique, l’artiste produisant de l’art par le simple fait de son geste ( innéité du talent ). Jeter de la poudre d'or dans la Seine est de l’art. Cela est de l' art car il est un artiste. La main de l'artiste est de l'art, jusqu'à par exemple s'approprier un mélange de sulfate ferreux et de cyanoferrate qui donne en proportion de sulfate de chrome et de bleu de Prusse, une couleur qui devient a elle seule une oeuvre d’art en poudre: le bleu Klein.

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Anthropoétries en musique - Klein- 1960


Du geste au corps, la « performance » de l’artiste utilise le corps de volontaires ,de préférence de jolies femmes nues, roulant pleines de pigments sur de grands papiers qui deviennent des « oeuvres »( cf: anthropométrie Klein 1960) puis bientôt chez ses émules, par une démanrche induite, son propre corps lui même sacralisé par sa position d’artiste agissant. Le corps et ses émanations rentrent dans l’oeuvre créée en tant que médium de la démarche qui par son concept énoncé, se donne à voir et à comprendre par le spectateur parfois lui même associé. Les grandes performances des années 1970 sont à regarder comme un apprentissage élitiste, intellectualisé d’une « action sur le corps » donnant  « une action sur l’esprit ».

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Gina Pane - épines dans la peau -  performance 1974


 Un courant avant gardiste parmi ses manifestations se défini comme « art corporel », il est très documenté grâce à la revue « arTitudes » de François Pluchard qui fut son rédacteur en chef de 1971 à 1977. Comme nous l’explique Clélia Barbut dans « Valeurs et formes de la réalité dans l’art corporel français des années  1970 » ( perspectiva.net)  Les artistes comme Gina Pane (1939-1990) Michel Journiac (1935-1995) ont fait de leur corps un « matériel d’art ». Utilisant le corps et ses fluides, sang et autres, comme un outil, une mobilisation du vivant pour dans un premier temps s’opposer au langage artistique traditionnel « saturé d’histoire ».
C’est une démarche critique comme le souligne François Pluchart: «  L’art n’a rien à voir avec l’esthétique. C’est un exercice critique et son efficacité est d’autant plus grande qu’il s’affronte plus ouvertement aux tares de la société ».  La société et ses malformations sont l’objectif de la lutte. L’art traditionnel est par son culte du beau, un bandeau sur la réalité. C'est cette même réalité qui par la sociologie moderne ( année 70/80) devient un champs de lutte contre les dominations, les déterminismes, le goût cultivé, le conservatisme bourgeois. L’ "habitus" ou l’ "hexis corporelle" de Pierre Bourdieu est un préalable à la réflexion de l’artiste en lutte. L’habitus, c’est la manière de se tenir, la manière d’être, c’est l’acquis qui fonctionne comme de l’inné: « Culture devenue nature, c’est-à-dire incorporée, classe faite corps, le goût contribue à faire corps de classe; principe de classement incorporé qui commande toutes les formes d’incorporation, il choisit et modifie tout ce que le corps ingère, digère, assimile, physiologiquement et psychologiquement. » ( La Distinction, critique du jugement social cité par Clélia Barbut).
 La performance comme lutte avec le corps pour libérer les corps de classe en cassant les « habitus » carcan imposé par la classe dominante sur d’ elle même et de son jugement. Ressentiment? Revanche? En tout cas volonté de sortir du cadre formaté, de s’émanciper des injonctions bourgeoises normatives.

 Comme le souligne très justement Nathalie Heinich dans le « Triple jeu de l’Art Contemporain » (Ed minuit 2002). Calqué sur le modèle religieux, les artistes sont les prophètes bousculant la société (pleine de tares), les critiques d’art, commentateurs, galeries et autres pourvoyeurs sont les prêtres et grands prêtres (ordonnant le culte) , le public est la masse des fidèles ( qui écoutent et croient).

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La lutte contre la « société » permet toutes les transgressions. Le progressisme est une transgression, l’avant garde une prophétie.
Lorsque Mireille Porte dit ORLAN propose contre une pièce de cinq francs « le baiser de l’artiste » lors de la FIAC en 1977, la répercussion est immense …Assise derrière une coque avec photographie de sa poitrine nue, elle embrasse celui qui met une pièce dans la fente du distributeur…comme pour un chewing-gum dans le métro.  Cela choque et fait réfléchir ..sur quoi? La marchandisation des corps? Nous n’y étions pas encore en 1977. Consumérisme ? Prostitution? Non, contre les « bonnes moeurs de la morale conformiste » par l’humour. C’est par la prise de pouvoir sur son corps qu’Orlan s’affiche et provoque. Elle joue avec le regard des hommes et provoque les femmes, en se mettant en scène. L’oeuvre d’art c’est elle, la suite le prouvera.
Sa détermination dans l "Art corporel " l’amène à utiliser ses opérations de chirurgie esthétique comme happenings scénographiés et filmés. Ses liposuccions sont  gardées en bocaux comme le ferait Piero Manzoni avec « Mierda di Artista» en 1961.

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Orlan performance chirurgicale, lecture du manifeste.


 Son corps, son visage, son apparence se transforment aux grés de ses propos sur l’art et l’esthétisme traditionnel qui d’après elle détermine une beauté culturelle dominante et excluante. Après l’activisme viennois, les performances travaillant sur le corps, la douleur, le sang, les fluides de Journiac et d’autres, le corps se libère des prescriptions chrétiennes qui le sacralise. Il est à rappeler que le christianisme s’est toujours opposé aux schémas dualistes "dévalorisant" le corps humain.

La personne humaine est créée à l’image de Dieu, pour ressusciter au dernier jour ; son corps est digne de respect. C’est en son corps, et même par celui-ci, qu’elle est appelée à glorifier Dieu, c’est-à-dire à révéler sa présence, qui se manifeste dans l’amour entre les êtres humains. Le respect du corps impose donc par la morale induite qu’il ne doit pas être scarifié, mutilé, dessiné de façon aussi éphémère que définitive. Ces prescriptions n’ont plus cours dans la psyché collective déchristianisée. Au moment ou l’art investi le terrain du corps comme moyen de lutte, le corps sain et modelé revient par delà les années trente (moment de glorification hygéniste) comme une philosophie héroïque terminant l’individualisme forcené des sociétés occidentalisées. La jeunesse et la beauté comme modèle indépassable sont les objectifs de ces nouveaux croyants progressistes. La modernité, la jeunesse, le corps sain musculeux et sculptural sont les bases d’une nouvelle tendance émergeant à la fin de la décennie1970, pour exploser dans la suivante. Le body building, l’aerobic, le stretching, le jogging et autre cardio training sont de nouveaux mots qui apparaissent en même temps que les nouveaux physiques.

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 La transformation du corps est une possibilité d’agir sur le monde car le regard d’autrui n’est jamais sans répercussion sur chacune des parties. Exister par le regard, se sentir invisible en regardant les autres. L’image de soi devient réelle dans le miroir puis dans le regard porté par le spectateur, à savoir, le passant anonyme comme l’ami.

Mon corps et son apparence modifiée constituent la preuve de mon implication personnelle. Je me suis retranché dans une marge, libéré des carcans imposés par une société qui formate les pensées et les comportement dans une posture conventionnelle que l’on peut qualifier d’« an-artistique ». Preuve de ma personnalité unique et artiste, je transforme mon corps pour faire émerger mon moi libéré. Le bien connu culte du corps s’affranchit donc des sports pour devenir une oeuvre personnelle.

Même si cette marge libérée aurait tendance à devenir une partie aussi importante que le tout, elle est encore regardée comme une marge à intégrer à des niveaux divers d’implication. Il y a quinze ans, à Londres l’on pouvait voir des chauffeurs de bus avec les bras entièrement tatoués, ce qui était impensable à Paris. A ne considérer que le tatouage, l’on a rapidement la perception d’une immense progression de cette pratique réservé à des groupes affichant sur le corps une sorte d’avertissement social, correspondant à des passages initiatiques.

Les marins et les légionnaires, les voyous et les prisonniers avec quelques minorités comme les gitans utilisaient seuls ces codes. Le monde anglo saxon avait montré une tolérance plus grande dans les rapports sociaux à ce qui était considéré en Europe comme proscrit pour bon nombre de métier de service. Il était impensable d’avoir à la RATP ou la SNCF des employés tatoués d’une manière voyante. Il n’y avait que très peu de serveurs parisiens qui ne laissaient voir sur leurs avant bras de grossiers dessins fait artisanalement à l’encre bleue, traces d’une tumultueuse jeunesse. La place de ces marques avaient elle même une importance. Les biceps, la fosse cubitale, le dos étaient traditionnellement les zones recevant les marques et dessins colorés ou non qui disparaissaient derrière l’habillement. Le visage n’était utilisé qu’exceptionnellement pour les « yeux de biche » ou le « point des macs » qui sont de petites marques discrètes. On les trouve chez les voyous et les gitans, il s’agit d’un petit tiret dans le prolongement de la paupière et d’un seul point discret sur la pommette. Ces seuls signes pourtant, vous excluaient de bon nombre de métier.

Faire de son corps une oeuvre d’art par le sport ne suffit plus à le distinguer. Il faut l’orner, le travailler comme le font les peuples de l’Océanie où d’ailleurs. Les ornements maori ont commencés à fleurir. La pratique de ce populaire «  body art » s’est intensifié et amélioré avec le piercing, le stretching ( cette fois ci dans son sens d’étirement réel du trou de la partie percée), les implants corporels donnant du relief ( Il ne s’agit pas ici que de prothèse mammaire mais bien de métal de forme variées placés sous la peau ). Les dreadlocks ou cadenettes ( terme français qui désigne les nattes de plusieurs coiffures d’homme, portées chez les Hussards, les grenadiers par exemple ) se popularisent avec le mouvement Rastafari et sa musique. Toute ces outils pour transformer le corps ont été déjà utilisés par bon nombre de peuples sur la planète. Un condensé de ces pratiques se retrouvent dans les techniques actuelles de modifications corporelles. Il y a une sorte d’ "appropriation" des marques d’appartenance à la tribu qui se trouve regroupée dans une communauté internationale.

Jak Nola

 


Prenons comme point paradigmatique l’artiste Jak Nola de nationalité Néo-zélandaise. Jeune femme de talent qui pratique le tatouage, la musique, le dessin, la peinture et la sculpture. Elle montre au travers de tous les moyens dont elle dispose ( site internet, réseaux sociaux et articles de presse..) les productions artistiques qu’elle met en vente. Elle réalise des bijoux fait de métal et de cuir qui peuvent, par certain égard être classés en production « Steam-punk » ce genre si particulier de futurisme passéiste. Elle réalise de curieuses peintures très structurées avec des motifs répétitifs et des personnages étranges. Mais sa principale réalisation qui authentifie tout le reste, c’est elle même.

Elle a opté pour une transformation complète de son apparence. Utilisant le tatouage à outrance, elle a recouvert son corps de motifs colorés qui ont petit à petit disparu derrière la nouvelle pratique du « Blackout » qui est le tatouage noir intégral sans dessins, sans nuances. Cette technique a été mise au point par un tatoueur de Singapour nommé Chester Lee.

 

Richie Grossman/The blackout tattoo is spreading like an ink stain out of a Girard Avenue tattoo parlor.

 

 Technique mise au point pour faire disparaitre d’anciens tatouages. Chester Lee se rendit compte que les solutions proposées d’effacement au laser étaient toutes considérées comme très onéreuses, douloureuses, longues et inefficaces. Il proposa donc recouvrir les anciens tatouages par de l’encre noire. Lee fit de nombreux émules car cette solution eut énormément de succès. Il ouvrit une sorte de second marché qui fut rapidement adopté par beaucoup uniquement pour son esthétisme totalisant. Le tatouage est une pratique accumulative. On ne s’arrête pas. Le Blackout règle le problème ( à moins de passer au blanc sur le black-out.. Peut être un troisième marché en devenir..?)
Jak Nola regroupe sur son corps la plupart des possibilités de le transformer. Elle est recouverte d'un blackout sur les bras et le torse; a les jambes décorée jusqu’aux pieds partiellement en blackout. Son cou, son front et ses tempes jusqu’à ses oreilles aux lobes élargies sont décorés, ses cheveux sont tressés en Lock très longs et fins regroupés en chignon quasi victorien. Seul son visage est libre avec des implants au dessus et dessous de ses lèvres, elle arbore aussi des implants mammaires lui donnant une poitrine haute et très ronde..

Jak NOLA


Ses yeux sont tatoués, ce qui lui donne ce regard différent de la norme, très en accord avec son apparence générale. La kératopigmentation consiste à tatouer la cornée, c’est une pratique d’abord ophtalmologiste différent du tatouage sclérale, qui lui, consiste à injecter sans anesthésie de l’encre sous la conjectivite du bulbe de l’oeil, dans la partie libre avant la sclère.  ( Quand nous avons un oeil rouge c’est là où le sang se répand). Cette pratique de plus en plus courantes aux Etats Unis est bien maitrisée. Elle est irréversible et n’est pas sans risques. Les complications de cette manipulation peuvent être dramatiques comme le rapporte un médecin ophtalmologiste dans un article du Nouvel Obs ( Rozem)
« Il y a un risque de perforation de l’œil si le tatoueur injecte l’encre dans la sclère. On peut alors se retrouver avec du produit à l’intérieur de l’œil, ce qui est extrêmement dangereux. Si l’encre pénètre, pendant l’injection ou avec le temps par diffusion, à l’intérieur de la sclère, cela peut entraîner l’apparition de corps flottants, une lésion du nerf optique et de la rétine, et donc à terme altérer énormément la vision. »

tongue


Les yeux entièrement noirs de Jak Nola sont jamais aussi brillant que lorsqu’elle ouvre la bouche pour agiter sa langue bifide comme celle des couleuvres. Le « Tongue splitting » en anglais ou « Tongue split » en franglais est la séparation de la partie antérieur de la langue. La particularité du muscle de la langue est qu’il s’adapte à cette séparation en devenant autonome. Les bouts de langue peuvent se mouvoir indépendamment. Etant côte à côte dans la bouche, l’élocution ne change pas. Les premières séparations eurent lieu aux USA au milieu des années quatre vingt dix et cela d’une manière artisanale. Le dénommé « Lizardman » ( L’homme lézard) en fit un commerce. Tatoué d’écailles sur le corps et le visage, il se produit avec sa langue bifide sur différentes scène cf: https://sites.google.com/view/thelizardman/home)


 Les pouvoirs publics ont réglementés cette pratique. Elle doit être maintenant confiée à des professionnels du monde médical et cela dans la plupart des états américains ainsi qu’en Angleterre où les "body transformers" sont très encadrés. Les risques d’infection étant très élevés, ils leur est interdit de pratiquer ce que la loi considère comme des « mutilations ».


En France, c’est le vide juridique qui prédomine. Cette pratique n’est ni interdite ni réglementé. Plus discret que le tatouage facial, les implants ou les piercing, la séparation de la langue semble avoir des motivations premières qui seraient plus sexuelles qu’artistiques. Le cunilingus et la fellation s’en trouvent dit-on améliorés comme le ‘French kiss ».


Jak Nola agit sur son corps en pratiquant la suspension cutanée. C’est une façon de « méditer », de prendre son corps en esprit, suspendu par des cordelettes, la peau insérée dans des crochets. Cette pratique vient des rituels chamaniques en cours chez certains peuples Amérindiens et des Iles. Rituels de passage, d’initiation.

OKALL M

Venue des Etat-Unis au début les années 90, la "suspension" regroupe de plus en plus d’adepte comme l’explique Veg, créateur et animateur du collectif français Endorphins Rising: « La culture de la modification corporelle implique la permanence avec le tatouage et la scarification notamment, on marque le corps, on l’altère, le transforme de manière définitive, la singularité de la suspension et, avant ça, du play piercing, des aiguilles insérées dans la peau non pas pour y mettre ensuite un bijou mais pour vivre l’expérience de sa chair, de sa vulnérabilité, de la rencontre avec la douleur et le plaisir, du corps qui libère des endorphines dès lors qu’il est perforé. Je trouvais intéressant le fait d’habiter son corps d’une façon singulière, originale et personnelles sans pour autant que ça implique un motif définitif ».


Dernière étape de cette action sur le corps travaillé par cette communauté s’intitulant les « Bod-Mod » (C’est à dire les "body modification" en anglais) qui expérimente les nouvelles pratiques venues des Etats Unis. Le « Branding » remet au gout du jour le marquage au fer rouge pratiqué depuis des siècles.

 Le "Bod-Mod" montre toute une progression, une graduation depuis le petit anneau dans l’oreille jusqu’aux infibulations, subincision et chevillages pratiqués dans certaines civilisations. La première des modifications corporelles dans le monde étant rappelons le, la circoncision.

 

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Jak Nola peintre.

Avant un petit détour par la phénoménologie de l'Étre, il est peut-être intéressant d'aller vers la psychanalyse pour tenter d'avoir un début d'explication et donc de compréhension. La psychologue cliniciennne Marion Schrimpf, spécialiste de l'Art Brut, nous parle brièvement de l'art de Jak Nola après lu son interview sur THINGHS&LINK (th.inl.co.uk)

MARION SCHRIMPF à propos de Jak Nola.:

On ne peut faire que des hypothèses sur les mécanismes de l’inconscient à l’œuvre dans ces pratiques, celles-ci relevant d’histoires singulières, intimes dont seul le sujet d’un discours sur celles-ci détiendrait une vérité.

 Si, s’appuyant sur des références Freudiennes, Lacaniennes, on peut faire l’hypothèse, d’une manière très générale, d’une faille, d’une lacune du coté symbolique, le fait de marquer le corps, d’«encrer» la peau, pourrait apparaître alors comme une tentative de symbolisation ; «le trait unaire» sans cesse redessiné, ré-encré, réinscrivant alors indéfiniment un support à la chaîne signifiante (séminaire IX L'identification, Jacques Lacan). La difficulté à être sujet dans le symbolique marque alors cette position défaillante qui n’a de cesse d’être re-encrée.

De la même manière que l’enfant du stade du miroir, le sujet, se faisant tatouer pour se sentir regardé, ne se sentirait il pas reconnu par l’Autre, en tentant d’«effracter » le regard de celui-ci ? Par cet accrochage du regard, le Moi en tant qu’il est, non seulement, imaginaire, mais plus précisément spéculaire, n’essayerait il pas de se (re)constituer ? Par l’angoisse que tente de susciter le tatouage, le sujet se voudrait alors objet à l’insu de l’autre, du regard. D’objet de regard, il en est l’acteur, prenant au piège la pulsion voyeuriste de l’autre.Tout ce qui est de l’autre, du narcissisme, Lacan dira au sujet du stade du miroir : « C’est par la voie du regard que ce corps prend son poids ». C’est cette position qui défaille chez ces sujets tatoués, leur difficulté à être sujet dans le symbolique.

Ici, n’ayant que peu de documentation sur Jak Nola, c’est à partir de quelques bribes de discours trouvées sur internet que l’on peut tirer quelques fils significatifs. Elle dit : «Donc, ma vie, c'est généralement moi qui fais tout ce qui précède en voyageant ». On serait tenté bien sur, d’y entendre un banal désir d’affranchissement de son milieu familial, social, culturel, voire humain, par le prétexte du voyage mais, à travers ce travestissement permanent de peau, se dessine de manière sous jacente un fantasme d’auto-engendrement. Par le truchement de la création artistique, le fantasme d’auto- engendrement est représentatif à la fois du désir de re-création, et à la fois de l’impossibilité de penser la question de la dette ..«le fantasme de la scène originaire révèle la blessure qu’inflige au narcissisme la conscience de sa contingence dans l’être, et de la dette originaire ainsi contracté. Il exprime également l’aveu de cette même dette, ainsi que le profond désir de se voir relié à ceux en qui on a ainsi trouvé une origine» (Vergotte - l’homme et ses destins). Ainsi l’encre ajoutée sur la peau vient recouvrir le corps des origines, l’effaçant, cachant une filiation peut-être impensable, difficile à regarder. Il s’agit alors de se re-récréer un corps, une peau neuve, camouflant alors la souffrance, au travers d’un acte douloureux, prix à payer de la renaissance. Ce corps légué par les parents est à modifier pour devenir soi, ne plus être entaché d’une origine.

De plus, la captation par le regard que suscite le tatouage donne un attrait phallique à une ficigure qui se détache du corps et qui peut donner lieu à un fantasme qui l’érotise. Le fantasme de la scène originaire est ainsi balayé au profit du sexuel.

Elle dit littéralement :« Au sommet de chaque orgasme se trouve un esprit vraiment libre ».

D’une manière plus représentative, sur ses dessins, peintures apparaissent serpents et corps de femmes érotisés, saturant l’imaginaire. Sur son corps l’incarnation d’une figure reptilienne laisse ici place à un réel dont le symbolique semble à nouveau lacunaire. De « femme-reptile » à la langue coupée, la figure du serpent capte le regard par l’angoisse, image effractant le réel par ce qu’elle possède de symbolique en l’autre ; elle force le regard, le piégeant dans un réel créant une confusion.

Pour Jak Nola, on peut supposer que derrière cette figure de serpent se glisse celle de l'ayahuasca, de la même manière que derrière celles des champignons magiques - figures récurantes, apparaît celui d’un monde non bridé, célébrant la puissance de l’imaginaire, ici roi.

De la race des humains, Jak Nola tente de se faire une autre peau, une peau dont les origines sont à trouver ailleurs ...

Pour conclure, il y aurait à craindre que le lieu commun de l’idée de la création, dans son lien à la chose esthétique ne vienne renforcer l’idée d’une réinvention de la vérité par l’art, alors que de vérité par l’art, si l’on peut être tenté d’en saisir une, ressemblerait plus ici à l’expression d’une souffrance qu’à l’idée romantique que peut évoquer la création.

mushrooms & snake

paintings by Jak Nola

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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Parmi la communauté internationale des « Bod-Mod » un jeune français se distingue en modifiant si drastiquement son apparence qu’il laisse loin derrière lui les premières modifications d’ORLAN qui aujourd’hui, il faut le préciser préfère s’adonner aux transformations numériques; certes moins parfaitement visuelles que dans le film Avatar de James Cameron mais plus élaborées conceptuellement. 

Ce français Bod Mod habitant Barcelone se nomme Anthony Loffredo. Né en 1988, il a élaboré le projet de se transformer en extraterrestre. Le « Black Alien Project » a fait de lui un être méconnaissable qui prend sa transformation physique comme le but ultime de sa démarche. Il se donne à voir, s’expose, se montre à travers les réseaux sociaux comme « internet personnality » et «  social media star ». Sa démarche n’est pas précisément élaborée en discours explicatif ou revendicatif. Il se distingue par sa fuite en avant devenant une sorte de « leader du Black Alien Project ».

BLACK ALIEN PROJECT


Il a transformé son corps par le culturisme d’abord en état pompier dans le sud de la France puis son apparence change avec la panoplie complète des possibilités. Son corps musculeux est tatoué sur l’ensemble en une sorte zébré blackout. Ses yeux sont tatoués en noir. I’épilation électrique définitive lui enlève sa chevelure qu‘il remplace par des implants sous la peau du crâne. Il a une langue bifide et s’est fait subir l’ablation des oreilles, du lèvres et du nez jusqu’aux cartilages. Ses dents sont limées en pointe et il s’est fait poser récemment un gros labret bleu sous sa lèvre inférieure.

Ses mains ont été mutilées volontairement de l’annulaire et de l’auriculaire pour avoir des mains noires d ‘« Alien ». Il envisage d’aller au Mexique se faire amputer d’un tibia et pied. Sa vie est un mystère bien entretenu. Il n’a pas de femme et d’enfant mais dit être très proche de sa mère. Il est très connu du milieu  Bod mod et très suivi sur Instagram et Facebook bien qu’il ai fait disparaitre récemment l’ensemble de ses « posts ». 

Ca BLACK GERM

Le sociologue et anthropologue Philippe Liotard pourrait nous restituer dans un contexte d’évolution récente le profil de « Black Alien ». Liotard est chargé de cour à l’Université de Lyon I, après les facultés de Montpellier et Strasbourg; il est spécialiste des nouvelles pratiques de transformation corporelles venues du monde anglo-saxon. Le site Rue 89 nous renseigne sur ses champs d’investigations:

« Ses thématiques de recherche portent sur les modifications innovantes, depuis les modifications liées à l’éducation jusqu’aux modifications contemporaines de l’apparence.(…) En dehors du monde universitaire, il est connu pour ses contributions dans la revue de Quasimodo, dont il est l’un des fondateurs. Il a publié nombre d’articles sur le piercing, le tatouage et sur les dimensions éthiques, culturelles ou politiques liées au corps. »  Il serait intéressant d’étudier les dimensions psychologiques de la transformation corporelle allant du tatouage contemporain  jusqu’aux « Bod-Mod » Quelles sont les ressorts sous jacent à la prise de décision d’exister en se transformant. Pourquoi le tatouage est-il devenu si courant chez une génération sans beaucoup de prédécesseur en Europe? Pourquoi les femmes sont elles passées du rien au tout? Il était extrêmement rare de voir une femme tatouée il y a peu. Le modèle Amy Winehouse a-t-elle a se point marqué les esprits?

 

 20/m

Atony avant / Alien après

 

Black Alien et sa mère

Si le tatouage est présenté par la psychologie clinique ( cf/ Marion Scchrimpf supra) comme une marque physique révélant une recherche d’identité vécue comme en devenir, présentant une faille du symbolique, la transformation complète de son physique n’était-elle pas une disparition orchestrée.?  Il s’agit de se quitter complètement pour renaitre autrement avec les injonctions de l’époque vécues en surmotivation exacerbées.. "De la race des humains, Jak Nola tente de se faire une autre peau, une nouvelle peau dont les origines sont à trouver, ailleurs ..."

Marion Schrimpf  cf: supra

Le dicton populaire « la fonction fait l’homme » cache une vérité première que le serveur de café ne dément pas. Le bien connu serveur de café décrit par Jean Paul Sartre alors en pleine réflexion au café de Flore nous fait toucher le concept de « représentration ».

Allons voir du côté de la phenoménologie de l'Ëtre: L’homme est ce qu’il est nous dit Sartre, mais « comment peut-on « être » ce qu’on est, lorsqu’on est comme conscience d’être? » «  en ce sens il nous faut « faire être » ce que nous sommes, Mais que « sommes nous » donc si nous avons l’obligation constante de nous faire être ce que nous sommes, si nous sommes sur le mode d’être du devoir d’être ce que nous sommes? » Amusant non?

Là intervient la fonction, mais plus encore notre perception de vouloir être. « Étre au milieu du monde »  ou « être dans le monde » Une représentation pour moi même et pour le monde. Je marque ma chair pour affirmer une identité qui serait la synthèse impossible de l’en-soi et du pour soi sartrien et c’est par le « pour -soi » que je lutte contre mon néant: Convaincant non?

« Si le pour-soi se définit comme contingence ou comme néant, c’est qu’il est par définition manque ou désir : mais ce qui manque au pour-soi n’est pas tel ou tel objet, c’est tout simplement l’être, au sens de l’être en-soi. » (in Armand Thomes « petit lexique Sartrien » cairn.info)

Cela parait très élaboré, très difficile à conceptualiser, cela se sent plus que cela se comprend .....mais les exemples autour de nous (et en nous), ne manquent pas. La grande liberté est anxiogène, les codes sociaux n’ont été brisés que pour renaitre différemment. La tatouage en expansion partout en Europe recrée une conformité de communauté. Le panurgisme social est un refuge consolant.


Ces marques et dessins sur la peau s’inscrivent sans rémiscion dans le présent. Ils cessent d’avoir un pouvoir de représentation avec le temps, leurs effets diminuent.  C’est pour cela qu’ils sont sans doute exponentiels sur le corps. Pour certains, ils s’en couvrent et les recouvrent, petit à petit sans s’arrêter.  C’est justement cette notion de temps qui n’est pas vraiment pris en compte dans le passage à l’acte; serais-je demain celui que je suis aujourd’hui? Comment projeter le futur des plus acharnés adeptes du « Bod-Mod »? Comment rester le même lorsque l’on devient Black Alien? Où et quand Anthony Loffredo va-t-il revenir derrière Black Alien?  Comment ne pas voir derrière ces films sur Youtube où l’on voit des femmes ultra tatouées se faire maquiller à l’Aérographe, elles sont recouvertes d' une couleur de tonalité couleur chair qui leurs redonnent l’espace d’un moment une apparence vierge de tout dessin. Elles retrouvent le corps et le visage naturel qui est le leur. Etonnant non?
Comment ne pas voir un jeu inconscient d’une nostalgie d’avoir été autre ? Le corps se marque et se ride, le visage se transforme avec le vieillissement naturel et les événements de l’existence, avec assez de constance pour développer une volonté de ralentir le processus chez la pluspart d'entre nous. Comment ralentir un blackout qui vire au gris sur l'afaissement des chairs?  La surenchère?

Black Alien

Ladret 20 cm bleu



A l’arrière du chevet de l’église de la Ferté Bernard, sortant du restaurant par un beau soleil de printemps, nous fûmes apostrophé par un homme à barbe blanche assis sur une petite barrière encadrant le stationnement. Habillé d’un veston en Jean’s sans manches, il arborait de nombreux tatouages sur ses avant bras malingres. Demandant une pièce, une cigarette avec une voix éraillée, il était dans une soixantaine bien avancée.

Nous ne sommes pas passés sans le voir, nous nous sommes arrêtés et lui avons parlé ..Je lui proposais un de mes cigares d’après repas, ce qu’il accepta volontiers. Avant de partir je lui fis une réflexion sur ses nombreux tatouages à l’encre bleue qui avait tous été fait de manière artisanale. Des tatouages explicites où je reconnaissais « seul entre quatre murs » le « calvaire des voyous » « une pensée pour ma mère » et bien d’autres dont une femme nue qui aurait peu être dessinée par un émule de Matisse. Il considéra ses bras et après un temps de réflexion, il me dit ; » Ah Bah!, ça c’est des erreurs de jeunesse, que voulez vous..»
Le Manteau d'Arlequin /A de Cambolas 2021

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jeunesse eternelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

18 septembre 2022

LES ROSHANS OU MASHRABIYA:LES MAISONS TOURS DE DJEDDAH

 

« Je me croyais si parfaitement seul, que j'éprouvai une étrange impression en apercevant près de moi, derrière d'épais barreaux de fer, le haut d'une tête humaine, deux grands yeux verts fixés sur les miens. »

(Pierre Loti. Aziyadé. 1879)

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Djeddah, ville des bords de la mer rouge, point d’entrée de l’Ouma allant vers les lieux saints de Médine et de la Mecque, se présente aux visiteurs comme une capitale moderne à l’américaine. Son emblème en est le jet d’eau du Roi Fahd qui dépassait il y a peu, la tour Effeil de douze mètres. Maintenant que notre tour nationale  de trois cent mètres culmine à trois cent trente mètres, elle supplante cette fontaine maritime de dix huit mètres. Il conviendrait pour la ville du Hedjaz de changer d’emblème !
Cela est parfaitement synchrone avec les nouvelles directives issues du mouvement impulsé par Mohamed Ben Salman. De nouvelles directives royales favorisent l’émergence d’un attrait touristique pour le futur proche de l’Arabie Saoudite. Djeddah comme les villes cachées de l’oasis d’Al Ula et d’Hégra possède une valeur patrimoniale qui est en train d’être re-découverte et partiellement sauvée.
La vieille ville subsiste, on l’appelle "le village" ( Al Bal-ad en arabe). Les murs d’enceinte ont été détruits il y a longtemps mais deux portes monumentales isolées ont été restaurées. La vieille ville est un lacis de ruelles où les marchés, les souks débordant des productions des différentes parties des villes de la péninsule, se mélangent avec les importations orientales. Ces ruelles sont constituées par l'agglomération de maisons anciennes qui entre délabrement et effondrement, affichent en silence leur particularités architecturales: Ce sont les maisons à étages avec roshans, datant du début du siècle dernier.

Sur le site de l’UNESCO dans la rubrique de la convention du patrimoine mondiale nous pouvons lire :
 « Sur la rive orientale de la mer Rouge, Djedda a été à partir du VIIe siècle l’un des ports les plus importants sur les routes commerciales de l’océan Indien. C’est ici qu’arrivaient les marchandises à destination de La Mecque. C’était aussi le port d’arrivée pour les pèlerins voyageant par la mer. Ce double rôle a permis le développement d’une ville multiculturelle, caractérisée par une tradition architecturale originale, née de la fusion des traditions de construction en corail de la région côtière de la mer Rouge avec des idées et savoir-faire glanés le long des routes commerciales. Au XIXe siècle, les élites marchandes y ont notamment bâti de superbes maisons-tours. »

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Palissade 2022


Ces maisons tours sont devenues maintenant l’emblème de Djeddah. Plus particulièrement ces
fameux Roshans ou rūshān (روشان) appelés généralement mashrabiya (arabe: مشربية), mais aussi shanshūl (شنشول) et connu en français sous le nom de moucharabieh.

 Il s’agit de fenêtres, oriels en saillie, entourées de treillis en bois sculpté très caractéristique. Situées généralement sur la façade, il en existe néanmoins aussi au rez-de-chaussée et quelques fois même dans la « sahn » c'est à dire, la cour intérieure. C'est, pour le visiteur, la première impression d'un dépaysement culturel. Les moucharabieh sont omniprésents sur les facades en ruine, menacant eux même de s'écrouler sur les passants. La plus part de ces maisons-tours sont inoccupées aujourd'hui.
C’était pourtant un élément essentiel de l’architecture arabe traditionnelle utilisé depuis le Moyen Âge jusqu’au milieu du XXe siècle.
Les palissades du quartier historique qui bordent et protègent des intrusions les maisons les plus délabrées utilisent l’image d’un moucharabieh comme symbole. La seule boutique de souvenirs pour touristes utilise sur ses sacs en plastiques cet emblème…que l’on retrouve aussi sur les rares cartes postales en vente. 

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Cartes 2022

Ces Roshans se trouvent principalement dans le Machrek, c’est-à-dire dans la partie orientale du monde arabe, il en existe néanmoins au Maghreb mais dans une moindre mesure, l’essentiel étant en Irak, au Levant et en Egypte.
L’UNESCO nous renseigne une fois encore sur ce particularisme propre à Djeddah:
« La construction des maisons-tours roshan dans la seconde moitié du XIXe siècle illustre l’évolution des flux du commerce et des pèlerinages dans la péninsule Arabique et en Asie suite à l’ouverture du canal de Suez en 1869 et au développement des routes maritimes empruntées par les bateaux à vapeur pour relier l’Europe à l’Inde et à l’est de l’Asie. L’extraordinaire singularité des maisons-tours de Djeddah est encore accrue du fait qu’elles ne sont pas seulement uniques dans la culture de la région de la mer Rouge, mais aussi les seuls vestiges d’une typologie architecturale née à Djeddah qui, à la fin du XIXe siècle, s’est étendue aux villes voisines du Hedjaz de Médine, La Mecque et Taif, d’où elle a complètement disparu depuis sous la pression du développement moderne. »

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Rue d'Al Balad - début du XX°siècle.


D’où vient ce terme de moucharabieh; mashrabiyas ? Quelle est leur utilité ? Et pourquoi sont-ils devenus des objet de perfection artisanale, allant quelques fois vers une complexité d’ébénisterie inégalée.
L’étymologie est obscure. Il y a deux écoles d’interprétation. L’une certifie que le mot Mashrabiya est un dérivé de la racine trilitérale Š-RB, qui signifie généralement boire ou absorber. L’autre hypothèse rappelle que le nom originel était « mashrafiya », dérivé des verbes « shrafa, » et « yoshrif » signifiant regarder attentivement, surveiller, observer. Les deux explications qui ne sont pas antinomiques, soit boire soit regarder, peuvent avoir une part de vérité. le terme dérivé est adéquat car les deux utilisations sont plausibles .… Les réserves d’eau stockée dans des jarres de terre cuite qui étaient placées sur des étagères en bois, à l’ombre, auprès des ouvertures, pour qu’elles soient rafraichie par le vent venant de l’extérieur. L’étagère simple se transforma en étagère à claustra tout en gardant ce nom. Tamiser le soleil, capter les courants d’air, rafraichir l’eau et par la même, rafraichir l’air, voilà le système ingénieux imaginé par l’économie du désert.
La cloison ajourée, de bois chantourné, habituellement appelée "maksoura" dans les mosquées, adopte par synecdocte lorsqu’elle est placée devant les fenêtres, le nom de moucharabieh ainsi que sa fonction la plus courante ; celle de pouvoir voir sans être vu …donc d’observer.  

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La relégation des femmes a donné à cette disposition architecturale une fortune peu commune.
Même si voir le monde derrière une grille de bois, aussi délicate soit-elle, ne donne de la réalité sociale que l’apparence des ombres sur les parois de la grotte, la fonction du roshan dans la vie de quartier est essentielle pour lier l’extérieur à l’intérieur. La vie de la rue franchit la barrière de l’espace privé. Les nouvelles et commentaires vont vite entre les grilles, les ouvertures laissent passer des regards, des visages semi voilés. Un monde de communication discrète s’organise. De murmures en chuchotements, la tombée du jour voit une agitation discrète derrière les panneaux de bois des lucarnes qui s’ouvrent, laissant filtrer la lumière jaune d’une petite lampe à flammèche.

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Al Balad 2022


Cette massive multiplication des oriels sur les façades de Djeddah montre que l’intérêt premier est certainement beaucoup plus architectural que social. La « culture du désert » a permis à l’homme de vivre dans des conditions extrêmes de chaleur et de sécheresse. L’habitat traditionnelle sédentaire a commencé avec le pisé, qui en d’épais murs pouvait faire barrage à la chaleur d’une exposition solaire intense. La ventilation se pratiquait par l’ouverture de petits trous dans les hauteurs des murs de boue séchée ou du plafond lorsqu’il était vouté. Ces orifices laissaient passer l’air chaud qui s’échappait tout en stockant dans les parties basses de la maison l’air plus frais. Cette solution climatique efficace avait néanmoins l’inconvénient de ne pas favoriser la lumière. Le moucharabieh permet une ouverture domestiquée. L’air et la lumière indirecte y circulent dans l’ombre propice aux échanges thermiques.
L’élaboration progressive en oriel permettant de sortir du plan de la façade pour capter les vents latéraux, favorisa un rapide développement de la complexité des structures.

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Les Roshans se décomposent en plusieurs parties distinctes ayant une utilité pratique et décorative. « TAJ » la tête, qui est la corniche supérieure travaillée et décorée de frises, « SUDDIR » le corps principal qui se décompose en trois parties. Deux fixes et une mobile, c’est l’agencement des panneaux ouvragés, des « moucharabieh » proprement dit, qui dans une élévation de claustra et volets permet à l’air de sortir par le haut en aménageant une entrée dans la partie inférieure, là où les petits volets peuvent s’ouvrir.  La lumière et l’air circulent à volonté par l’ouverture et les fermetures des volets intérieurs et des claustras mobiles. Une simple cordelette avec un panier laisse aussi toute possibilité pour un éventuel petit commerce.
Pour clore l’agencement, vient la « QAIDA », la base décorative agencée de corniches travaillées et profils de soutien adoucissant les formes.
La variété est immense. Les maisons tours rivalisent d’ingéniosité et signent leurs façades de centaines de Roshans colorés ou de bois brut. Toutes les pièces s’en trouvent ainsi pourvues. Les appartements comme les maisons avec cour n’eurent pas d’autre système de ventilation que la naturelle différence de densité entre l’air chaud et l’air froid.

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cf l'article:  Delenda Alexandria ou les larmes d'Egypte.


Dans une maison, isolée ou non, il n'y a pas de mélange d'air chaud et froid par déplacement d'air. On considère généralement en Europe que c'est la chaleur qui s'échappe, celle de l'intérieur en hiver, et celle de l'extérieur en été. Dans les pays de désert les échanges thermiques se font par les courants d’air. Le moucharabieh est clos lors des fortes poussées de chaleur du milieu de journée. Là où le temps s’arrête, figé dans une fournaise qui semble immobile. Les claustras s’ouvrent à la tombée du jour, l’air prisonnier s’échappe alors que la fraicheur du soir rentre par les parties basses. Les jarres d’eau humidifient l’air qui se répand comme une bise fraiche et bienfaisante.
Ce savoir traditionnel a été battu en brèche par les progrès du modernisme. La gestion du froid a gravi une autre échelle avec l’électricité. Le « génie climatique » a balayé les anciennes dispositions traditionnelles. Les chaleurs infernales ont été vaincues. La grande tolérance à la chaleur qui fait partie du mode de vie bédouin s’en est trouvé très diminué. Les climatiseurs sont partout. Leur efficacité rend un retour en arrière difficile.
 Qui pourrait vivre dans le Rub Al Khali comme Abdelaziss Ibn Seoud en exil dans les années trente ? ((en arabe الربع الخالي ; littéralement le « Quart Vide » qui est l'un des plus grands déserts, la plus grande étendue ininterrompue de sable au monde occupant environ 650 000 kilomètres carrés dans le tiers le plus méridional de la péninsule Arabique. (Source Wiki)
 Le trop faible rendement des circulations naturelles a sonné la mort du Roshans dans sa fonction pratique ainsi que sa disparition des façades de l’architecture progressiste de l’après guerre.

 

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Maison du Sheik Baeshen 1856 ( 1273 de l'Hégire) classée en première catégorie par l'UNESCO- photo 2022.


 La ville de Djeddah possède donc la chance d’avoir conservé dans sa partie historique une quantité non négligeable de ce patrimoine unique. Il est à noter que ces maisons si particulières ont malheureusement toutes disparues des autres villes du Hedjaz.. Les maisons tours de la vieille ville n’ont pas été trop dénaturées ou  modifiées par des ajouts postérieurs.. Le quartier Al Balad donne ainsi une bonne image de ce que la cité pouvait être au temps de son essor économique au XIXème siècle avec ses souks et ses ruelles vivantes surpeuplées. L’état de délabrement est certes très visible. Certaine maison sont en péril mais il semble que la prise de conscience des autorités puissent espérer un sauvetage que l’inscription générale du quartier au patrimoine de l’UNESCO favorisera.
L’essor des populations du monde arabe allié à la modernisation de l’architecture grâce au béton armé, a été extrêmement important depuis la fin du dernier conflit mondial. Le nationalisme et progressisme arabe ont favorisé une urbanisation déconnectée de la tradition. Des aberrations de conception ont donné au Caire un enfer de logements surchauffés en béton inadapté avec un coût energétique faramineux.Les climatiseurs sont omniprésents. Qui pourrait vivre aujourd'hui dans un appartement sans air conditionné? 
 Un architecte visionnaire fut pourtant une voix écoutée, il exhortait les décisionnaires à revenir aux fondamentaux culturels. Hassan Fathy, (1900-1989)  né à Alexandrie, a su par sa connaissance des constructions traditionnelles de Nubie dont il est originaire, imaginer une architecture faite de matériaux nobles et peu couteux en auto régulation thermique adaptée aux canicules d’Egypte. Architecte de génie, il rédige un manifeste qui devrait être encore un enseignement aujourd’hui. Car si ce texte lui a assuré une reconnaissance internationale, ses enseignements ont été trop vite oublié.

 

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« Construire avec le peuple » (La Bibliothèque arabe Ed. Jérôme Martineau 1970 )


« Hassan Fathy réalise des bâtiments fortement ancrés dans les traditions autochtones pour mieux les dépasser; il utilise des anciennes techniques de constructions locales et ancestrales qu'il adapte aux contraintes modernes et aux besoins nouveaux de la vie contemporaine. Dès 1930, il utilise les briques de terre, facilement réalisable par les fellahs et pense l’organisation de la maison en utilisant les ouvertures facilitant la captation des courants d’air qui assure une auto régulation de la température avec le jeu des fontaines intérieures et les fosses à froid. Pourquoi tant de barres d’immeubles en acier ou béton dans lesquelles on étouffe sans climatisation? » In Delenda Alexendria ou les larmes d’Egypte » lien ici.
Le projet de construction du nouveau village de Gourna près de Thèbes en Egypte réalisé par Fathy est exemplaire de liaison entre la tradition et la modernité. Bâti en terre selon des conceptions d'économie, d'ergonomie et d'écologie bien avant la prise de conscience actuelle, le nouveau village est assez extraordinaire avec de somptueuses réussites conceptuelles comme la mosquée ou la place du théatre. L’architecte André Ravéreau, spécialiste de l’architecture traditionnelle algérienne fit sensiblement de même dans le M’zab algérien pour la ville de Gardaïa. Il publie lui aussi un ouvrage de référence:  "Le M’Zab, une leçon d’architecture" préfacé par Hassan Fathy, son véritable alter ego égyptien. Les deux hommes seront d’ailleurs récompensés la même année, en 1980, par le prestigieux prix de l’Aga Khan. Une autre architecture est donc possible pour les villes de la péninsule malgré les erreurs du passé récent, le futur doit se servir des réussites antérieures et des échecs d’aujourd’hui pour redessiner un « après pétrole » dans une claire vision dépassant les années 2030.
 Préserver et innover, construire dans la tradition et les progrès techniques sont un programme mobilisateur. L’ouvrage « Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte : Gourna (1971)  eu une audience assez considérable en son temps. Le caractère du livre y était pour beaucoup. Hassan Fathy développe ses thèmes en un style assez romanesque où il dénonce le sabotage de cette nouvelle ville appelée le nouveau Gourna. C’est l’ouvrage majeur dans une production d’écrits qui commencent à obtenir une relecture contemporaine.


"L' enfer du béton armé" (Daralbawar al-mussallaha), rédigé dans les années 1964-1965, est un dialogue contradictoire écrit au moment du chantier du nouveau Bariz. Il s’y développe une antithèse entre les bienfaits des modes de vie traditionnels dans le désert de Haute-Egypte et le fiasco des systèmes modernes importés d’Occident et particulièrement des Etats-Unis." Son titre explicite n’est plus choquant actuellement. Fathy fut donc un architecte écrivain engagé. Il publie à Beyrouth en 1991, une pièce de théâtre intituléele " Le Conte du Moucharabieh" écrite dès 1942 avant d’être largement remaniée en 1984, qui fut jouée en son temps.

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Hassan Fathy

La pièce en quatre actes cible très justement toute la problématique de la vision particulière de l’architecture des pays arabes.
Leïla Al-Wkil, historienne de l’art et de l’architecture de l’université de Genève nous présente le conte en ces termes:
« Il s’agit d’une pièce autobiographique didactique, à caractère nationaliste, dont le héros, Khalid, est le porte-parole de Fathy. Agé de plus de trente-cinq ans, cet Egyptien imprégné de culture orientale et occidentale défend les valeurs nationales, qu’il estime compatibles avec la vie moderne. Il réprouve les changements auxquels ont été soumis tous les aspects de la civilisation de son pays et en particulier l’architecture, occidentalisée et défigurée sans élégance. S’il est encore célibataire, c’est d’ailleurs faute d’avoir trouvé la maison dans laquelle il aimerait voir naître et grandir ses enfants.
 Il s’emploie ainsi à promouvoir une architecture arabe moderne afin de garantir la survie des arts appliqués traditionnels, en voie de disparition sous l’effet de la modernisation occidentale. Comme le titre l’indique, la pièce de théâtre est l’histoire d’un moucharabieh, qui ornait à l’origine un palais du XIV° siècle, situé rue al-Nahasin. Sauvé de la démolition par l’antiquaire Haj Ibrahim, à ses risques et périls, cet ouvrage, orné de sculptures rares, est d’une délicatesse infinie.
Il est l’objet de convoitise de revendeurs étrangers, qui veulent se l’approprier pour une bouchée de pain. C’est finalement Khalid, le héros de la pièce, qui achète au juste prix ce bel objet pour le mettre en valeur dans une maison moderne, construite selon les modèles d’architecture traditionnels arabes. Synecdoque de l’architecture égyptienne et arabe, le moucharabieh du conte incarne la survivance de l’architecture ancienne et de la tradition en général. » (in Quissat al-mashrabiyya (Le Conte du Moucharabieh) Enraciner l’architecture appropriée : Hassan Fathy. Université de Genève 2013)

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La pièce en quatre acte peut être lue à l’aulne de la vison des tours de Djeddah, car à la fin du dernier acte: « Le cauchemar se dissipe lorsque Khalid et Rafi‘a se retrouvent à l’abri du moucharabieh qui dispense une musique harmonieuse, scène qui renvoie à la scène finale de l’acte deux entre le prince Mishtaq et la princesse Mahbuba. Le moucharabieh joue à nouveau son rôle magique de talisman, qui veille sur leur amour. C’est le triomphe des amoureux du passé, capables de composer avec les enseignements de la tradition arabe lentement élaborée, incarnée par le moucharabieh, seul capable de les protéger de la chaleur, de la poussière et finalement, implicitement, de l’intrusion occidentale. »

La fortune du moucharabieh continue néanmoins dans sa fonction éminemment décorative. L’art des « arabesques », la calligraphie, les motifs géométriques en réseaux, imbrications et digitations ne sont les seuls déterminants d’une orientalisation des décors, le moucharabieh par sa beauté formelle s’échappe de sa fonction première. Il suffit de rappeler ici la magnifique réalisation de « Claustra screen wall » pour l’Hôtel Movenpick Eddahbi de Marrakech par le studio Van Rijn dirigé par Géraud de Torsiac. Voilà une re-définition moderne très réussie du motif si usité pour revivifier l’architecture intérieure.

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Van Rijn Studio  Marrakech

 

Pour une lecture convergente sur le sujet, voir  ici : Use architecture: The Mashrabiya system  - une étude de 2021

 

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« La scène se passait dans une rue du vieux quartier musulman. Des maisons caduques bordaient de petits chemins tortueux, à moitié recouverts par les saillies des shaknisirs (sorte d'observatoires mystérieux, de grands balcons fermés et grillés, d'où les passants sont reluqués par des petits trous invisibles). Des avoines poussaient entre les pavés de galets noirs, et des branches de fraîche verdure couraient sur les toits; le ciel, entrevu par échappées, était pur et bleu; on respirait partout l'air tiède et la bonne odeur de mai. »
« nous fut permis de circuler dans Salonique de Macédoine, peu après les massacres, trois jours après les pendaisons, vers quatre heures de l'après-midi, il arriva que je m'arrêtai devant la porte fermée d'une vieille mosquée, pour regarder se battre deux cigognes. »

(Extrait d' Aziyadé de Pierre Loti 1879 )



 

 

 

 

 

14 mai 2022

CARTE EN FRANCHISE

 

Dégageant une senteur de bois chaud, le tiroir du secrétaire, resté silencieux dans le salon fermé depuis des semaines, déborde de vieux papiers. L’odeur de colle, de bois, stagnant dans l’immobilité est perceptible dès les premiers mouvements. Une carte colorée apparait. Elle attire l’oeil par son petit bouquet de drapeaux. Les rouges sont très vifs, les bleus tranchent fortement sur le fond très jauni du papier. C’est une carte postale couverte d’une écriture fine. L’encre est subtilement violacée.
« Correspondance des Armées de la République » en est l’ en-tête bleue suivi de « Carte en Franchise » illustrée à droite par un bouquet de quatre drapeaux. Une carte militaire, un souvenir familial. Elle a trouvé sa place depuis bien longtemps dans ce petit tiroir en placage d’acajou. Elle est là depuis que de main en main elle a été lu par son destinataire qui l’a conservée.

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Le drapeau français est bien déployé en haut à droite, suivent le drapeau de la Russie, trois bandes horizontales Blanc, Bleu, Rouge, puis celui de la Belgique, noir, jaune, rouge, Enfin du Royaume Uni, rouge avec un insert en haut près de la hampe de l’ »Union Jack » ce drapeau est le « British Red Insign »Le drapeau du royaume Uni « marine ».  Les cartes militaires auront de plus en plus de drapeaux au gré de l’Entente.
Le cachet de la poste fut frappé sur la base des drapeaux. Il est malheureusement peu lisible. Avec beaucoup d’attention, on peut néanmoins déchiffrer sur la circonférence du cercle, la mention « Secteur Postal 147 »  Les chiffres de l’intérieur sont hélas beaucoup trop effacés; il n’y a que le chiffre « 28 » de discernable.  La date était pourtant la première indication que l’on souhaitait trouver. Très lisible par contre est la mention du destinataire, elle est adressée au Maréchal des Logis de Cambolas, 11eme Dragons escadron territorial Montauban, Haute Garonne en abrégé. Cette adresse fut rayée pour être remplacée par « 129eme Territorial Agen ». Le trait de plume est d’ une autre écriture. La mention est ferme et appuyée, Agen est souligné.

Voilà donc une des cartes que les Postes française éditèrent par millions. Cartes en franchise pour les soldats de la première guerre mondiale. L’expéditeur avait en perpendiculaire l’obligation de mentionner son grade et son régiment. Il est stipulé que ces indications devaient être reproduites « dans l’adresse de la réponse ». Du bout de la plume, l’expéditeur a inscrit en abrégé d’une petite écriture que l’on dirait tremblante: "H de Cruzy M° de L° 10é D.° 2é Esc° SP 147"   que l’on peut transcrire par : Henri de Cruzy  Maréchal des Logis  10 ème Dragons,  2ème Escadron, Secteur Postal 147.
La carte comporte sur son verso le message de l’expéditeur, il n’y a aucune illustration c’est une carte lettre prépayée par les postes française. Monsieur Jean pierre Legras de l’association APRA nous renseigne:  (https://apra.asso.fr/)

« En août 1914, le ministère de la guerre met en place une administration unique « Trésor et Postes ». Mais l’importance du courrier oblige à réorganiser le dispositif dès le mois de décembre. Le « Bureau Central Militaire » trie le courrier par « Secteurs Postaux ». Ensuite, il est adressé à un « Bureau Frontière » au contact du secteur civil et du secteur militaire. Pris en charge par « l’Ambulant d’Armée » qui le remet au « Vaguemestre d’Etape », celui-ci le conduit aux « Bureaux Divisionnaires » où s’effectue le tri par régiment. Là, le « Vaguemestre » remet le courrier à la compagnie du destinataire. Ces fonctions sont confiées aux militaires. Le courrier venant du front suit le chemin inverse.
Capital pour le moral des soldats comme pour l’arrière, mais aussi pour l’armée, ces échanges font l’objet de contrôles et de censures : il ne faut pas compromettre les opérations futures, ni mettre en danger les combattants, et ne pas laisser se propager des rumeurs ou des faits qui pourraient altérer le moral des combattants comme celui de l’ « arrière ». Pour déjouer le contrôle, certains utilisent un code ou le patois. De son côté, l’armée impose l’écriture au crayon, et retarde la distribution du courrier.
Trois types de correspondance sont utilisés : la carte postale, la carte-lettre et la carte en franchise. Au total, plus de 10 milliards de correspondances sont échangées, d’ou une grande diversité de modèle - 132 types « carte correspondance militaire » - une multitude de griffes, cachets, marques de contrôle,..."


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Mon bien cher Oncle
Pas le moindre incident ici- On suit la marche des Russes en Galicie et des progrès de la flotte alliée dans les Dardanelles- Ce n’est pas fatiguant- - Nous vous remercions beaucoup de votre envoi- C’est la chose la plus pratique dans les tranchées pour faire du thé, du punch, du café ou autre réconfortant.
Ma soeur m’a écrit aujourd’hui que vous allez partir pour la Syrie, moi qui n’ai pas de tuyaux je dis que c’est un voyage épatant qu’en pense-t-on à Montauban . Je pars à 3h49 surveiller les boches autrement dit je vais aux tranchées avec Maurice , toujours monté sur Favori. Je vous remercie bien encore une fois et vous dit affectueusement au revoir.
Henri


Deux maréchaux des logis s’écrivent. Le neveu écrit à son oncle.  Le secteur postal 147 se situe près de Colmar à Epinal.  Le maréchal des logis Cruzy est donc en Alsace face aux lignes ennemies.  Tout semble calme. « On suit la marche des Russes en Galicie et des progrès de la flotte dans les Dardanelles » . Voilà heureusement une vision globale s'élévant du quotidien. En effet ces deux événements internationaux peuvent aider à déterminer la date de redaction de cette carte. Le corps expéditionnaire Russe en Galicie qui se situe en Ukraine de nos jours à quelques 70 km de la Pologne s’est déployé pour exercer une pression sur le flan Est de l’Autriche Hongrie et de l’Allemagne. L'offensive de Gorlice-Tarnów en fin 1915 menée par plusieurs divisions allemandes obligera la Russes a reculer de plus de 150 kilomètres. La progression de la flotte dans les Dardanelles est bien connue comme la défaite de la péninsule Gallipolli par la marine anglaise et l’armée française entre mars 1915 et janvier 1916. Le maréchal des logis Cruzy remercie pour un ustensile qui semble multifonctions. C’est d’ailleurs pourquoi il semble si pratique dans les tranchées. Cela pourrait être un réchaud à alcool avec son récipient incorporé.  Puis la lettre prend une tournure plus intime, plus familiale où le maréchal des logis dit avoir reçu une lettre de sa soeur concernant un possible départ de son oncle pour la Syrie et évoque « Maurice » sans plus de précision car son oncle le connait certainement, ainsi que le nom de la jument « favorite ».  
Par la généalogie et les archives militaires, nous pouvons faire les recoupements qui suivent. Henri de Cruzy Marcillac est inscrit au tableau d’Honneur des morts pour la France 1914 - 1918,  édition La Fare 1921 de la BNF. Il y est inscrit :

« CRUZY-MARCILLAC (Henri-Gaston-Emmanuel de), né en 1895  ( croix posthume), IH (palme et étoile), engagé volontaire, sous-lieutenant au 28e Chasseurs alpins.
Engagé, le 25 août 1914, au 10e Dragons; passa, sur sa demande, dans l'Infanterie. Tué à Suzanne (Somme), le 31 octobre 1916. »

 Par la généalogie, nous relions sa mère, Edith de Cruzy Marcillac  comme la soeur du Maréchal des Logis Jean de Cambolas né en 1873 de 22 ans son ainé.  Henri évoque sa soeur Renée, née en 1891qui lui survivra jusqu’en 1959.  Le maréchal des logis Henri de Cruzy Marcillac est mort sous-lieutenant en étant au 28 eme régiment de Chasseur Alpins. Le 10 ème Dragon ne fut stationné dans le secteur d’Epinal à partir de décembre 1914 et cela jusqu’en mai 1916 puis il fut engagé aux chemins des Dames  en 1917.  Henri de Cruzy à été tué dans la Somme en 1916.
Maurice avec qui il va « surveiller les boches » est possiblement son cousin germain. Sensiblement du même âge car né en 1892, Maurice de Cellery d’Allens a lui aussi une mère née Cambolas ; Marguerite, la soeur d’Edith, mère d’Henri. Toutes deux soeurs du maréchal des Logis Jean de Cambolas; l’oncle célibataire qui fut incorporé dès 1914 la quarantaine tout juste franchie.  Le père de Maurice qui monte au petit matin surveiller les boches sur « Favorite »  Gaston de Cellery d’Allens ,d’abords sous-lieutenant au 30ème régiment de ligne, puis lieutenant au 10ème régiment de dragons, enfin capitaine à la Légion étrangère, fut décoré de la croix de guerre sera tué en septembre 1915, mort pour la France comme son neveu. Maurice lui, survivra et aura une belle carrière militaire en Syrie et au Maroc.  Le maréchal des Logis Jean de Cambolas n’ira jamais en Syrie, il terminera la guerre au camp d’aérostation de Saint Cyr.

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Un article de presse, plié soigneusement, était accolé à cette carte lettre. Le titre du journal était déchiré et sa date également. La lecture de cet article est non seulement édifiante mais instructive sur un certain état d’esprit. Cet article a été conservé avec cette carte car il lui est lié. Lié par le souvenir d’une touchante relation familiale entre un jeune oncle et son neveu mort à 21 ans. Les liens entre les famille se cimentaient avec de la douleur, Edith perd son fils, Marguerite son mari , Jean perd un neveu et un beau frère.
Voici la transcription de cet article qui après quelques recherches à la BNF sur le site Gallica a été publié dans « L’Oeuvre » le dimanche 25 février 1917 et depuis conservé dans ce même tiroir.


Sous la rubrique « L’oeuvre militaire »:

 

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Une plainte Une proposition

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Le 28 septembre dernier un léger incident survenait à la gare régulatrice de C… Un sous-lieutenant de chasseurs alpins qui remontait au front retour de permission M. de Cruzy Marsillac ayant demandé au commissaire militaire adjoint, le lieutenant O… Un renseignement celui-ci incrimina son « ton arrogant » et la « mauvaise grâce » dont il aurait fait preuve. Le même jour, le commissaire régulateur de la gare de C le commandant J... transmettait un rapport en insistant sur le "service pénible de ses collaborateurs obligé de subir des appréciations déplacés" et il concluait en demandant que "pour éviter le découragement dans un corps d'officiers qui a toujours fait preuve de dévouement et souvent de courage, la sanction fut porté à la connaissance de la régulatrice de C…."
La plainte suivit son cours. Elle fut dirigée sur le 23e bataillon de chasseurs alpins qu'elle désignait comme étant le corps auquel appartenait l'officier incriminé. Le commissaire militaire dans son emoi avait mal noté le numéro.  Monsieur de Cruzy Marcillac appartenant au 28e bataillon. Le 23e répondit donc aucun officier de ce nom ne figurait sur ses contrôles. Le dossier avec cette mention revint à la régulatrice de C. Que pensez-vous que fit le commissaire régulateur ? Qu'ils jugent l'incident clos ? Non. Il conclut formellement que l'interlocuteur de son adjoint portait bien le numéro 23 et il demande que le dossier fut transmis à la sûreté pour "rechercher l'individu qui s'était présenté le 28 septembre à la gare de C… Qui paraissait avoir usurpé la qualité d’officier avec port illégal d'uniforme et avoir voyagé sous un faux nom et avec une fausse permission".

La sûreté s’étant mise en action, on finit par découvrir que le sous-lieutenant d’Alpins était au 28e bataillon. On lui demanda des explications, ce fut le colonel Messimy, commandant la brigade de chasseurs, ancien ministre de la guerre, qui répondit par un compte rendu adressé au général commandant le 10e C. A et dont voici la conclusion:


Il a été impossible de recueillir les explications de l'officier incriminé, pour la raison suivante, des exercices de lancement de Grenade ayant eu lieu récemment au 28e bataillon en vue d'un assaut prochain, un de ces projectiles fut lancé maladroitement et alla tomber près de la section du sous Lieutenant de Cruzy Marcillac laquelle allait être décimée.

Cet officier se précipita sur l'engin, le lança à nouveau et sauva ainsi ces chasseurs. Malheureusement la grenade a peine lancée, éclatait et tuait le jeune officier.
Les règlements ne permettant pas de décerner la Croix aux militaires morts au champ d'honneur c'est l'unique raison pour laquelle j'ai dû me borner à demander pour Monsieur de Cruzy Marcillac une citation à l'ordre de l’armée. Il avait déjà eu une attitude splendide aux glorieux combats des 4 et 12 septembre. Il est mort en faisant noblement le sacrifice de sa vie. Je demande que le présent compte rendu soit communiqué à la régulatrice de C et aux lieutenants O. et D. commissaires adjoints. Ces officiers verrons ainsi pourquoi il n'a pas été possible de donner la « suite convenable » qu'ils réclamaient pour le rapport, ils puiseront dans sa lecture de nouvelles forces pour éviter de le découragement et subir dans « leur service pénible les observations déplacées des militaires de passage » enfin ils pourront identifier " l’individu" qui s'est présenté le 28 septembre à la gare de C. et « qui paraissait avoir usurpé la qualité d’officier », cet « individu » se nomme Henri de Cruzy Marcillac, sous-lieutenant au 28 bataillon de chasseurs alpins, deux fois cités à l’ordre, mort glorieusement pour la France en sauvant la vie de ses chasseurs.
 Au cas où Messieurs les commissaires adjoints se plaindraient à nouveau des fatigues de leurs services, je suis disposé à leur réserver deux vacances sur les 17 provoquées dans le cadre des officiers du 28 BCA par le meurtrier combat du 5 novembre.
 Nous ne savons pas encore à leur actuel si les commissaires de la régulatrice de C ont accepté la proposition du colonel Messimy.

Mortimer-Megret


 Extrait du Tableau d'Honneur Mort pour la France 1914 1918 avec une belle coquille concernant la date du décès et sur le nom de famille de sa mère ...

inévitable?

henri de Cruzy

 

 

 

 

 

 

19 mars 2022

JEDDAH Tour



Djeddah- Arabie Saoudite

 

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« S‘évader, se dépayser, fuir les villes tentaculaires et motorisées qui forment le décor habituel de sa vie quotidienne est un des besoin fondamentaux de l’homme occidental contemporain. Mais, où qu’il aille, il retrouve des formes de vie qui restent, à plus d’un égard, apparentées aux siennes.
En Arabie, en revanche, le dépaysement est total. C’est pourquoi le voyageur qui débarque à Djeddah éprouve si puissamment l’impression d’être débarrassé du fardeau des siècles. « Ici », se dit-il « Il n’y a plus d’histoire; rien qu’un présent suspendu entre deux éternité. »
Tout déconcerte l’étranger qui arrive dans ce pays.
Et d’abord, la transformation de la lumière. On ne regarde pas le ciel: il vous aveuglerait. On se contente de la lueur diffuse qui naît de la réverbération des sables et éclaire les choses par en dessous comme une rampe de théâtre. Puis, au bout d’un instant, quand l’accommodation est faite, on voit s’avancer vers soi des êtres hiératiques dont chaque pas, chaque geste à la grâce un peu irréelle d’un film tourné au ralenti. Le voyageur se sent immédiatement confronté à une énigme. A quoi tient son sentiment d’être transporté sur une autre planète ? A l’intensité de la lumière? A la transparence de l’horizon qui semble doter ses yeux d’une pouvoir accru? Il est tenté d’attribuer l’espèce d’envoûtement qu’il éprouve au fait que toutes choses en Arabie semblent portées à l’incandescence. Mais s’aperçoit bien vite qu’il fait fausse route. Le secret est ailleurs et on finit par le découvrir. C’est que toutes choses, en Arabie, ont conservé leur intégrité. Tout a été décapé, reformé, « sublimé » par les conditions de vie qui n’ont pour ainsi dire pas varié depuis des millénaires. On ne comprend pas peu à peu l’essence de l’Arabie. Il est même possible que l’on y reste indifférent. Mais si on y est sensible, elle se révèle à vous dans une illumination subite. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974


IMG_2266"Ce que nous avions vu de Djeddah sur le chemin du Consulat nous avait plu: après le déjeuner, quand la température fut un peu plus fraîche, ou du moins quand le soleil ne fut plus si haut, nous partîmes donc en touristes sous la conduite de Young, adjoint de Wilson, grand admirateur des choses passées et détracteur des oeuvres présentes.
C’était en vérité une ville remarquable. Les ruelles en couloirs, couvertes d’un plafond de bois dans le bazar principal, s’ouvraient d’ailleurs vers une étroite bande de ciel entre les hautes maisons blanches. Les cinq ou six étages de ces dernières, en calcaire corallien soutenu par une charpente visible, s’ornaient de larges bow-windows qui montaient du sol jusqu’au toit, en panneaux gris. Les vitres étaient inconnues à Djeddah, mais une profusion de beaux treillis et quelques ciselures délicates dentelaient partout les fenêtres. (…..) L’architecture à charpente visible évoquait notre XVI ° siècle (…) Tous les étages faisaient saillie, toutes les fenêtres penchaient dans un sens ou dans un autre; souvent même les murs étaient en pente.
in « Les sept Piliers de la Sagesse »  T.E Lawrence 1936

« La vieille cité de Djeddah a conservé jusqu’à ces derniers temps un charme extraordinaire. C’est un dédale de ruelles étroites, où vont et viennent de riches négociants vêtus de noir comme les patriciens de Venise. Des Marchands de pastèques, de pistaches et d’oranges circulent entre les maisons de cinq ou six étages, mais hautes de plafond qu’elles semblent an avoir au moins dix ou douze. Certaines d’entre elles ont de larges portails sculptés, qui évoquent les palais des turcs qui bordent le Bosphore, car l’ancienne administration ottomane les a marquées de son empreinte. Les façades sont badigeonnées de couleurs tendres : rose, corail, bleu pervenche, vert amande, gris tourterelle. De loin en loin, le vert véronèse ou le noir absolu d’une porte leur donnent juste l’accent qu’il faut pour éviter toute fadeur. Ce décor comporte lui aussi un élément de féérie. Mais c’est une féérie citadine, pleine d’ironie et de malice.
Ce qui surprend le plus,, ce sont les centaines de moucharabiehs suspendus aux façades comme des nids d’hirondelles. Sculptées et ouvragées comme de de petites pagodes, ces loges grillagées permettaient aux femmes d’observer, sans être vues, cette comédie permanente qu’est le septale de la rue. Suspendus dans le vide, ces balcons ajourés, faits avec des milliers de brindilles de teck, évoquent les constructions fragiles que les enfants s’amusent à échafauder avec des allumettes. D’où vient tout ce bois, dans un pays qui en est totalement dépourvu? Chaque morceau provient de Malaisie, d’où il est venu par mer. Il a été porté sur de Chebeks à voiles triangulaires, semblables à ceux qui sillonnent encore la mer rouge.(………)
Du fait que Djeddah est le port par lequel il faut passer obligatoirement pour se rendre à la Mecque, il n’est pas seulement un carrefour des siècles, mais un lieu où se côtoient la plupart des races afro-asiatiques.(…) On y croise les turbans multicolores des Yéménites, des boubous africains, des calots pakistanais. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974


" On découvre encore, par-ci par-là, de belles cafetières de cuivre aux grands becs de toucan et aux couvercles chantournés comme des dômes de mosquées. Mais il faut se dépêcher, car elles auront bientôt disparues." (idm ibid)

Les populations qui passent trop vite d’une civilisation à une autre sont un phénomène étudié aux États-unis par la sociologie… La  « mondialisation » culturelle est à regarder sur le temps long. On note chez ces populations, un phénomène d’ « amalgames » comme dit Benoist-Méchin. Les sociologues déterminent un indice de « Transculturation » déterminé par l’importation des formes, des sujets exogènes dans une production locale qui s’abâtardi pour finalement être supplantée. Par une importation massive de produit manufacturé bon marché, les objets usuels, les objets de décoration, les vêtements changent petit à petit en supprimant le traditionnel. Il n’y a plus de chapka à Moscou, le fez à été éradiqué à Istanbul, la base-cap couvre Djeddah.


«  Le plus souvent répudiant l’abaya brune de leurs pères, les jeunes gens ont revêtu un veston occidental. Le soir, Ils vont prendre le frais sur l’esplanade qui donne sur la mer rouge et boire des jus de fruit ou du coca-cola dans "l’Express bar » qui fait face au ministère des Affaires Etrangères." ( idm ibid)

C’est ainsi qu’aujourd’hui l’on voit des familles, des couples dont la disparité vestimentaire est choquante à l’oeil. La femme est strictement habillée d’une abaya noire qui ne lui laisse que les yeux visibles si elle ne porte pas de lunettes de soleil. Son mari lui a revêtu l’essentiel du négligé américain de l’après sport, le t-shirt, le pantalon de coton appelé « survet » et les sneakers à bande fluo…Il arbore aussi le plus souvent une casquette de base ball.
Le thawb ne semble porté que par une certaine « bourgeoisie » saoudienne, on en voit peu, contrairement à la côte du Hasa…il s'agit de la longue robe blanche immaculée avec de beaux boutons de manchettes blancs; le foulard rouge et blanc  ( de couleur différente suivant les clans) retenu par l’agal noir, ce bandeau caractéristique. Les retours des pans du foulards donnent lieu souvent à beaucoup d’imagination et d’élégance.
Mais la liberté vestimentaire extérieure des hommes, que les femmes n’ont pas, facilite cette dérive transculturelle. Ils se laissent volontiers aller, non plus au « veston occidental »  comme l’avait remarqué Benoist-Mechin mais bien à la mode mondiale du « survêt US ». L’élégance est une notion périmée, où tout du moins en pleine mutation. Le confortable prime …le décontracté est une facilité qui s’impose sans résistance car les référents anciens semblent disparaitre. 

 

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« Déjà on doit chercher la vieille ville au sein de la nouvelle. Elle se cache, apeurée, sachant le sort qui l’attend. Elle n’ignore pas qu’elle sera bientôt éventrée par les bull-dozers. Dans un délai plus ou moins bref, ses nobles demeures ne seront plus qu’un souvenir, car tout le centre de Djeddah n’est qu’un chantier de démolition.
Le coeur se serre en voyant le traitement que notre époque réserve à ces aïeuls vénérables. L’espace ne manque pourtant pas! N’aurait-on pas pu les préserver en construisant la ville nouvelle un peu à l’écart de l’ancienne? »
(….)
« Les générations nouvelles auront donc ce qu’elles désirent: des maisons préfabriquées, des réfrigérateurs, des transistors, des automobiles aux pare-chocs étincelants. Puissent-elles ne pas s’apercevoir qu’elles ont fait un marché de dupes, le jour où elles ont pris le confort pour le bonheur. »
Le mouvement est lancé: rien ne l’arrêtera plus. Déjà les vélos multicolores munis de deux klaxons et de trois rétroviseurs, les vespas et les autos déferlent à travers les rues du nouveau Djeddah avec un vacarme assourdissant. Aussi les conversations vont-elles bon train, surtout entre les jeunes, ponctuées par des éclats de voix et des gestes emphatiques. Mais au bout de quelques jours, on soupçonne  tout cela de n’être que de la frime, une manière de se prouver à soi-même que l’on existe et que l’on est « dans le vent ». Un vent très différent de celui dont les Bédouins se disaient les fils. En revanche, les affaires sérieuses continuent à se traiter avec lenteur et cérémonie. Au fond du Soukh des orfèvres, on aperçoit toujours des vieillards barbus comme des patriarches de l’Ancien Testament qui attendent patiemment le client sur le pas de leur porte en égrenant leur chapelet ou en dégustant de minuscules tasses de café posées sur leur coffre-fort. Là, dans une pénombre complice, mille transactions subtiles se poursuivent comme autrefois, dans une nonchalance voulue et des clins d’oeil furtifs. C’est en silence également - mais ce silence exprime-t-il le dédain, la surprise ou l’envie? - que les femmes voilées de noir défilent devant les vitrines des magasins éclaboussées de néon, où s’étalent les soutiens-gorges et les machines à laver. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

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La vielle ville réduite à sa portion congrue reste un lieu de commerce traditionnel. Les marchés sont quotidiens, les légumes, les fruits, les dattes sont vendues par montagnes sur des petites places au détour du bazar qui lui, distille un enchevêtrement de produits importés que ne renierait pas un marché africain. La foule y est souvent compact en fin de journée. Les anciennes maisons du quartier d’Al Balad sont maintenant préservées comme les derniers spécimens d’une faune disparue. L ’ « Historic district » fait le pari du tourisme futur de l’après pétrole qui commence.
Nous y avons fait des promenades mais la vie l’a quittée. Il n’y a personne derrière les moucharabiehs. Pas d’Azyadé qui murmure le soir lorsque l’on passe. Les chats sont les maitres des ruelles désertes. Ils vous regardent de leur visages triangulaires. Ils survivent à la fournaises des jours et sortent le soir. Ils ont passés un pacte avec l’habitant qui les désaltèrent et les nourrissent à minima contre la chasse aux nuisibles qui n’ont pas d’égouts refuges.

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Vendredi 18 février 2022
   "A 17h45, Je rejoins Murielle pour une promenade dans le centre historique de DJeddah. Près de la Baab Makkah à Al Balad district, s’ouvre un labyrinthe de ruelles avec des marchés: marché bédouin, marché aux épices, marché pakistanais …Les maisons remarquables commencent à être restaurées. Une prise de conscience semble voir le jour. Il y a fort à faire car le quartier traditionnel est dans un sale état. Il y a de nombreuses ruines avec de splendides moucharabieh en excroissance, qui semblent en péril. Nous déambulons alors que la vie s’éveille. Les boutiques ouvrent. Les rues s’animent le vendredi soir. La petite ville historique est vidée de ses commerces, Les marchés se trouvent tout autour. Il y a des passages couverts, c’est le souk traditionnel ..comme à Damas en plus petit, comme à Beyrouth en plus délabré avec des relents de marché sub saharien. Les chats errants sont partout. Les enfants, les femmes, les hommes sont par grappes devant toutes les échoppes ouvrants sur la rue. Le métal, la pierre, les portes et bords de trottoirs sont lustrés des frottements incessants de milliard de pieds, de mains. L’usage poli toute surface. La présence humaine journalière rend la ville brillante et patinée comme un vieil outil. Les gestes, les attitudes, les étales sont figés dans une répétition traditionnelle qui façonne avec dextérité une aisance d’existence qui plonge, malgré les néons et les téléphones portables, dans la nuit des temps. L’Arabie des comptoirs, des caravansérails qui se prolonge jusqu’en Turquie, est là.
   J’achète deux chemises blanches en coton pour 17 euros. La chemise est plus agréable que le t-shirt …Murielle détient un beau sens de l’orientation car elle retrouve son chemin quand moi j’hésite. Elle fait l’acquisition d’un presse agrume en fer blanc très bien pensé..un modèle que nous n’avions pas encore vu !
Nous visitons un joli café avec terrasse aménagée dans une maison vide entièrement restaurée avec poutres et balcons de bois ..il n’y a aucun meubles…seul le premier étage ( qui nous est inaccessible, on ne sait pourquoi ) et la terrasse aux lampions, comportent des tables et des chaises … Il y a une quinzaine de client sur le toit. Des femmes en noir complet, des hommes en blanc et quelques non saoudiens. C’est calme, on boit du café, du thé …la nuit est bien noire au dessus de la ville qui scintille. Nous rentrons  tous les deux en mini bus avec Sultan le chauffeur éthiopien ..Sur sa proposition, on l’appelle et il vient. Diner à l’hôtel avec Bertrand et le reste de l’équipe. Plume et Bertrand me convient autour de la piscine pour une dernière cigarette… quelques histoires de chantier et nous montons nous coucher. Demain rendez vous à 6h15 au petit déjeuné… »
Extrait Journal de bord - AdC- Djeddah-Chantier-Maïa Décors  2022

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« Autour de Djeddah s’édifient rapidement des briqueteries, des cimenteries, des tanneries, des fabriques d’engrais, car une ville nouvelle se développe à vue d’oeil. Les quartiers résidentiels jaillissent en quelques semaines, avec leurs villas luxueuses à air conditionné. Tout ce qui peux se faire vite est prestement exécuté. Mais la finition laisse beaucoup à désirer et tout ce qui exige du temps et de l’application fait tristement défaut. Les maisons neuves, isolées les unes des autres et livrées en pâture à un soleil dévorant, n’ont pour s’en défendre que des tamaris qui ne donne pas plus d’ombre qu’un balais de sorcière. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

 

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La ville à l’américaine à tout dévorée. Depuis la vison du voyageur de 1974, les « freeway » californiens ont zébré la ville comme des rubans infranchissables sur lesquels coulent un flux ininterrompu de tous les véhicules du globe. L’essence à 0,50 centimes est l’étendard du « tout voiture » dans une ville qui s’étend sur une campagne inexistante .. Les espaces vides parsèment le tissu urbain sans plans ni concertation compréhensible, d’immenses quadrilatères de sable et de gravats sont entourés de lot d’immeubles dont les chantiers abandonnés laissent un aspect d’inachevé. Les grands projets d’architectes sont réalisés pour les façades des grandes avenues à six voies. Le siège de l’ARAMCO devant lequel nous passions tous les matins est un grand bloc a quatre façades en oriel inversé qui laisse une étrange impression de jeu optique… Les aménagements urbains collectifs sont en piteux état, les trottoirs sont souvent défoncés ou inexistants. Les rues et ruelles sont en ruines mais l’aluminium et les vitres teintées des grands concessionnaires automobiles brillent en vainqueur au soleil.


« Dans la province orientale du Hasa, le contraste est encore plus marqué, car la présence des grandes entreprises américaines a accéléré le mouvement. On y rencontre deux villes, Qatif et Al Khobar. Bien qu’assez proches l’une de l’autre, un millénaire les sépare. Qatif, ceinturé de remparts est couronné de palmes, sommeille parmi le murmure des sources et le chants des oiseaux. Al Khobar ressemble à un settlement du Texas, avec ses garages, ses entrepôts, ses distributeurs automatiques de chewing-gum et ses autocars qui se croisent dans un bruit de ferraille et de boulons mal serrés, ramenant de leur lieu de travail des équipes Séoudiens au regards absent, vêtus de bleus de chauffe. L’air y sent le métal chaud, le fuel et le goudron. On n’y trouve pas un brin d’ombre et l’asphalte des rues vous brûle la plante des pieds à travers la semelle de vos chaussures. Pourtant, Al Khobar grandit et Qatif se meurt. » (ibid)

 

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El Khobar


Mercredi 20 mars 2019 

  (…..) Nous finissons avant 18 h …Mais le temps gagné à partir plus tôt nous le perdons dans les embouteillages d’Al Khobar… Cyrille et moi nous décidons de faire une petit marche vers la mer ..la nuit descend vite. La lune est déjà claire, c’est la pleine lune.
Nous devons traverser la très large route côtière. Un boulevard allant dans les deux sens de cinq voies, très dense en circulation. Les gros SUV comme toute la gamme des voitures américaines défilent à bonne cadence devant nous. Heureusement des agents du trafic ( Indiens) munis de bâtons lumineux rouges, arrêtent le flux pour nous permettre de franchir cette énorme rocade. Le front de mer est aménagé d’espaces verts avec des bancs de repos sur des plates-bandes ..d’herbes rases, quelques palmiers malingres font toute la luxuriance de l’endroit. Pas de sable mais de gros rochers de digue artificielle donnent sur la mer plate du Golf Persique; pas de marée, pas de vagues..un grand lac noir sur lequel le pont de 24 kilomètres reliant la terre à l’ile de Bahrein scintille dans le lointain. L’air est frais, Il y a pas mal de promeneurs, de couples ( lui en blanc, elle en noir, voilée, masquée) un grand périmètre clos de palissade laisse entendre musique et animation. Nous y entrons sans problème ..c’est gratuit, il faut uniquement donner son nom et son numéro de téléphone. Une entrée pour les femmes, une entrée pour les hommes. De grosses voitures de police avec gyrophares allumées sont stationnées devant les entrées et les sorties.  Dans ce grand espace avec quelques aménagements de repos, nous découvrons regardant l’intérieur de la place (assez vide) toute une succession de stands présentant les arts populaires ..forgerons, vanniers, potiers, musiciens traditionnels, cuisine sur le sol de sorte de crêpes saoudiennes..etc etc . Il y a beaucoup de familles, donc d’enfants ravis de leur sortie nocturne. Il en va de même pour les très nombreuses femmes qui sont là. Nous voyions notamment des grappes de jeunes filles en Habaya noire, voilées qui leurs téléphones à la main semblent très heureuses de pouvoir déambuler en groupe. Voilà bien une catégorie de population que nous ne voyions jamais dans la rue ou dans les voitures ( Je m’étais fait cette réflexion dans les embouteillages ..que des hommes dans les voitures….pas de femmes, nulle part). L’ambiance dans cette fête célébrant les arts traditionnels est assez morose..Beaucoup d ‘équipe de surveillance et d’organisation, des policiers à l’extérieur…Que craignent-ils? pas d’alcool, pas de voyous, pas de délinquance …Redoutent-ils un « attentat terroriste »? C’est assez étrange comme langueur comme non excitation ..Pas de cris, pas de gaité, intempestive … Nous remarquons quelques femmes très jolies, très maquillées apprêtées mais la plus part sont grasses et lourdes…
Nous revenons à l’appartement après avoir fait une petite marche sur le remblai..
Installons notre diner de salades et sandwichs et dinons à quatre ..Paul, Pascal, Cyrille et moi, Malek garde une fois de plus la chambre ..Il viendra diner plus tard, seul …Dissension de groupe disais-je..! »

Extrait Journal de bord - AdC- El Khobar Chantier Tamimi /Amblard 2019

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« Les quatre cinquièmes du pays sont recouvert par des déserts. De la naissance à la mort, l’existence des Arabes se déroule sur ce socle nu où déferlent, jour après jour, des cataractes de lumière. Mais on se tromperait fort si l’on entendait par « désert » une étendue monotone de pierraille et de sable. Non seulement le désert varie selon les heures, mais l’Arabie en contient plusieurs qui diffèrent du tout au tout. Le Nefud ne ressemble pas au désert du Nedjd et le Haïl encore moins au Ruba-El-Khali. Il y a des déserts montagneux et des déserts de sable. Ceux du Hasa sont clairs et argentés; ceux du Ruba-al-khali vont du rose pâle au lie de vin. Quant aux montagnes du Hedjaz, vues à une certaine distance elles sont d’un bleu de saphir comparable à celui qui sert de fond aux toiles de Léonard de Vinci.
Chez nous la terre doit beaucoup au travail des hommes. Elle a été transformée et humanisée par le labeur des générations. Rien de tel en Arabie. Le pays est resté intact. Seuls l’ont façonné les lumières et le vent.  C’est le soleil qui a crevassé et érodé les montagnes; c’est le vent qui sculpte et modifie sans cesse le profil des dunes. Selon que souffle la brise fraiche du « Shamâl » qui descend du Taurus, ou l’embrasement du « Hamsîn » qui remonte l’océan indien. Le désert change de visage au point de devenir méconnaissable. Il varie aussi vite et aussi souvent que la mer. »
« Destin Rompus » - Ce pays façonné par le soleil et le vent - Benoist-Méchin- Albin Michel 1974

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Jeudi 10 mars 2022
« (……) Enfin le déjeuner est annoncé. Bertrand et moi nous discutons en fumant devant le bâtiment du personnel dans lequel nous avons nos vestiaires et salles à manger. Valerie se joint à nous avec son plat ..elle commence à déjeuner dehors. Les autres sont déjà attablés lorsque je me rends compte que Valérie mange mon plat de poulet devant mon nez! Hier, elle avait déjà pris celui de Loïc! Ah ah, elle semble ne pas chercher beaucoup son plat et en prendre un sans trop vérifier!
Emilie nous parle encore de la sortie dans le désert organisée par Madame J. la cliente. Nous confirmons le programme et répercutons les informations données par Média tout à l’heure en présence de Bertrand  ..Nous sommes en plein rêve de trekking dans le désert! Nous allons être reçu sous une tente bédouine montée pour nous, le soir un méchoui sera organisé… Tout le monde est excité par le « désert » ..Ça discute des tenues appropriées. Valérie me demande si je suis déjà allé dans le désert..je lui raconte rapidement ma traversée du Tadémaït en Algérie…Je ne parle pas des autres mais j’y pense en mâchouillant…je pense au Hoggar, à L’Asekrem du Père de Foucault, à la Syrie, de Palmyre la belle, dansant dans la chaleur jaune, de la route nue où seul le croisement Damas, Bagdad comporte une signalétique abrasée par le sable… J’ai vu quelques petits bouts de désert …au Nord du Mexique, le désert de Sonora au dessus d’Hermosillo où nous passions en bus Dina vers Tijuana et la frontière américaine ..Le désert du Néguev en remontant d’Eilat en bus pour aller travailler à Tel Aviv avec Vianney Brintet.. la côte sud de Safaga en Egypte pour les croisières plongées..
Demain nous allons donc dans le désert du Hedjaz !…  Tous le monde s’imagine en méharée dans les dunes ..la nuit sous les étoiles …la mystique du désert. Bon, passée la première excitation, je suis dubitatif..Les Saoudiens partent souvent passer le week-end dans le « désert » comme les libanais vont le week end « à la montagne »,  c’est une expression qui ressemble à notre « week end à la campagne ».
Bertrand se met au travail et nous dit qu’il va rester encore un peu travailler ce soir; alors que nous voilà parti..Bertrand me prend à part en me disant que j’avais raison, Sultan lui a envoyé des photos du site du désert dans lequel nous irons demain..C’est un centre de week-end avec activités et accommodations …Il y a bien une tente bédouine ( d’exposition) mais aussi des bâtiments climatisés … Le bord de la mer est un club..le désert est un « centre aéré » pour passer une journée loin de la ville!
Dans le minibus, assis à côté de Sultan qui me montre des photos de son mariage, de son fils et de sa femme à Adis Abeba, il me confirme que c’est un centre de week-end où l’on peut faire du cheval, faire du moto cross ou du Quad, tirer à l’arc etc … Je me retourne vers le groupe des six derrière moi et commence à réviser leurs rêves…Arthur ne me croit pas, Manon non plus ..Stéphane rigole mais personne ne me prend au sérieux … Puis petit à petit la déception se lit sur leurs visages, ils comprennent mon parallèle avec la plage de vendredi dernier… Ils sont déçus… »
Extrait Journal de bord - AdC- Djeddah-Chantier-Maïa Décors  2022



Depuis sa fondation en 1932, le Royaume d’Arabie a une histoire aussi romanesque que celle de la conquête et l'unification par Abdelaziz Ibn Séoud des différentes régions sous dominations tribales ou claniques. Une fois la guerre terminée, les Ottomans parti, les Hachémites enfuis, les Al Rachid défait, les Shammars pacifiés par le sabre et l’annexion matrimoniale. Ibn Séoud chercha de l’eau. Il en trouva. Il fit venir des ingénieurs agronome des États-Unis …Les jardins et potagers commèrent à grandir dans les oasis du Royaume et surtout dans l’Asir, la région côtière au dessus du Yemen…
En septembre 1920, un Major anglais du nom de Frank Holmes, en effectuant un forage pour trouver de l’eau près de Bahrein fut surpris d’être éclaboussé par un liquide noir et poisseux qui sortait avec force du sol..Il obtint cette concession de forage auprès de l’Emir de Bahrein…Rentré à Londres, il voulut céder son action à des compagnies de la City. Mais cela n’intéressa personne car il y avait assez à faire avec les premiers gisements de l’Iran et de l’Irak. Holmes fini par trouver un acheteur en la personne de la Gulf Oil Company, une petite compagnie américaine…qui acheta la concession pour une modique somme…Puis la revendit 50 000 dollars à la Standard Oil de Californie…Les prospections américaines montrèrent que la région du Hasa et la côte arabique du golf Persique contenait autour de 70% du pétrole mondial.
Le temps avance, la seconde guerre mondiale terminée, les (retors) anglais sont remplacés par les (généreux) américains après l’entrevue  Roosevelt / Ibn Saoud à bord du Quincy sur le lac Amer en Egypte. L’Arabie féodale rentre dans la modernité.
Mais les réticences furent très importantes. La société ultra conservatrice des Wahabites se refusait à tout changement.
Pour faire accepter le téléphone par exemple, Ibn Saoud raconta qu’il fit venir les Oulémans et les docteurs de la loi à Ryad. Il leur dit «  Cette invention moderne que les étrangers m’ont installés dans le Palais m’inquiète. Dites moi si elle n’est pas parasitée par le diable !  Vous allez réciter les versets du Coran ici dans cet appareil ..et vous autres les écouterez dans l’autre pièce avec le deuxième appareil ..si les versets sont entendus avec justesse c’est que le diable ne peux rien,… » Les sages acceptèrent cette modernité sans poser de difficultés. Depuis les milliards de dollars ont transformé le pays avec une vitesse impressionnante mais le féodalisme, lui est lent à s’émousser, à s’éroder, à disparaitre…

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La condition de la femme saoudienne est un marqueur qui doit servir à évaluer la différence qui existe entre la pensée occidentale post-chrétienne et la pensée Wahabite Hanbalite actuelle.
Les avancées du Roi Abdallah se brisent sur les recluses de Djeddah. Depuis la mort de la princesse Mishaal en 1980, lentement néanmoins la situation change. Raif Badawi,le blogueur saoudien condamné aux mille coups de fouet, en prison depuis dix ans, pour avoir prôné la fin de l'influence de la religion sur la vie publique a été libéré en mars 2022 mais est assigné à résidence pour dix ans encore. Un petit rappel s’impose concernant les événements extrêmement révélateur d’une situation collective. En 1977, La princesse Mishaal Bin Fahd Al Saoud, 19 ans, petite fille du frère du Roi Khaled fut exécutée publiquement sur un parking de deux balles dans la tête avant que son amant libanais ne soit décapité d’une façon particulièrement atroce par un des ses frères. L’honneur de la famille royale avait été bafoué par une relation non autorisée, le Roi donna son acceptation. Mais un film relatant le martyre des amants tourné en Angleterre en 1980 fut diffusé à la télévision anglaise et américaine.  « Death of a Princess » d’Anthony Thomas déclencha une grave crise entre Margaret Tatcher et le Roi Khaled. Un incident diplomatique résultant des pressions exercés par le roi pour faire retirer le film. Cette exécution barbare a été ordonné par le frère du Roi sans qu’il n’y ai eu aucun procès et condamnation officielle. La princesse ayant tentée de fuir le pays, elle a avoué sa liaison avec Khaled al-Sha'er Mulhallal, le neveu d'Ali Hassan al-Shaer, l'ambassadeur saoudien au Liban. Les amants devaient mourrir.

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Djeddah - Vendredi 15 Juillet 1977-  à droite la princesse Mishaal.


Les recluses de Djeddah illustre aussi à fortiori cette problématique position des femmes qui se retrouve aussi dans la très nombreuse famille Al Saoud.
Les quatre princesses Sahar, Maha, Hala, Jawahir, fille du roi Abdallah qui régna de 2005 à 2015 furent confinées dans leur maison à Djeddah depuis plus de dix ans avec des restrictions d’eau et de nourriture. Séparée de leur mère réfugiée à Londres car divorcée, l’intransigeance du roi qui jamais ne leur rendit visite et maintient cette incarcération dont ses fils étaient les gardiens fut très choquante pour les médias anglo-saxons. La douleur d’une mère s’exprimant en anglais n’eut que peu d’écho en France. Al Anoud Al Fayez première des trente épouses du roi Abdallah, divorça en 2003. Depuis Londres, elle  essaya de faire venir ses filles sans succès.  Elles seront brisées, séparées, rendus anorexiques et suicidaires. La princesse Hala est morte le 30 Septembre 2021 à l’âge de 47ans. Il n’y a aujourd'hui aucunes nouvelles de ses soeurs.
Le roi Abdallah décédé le 23 janvier 2015 a été reconnu paradoxalement comme plutôt libéral, Il nomma une femme en 2009, ministre déléguée à l’éducation. En 2015, il autorise le droit de vote des femmes aux seules élections existantes dans le royaume, les élections municipales. Elles peuvent aussi se présenter. Une seule à été élue mais doit être accompagnée par un homme sur son lieu de travail ! (A. Amir-Aslani ;  Arabie Saoudite -De l’influence à la décadence -L’archipel 2017)

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La pression des femmes se fait sentir dans la société civile. L’aberration de l’interdiction de conduire produisant une sur-représentation des chauffeurs privés n’est pas tenable.  C’est le seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire de véhicule à moteur. La charrette avec âne oui, mais la mobylette non! Le mouvement des femmes se coordonne dès 2010. Manal al Sharif est la première à être emprisonnée car elle poste des vidéos d’elle au volant…En 2017 l’autorisation est accordée par le roi Salman mais un groupe de conductrices est toujours en prison; l’organisation Human Watch Rights s’inquiète des conditions de détention, comportant des violences et des viols, sans possibilités d'enquête ou de plaintes.
La situation évolue néanmoins, des femmes circulent en voiture et même sans accompagnateur masculin. Mohamed Ben Salman alias MBS ouvre la société pour s’assurer de la paix civile, il réforme pour mieux tenir. Les Saoud n’ont aucune intention de laisser le pays à d’autres.

 

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Reema Al Juffali, née en 1992, est devenue la première femme saoudienne pilote de course professionnelle. Elle est donc une figure historique. En participant à des courses de Formule 4 dans le monde mais aussi cas unique, elle est la première saoudienne à être au départ d' une compétition internationale organisée dans le royaume.( Instagram @reemajuffali - 27k followers !)

Les temps changent…doucement. Le mouvement ne devrait pas s’arrêter mais la "vitesse" doit être très contrôlée dans un pays où sous la modernité apparente, le coeur blanc de l’islam wahhabite est un roc multi séculaire.

 

 


Djeddah ne m’aurait été donné comme sujet de réflexion, de rêverie et déjà de nostalgie sans mon guide, mon ami, qui tout vêtu de blanc, hante ses artères depuis un an; Bertrand de Guilhem de Lataillade.
Ni tout à fait Montfreid pas complètement Lawrence mais assurément le capitaine de cette aventure, il y façonne le goût de ses hôtes, silencieusement avec application, livrant son savoir comme un exorcisme spirituel décoratif.

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Ô Cavaliers, qui déployez vos efforts
Pour hâter sur la terre le pas
De vos montures, dont les sabots s’enfoncent
Profondément dans le sable,
Nous avons été, comme vous
Des voyageurs pressés
Et un jour, comme nous arrivés
Au terme du voyage
Vous serez étendus dans la tombe.

Ali Ibn Sayd   - VII°S

 

 

8 février 2022

SUITES MUSICALES

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Daevid Allen enchanta mes années d’adolescence avec ses mélanges de jazz, de rock psychédélique intercalés de longs passages onirico-hypnotiques que l’on appelait « planants ». Mais ces morceaux qui semblent venir d’états parallèles liés au cannabis ou autres substances, sont plus précisément des plages musicales inspirées des expérimentations de musique électronique répétitive.
 Ce foisonnement d’inspirations multiples et d’univers décalé, ce monde de la planète Gong comme le montre brillamment le disque « YOU » de 1974 est une expérience en soi d’éducation de l’oreille pour ceux qui y sont réceptifs.
Daevid Allen déroule une création musicale itinérante faite de multiples rencontres suscitant de nombreux projets qui restent dans une marge créatrice, un entre deux d’avant garde disons plutôt confidentiel. Mis à part l’aventure du groupe anglo-français Gong dont il est l’initiateur et qu’il quitte en 1975, sa production musicale se fera en dehors des circuits de l’industrie promotionnelle Rock.
Australien très tôt fasciné par un mode de vie issu de ses lectures des auteurs de la Beat Génération, il choisit Paris plutôt que Londres où ses relations et sa langue maternelle pourtant le sollicitaient, pour commencer à vivre sa vie d’artiste, sa vie de musicien. Il débarque au 9 rue Gît le Coeur dans un petit hôtel de poètes; le Beat Hôtel.
Nous sommes en 1960, Allen vend l’Herald Tribune au Quartier Latin ( Grand échalas dégingandé au sourire communicatif, il semble être le pendant rappelons-nous, de Jane Seberg en tee-shirt blanc sur les Champs Elysées au même moment ). Il rencontre rue de la huchette aux alentours du Chat qui Pêche, un pianiste de jazz qui joue également dans les clubs de Pigalle pour gagner de quoi vivre. C’est un américain, ils sympathisent, parle de musique et Allen va accéder par ce nouvel ami à la scène jazz parisienne.
 Daevid Allen rencontre donc Terry Riley. Quelles influences réciproques ont-ils eu en ces jeunes années ou ni l’un ni l’autre ne sont encore les compositeurs que l'on connait ? Le monde de l’avant garde du Jazz s'ouvre sans doute pour Allen. Alors que pour Riley, c’est moins perceptible; il est son aîné de trois ans,. Allen et lui s’intéressent aux expérimentations du son à l’aide de bandes magnétiques. Ils « bricolent » ensemble avec ces matériaux naissants.

 

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                  Terence Mitchell Riley

 
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Le monde de Riley ne laissera peu de place aux fantasmagories de Gong …un attrait de l’espace peut être?  Une attirance pour les mystiques orientaux et la musique s’y associant? Cela était assez facilement partagé par beaucoup, en ces temps là.
Terry Riley est communément distingué comme étant un des fondateurs de la musique minimaliste, nous sommes bien loin des foisonnements dadaïstes d’Allen; les parcours seront bien différents et nous ne savons pas s’ils se sont revu.


Terry Riley est américain. Né en 1935 à Colfax CA, il reçut une formation musicale solide. Après des études de piano classique, il entreprend une sorte de révolution sous l’influence de La Monte Young, qu’il rencontre à la Berkeley University de Los Angeles CA.  La Monte Young est le compositeur associé à Riley lorsque l’on cherche les origines du courant minimaliste.
Riley découvre bien vite Coltrane et le jazz d’avant garde. Il gagne sa vie en jouant dans des clubs de Jazz mais de Schoenberg aux solos free travaillés par des bandes magnétiques qui passent en boucles, une nouvelle orientation se dessine. Il rencontre également Chet Baker qu’il entraine dans une expérimentation assez improbable pour l’époque: « il accompagne le trompettiste avec un montage sur bandes mises en boucle de sons de trombone, basse, batterie, de sons concrets et de voix. A travers ce travail sur les bandes magnétiques, Riley développe progressivement un mode de composition et d'improvisation basé sur la répétition de courtes cellules mélodiques. » comme nous l’explique Eric Deshayes ( Neosphere.free .fr)  Ce sera « Music for a Gift » en 1963.


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Terry Riley


Cette voie précédemment défrichée par des musiciens comme Morton Feldman ou Earle Brown donne naissance à une musique qui simplifie à l’extrême les données de départ de la composition. Construite sur un principe rythmique acceptant la tonalité, mêlant instruments et électronique, cette nouvelle école sera dite « minimale ». Deux autres musiciens se feront connaître comme d’éminents représentants : Steve Reich et Philip Glass.

Ce courant musical sortira du quasi anonymat grâce au remarqué « In C » ( ce qui veut dire : En do majeur), oeuvre composée et crée en 1964 à San Francisco. Cette composition arrivera à donner une certaine notoriété à Riley.

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 In C est d’une modernité que l’on pourrait qualifier de dérageante…"Je ne l’écoute que seul; en effet lorsque je l’écoute, ma tension nerveuse monte, je crispe ..". vous dirais-je... C’est une musique qui opère un certain travail sur l’humeur; il faut passer les dix-sept premières minutes pour se laisser emmener et se détendre un peu. Mais comment éviter de s’imaginer ce que peut être un concert où l’orchestre jouerait « In C »  devant un auditoire assis et concentré ( consterné peut être? ). Cela à eu lieu à San Francisco pour sa création en 64, puis à Londres en 68 et sans doute à Paris et New York. Le public dans la salle doit être admirable à observer. Là, certainement pas d’engourdissement comateux comme j’ai pu le voir en 2010 lors du concert de Robert Fripp au Winter Garden du FWTC de NYC.
L’oeuvre de Riley est une partition de 53 phases musicales, les musiciens, dont le nombre peut varier d’une dizaine à une cinquantaine, jouent l’intégralité de ces phases et les répètent plusieurs fois, même autant de fois qu’ils le veulent ou le peuvent, avant de passer au motif suivant. La partition tient donc en une seule page et le temps du morceau oscille entre 45 minutes et 1 heure 30. C’est répétitif à souhait ; les cloches, xylophones et autre marimba grinçant clignotent incessamment, les trompettes soûlantes et hypnotiques reviennent par intervalle en vrombissant; le tout est donc très énervant mais aussi très amusant …c’est une expérience et un apprentissage!..Car faire tourner en boucle, intérieurement, tout ces sons est une bonne initiation aux Mantras, le cerveau se vide une fois la résistance nerveuse dépassée.

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On ne nous en voudra pas de préférer écouter plutôt une composition datant de 1969 appelée « A Rainbow in a Curved Air »  Ce disque permettra à Riley d'avoir encore une certaine visibilité, non pas parce qu’il serait « plus facile »  mais plutôt parce que l’on pourrait le gratifier de plus propice à la rêverie ou à la méditation tout en étant agréablement rythmé sans les répétitions nerveusement difficiles du précédent « In C ».
La première composition correspond à la face A de l’album, elle lui donne son nom: « A Rainbow in a curved air » que l’on peut traduire par : un arc en ciel dans un air courbe »  C’est une pièce à trois mouvements comme une sonate classique.
Le premier, assez rythmé en boucles de clavier électronique, fait très rapidement penser à certains morceaux dont on saisit immédiatement l’influence. Certains musiciens rock, comme Mike Olfield pour son disque à succès « Tubular bells » s’en sont inspirés. Pete Townshend aussi, guitariste et compositeur du groupe The Who, surprendra les critiques rocks par sa longue, très longue phase d’intro jouée au synthétiseur sur le morceau appelé «  Baba O ‘Riley » (le gourou Mehmet Baba et Terry Riley clairement nommés en un hommage assumé )  Cette inspiration peut avoir influencé le commencement  du « tube »  "Won’t get fooled again" .

 Le second mouvement, plus lent et introspectif, s’immisce doucement en nous d’une manière assez anesthésiante pour déboucher sur un troisième mouvement, cadencé par des tablas et des Dumbec égyptiens ( petit tambour portable). C’est prenant et très efficace par son emprise hypnotique; puis le rythme s‘emballe jusqu’au final abrupte qui nous laisse dans un silence assourdissant en une seconde. (Le silence qui suit est aussi du "Riley"!)
C’est à apprécier véritablement après quelques écoutes, le plaisir vient immanquablement lorsque l’oreille est en terrain connu. C’est une musique de solitaire qui comme celle des Medlevi, vous entraîne dans une spirale ascendante ..sorte de moulin à prières musicales, on devient un moulin à prière, il suffirait d’écarter les bras et d’ouvrir les paumes vers le ciel.

 Le deuxième morceau ( Face B initiale) se nomme "Poppy Nogood and the Phantom Band »
Que l’on pourrait traduire par Poppy Nogood et le groupe fantôme . Poppy Nogood étant peut être un patronyme qui désignerait un petit chien pas sage?  L’ouverture est progressive comme un son qui viendrait de loin ..le son prend de l’ampleur; Riley y joue de tous les instruments ( le saxophone trouvera quelques réminiscences dans les glissando de Jimmy Page, plus particulièrement dans « In the Light » et « In my Time of Dying » dans une moindre mesure) L’utilisation de boucles musicales pré-enregistrées diffusées par deux magnétophones reliés entre eux, créer ce qui semble bien être le groupe fantôme jouant derrière Riley qui improvise des envolées de saxophone . Cette trouvaille de génie sera une source d’influence pour bon nombre de jeunes musiciens fascinés par cette nouvelle approche du son et de son utilisation en séquences répétitives.
Création de 1967, enregistrée en 1969, ce morceau est donc extrêmement important par les suites qu’il pourra occuper dans le travail respectif de Brian Eno et de Robert Fripp, ainsi et surtout dans leur collaboration en 1973.

 

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FRIPP & ENO


Le « No Pussy Fooding » est un enfant du « Poppy Nogood ». Ce disque à la pochette énigmatique et froide qui trônait chez les disquaires à longtemps exercé chez moi une certaine fascination. La pose de Brian Eno, bien de face  dans son reflet alors que Robert Fripp montre un trois quart est étrange. Le mobilier de plexiglas, le présentoir en guitares miroirs, le mannequin transparent et enfin le jeu de réflexion en abime…précurseur de bien des ambiances futures ( Il suffit d’avoir vu la « chambre en Réflexion du décorateur Thierry Lemaire présentée à l’exposition AD Intérieures 2019 à Paris )
 La musique remplit aisément ce que la pochette semblait proposer. Le premier morceau de 21 minutes appelé "The Heavenly Music Corporation » en est la face A, le morceau en évidence. C’est directement une hyperbole du "Poppy Nogood and the Phantom band". L’on pourrait se demander pourquoi ce disque ne s’appelle-t-il pas « The heavenly music corporation » ? Mais la filiation entre les deux compositions étant si évidentes que le choix du titre de l’album ne peut être qu'une sorte de clin d’oeil.  Que veut dire No Pusssy Fooding ? Ce ne semble pas une référence drolatique à connotation graveleuse, nous sommes en 1973;  Mais bien plutôt une allusion à peine voilée, le pendant du «  puppy » pas sage serait «  pas de nourriture pour le chaton » !

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A la treizième minutes du morceau  « The Heavenly Music Corporation » l’on entend, assez saturé, un riff de guitare qui me trouble car j’y vois une référence; mais ne parvient pas à savoir laquelle. Plus loin, à la dix septième minutes, le son de Fripp s’envole et prend le pas sur les boucles d’Eno. La séquence finale est aussi à rapprocher d’une composition du regretté compositeur Johan Johannsson, « The Beast »  (2015) que l’on entend dans le film « Sicario » de Denis Villeneuve. Comme le long final de Poppy Nogood qui est une sourde vibration, un son grave qui apaise et se répand en pulsation, la chute est brutale sans crescendo sans signe avant coureur. Le son se coupe net pour le silence …(  et ce silence c’est encore du Riley, n’est ce pas ?)

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De cette première collaboration si réussie suivra en 1975 le disque « Evening Star » monument de l’ « ambiante musique ». La pochette, illustrée d’un tableau de Peter Schmidt avec ce graphisme adéquat, est en parfait accord avec la musique. Les claviers multiples, les synthétiseurs en boucles, la guitare minimale de Fripp tout en glissando sur des chapelets de notes claires et vibrantes sont vraiment l’avant et l’après de leurs travaux de création personnelle. C'est la matrice et l'aboutisssement de la « Discreet » musique d’Eno et des « Landscapes » de Fripp.

 

ENO

Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno


BOWIE & ENO


 David Bowie et Brian Eno racontent avoir assistés à la performance d’un compositeur minimaliste: Philip Glass. Le « Music With Changing Parts » qui fut joué en 1971 au Royal College of Art de Londres les à fortement impressionnés, ils s’en souviendront.
Six ans se passent avant qu’ils ne commencent à collaborer à ce qui va s’appeler "la trilogie Berlinoise" de David de Bowie, comprenant les albums  « Low » et « Heroes » sortis en 1977 et « Lodger »  de 1979.
L’influence de Brian Eno y est prépondérante. Dans les compositions communes, tout le travail de clavier d’Eno sont une filiation des recherches musicales initiées par l’écoute des compositions de Terry Riley et de Philipp Glass, sublimées par la collaboration « Frippienne ».
Tout le travail effectué pour son  « Discret Music » viendra irriguer cette collaboration. L’aventure berlinoise de Bowie se situe dans sa biographie au moment charnière où il quitte Los Angeles pour s'échapper de son addiction à la cocaïne. Les nouvelles influences musicales sont un chemin d’évasion. La présence de Brian Eno montre que Bowie était extrêmement intéressé par ces chemins de traverse. Il est à noter aussi l’influence d’Edgar Froese, influent compositeur allemand, fondateur du groupe Tangerine Dream, que Bowie rencontreà ce moment là. L’ambiance de Berlin Ouest, ville insulaire fera le reste. Ce carrefour d’influences va donner un relief très particulier au nouveau Bowie qui introduira une sorte d’avant goût de "Krautrock" aux deux premiers disques de 1977. Le Krautrock est un genre musical né en Allemagne de l’ouest, il est une variation de musique électronique post rock dit progressif. Il ne s’exportera que par quelques-uns de ses représentants les plus illustres comme Klaus Schulze et Kraftwerk.

 

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Les morceaux Warszawa et Substerraneans de "Low" sont vraiment de l’ « Ambiant Music »;  ainsi de Moss Garden et Neuköln du disque suivant « Heroes ». Ce sont de superbes compositions instrumentales signées Bowie / Eno très innovantes, elles donnent une texture toute particulière à l’ensemble de ces deux albums.
Le morceau titre  « Heroes » composé aussi à deux mains mais avec des paroles de Bowie s’imposera comme une sorte d’hymne générationnel. C’est une vision déclamée comme une  prière, initiée par la vision de Tony Visconti ( son ami et producteur et marié au USA) embrassant sa maitresse allemande près du Mur. 

Chanson d’espoir à connotation mélancolique :


I, I can remember (I remember)
Standing, by the wall (by the wall)
And the guns shot above our heads (over our heads)
And we kissed as though nothing could fall (nothing could fall)
And the shame was on the other side
Oh, we can beat them, forever and ever
Then we could be heroes, just for one day

Je me souviens (je me souviens)
Debout, près du mur (près du mur)
Et les fusils ont tiré au-dessus de nos têtes (au-dessus de nos têtes)
Et nous nous sommes embrassés comme si rien ne pouvait tomber (rien ne pouvait tomber)
Et la honte était de l'autre côté
Oh, nous pouvons les battre, pour toujours et à jamais
Ensuite, nous pourrions être des héros, juste pour une journée


Le duo Bowie /Eno fait appel à un autre duo créatif et très prolifique dont nous avons parlé précédemment: le duo Eno/Fripp. Il n’est donc pas étonnant que Brian Eno ait demandé à Robert Fripp de venir à Berlin pour jouer les parties de guitares solo.  
 Le journaliste Rob Hughes racontera en 2015 dans le magazine Classic Rock que Fripp qui vivait à NYC, reçu en Juillet 1977, un appel téléphonique de Brian Eno lui disant qu’il travaillait avec David Bowie à Berlin et qu’ils pensaient à lui. Il lui demanda s’il serait intéressé de jouer une sorte de « Hairy rock’n roll guitar » sur l’album. Fripp répondit qu’il n’avait pas joué sérieusement depuis trois ans et que s’ils étaient prêt à prendre ce risque, lui aussi!  Il reçu donc un billet d’avion de première classe à destination de Berlin Ouest!

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Brian Eno, Robert Fripp, David Bowie  -  Berlin 1977


 Malheureusement la présence de Robert Fripp n’est pas crédité sur la pochette du disque de 77, ce qui donna lieu d’ailleurs à des controverses car cette injustice, due à des sombres interférences de droits et de contrats syndicaux se répétera avec le disque de Bowie « Scary Monster » de 1980.
Cette collaboration est importante car « Heroes » est le fleuron de cette fausse trilogie, en effet  « Low » fut enregistré en France, puis plus tard "Lodger" à Montreux en 1979. Ce dernier opus ne présente plus cette étincelle d’inventivité liée aux influences fortes de Riley et de Glass. Fripp y est absent et la collaboration Bowie / Eno prendra fin sans bruit avec le retrait d’Eno. L’album qui ne comporte pas ces compositions instrumentales si caractéristiques s’oriente vers une Brit-pop d’une toute autre direction.
Il est à noter pour la petite histoire, que les parties de guitares seront alors tenues par le fameux Andrian Belew, débauché par Bowie du groupe de Frank Zappa. Belew deviendra ensuite le guitariste du nouveau King Crimson réactivé par Fripp !


La sortie du disque Heroes sera très remarquée; un nouveau son, un nouveau Bowie, une sorte de nouveau départ créateur d’ une « Cold wave » prolifique.
Élu album de l’année par le New Musical Express et le Melody Maker. Par un trouble jeu circulaire, l’influence d’Heroes se nourri alors de sa propre influence comme un arroseur arrosé. La musique "minimale"  venant d'écoute de musiques extérieures comme celle de Ravi Shankar; donne naissance par David Bowie à une nouvelle lecture et composition.
En effet Philipp Glass composera la symphonie n° 4 « Heroes » en 1996 , après la « Low / Warszawa » symphonie n °1 en 1993. Composition « d’après » la musique de Brian Eno et David Bowie, nous renseigne Philipp Glass. Superbe alliance d’influences, les thèmes connus d'Eno/Bowie s’entremêlant avec des volutes de cordes montantes dans une sorte de spirale hélicoïdale remarquable. Le lien entre les deux mondes se faisant en aller et retour. La musique symphonique minimaliste expérimentale de Glass, revivifiant des musiciens arrivés au bout de leurs expériences de « Glam rock » : Eno quittant Roxy Music et Bowie organisant la mise à mort de Ziggy Stardust;  se voit par un effet boomerang revitalisée par leurs compositions.

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La trilogie berlinoise fut donc magnifiée en retour par sa reprise avec orchestre. Commencé par la symphonie n°1 « Low », puis la par la n°4 « Heroes » puis   récemment  par la symphonie n°12 datant de 2019 intitulée « Lodger », ces trois oeuvres où tout le particularisme de Philipp Glass trouve sa mesure, sont une infime partie de son prolifique travail..Il suffit de consulter la page d’encyclopédie Wikipedia de l’ensemble de ses compositions pour en prendre conscience.

Jay Hodgson, de l’University of Western Ontarion écrit dans « Popular Music Studies »

« La méthode de composition que Brian Eno a conçue pour créer «Discreet Music» ( Musique discrète) est une adaptation lâche de la séquence de décalage temporel qu'il a câblée ensemble pour Robert Fripp sur «The Heavenly Music Corporation» qui, elle-même, était une adaptation lâche de la séquence de décalage temporel que Terry Riley a réunis la décennie précédente sur des morceaux comme Music For 'The Gift', Bird of Paradise, Dorian Reeds et Poppy Nogood et le Phantom Band. Ceci est devenu le modèle pour les expériences « ambiantes » de longue durée de Brian Eno pendant le reste de la décennie. »»

 La musique minimaliste électronique de Riley sera donc comme nous l’avons vu, un puissant courant d’influence allant irriguer la dite musique « space rock ». Le Tangerine Dream comme Klaus Schulze y trouveront matière à exploiter cette nouvelle direction. Même si le monde de la musique de l’industrie rock est bien différent de celui de la recherche d’avant garde; le succès du disque « A Rainbow in a curved air » de Riley en étonna plus d’un chez Columbia record.
L’oeuvre très fournie de Terry Riley se dévoile dans sa discographie qui s’égrène d’années en années, montrant un nombre impressionnant de nouvelles rencontres et de collaborations fécondes.
L’une des dernières, en date de 2019, voit la sortie d’un nouveau disque, Sun Rings.

 

 

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TERRY RILEY II


La NASA voulait une musique pour célébrer le programme « Voyager » Ces missions dont on ne parle malheureusement pas assez en France, sont des aventures fascinantes et évidemment toujours actuelles. Les sondes Voyager I et Voyager II qui furent lancées en 1977, émettent toujours des informations. Ce sont deux bouteilles à micros dans la mer infinie de l’espace interstellaire.
 A la fin des années 90, la NASA demanda à David Harrington, le fondateur du Chronos Quartet, de trouver un compositeur pour cette commémoration. Le choix de Terry Riley s’imposa très simplement. C’est lors d’une session de travail au Skywalker Ranch ( cela ne s’invente pas !) avec le Kronos Quartet qu’il fut pressenti. Harrington, violoniste fonda son quartet en 1973 à San Francisco. Cette formation est une étape essentielle dans le cheminement de la musique dite « vivante » (bien que je n’aime pas ce titre qui suppose des musiques mortes). Le Kronos Quartet joue des oeuvres contemporaines et devient un découvreur de jeunes talents. Harrington depuis de nombreuses années organise des « créations musicales » extrêmement éclectiques.  Lors de ce travail au ranch, Harrington explique à son ami Riley qu’il a été jusque dans l'Iowa pour rencontrer un astrophysicien du nom de Donald Gurnett car celui-ci avait capturé depuis de nombreuses années les sons de l’Espace!
Ces sons, collectés depuis les sondes Voyager grâce à des appareils de sa fabrication, sont compilés dans des bandes magnétiques qui n’attendent qu’a être écoutées. Terry Riley alla donc rencontrer Gurnett à Iowa City. Pour lui ce fut «  one of the most fascinating and inspiring days with this amazing man » ( les jours les plus inspirés et fascinants passés avec cet homme extraordinaire)»  Ce qu’il s’imaginait être un rendez vous d’une heure devint une journée entière avec un bon dîner rajoute-il.  

 

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T. Riley & D. Gurnett


De retour chez lui, il s’immergea dans ses sons venus des confins: « mostly raw grainy sound » ( plutôt des sons bruts et rugueux)  Garnett avec ses prototypes, pu détecter des fréquences d’ondes audio se propageant dans le gaz ionisé, c’est à dire le plasma, qui entoure la Terre. C’est ce que l’on appelle la « magnétospère ».
Certains de ces sons ont pu être enregistrés du sol: des souffles, des sifflements appelés « Whistlers ». Les physiciens pensent que certains viennent des éclairs en haute altitude mais bon nombre d’autres sont de provenance inconnue.
Depuis le lancement des sondes Voyagers, le matériel  accumulé s'est enrichi. Les ondes magnétiques provenant des capteurs sont appelés « Sons de l’Espace » les « ion acoustic waves » les oscillations d’ondes dans des particules chargées d’électricité.
« Rappelons que dans l’espace personne ne vous entendrait crier. L’onde sonore a en effet besoin de matière pour se propager par une succession de compressions et de dilatations du milieu dans lequel elle est produite. Dans le milieu interstellaire, la densité de matière est beaucoup trop faible pour que le son puisse y prendre appui et se propager. Des ondes de plasma aux émissions radio de Saturne, en passant par le chuchotement des lunes de Jupiter, il est en revanche possible de convertir en lecture « audible » les ondes propagées dans l’espace. Il en résulte des pistes étrangement belles, et d’autres plus désagréables. »
Nous renseigne Brice Louvet, rédacteur du site SciencePost.


 Terry Riley se lance dans un travail de modélisation de ses sons pour qu’ils puissent être en interface avec ses compositions joués par le Kronos Quartet. Il puise dans le matériel collecté par un jeune électro acousticien qu’il embauche, David Dvorin. Il travaille sur les bandes laissées par Gurnet pour sortir un échantillonnage utilisable. Il y intègre un mantra récité par l’écrivaine Alice Walker qui le tenait elle, d’un moine vietnamien, Thich Nhat Hahn, maitre en méditation «  One earth…one people..one love »
Le disque Sun Rings est une pure merveille de musique qui retardée par la catastrophe du 9/11 peut enfin être écouté en 2019. Le premier mouvement est une exploration où la voix de Gurnett se fait entendre parmi des souffles de l’espace, des crissements, des cliquetis de recherche de fréquences, c’est une introduction une mise en situation. L’esprit est capté, les sens s’éveillent. Le deuxième morceau « Hero in danger » est vraiment musical avec de sensibles tablas se mélangeant aux cordes du quartet. Les graves en contrepoint des aigües puis une tension se créée à la cinquième minute avec les sons de l’espace en arrière plan couverts par le grave du violoncelle. C’est extrêmement prenant, très beau dans sa mélancolie forte. Tout le disque se déroule en phase de tension alternées de détente grâce à un violon quelque fois assez joyeux.

Earth Whislters comporte des choeurs en gujarati puis en anglais, le tout est d’une pureté déconcertante ..jusqu’au « we must learn to depend on vast motionless throught » scandé par le choeur à six voix dans «  Prayer central » qui se termine dans des murmures…c’est alors le « Venus Upstream » à écouter à fort volume, les cordes sont entremêlées de bruitages et de sons répétitifs …cabrure extrême jusqu’au mantra final «  One Earth….one People …One Love » récité par Alice Walker…Superbe finale.


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Kronos Quartet

Nos installations personnelles audio ayant fait beaucoup de progrès depuis ce que l’on appelait la chaîne Hi-Fi.  Le disque (au format FLAC ou Aiff  ou même Mp3) restitue maintenant une qualité de son absolument fantastique que le sillon n’avait pas avec une installation standard …à fort volume la musique nous enveloppe, nous capture en provoquant pour peu que vous ayez des dispositions ( pour peu que vous ayez pris aussi des dispositions: seul ou à deux en silence, au calme, dans une position toute réceptive à votre écoute) une expérience extra sensorielle génératrice de beaucoup de plaisir.
Le Kronos Quartet est une excellente passerelle vers des musiques à découvrir.


ZORN



Comment évoquer le monde de John Zorn ? Pour ceux qui ne le connaisse pas, il est illusoire ici d’en faire une présentation cohérente; à chacun d’avoir la curiosité de voir la complexité d’influences et l’énorme production de ce génie musical.
Son retour vers la musique classique se fit selon lui, grâce à la commande d’une pièce pour quatuor à cordes effectuée par le Kronos Quartet en 1998  ( Cat O’Nine tails / chat à neuf queues). Zorn est un personnage fascinant, controversé car imprévisible et inspiré. Saxophoniste, multi-instrumentiste, producteur et compositeur …Il déroute le néophyte.
Plongez vous dans ses « Book Beri’ah » aux pochettes ésotériques, compositions allant du jazz au métal ( cf Cleric etc…) le reste est à découvrir…

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J’aime énormément l’album de 2014 « Transmigration of the Magus » qui vous apaise comme un baume. C’est à la première écoute assez déconcertant, comme quelque chose d’hybride qui glisse sur vous si l’esprit ne domestique pas oreille. Puis cela vous captive ….
John Zorn a travaillé avec énormément de musiciens, Il faut prendre le temps de lire sa fiche encyclopédique sur Wikipedia, la version française est aussi fournie que l’anglaise ce qui est à saluer ( Les versions allemande et espagnole sont beaucoup plus courtes!)




DUN



Pour continuer cette Suite Musicale,  j’évoquerais une composition de Tan Dun datant de 2014: « The Wolf ». Concerto de contre basse en trois mouvements ( Largo melancolica, Allegro/ Andante molto/Allegro vivace) interprété par le bassiste Dominic Seldis et le Royal Concertgebouw Orchestra. Vingt minutes de plaisir pur ( surtout le Largo Melancolica) aux confins des influences à décortiquer. Les compositions teintées de mysticisme d’une autre oeuvre appelée  « Water Passion » sont à découvrir ainsi que le « Ghost Opera » joué par le Kronos Quartet en 1997. Tan Dun illustre la tradition millénaire chinoise de l’opéra fantôme où l’exécutant dialogue avec sa vie ancienne et future, instaurant un dialogue entre le passé et l’avenir, entre l’esprit et la nature.
Sur le même disque que celui présentant « The Wolf » il y a une composition de Richard Rijnos dont il faut parler.

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RIJNOS



La tension extrême de « Fuoco e Fumo », composition de 15 minutes écrite par Richard Rijnvos après l’incendie de la Fenice me plonge dans un état quasi cataleptique, c’est un tournoiement hypnotique âpre et violent qui embrase. Cette composition fut jouée pour la première fois en 2015 à Amsterdam sous la direction de Daniel Harding. Sur le site personnel de Richard Rijnos, on peut lire cette critique de F. Van der Waa du Journal De Volskrant datant du 15 juin 2015 :
«  En quinze minutes, un jeu raffiné se déroule avec des sons gonflants et décolorants pleins d'explorations harmoniques et de couleurs éclatantes. Un accord fondamental sert de colle, brillant constamment à travers le tissu, bien qu'il soit finalement enneigé par un mélange de notes de basse pulsantes. [...] Le fait que le Royal Concertgebouw Orchestra ait commandé cette œuvre à Rijnvos en dit long sur la stature du compositeur »
Voilà qui provoque chez moi un état comparable à ceux suscités par l’écoute des « Espaces Acoustiques » de Gérard Grisey  ( Prologue / Période / Partiels) dont j’ai évoqué la puissance dans un  précédent article de ce blog: « Eloge du Spectre » en 2016 . Il sera bien temps de revenir vers Grisey lorsque j’aurais enfin lu ses « Écrits ou l’invention de la musique spectrale » publiés en 2008 par MF Éditions à Paris.



HUREL


Ce qui nous amène pour conclure, à évoquer le « Tombeau in Memoriam Gérard Grisey » du compositeur français Philippe Hurel, composition de 13 minutes 45 présentée sur l’album «Loops » sorti en 2006.  La frappe violente du piano rageant, cadencé par un sprint de percussions est une progression enivrante vers enfin la douceur et l’introspection …C'est une musique puissante qui parle au reptilien comme au cortex, les sens se chargeant d'irradier en nous une sensation assez unique.

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Hurel a bien connu Grisey, il écrit dans son livret  :« Par deux fois, Gérard se retourne en tirant le bout de la langue sur le côté de la bouche, signe habituel de son étonnement ou de son contentement. Il prend un plaisir évident à l'écoute de la version que nous lui proposons. Ma petite « crève » s'en trouve momentanément guérie et je sors rapidement de ma torpeur tant la musique est belle et nouvelle. » Ce texte provient de la note de programme sur la base Ressource de l’IRCAM (Ici)
C’est extrêmement touchant ..Grisey est mort trop jeune, le 11 novembre 1998, à 52 ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20 janvier 2022

UNE PHOTO Détails et contexte

 

1AAAAA champs élysées 1882 1886

Faites glisser cette photographie hors de votre navigateur pour l'enregistrer sur votre bureau. Vous pourrez faire des zoom dans l'image et voir les multiples détails.

Parmi une petite collection de photographies d’archive privée, une vue ancienne de l’avenue des Champs Elysées retient l’attention. Compulsant une série de photographie, je manipule machinalement ce large cliché d’extérieur. Je regarde la perpective fuyante vers l’arc de triomphe, détaille le premier plan puis m’apprêtant à passer à la suivante, mon geste se suspend et je m’interroge.
 Un détail sur cette photo m’arrête.


Pourquoi donc cette vue extérieure très générale se trouve-t-elle dans cette série d’une vingtaine de photographies?
Le reste du fond d’archive est uniquement concentré sur l’hôtel particulier du 25 de l’avenue auquel il appartient. Ce ne sont que des vues d’intérieurs ou des façades avant et arrière.


Que représente cette photographie? Quelle scène est en train de se dérouler devant l’objectif?
Le premier plan est un vide, les personnages sont situés dans le deuxième tiers horizontal. Le premier coup d’oeil laisse voir une large perspective s’ouvrant sur le ciel. Il y a des attelages, des cavaliers, une foule sur l’avenue, un réverbère se détache. L’arc de triomphe est au centre, les immeubles de chaque côté avec les rangés d’arbres. Une vue classique.
Nous sommes au rond point des Champs Elysées, l’immeuble à droite est vite identifié comme l’hôtel particulier du banquier Henri Bambergé qui deviendra le siège du Figaro. La définition de l’image est excellente, la version numérisée peut être aisément détaillée avec des agrandissements restants très nets.
 Il y a une centaine de personnes regroupée autour de cavaliers occupant le centre de l’avenue. Le sol semble strié, ratissé. C’est assez étrange de voir une rue non pavée comme couverte d’un grand tapis tressé de jute ou de chanvre. La terre battue, damée, semble rayée par les fers des roues d’attelage. Ce n’est pas une scène de rue ordinaire. Ce n’est pas un instantané pour réaliser un joli panorama de la grand avenue. Il ne s’agit pas de créer une « carte postale » ( Il est à noter que cette photographie ne se trouve pas dans la base de donnée du site Delcampe.)
 La légende imprimée en blanc en bas de l'image stipule « N°104 Paris L’avenue des Champs Elysées  X. Phot. » rien de plus.  
On ne sait à quelle collection appartient ce numéro 104. Ni si la mention  « X. Phot. » signifie que le photographe est anonyme?

Les photographies suivantes sont des détails de la première vue en haut de page.

1
Les personnages de cette scène sont des spectateurs. Ils ont le regard tournés vers un événement en train de se dérouler.
Le groupe central est constitué de quatre cavaliers.
Trois jeunes garçons nu-tête, une femme habillée de noir chevauche devant eux. Elle porte un chapeau qui pourrait avoir une plume noire. Malheureusement sa silhouette et son visage sont flous.
Les deux garçons nu-tête à gauche semblent porter un costume de marin. La collerette blanche est bien visible. Celle du garçon de droite, situé en retrait derrière la cavalière, est masquée par la tête de sa monture. Voilà le centre de l’action.

La plupart des personnages autour, les regardent. L’avenue des Champs Elysée depuis les aménagements d’Hittorf (l’architecte bien connu de la gare du Nord, de l’église Saint Vincent de Paul, des cirques d’été et d’hiver et de la place de la Concorde ) comportaient deux rangées de réverbère au gaz. L’avenue était donc subdivisée non pas en deux parties comme aujourd’hui mais en trois. Cet aménagement resta très longtemps en place, il ne fut modifié que dans l’entre deux guerres.

2
Les spectateurs sont agglutinés sur les petits trottoirs des becs de gaz et regardent le centre de la scène. Les attelage, les fiacres sont sur le côté. Les cochers regardent aussi le spectacle. Sur la gauche deux cochers à chapeaux haut de forme regardent sur leur gauche, une voiture avec deux personnages à casquette regardent aussi la course. Leur voiture est surmontée d’une grande enseigne publicitaire avec un haut de forme géant sous l’annonce en tôle peinte. Il s’agit sans doute d’un chapelier. Le placard publicitaire n’est pas lisible mais l’on peut déchiffrer le prix de 9 Fr 30 comme réclame. Derrière ces messieurs, le bandeau du toit de la voiture indique « rue Vivienne ». Ils sont assis avec une sorte de couverture sur les genoux qui pourrait être faite en cuir .

Le conducteur porte une casquette, un gilet avec un petit noeud, son voisin sans doute un artisan, arbore une grande blouse de travailleur. Il porte également une casquette. A détailler l’ensemble des figurants de cette photographie, l’on peut chercher ceux qui n’ont pas de couvre chef. Il était impensable de sortir « découvert ». Tout le monde à son chapeau, c’est un marqueur aussi bien social que professionnel.
Ce groupe du centre gauche autour du lampadaire comporte pas moins de vingt six personnes dont trois femmes. Une femme âgée porte une collerette blanche en dentelle, une autre, peu visible tient un parapluie faisant office de parasol. Une autre sur la gauche du groupe en deuxième position pas loin du policier, est vêtue de noir avec une écharpe blanche nouée au col. elle coiffé d'un chapeau à plume droite.
Ce n’est pas le militaire qui tient ce parapluie. Cette femme est cachée par les deux hommes à casquette dont l’un porte un long tablier clair. Il y a beaucoup de casquettes et des chapeaux ronds de type « melon » qui semblent être très portés par les employés. Il y a un autre parapluie sur la gauche entre les fiacres. Une femme en longue robe sombre se protège du soleil. Sa silhouette avec petit chapeau rappelle certaines femmes des tableaux de Manet. (cf votre agrandissement de l'exemplaire du bureau.)
 Il fait beau, il y a du soleil. La chaussée est sèche, il y a pas mal de monde sur les grands trottoirs de vingt mètres de large qui encadraient la chaussée. Bien visibles sur la gauche de la photographie, ils correspondent à peut près à ce que l’on connait aujourd’hui depuis la suppression de contre-allées lors de la « modernisation » de l’avenue sous la présidence Chirac.
 Le rond point connu bien des vicissitudes avant d’avoir en 1863 ses six fontaines emblématiques. Elles existent encore aujourd’hui bien que très transformées par un geste créateur et "contemporain".
 Il y eu un grand bassin central entre 1831 et 1854 mais il fut retiré car il gênait considérablement la circulation. La réelle physionomie du rond point se fixa à ce moment là. Il était constituée de six parterres avec fontaines, ceinturés par une allée circulaire avec un centre dégagé.

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Les cavaliers pré-adolescents nu-tête qui caracolent dérrière la femme en noir portent un costume très en vogue dans les années 1880.

      4 Lycée janson de Sailly 1892
Une photographie du lycée Janson de Sailly de 1892 nous montre la popularité de ce costume qui n’est pas un uniforme. A regarder attentivement cette assemblée d’élèves on pourra remarquer que les costumes de marin sont tous dissemblables mais que le grand col-rabat blanc est une constante. On notera aussi qu’il y a deux élèves qui posent leur coude sur l’épaule de leur voisin. Geste amical et détendu vers sans doute un « ami » autant qu’un camarade dont l’un est certainement antillais, il est le seul de sa classe. Il est situé à gauche dans la rangé médiane. (cercle rouge)

Revenons à la scène qui nous occupe. S’agit-il d’une sorte de « reprise » d’équitation ou simplement d’une course ludique en pleine ville? D’une simple cavalcade autour des fontaines ?
Le photographe qui comme on l’imagine avait un appareil avec trépied, s’est positionné au centre du rond point pour saisir l’arrivée de cette course. Il attend un événement programmé.

La photographie d’extérieur a pris son essor dans les années 1885.

Les photographes utilisant le daguerréotype en 1840 puis le collodion humide en 1850  et l’albumine en 1847 allaient peu en extérieur car les temps de pose étaient très longs. Il était nécessaire d’attendre plus de trente minute que la plaque se sensibilise.
Mais rapidement la photographie devient plus facile à réaliser avec le procédé de la surface sensible souple mis au point par George Eastman en 1884. Cette nouvelle technique raccourcissait les temps de pose et allégeait le matériel. La photographie d’extérieure pris un essor considérable..Les photographes se multiplièrent à une vitesse extraordinaire. Le célèbre Eugène Adget curieusement délaissera ces nouveaux appareils plus légers, il travaillera toute sa vie en extérieur avec un appareil à chambre et plaques.
Le sujet commence donc à se dévoiler. Il s’agit d’une attraction publique, une course de chevaux autour des fontaines du rond point organisée par une écuyère avec trois jeunes garçons en costume de marin. Malheureusement cette écuyère est floue à l’image. Mais l’on peut néanmoins noter quelques détails. Elle tient dans ses mains gantées de noir, une cravache longue de dressage, appelée aujourd’hui stick  Elle monte en amazone, c’est aisément discernable. Elle porte un chapeau qui semble carré avec sans doute une plume. Elle est vêtue de noir avec un petit col blanc, elle mène le cortège. La foule rassemblée les regarde. A gauche nous l’avons dit, une vingtaine de personne sont rassemblée et accompagne le spectacle. Nous pouvons détailler les costumes. Les chapeaux sont une bonne indication. Les hommes de différentes conditions sociales sont mélangés.
Il y a des chapeaux haut-formes, des chapeaux melons, des casquettes. Nous pouvons déterminer que trois hommes sont de haute condition par leurs tenues et leurs attitudes respectables. Ils portent le chapeau luisant de soie dit haut-de-forme  (ou Haut-forme, les deux se disent). Les chapeaux melons sont des chapeaux de ville de condition plus modeste mais diffèrent de la casquette qui est un signe de travailleur différent des employés de bureau. Sur la gauche du groupe un homme porte l’uniforme des sergents de ville. Il est légèrement décalé et semble surveiller plus que regarder. Deux jeunes garçons à casquette ont une attitude intrigante.

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L’un avec un petit chapeau rond semble courir en accompagnant la course, son mouvement crée un flou mais l’on peut remarquer qu’il tient dans les mains une sorte de sac de toile d’une part et ce qui semble une petite valise de l’autre. Il semble être vêtu d’un pantalon court avec chaussettes montantes. Ramasse-t-il le crottin de la course?  Difficile de le savoir. L’autre le suit de près, il porte une blouse et une casquette à visière luisante.

Ces deux garçons semblent être plus que des spectateurs car ils participent activement à la course. Soit en manifestant une joie démonstrative, soit en agissant comme aide au déroulement de l’épreuve. A scruter les visages, l’on aperçoit que les sourires affleurent la plus part des lèvres des spectateurs. L’homme à la casquette sur la voiture de la rue Vivienne montre un visage rieur.

Sous le parapluie par un effet d’écrasement de l’image, il y a un un policier ( plus vraisemblablement un militaire car il porte des épaulettes). Il sourit d’une manière plus nette que la femme âgée en bonnet de dentelles qui affiche plutôt une grimace. Il y a donc un air de fête, le spectacle est réjouissant. La présence du photographe que l’on imagine au milieu de l’avenue avec son grand trépied, provoque certainement l’évènement comme attraction. Les passants se rassemblent en badauds spectateurs.


Intéressons-nous maintenant au groupe agglutiné autour du réverbère de droite. Il y a neuf personnes. Une dame à chapeau orné d’une grande fleur sans doute en tissu, elle fait le geste habituel du pare soleil. Elle tient son petit sac à la main, le bras tendu. Autour d’elle, trois hommes avec des chapeaux melons. Son époux est peut être parmi eux. Celui à sa droite est positionné avec un écart léger, celui à gauche plus proche, a une physionomie qui semble correspondre à l’idée que l’on pourrait se faire de son époux.

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A côté un homme à moustaches blanches, se tient très droit avec une belle conscience de sa dignité avec les mains croisées, comme il le ferait dans une assemblée. Derrière lui se tient un militaire avec ce shako caractéristique de l’infanterie. Il est difficile de voir s’il a le sabre sur la jambe. Devant lui avec une rangée de boutons de métal allant du col à la ceinture, se tient un homme qui arbore malgré son âge un costume d’étudiant avec cette petite casquette typique à visière luisante que l’on retrouve sur un jeune homme à ses côtés. Est-ce un surveillant avec un de ses lycéens? Est-ce un étudiant ? Il semble porter une barbiche ce qui lui donne un air de surveillant. Il regarde, suspicieux, les mains dans les poches ce qui lui parait peut être une licence qu’il semble juger dubitativement.

A la gauche du groupe deux hommes regardent et sourient.

Les poses sont vivantes, en mouvement avec l’un une casquette informe, l’autre un petit melon. ils portent faux cols et cravates nouées, le manteau trois quart sombre donne beaucoup de tenue à leurs silhouettes. Il est difficile de déterminer ce que tient dans la main gauche le personnage qui à le pied hors du trottoir. Un journal plié ? Cela ne peut être une bouteille de lait! Est ce un bâton? Une planchette? Ils sourient, comme la plupart de spectateurs.

Derrière ce groupe, deux fiacres sont vus de face. Les têtes des montures sont discernables grâce au bandeau clair du harnais qui passe sur le front du cheval. Les cochers ne regardent pas la course. Ils conduisent à distance. Les hauts de formes des cochers sont de couleur différente, l’un est sombre et l’autre clair.

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Comme dans un jeu pour enfants, comptons les hauts de formes clairs présents dans l'ensemble de cette photographie. Nous en voyons trois autres à gauche de l’avenue. Sur un fiacre qui traverse de gauche à droite, en empruntant la voie circulaire qui passe de l’avenue Franklin Delano Roosevelt à l’avenue Matignon vers le faubourg Saint Honoré, le cocher porte aussi le chapeau clair. Deux autres cochers sur la gauche, allant vers nous, le portent également. Cela a certainement une explication. Cela détermine quelque chose, un statut.
Leon Paul Fargues nous donne la réponse  dans le chapitre « Souvenir d’un fantôme » de son ouvrage « Le Piéton de Paris »:
"Le fiacre sentait le cuir moisi, le vieux tapis, le chien mouillé, la brosse à reluire, la croupe chaude.
On avait une préférence pour les voiture de l’Urbaine, qui étaient les plus élégantes, jaunes et cannées, propres et régies par des cochers de choix.
Redingote mastic à boutons de métal plat« s. Chapeau haut de forme blanc, luisant, d’une matière de blanc-manger."

Petit rappel culinaire : Le blanc manger est un dessert sucré salé à base de lait et de fécule. D’origine perse disait-on, il était très vogue au début du XXème siècle. Aromatisé aux amandes ou à la noix de coco, il accompagne les viandes blanches.
L’Urbaine est donc une des compagnies de fiacres qui sillonnait Paris. La voiture que l’on aperçoit de côté en train de franchir perpendiculairement l’avenue est effectivement bicolore.

Revenons sur la partie droite de la scène. Là où les deux cochers de fiacre sont de part et d’autre du réverbère dont la dénomination historique est « Candélabre à lanterne ronde ».  

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À gauche du cocher au chapeau noir, nous voyons un couple à cheval assez élégant avec,à légère distance, un autre cavalier. Il convient de s’arrêter quelques instants sur ces trois personnages. Le cavalier du milieu porte une vareuse à grand col blanc qui ressemble à celles portées par les jeunes cavaliers nu-tête du centre. Une femme à chapeau haut de forme, habillée de sombre chevauche en amazone à sa gauche. Elle ne regarde pas la course mais semble plutôt parler au jeune cavalier qui regarde devant lui. Il porte un chapeau melon. Va-t-il se lancer dans la course?  Ce groupe n’est-il pas prêt à se ranger sur la ligne de départ ?  Une course en famille?

Capture d’écran 2022-01-19 à 22
Si l'on imagine que le cavalier avec le chapeau melon, légèrement décalé à droite du jeune garçon, serait le père accompagnant son fils qui va concourir avec sa mère. Qui serait le père accompagnateur du groupe central ? Peut être le grand cavalier avec haut de forme qui est en avant sur la droite? Corpulent et glabre,

Il ne regarde pas la scène. Il ne semble pas concerné, le cheval s’agite et malheureusement ce mouvement provoque un flou de mouvement.


Voilà de simples suppositions que rien n’infirme ni confirme. La grosse berline à droite est une sorte d'omnibus. Un bandeau sous les lunettes arrières comportent une inscription dont seul le premier mot est lisible: "Paris". Le visage du cocher est visible derrière la petite malle de gauche. Il se retourne et regarde l'événement.


Hasardons une hypothèse, il s’agirait du départ d’une course en groupe, une épreuve familiale. Un rite d’initiation pour jeune cavalier. Nous pouvons remarquer que la course occupe le centre de l’avenue, ce qui oblige les fiacres à se resserrer sur les côtés de l’avenue.  Il y en a quatre à droite. Deux montants, dont une grosse berline ventrue avec force malles et bagages sur le toit et un fiacre ou un attelage peu visible derrière le cavalier flou. Les deux autres descendant dont fait partie le cocher de la compagnie l’Urbaine patientent en décalé avant de s’engager dans cette sorte de contre allée délimitée par les réverbères du centre.
Sur la partie gauche, il y a cinq voitures et trois cavaliers qui se retrouvent agglutinés sur ce bas côté. Il a une sixième voiture vu de dos. C’est une charrette à bras, un tombereau qui semble bien avoir été dérouté sur la gauche. Il y a une sorte d’embouteillage, accentué par l’effet d’écrasement de la photo. On dénombre trois fiacres dont un de l’Urbaine, trois cavaliers de face regardant la course et une charrette à bras qui heureusement semble vide. À gauche de la voiture marquée « rue Vivienne »  le cocher du fiacre tourne réellement la tête pour regarder le spectacle.
Il semble que cette voiture soit complètement à l’arrêt car le cocher se retournant pose son coude sur le toit de la cabine qui est de travers par rapport à la chaussée. Un piéton habillé en  militaire, marchant en arrière plan, regarde aussi la scène. Tous les regards semblent converger vers le centre de l’avenue.


Devant le tombereau vu de dos, deux piétons se dirigent vers le groupe rassemblé autour du lampadaire. (cercle rouge)

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 En regardant de plus près, ils sont si semblable avec leur canne, veste à carreaux et casquette que l’on s’aperçoit assez vite qu’il s’agit d’un effet de dédoublement lié au temps de pose du photographe qui utilise une vitesse très lente d’obturation. La résolution est excellente par ailleurs. Il y a une netteté de détail exceptionnelle grâce à l’utilisation d’un trépied ce qui permet avec une longue focale et une petite ouverture d’éviter tous les flous de bouger ( mais pas les flous de mouvement).

Il fait beau. Il y a des feuilles sur les arbres. Les premiers arbres du côté droit sont quand même un peu clairsemés. Il n’y a pas de feuilles mortes visibles au sol. Est-ce le printemps? Le soleil est assez présent pour voir apparaitre des « parasols », plusieurs spectateurs semblent avoir le soleil dans les yeux comme nous l’avons vu. Il y a beaucoup de monde sur l’avenue ce jour là. Une trentaine de fiacres, des cavaliers, beaucoup de passants. Les piétons semblent nombreux sur le haut du trottoir de droite. Ils traversent d’une manière assez anarchique l’avenue. La vitesse des attelages permet de traverser sans réel danger.  Le passage piéton dit « clouté » et les feux rouges ne feront leurs apparitions à Paris qu’après la Grande Guerre vers les années 1930.

Est ce un dimanche ? Est ce un jour de semaine ? On distingue nettement des travailleurs.

11Une femme avec au bras un panier, avance d’un bon pas sur la droite. Elle est « en cheveux » selon l’expression désignant son absence de chapeau.
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 A gauche, seul presque au milieu de l’avenue, un homme en blouse, moustache et casquette marche en regardant la course qu’il aperçoit de dos. Sa longue écharpe-cravate flotte sur le côté. Ce n’est pas un bourgeois. La tenue des artisans, des ouvriers, était la blouse.

Ils étaient désignés sous le terme de « blousiers » en opposition aux « habits noirs ». Quatre piétons en haut de forme ainsi qu’une « dame en noir » traversent en tous sens., plus haut sur l'avenue.

 

Un omnibus à impérial semble bien chargé. La masse compact sur le toit sont des voyageurs assis.

omnibus

L’on distingue aisément la rampe d’escalier arrière. Les omnibus pouvaient être tractés par trois chevaux de front. Ils existèrent de 1828 à 1913, le métro commencé en 1898 ainsi que les nouveaux « autobus » à moteur en 1900 les remplacèrent irrémédiablement.

Il n’y a évidement aucune automobile présente. Mais pas non plus de vélocipèdes. Pas de bicyclette, pas de cyclistes! Il eu un court moment où le vélocipède à côtoyé les voitures hippomobiles avant l’arrivée de l’automobile. Confidentielle jusque dans les années 1880, la bicyclette est très présente dans les rues de Paris à partir de 1890. Les automobiles arrivent entre 1895 et 1897. Ici, nous sommes avant l’émergence de ces nouvelles « locomotions » comme le dit la Marie de Paris actuellement.

 

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Le sol est-il pavé? Le grand premier plan nous montre une surface striée de traces de roue. Des lignes claires et des amas sombres parsèment le sol. Du crottin et de la  terre…mais lorsque l’on regarde de plus près, il semble que l’avenue soit quadrillée de petits rectangles très serrés. Les Champs Elysées sont pavés de bois! Les pavés sont en usage à Paris depuis Philippe Auguste. Mais la création des Champs Elysées en prolongement les allées du jardin du château de Tuileries est somme toute tardive dans l’histoire de Paris. Les Champs Elysées après avoir été en « terre battue » seront recouvert de pavé de bois en 1883, une gravure signée Noël Girardin du musée Carnavalet en témoigne.
 Isolant et beaucoup moins bruyant. Les chevaux, même s’ils glissaient parfois, les appréciaient.

Le site Attelage et patrimoine nous renseigne sur ces pavés de bois qui flottèrent dans les rues de Paris lors de la grande crue de 1911:
"Les pavés sont faits avec du madrier de sapin, débité en rectangles d’environ 8 centimètres de largeur sur 12 centimètres de hauteur et 22 centimètres de longueur.  Sur ce revêtement très uni, une rainure était effectuée tous les quarante centimètres afin d’éviter la glissade des chevaux. Ce pavé qui avait l’avantage d’être ; peu bruyant, étouffant le bruit des pas des chevaux, réduisant au minimum les cahots et très roulant, fut installé dans les voies des quartiers les plus cossus de Paris : avenue des Champs Elysées, avenue Marigny, place Beauvau, rue de l’Elysée, place de l’opéra, rue royale, grands boulevards..."

Notre regard remonte l’avenue parmi les attelages, vers le faux-plat de l’avenue Georges V. L’Arc de Triomphe commandé par l'Empereur à Jean-François Chalgrin, finalement inauguré en 1836, est monumental. Il découpe sa silhouette sur le ciel, son arche avale la circulation. On traversait l’arc de la victoire comme il se doit. Des fiacres se détachent sur ciel.

Un détail surgit. La monumentalité de l’édifice est exacerbé par une gigantesque sculpture posée sur le toit. Effectuant un zoom qui nous place la lanterne du réverbère dans le centre de l’image, le groupe sculpté est très reconnaissable. Des chevaux, un char, un personnage au centre avec peut-être un bras levé ou un tissu qui s’envole. Colossale sculpture qui place l’arc de Triomphe dans la lignée de celui du Carrousel digne successeur de Constantin et Septime-Sévère! Ce groupe sculpté doit peser quelques tonnes!  Voilà une prouesse technique que de jucher sur le toit de l’arc de triomphe une sculpture monumentale que l’on imagine en bronze!
Il existe une photo célèbre montrant cette sculpture entourée de voile de crêpes noirs. Un immense catafalque occupe l’arche. Un « Castrum doloris » pour le grand Victor Hugo dont les obsèques nationales eurent lieu le 31 mai 1885.

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Le groupe intitulé «  le Triomphe de la Révolution » commandé par la République en 1882 après de multiples projets assez baroques fut installé "un prototype" sur le toit de l’arc de Triomphe. Une gigantesque maquette de plâtre, montée sur un échafaudage de madriers, figurait une allégorie de la France écrasant le despotisme et l’anarchie sur un quadrige en charge. Mais Alexandre Falguière, sculpteur de renom qui fut l’élève d'Albert-Ernest Carrier-Belleuse et de François Jouffroy ne reçu jamais la commande ferme et définitive.

Le groupe en plâtre souffrit des intempéries et menaçait de s’écrouler quatre ans après.

Il fut donc démonté en 1886, ce qui nous donne une fourchette de dates possibles pour cette photographie. Les printemps de 1882 à 1886 avec une impossibilité pour le mois de mai 1885 où le cénotaphe de Victor Hugo fut installé. L'avenue ayant été pavée en 1882, Il est raisonnable de ne retenir que les printemps de 1883, 1884 ou 1886.

15 - 1882: 1886

16 - 188217- 1885


Ci-dessus un dessin aquarelle représentant la construction de la maquette à l’échelle 1 sur le toit de l’Arc de Triomphe. ( Provenance lucienparis.com)  1882 - 1886.

 Castrum Doloris de Victor Hugo - 31 mai 1885. Grande pompe funèbre pour le poète, avec voiles noirs et oriflames.

Intéressons-nous maintenant à la partie gauche de la photographie. Détaillons le bas côté au dessus de la voiture « rue Vivienne » . Le grand trottoir est assez vide, il n’y a que quelques passants. La femme « en cheveux » avec son panier qui passe près des petites grilles en arceaux qui semblent être sur le trottoir et non plus uniquement entourant les pelouses des six fontaines du rond-point. Une autre femme avec un bonnet blanc et un panier clair passe non loin d’un homme en chapeau. Quelques silhouettes sont discernables plus haut. Notre attention se porte sur les façades de cette fin d’avenue ou plutôt de ce début des Champs Elysées car les numéros vont en montant vers l’Arc de triomphe. Il est plus aisé de se repérer en parlant d’en haut et d’en bas de l’avenue.

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Si nous regardons l’immeuble qui est juste derrière le panneau publicitaire porté par la voiture « rue Vivienne » nous reconnaissons les pignons de l’Hôtel Particulier Sabatier d’Espeyran qui fut le fameux Hôtel Le Hon. Cet hôtel existe toujours. L’Hôtel le Hon fut construit entre 1840 et 1845 par le duc de Morny pour sa maitresse la comtesse Le Hon née Fanny Mosselmann. Le duc de Morny était le fils naturel de la reine Hortense de Beauharnais et du comte de Flahaut. Napoléon III était donc son demi-frère, aventureux et très intelligent, il brillera aussi bien en politique que dans les affaires.
Après avoir logé somptueusement sa maitresse, il se fit construire un petit pavillon presque mitoyen, pour y recevoir discrètement ses visites. Ce petit hôtel plus profond que large est visible au dessus de la lanterne du lampadaire.
 Suivent deux immeubles, le premier à cinq étages semble correspondre à un immeuble de rapport, un immeuble d’habitation avec un commerce au rez-de-chaussée. Le deuxième immeuble est plus petit, à seulement deux étages surmontés d’une sorte de terrasse balcon donnant probablement sur un troisième étage en retrait. Puis nous observons un espace entre cet immeuble et le suivant.

En se rapprochant davantage, on reconnait les piles et les petits murs d'entrée surmontés des grilles de l’Hôtel de la Marquise de Païva.  ( Carré rouge )


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Cette remarquable femme d’affaire, née Thérèse Lachmann, se fit construire entre 1846 et 1856 un petit hôtel admirablement conçu par l’architecte Pierre Mangin.
Les décors somptueux préfigurent les réalisations de l’opéra de Charles Garnier.
Cet hôtel en retrait de l’alignement de façade existe toujours, c’est le dernier hôtel particulier des Champs Elysées. Sauvé de la destruction en 1902 par le cercle « Le  Travellers" qui en est aujourd’hui encore le propriétaire, il est un exemple unique des magnificences de l'architecture privée du second empire.

 

Après ce décrochement, on observe une suite d’immeubles de trois ou quatre étages avec de nombreuses fenêtres en lucarne au dessus des entablements. Sur les pignons des cheminées, une forêt de tuyaux va chercher les vents aspirants pour une bonne évacuation. Les poêles et les cheminées des habitations avaient toutes leurs évacuations.


La physionomie du rond point des Champs Elysées n’a pas beaucoup changé depuis 1860, date de l’aménagement de six fontaines par Adolphe Alphand.

20 - six fontaines


Les six fontaines existent toujours. Le mobilier urbain, les fameux "candélabres à lanterne ronde" dessinés par Hittorff en 1835 sont également toujours là.

L’Hôtel Le Hon construit entre 1840 et 1845 dans le goût néo-Renaissance par les architectes Louis Moreau et Victor Lemaire pour le duc de Morny est presque encore visible aujourd’hui. Il fut fortement remanié en 1874 par l’architecte Henri Parent. La nouvelle propriétaire, madame Sabatier d’Espeyran, veuve d’un très riche négociant propriétaire venant du sud de la France, transforma et modernisa l'Hôtel pour finalement le délaisser. Il fut loué puis vendu.

Madame Sabatier d'Espeyran fit édifier une petite dizaine d’année après avoir acquis l'Hôtel le Hon, et cela par le même architecte Henri Parent, un hôtel d’inspiration Louis XV. Il remplaca un immeuble très banal avec commerces faisant l’angle.

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Cet hôtel pastiche virtuose de 1888 existe toujours heureusement. Il est remarquable par ses proportions et la finesse de son ouvrage. Protégé par une somptueuse grille ornées il s’orne d’un portail remarquable répété trois fois. On pourrait les rapprocher des grilles du Parc Monceau de 1861. Grilles extraordinaires qui firent scandale en leur temps par leur prix astronomique.

Deux grilles sont donc presque mitoyennes devant l’entrée des deux hôtels de madame Sabatier d’Espeyran: l'ancien Hôtel Le Hon que l'on nommera "Hôtel du Rond Point" et l'Hôtel d'Espeyran qui est aujourd'hui le siège de la maison de ventes Artcurial. La troisième grille se situe un peu plus haut sur l'avenue. Nous en parlerons plus tard.

 

 

22- annotation rond point champ elysées 1874 -

L’ancien Hôtel Le Hon devenu « Hôtel du Rond-Point » fut acheté en 1952 par monsieur Marcel Dassault qui effectua une extraordinaire opération immobilière en se faisant acquéreur des immeubles suivants et notamment du petit hôtel de Morny dite la « Niche à fidèle ».  Ce petit hôtel plus charmant et historique que patrimonial fut malheureusement détruit. En 1962, Marcel Dassault fit donc doubler la façade de l’hôtel du Rond-Point donnant sur l’avenue pour installer le siège de Dassault industrie. La réalisation en reproduction de l'existant est remarquable à plus d’un titre. La création d’un corps central et la symétrie parfaite de la façade à fronton provoque un effet d’ordonnance très élégant. Les matériaux en tout point comparable extérieurement à ceux utilisés en 1878 ne permettent pas de reconnaitre la séparation du moderne avec l'ancien. Aujourd'hui encore seul un oeil très attentif peut entrapercevoir une légère différence de teinte dans les pierres des chainons de jonction. La troisième grille qui fut très intelligemment copiée sur les deux premières du rond point donne beaucoup d‘unité à l’ensemble du bâtiment dont l'entrée se fait par la façade sur jardin.



23 -niche a F galerie JAMARIN

 
Malheureusement le petit hôtel du duc de Morny, la fameuse "Niche à Fidèle" a donc disparu dans cette opération.

Légué par le duc à sa fille naturelle Léopoldine, épouse du prince Stanislas Poniatowski. Elle le transformera par l’élévation d’un étage supplémentaire. Vendu, l’hôtel devint la résidence d’Edmond Archdeacon, député de la Seine et administrateur.

Transformé durant l’entre deux guerres en galerie d’art et d’antiquités sous le nom de Galerie Jamarin, l'hôtel subsistait malgré toutes ces transformations. Témoignage Historique, sa destruction se fit dans un grand silence.


Une partie de sa façade aurait été réutilisée dans les constructions de la propriété Dassault à Coignière dans les Yvelines. Mais nos informations sont assez lacunaires sur ce sujet.




La photographie montre au dessus de la grande baie vitrée de façade, l'enseigne "Jamarin" Le passage sur la gauche était l'accès à l'entrée qui s'éffectuait par l'arrière comme pour l'Hôtel Le Hon. ( photo circa 1915 )

Capture d’écran 2022-01-22 à 12

L’immeuble de rapport à droite de l’Hôtel de Morny fut détruit dans les années de l’entre deux guerres. Il laissa la place au cinéma « Le Paris » qui fut inauguré le 20 décembre 1935. Ce grand cinéma de luxe avec une entrée monumentale, écrasait un peu le petit Hôtel de l'ancienne marquise de Païva qui se retrouvait ainsi prit en tenaille entre ce nouveau temple de la modernité et l’énorme construction du Pathé-Natan Marignan datant de 1933.
Le gigantesque immeuble existe toujours et le cinéma aussi sous le nom de Gaumont Champs-Elysées.  


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Ci-dessus l'entrée béante du cinéma avec sur le flanc, le mur renard de l’Hôtel Païva. ( Mur aveugle avec continuité des architecture de façade.)


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Ci-dessus le cinéma Le Paris en 1984 avant sa démolition. Le petit Hôtel de la marquise à sa droite. A noter les contre-allées des Champs-Elysées avec ses voitures garées.

A l'affiche le Carmen de Francesco Rosi avec Julia Migenes.

 

Le site Salle.Cinema point com nous précise:

"Après sa fermeture et sa démolition, André Antoine – qui a veillé à la destiné du Paris de 1935 à 1985 – évoque ses souvenirs dans les colonnes du Film français: « Le Paris est inexploitable aujourd’hui ! Le lustre du hall éclairait de 350 lampes, les 14 lampadaires de la salle possédaient chacun cent lampes… Plusieurs millions d’électricité par mois étaient nécessaires à ce grand luxe. Mais le prix des places était le même qu’ailleurs ! » Chargé en 1985 de la liquidation du matériel, André Antoine témoigne dans ce même article que « jusqu’à la fin la présentation des films s’est faite avec ouverture du rideau et graduateur de lumière de scène. C’était du spectacle ! »

 


Le Journal collaborationniste Comoedia, lui, écrivait en 1933 sous la plume de Charles Méré :

« La nouvelle salle Marignan qui vient de s’ouvrir en plein cœur du Paris neuf et dont l’inauguration fut, hier, un éclatant succès, peut être considéré pour l’harmonie de ses proportions, le style solide et dépouillé de son architecture, et sa décoration, comme l’une des plus belles salles de Paris. Et comme je félicite les constructeurs de ce moderne palais de s’être gardé du colossal! Par le goût qui a présidé à sa conception et à son aménagement, par ses proportions équilibrées, et par son atmosphère, cette salle est vraiment française. Dès le premier soir, les parisiens se sont sentis chez eux. Et tout Paris était là en effet. Une surprise inédite était réservée aux invités. L’arrivée de ceux-ci dans le magnifique hall avait été filmée; leurs conversations et leurs exclamations admiratives avaient été enregistrées ! Et sur l’écran, on projeta en « édition spéciale » cette « dernière heure » des actualités. Miracle du cinéma ! Quel chemin parcouru depuis 1900 ! Les vieux parisiens pourront à loisir comparer dans leur souvenir les Champs-Elysées de cette époque aux Champs-Elysées d’à présent, auxquels le Marignan ne va pas manquer d’apporter plus d’animation encore. Le choix qui fût fait de « La Dame de chez Maxim’s » pour cette inauguration est en cela fort heureux. Ce regard vers le passé nous permet de mieux admirer l’élégance et la beauté du Paris d’aujourd’hui ». Le site « salles cinéma com » est extrêmement bien documenté sur l’historique des cinémas parisiens;  à consulter pour aller plus loin et détailler les nombreuses vues intérieures:  Le Paris et Le Marignan.

Le cinéma Le Paris acheté par le groupe Dassault fut démoli en 1984 pour devenir un gros cube néo trente avec des putti en façade et des balcons à motifs dorés. Longtemps resté le siège de la Thaï Airways, il est devenu en 2011 un magasin de luxe. L’enseigne a changé récemment.

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Le Rond-Point fut donc le théâtre d’une course oubliée. Une cavalcade spectacle au printemps des années 1882-1886.
Cette cavalière qui capte tous les regards, suivie par trois jeunes cavaliers nous amène à penser à la comtesse Blanche Von Donnersmarck.

29 -Blanche H v D

 

L’action se déroule devant chez elle. Les photographies de cette mystérieuse Thérèse Lachmann qui fit ce si long chemin de Moscou jusqu’en Prusse puis de la place Saint-Georges jusqu’aux Champs Elysées pour sfinalement se retirer en Silésie en 1882 , sont rares et précieuses. Elles ont été retrouvées récemment dans les archives de la famille Donnersmarck en Allemagne par un historien français sagace et débrouillard ( cf le livre : L'Extraodinaire Hôtel Païva, Madame Odile Nouvel-Kammerer / monsieur Eric Mension Rigaud)
Quittant son château de Pontchartrin, abandonnant Paris, elle termina sa vie de lutte, de pouvoir et d’amour le 21 janvier 1884 dans son nouveau château tout neuf, ce château de Neudeck au goût si français qui comportait de merveilleuses similitudes avec son hôtel des Champs Elysées.

Peut-on imaginer cette femme puissante et aventureuse caracolant en amazone devant trois jeunes gens avant son départ à l’automne 1882 ?  Imagine-t-on en amazone une Penthésilée de 65 ans?

La comtesse Blanche Henckel Von Donnersmarck, ancienne marquise de Païva qui n’a laissée que quatre photographies oubliées pendant de très longues années en Silésie n'a malheureusement pas laissée de beaux grands portraits à l'huile. Les deux répertoriés ont disparus. Sur cette photographie la cavalière se montre pourtant fière et sûr d’elle. La taille est fine, le buste opulent, la sensualité de la paupière n’égale que l’ourlé des lèvres charnues.

La nature semble aussi forte que l’esprit.

Les Champs Elysées ont été très souvent photographiés. Le passage de la voiture hippomobile à la voiture automobile s’est effectué progressivement. Les « automobiles » se firent de plus en plus présentes entre les années 1897 et 1910. Après la Grande Guerre, il y avait encore quelques chevaux dans les rues de Paris mais l’essentiel du flot de circulation se faisait avec des « autobus » et des voitures à moteur.

Les vélocipèdes, tricycles et bicycles, s’imposèrent petit à petit de 1865 jusqu' à 1890 avec les nouveaux brevets d’inventions. La pédale relégua les « draisiennes » et autre « michodines » comme obsolètes. Le pédalier, les amortisseurs, les boudins de caoutchouc et chambres à air apparurent entre 1889 et 1891. Il y eu cinq années de partage des rues entre la bicyclette, les fiacres et omnibus. Le métropolitain, commencé dès 1898 en concessions privées, était en circulation en 1900.
Voici collecté au hasard, comme une promenade, quelques vues de la transformation de la vie sur les Champs Elysées à la fin du XIXème siècle.


30- 1880 Avenue-des-Champs-Elysees-Paris

Vers 1880  Absence de pavés, de vélocipèdes et voitures automobiles.

1880:1890 tri cycles

Vers 1870 -1875 ?  Présence d'un tricycle.

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Annoté à droite "1911"-  Présence d’un « autobus », d’automobiles et de fiacres. Le centre de l’avenue semble occupé prioritairement pas les voitures à moteur.

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1914 / 1918 (?)-  Trois voitures à cheval à gauche, de nombreuses automobiles et vélos.

Capture d’écran 2022-01-22 à 12

1934 - Après la construction de l’immeuble signé Bruynel en 1933 et avant la construction du cinéma « Le Paris » en 1935.

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En conclusion, cette image un peu oubliée des funérailles spectaculaires de Victor Hugo qui eurent lieu le 31 mai 1885. Un cénotaphe géant est installé dans l'arche. Les voiles noirs et les oriflames entourent le groupe sculpté par Alexandre Falguière (1831 - 1900)
La foule est rassemblée pour l'hommage national autour du l'Arc où des piliers architecturés et ornés forment un cercle ceinturant le monument.

 

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Samedi 25 septembre 2021-XXI ème siècle - Deux jeunes filles devant  le "Wrapp" de Christo.

Exposition- Installation posthume et éphémère.



"La race fiacreuse tend à disparaitre complètement, comme celle de l'omnibus, détruite par les sauriens à essence. Elle ne comporte plus que quelques exemples cachectiques, à peine plus nombreux que ceux de la girafe, qui ne comptent plus que quatre au monde, ou l'orgue de Barbarie, dont je ne connais personnellement qu'un seul et unique survivant.
Les rares fiacres que l'on rencontre ont l'air d'insectes égarés, séparés de leur tribu, sans espoir de retour, errant à l'aventure, porteurs d'un fardeau qui se trompe lui-même et qu'ils ne savent où loger.

Ces Phasmes n'ont pas su mourir dans leur saison."

- Le Piéton de Paris -

"Souvenir d'un fantôme"    Léon-Paul Fargue.    Gallimard 1932

 

 

 

 

 

19 décembre 2021

LIRE LA VILLE

 

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Place Charles Garnier à l’angle de la rue Scribe et de la rue Auber, la façade latérale du pavillon de l’Empereur laisse apparaitre une gigantesque bâche avec une photographie très grand format en couleur sur fond blanc.
Le piétons en est écrasé, la différence de taille entre ce panneau ( le toit de l’Opéra culmine à 32m12) et le mobilier urbain et les véhicules est gulliverienne!
Une grosse femme en tenue de sport moulante se déhanche dans une sorte de danse statique. Elle est noire et ses longues tresses fines sont emportées par son mouvement. Les bras au dessus de la tête, légèrement penchée, elle sourit de manière extatique. Le bassin en avant, les genoux déverrouillés comme le dit la formule sportive, les jambes écartées, elle effectue un mouvement « pelvien » bien campée sur ses jambes dénudées, les pieds posés à 11h 10. La photographie donne une excellente image du mouvement. On la regarde fixe et pourtant elle s’anime devant nous. On peut la voir danser.
Que nous dit cette image?  Que vend elle ?
Grand format sur fond blanc, l’image est encadrée de textes. Formules courtes et répétitives, elles ont comme on peut s'en douter, été murement pensées, réfléchies.
 Un gros titre en caractères gras surplombe le tout . On peut lire  « Own the Floor » avec en sous ligne une virgule horizontale qui est un symbole mondialement connu. Instinctivement l’oeil descend vers les chaussures de sport, chaussures que l’on dénommait « baskets » il y a peu. Maintenant il convient de parler de « sneaker »  le véritable terme anglo US pour les chaussures de tennis ou de sport. ( Est ce que cela à voir avec « sneak, sneaked » se faufiler, resquiller, moucharder?  on ne sait .) Il est donc inutile de mettre le nom de la marque en toute lettre. Le « logo » suffit …Logotype qui incite à l’action, au mouvement et qui semble être la marque positive d’un QCM.
« Own the floor » en caractère gras est immédiatement compris par certain, soit parce qu’ils sont bilingues, soit par association d’idées car cela fait référence  à « We own the night » de James Grey avec Joaquin Phoenix ou à « A room of one’s own » de Virginia Woolf.
L’injonction « Own the floor » peut être traduite mot à mot par « appartenez le sol » « soyez propriétaire du sol » , c’est de l’impératif, mais le sens explicite dans la formule américaine est « appropriez vous le sol » ou plutôt «  appropriez vous le plancher », « floor » étant le diminutif de « dance floor ».  C’est d’ailleurs la traduction proposée par voie légale ..Sur le côté gauche il est inscrit en longueur « La piste vous appartient ».
Le message est clair et direct: prenez votre place. Cela est légitime et nécessaire de vous imposer au monde. La formule en anglais doit créer une distance avec l’injonction simple et purement locale, elle renvoie à un imaginaire culturel qui englobe un nouveau comportement social. Les trois formules en plus petits caractères sont comme des slogans qui ont une valeur extrêmement collective ;  « Dansez pour bouger », « Faire »  en général, faites en particulier pour vous unir au mouvement global: « Faire bouger les autres » « Faire bouger le monde » soyez incitatif, tous le monde doit rentrer dans la « danse ». C’est le propos implicite de cette publicité géante. « Dansez pour bouger » est une formule qui relie le sport au plaisir de la danse. Il faut « bouger » , « se bouger »  nos endorphines sont nos alliées, le plaisir et la santé vont de pair.
Pour que les autres bougent, il n’y a pas meilleurs exemple que de montrer le plaisir intense, sans fausse pudeur, sans complexe d’une femme forte pour ne pas dire « grosse » alors que justement le propos est d’enlever tout caractère dépréciatif ou même injurieux au terme « grosse »… Si elle danse, s’amuse et trouve un plaisir physique dans cette danse déhanchée, dans ce « contraposto » rythmé, elle en éprouve par ce biais un plaisir moral qui l’émancipe des carcans du canon esthétique occidental lié à l’objectivation du corps de la femme.
Sur le côté droit en haut est inscrit dans la longueur « The Curve Catwalk »



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JIGGLE YOUR BEAUTY

The UK's First Plus Size Dance Class.
Welcome to The Curve Catwalk; where the beat is louder than people's opinion.

We're building a platform to revolutionise ideologies that dance is exclusive to one body type. Advocating for physical activity being used to enhance our wellbeing, improve our mental health and activate joyfulness.
Our aim is to create a safe space for body liberation and build a community that encourages people to focus on how they feel, instead of how they look.


The Curve Catwalk  est un club de danse situé au GymBox à Covent Garden à Londres. Il propose une sorte de danse gymnique pour personne en « surpoids » ; il faut traduire avec toute la subtilité nécessaire « Curve Catwalk » . « Cat walk »  c’est la marche du chat bien sûr ..c’est donc par extension la passerelle, puis le défilé, puis le podium en lui même. «  Curve » se traduit par courbe, virage, détour, galbe, rondeur…   
« Trouble with the curve » de Clint Eastwood va bientôt comporter une ambiguïté pour ceux qui n’aurait pas vu ce film ( titre en français  « une nouvelle chance » 2012) car « Curve » désigne maintenant un genre bien spécifique de femmes qui ne sont pas celles qui étaient regroupées sous le terme de « grosses » .
 Curve ce sont celles qui ont des courbes et du galbe, ce sont celles que l’on appelle dans le français imagé de l’ Afrique de l’Ouest «  des femmes avec des bagages ». Le corps s’affirme et se libère … « Where the beat is louder than people's opinion. » Tout est dit.  Ce rythme .. ce « gros son » lourd et captivant de l’Électro est plus fort que le quand dira t’on….  ne souffrez pas de ne pas être mince et fine, vous devez vous sentir belles en étant larges et stéatopyges, rondes et stéatoméres…Le regard de l’autre change car l’affirmation sans complexe libère l’oeil.

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Trina Nicolle dont le nom apparait sur le côté droit de l’image, a su faire de ce qui pouvait être pour certain considéré comme un « handicap » ou une incapacité à danser, un atout commercial. 

Elle fonde le Curve Catwalk londonien. Elle obtient un franc succès et une visibilité médiatique. Elle devient l’égérie d’un mouvement porté par la chorégraphe Parris Goebel qui a été sollicitée par la marque Nike.


 

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Sur le site Freepress .com, Parris Goebel nous explique le sens de sa démarche :

« Own The Floor, c’est nous ouvrons nos bras sur le monde. Inviter chacun à devenir propriétaire de son sol. Pour moi, cela signifie posséder votre histoire, posséder votre identité ou votre style, posséder la façon dont vous bougez et ne pas vous en excuser », explique Goebel, une danseuse autodidacte de Nouvelle-Zélande qui a ouvert le Palace Dance Studio et a participé à des compétitions de danse avant d’obtenir sa première grande chorégraphie pour Jennifer Lopez en 2012. "C’est notre appel. C’est le début d’une nouvelle conversation. C’est une nouvelle communauté."


Nous pouvons rapprocher cet appel à une nouvelle communauté à la nouvelle visibilité sur les réseaux sociaux des femmes rondes à postérieurs augmentés. Les courbes prennent le large, les égéries des années soixante dix sont oubliées ( pensez à Anita Pallenberg, Bianca Jagger, Jane Birkin, Pamela de Barres). Il n’y avait pas de place à ce moment là, sur les podiums pour les extra larges et les rondes à formes voluptueuses …Fellini ou Russ Meyer oeuvraient sur les marges.

La culture Rap Hip Hop a commencée à faire bouger les choses en reprenant de la musique jamaïcaine qui avait opté pour le "Twerk" dans ses versions insulaires. Le Twerk, est une danse assez particulière venant du bassin du Congo. C'est un mélange de Mapouka et Soukouss, qui pénètre ainsi la culture afro-américaine. Inspirée de ce que l’on appelait en Afrique de l’Ouest, la « danse du ventilateur » elle permet aux femmes de bouger les hanches et les fesses en se présentant de dos, amenant en rythme à faire tourner les « rondosités des parties charnues » Rien ne vaut des « curves » pour exceller dans cette chorégraphie féminine ..qui sublime le postérieur et hypnotise le mâle.
Mais il est légitime de se poser la question de savoir si cela est une démarche libératrice féministe?


Il est d’usage dans une bonne éducation occidentale de demander une certaine « tenue » aux jeunes femmes. Il était convenu d’apprendre aux petites filles à se tenir sur une chaise les jambes croisées sinon fermées. On se moquait avant l’adolescence de celles qui montraient par inadvertance leurs « culottes ». La façon de danser était à l’aulne de ces prescriptions. Les hommes en étaient eux dégagés au point que maintenant  le « male spreading » devient un sujet de lutte …La virilité affichée par les jambes bien ouvertes allait contre les genoux serrés des femmes qui signifient une non-disponibilité sexuelle. Ce qui induit l’inverse si les cuisses s’ouvrent.
Les nouvelles danses répercutées par les vidéos diffusées massivement d’abords sur M’TV puis par Youtube changent les comportements.  Est-ce une façon de se ré-approprier son corps ou de faire une sexualisation excessive participant à l’objectivation du corps de la femme?

Se ré approprier son corps cela veut dire s’émanciper des injonctions concernant la tenue, la limitation d’une certaine visibilité du corps féminin. La parure, mode et bijoux; la tenue, la grâce et l'élégance sont encouragés mais pas la sexualisation forte effectuée par certains vêtements et certains  comportements. Cela est réservé à une certaine catégorie marginale qui commercialise ces « charmes ». La chevelure est considérée dans certaine civilisation comme ostentatoire et trop attractive. Elle doit donc disparaitre par excès de féminité déstabilisante pour la masculinité qui doit s’extraire de ses pulsions « animales »  Ainsi en est-il chez nous des fesses ? Elles disparaissent d'elles mêmes dans certaine culture alors qu'elles exploseent ailleurs. Il semble que nous soyons dans un entre deux ..mouvant.
Cette danse suggestive ( le body shake ou plutôt le booty shake) est-elle une libération du corps ou un enchainement supplémentaire à l’assujettissement des femmes au désir masculin?  Elles sont soumises à leur désir de plaire et se retrouvent dans l’obligation d’utiliser les codes hétérosexuels qui depuis le fond des âges poussent à la compétition de la reproduction par affichage des « attraits » ..L’attirance est le maitre mot. Mais avec la régulation des rôles et répartition entre actifs, passifs. Il ne leur était pas permis ( elles ne le se seraient pas autorisés) dans les sociétés occidentales d’agiter avec autant instance leur postérieurs
Le twerk serait-il une émancipation ou cécité volontaire par pur auto-érotisme?

 

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Usbek & Rica  Oui le body shake peut être thérapeutique ( et féministe)

Voilà la récupération d’un mouvement déjà ancien, d’une accession via la pop culture des modes afro américaines vivifiées par la culture africaine. L’acceptation des différences est un long chemin dans le Melting pot américain. La musique noire sans cesse récupérée par les musiciens blancs se régénère sans cesse en se radicalisant vers les secteurs encore vierges d’appropriations. Il faut se souvenir d’Elvis the Pelvis …jusqu’aux danses de Two Live Crew. Maintenant le sport s’en mêle …et tout cela pour vendre des baskets blanches qui sont le plus grand des dénominateurs communs de l’uniformisation populaire.
Que nous dit ce panneau immense qui domine nos têtes de piétons et nous voile l’Opéra Garnier?
Il ne nous dit rien de plus que l’époque.
Sur cette photographie, il est à noter que le petit panneau JC Decaux nous informe et nous incite à aller voir une exposition "Hip Hop 360 - Gloire à l’art de la rue »  à la Philarmonie de Paris…C’est la cohérence du propos global. La « culture » est une contre culture qui a réussie. Nous sommes loin de la critique du capitalisme consumériste individualiste des années passées. Il n’existe plus de mouvement « No LoGo » et l’art de la rue devient l’art officiel car la transgression est rentré au musée. Mais les temps de luttes contre l’impérialiste américain sont loin et maintenant comme l’appropriation culturelle est dans le viseur des comportements déviants, comment accepter ou résister à ces nouvelles hégémonies?
Ayons une lecture « progressiste » de ce carrefour parisien à deux pas des grands magasins. La mode se sert d’une certaine idéologie du « bien  être» pour ouvrir ses segments de cibles…
La cohérence des publicités américaines en France est impressionnante: Apple depuis l’Ipod  jusqu’à ses Mac pro à puces M1; Mac Donald festif conviviale et sain, qui inspire une déferlante sur les marques françaises ( comme pour  la campagne de téléphonie Bouygues..) Le monde global est là. Nous sommes dans une mondialisation qui nous émancipe en tant qu’individu débarrassé des carcans d’une culture passéiste. On est comme on est. On profite aussi bien dans l’habillement que par les nouvelles technologies à la facilité confortable du nouveau monde. On existe non plus en se conformant et se confrontant à nos pères et mères mais en embrassant les « influences » les prescriptions des influenceuses en short. Être quelqu’un en ressemblant à tous le monde ..T shirt, jeans, basket, doudoune, casquette, tatouages surtout à l’aise sans contrainte dans le négligé US uni sex …
L’accomplissement personnel passe par le détachement et l’auto construction imaginaire.
 Tout le reste ne serait-il qu’une vision maintenant « zemmourienne » d’une société de repli et de coercition personnelle? Mais ..
Parce qu’il y a un mais…La culture Afro américaine à Paris ne sera que l’apanage de ceux qui s’y reconnaissent ..que faire des autres? Ils consommeront ailleurs… ou grapilleront des bribes pour se sentir intégrés au mouvement. Pas si fédérateur...

« Le contrôle des masses exigeait que les gens comme le monde qu’il habitaient, revêtent un caractère mécanique prévisible et sans aspiration à l’autodétermination. À mesure que la machinerie industrielle produisait des biens standardisés, la psychologie de la consommation tentait de former l’idée d’une « masse » pratiquement identique dans toutes ses caractéristiques mentales et sociales »
Stuart Ewen «  Captains of Consciousness » 1976
Les modes se servent du moment et digèrent toutes les luttes pour recracher des consommateurs. Les communautés sont mises en avant pour les capturer dans une injonction de consommation de produit sensé les émanciper mais en les enfermant davantage dans un particularisme quasi essentialistes.

Les femmes en luttes ne peuvent que voir derrière cette déesse mère en transe, la projection d’une assignation au corps fabriqué par le socle sous jaccent (et solide ) du patriarcat dominateur. Non?


Nous avons échappés aux écrans géants qui cachent l’architecture et captent le regard mais les bâches publicitaires sont devenues des affiches de propagandes consuméristes que ne reniera pas le docteur ou la chorégraphe homonyme. Contrainte de besoin, contrainte de consommation suivant la logique de Jean Baudrillard, la ville se couvre d’immenses photographies couleurs comme un pavois soviétoïde pour le dernier téléphone pliable ou la basket banche à durée de vie limitée.


Le parisien ne reconnait pas sa ville. Il change d’ailleurs tout le temps. La ville se transforme de génération en génération …Mais si la transmission est interrompue nous ne pourrons plus suivre le précepte énoncé par A .H. Tapïnar qui veut que ce soit de la nostalgie de la ville passée qu’émane le visage « réel » de Paris et de tous ses particularismes, même les plus ordinaires et c’est cela qui entretient en nous ce sentiment d’attachement.



 

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12 novembre 2021

PEINDRE L'ÂME RUSSE

 

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1895 Nenuphars- Isaac Levitan

 

Peindre l’âme russe est le sous-titre, ou plutôt le titre, d’une rétrospective de peinture présentée au Petit Palais à Paris jusqu’en Janvier 2022.
Peindre l’âme russe peut être compris d’abord comme un regard d’occidental sur ce continent-état, immense et secret, qui s’étend jusqu’aux confins de la taïga et de la toundra; mais aussi exprimer un souhait résultant des préoccupations de peintres en révolte contre les sujets trop « académiques ».

Un rejet des sujets imposés par cette Académie de Peinture de Saint Petersbourg qui les a formés durant ce 19° siècle de toutes les innovations.  Une volonté de s’émanciper pour aller loin des sujets mythologiques ou religieux vers la Russie de leur âme…
 « Peindre l’âme russe »  Pourquoi et comment?
 Parler d’âme russe renvoie certainement à l’immensité géographique et historique d’un peuple qui se voit comme une multitude sous une strate supérieure, restreinte en nombre, de nobles et de bourgeois concentrés autour de la famille impériale.

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Sans revenir sur la révolte des Quatorze du 9 novembre 1863 dans cette Académie de Peinture de Saint Petersbourg, qui voit les nouvelles conditions du concours de la grande médaille d’or refusées par quatorze artistes sur quinze. Il faut bien établir que cet événement a été considéré comme les prémices d’un soubresaut qui engendrera une nouvelle façon d’appréhender la peinture de genre.

L’âme russe devient alors la préoccupation d’une certaine peinture se voulant aller au contact de la population, non seulement par les sujets traités, par la technique plus réaliste, plus sensible mais aussi physiquement en organisant des expositions itinérantes dans la grandes villes de l’Empire.
 La « société des amis des Expositions Ambulantes », que l’on simplifie en appelant les peintres qui y participent « Les Ambulants », se libèrent du carcan des règles en vigueur. La volonté de peindre, de représenter un sujet, un paysage, un portrait, une scène, vient du profond de l’être. L’oeil projette, la main réalise, l’esprit gouverne. La peinture de genre comme l'on a l’habitude de la dénommer n’est que la représentation d’images mentales, de visions quasi obsédantes que le peintre rejoue en atelier avec ses modèles, pour atteindre par les couleurs et la matière, une représentation physique de son image vue en esprit.
Il suffit d'une image touchante, un enfant avec un agneau par exemple, une image réconfortante, le bonheur du foyer, la jeunesse aux champs, la vie paisible d’un village, un marché, n’importe quelle scène montrant une vie organisée laissant la réflexion, aussi bien celle du peintre que celle du regardeur sensibilisé, vagabonder vers d’innombrables sentiments qui reviennent à chaque vision jusqu’à épuisement du pouvoir de l’image.

Il nous faut aller en Russie, faire ce voyage inversé comme les peintres de l’académie l'ont fait, pour aller découvrir les musées regorgeant d’une vie artistique florissante, explosant de « Russitude » au 19° siècle.

Schématisons rapidement ce parcours de la peinture russe. Les influences viennent d’abord du monde grec avec la peinture apportée par l’avancée du christianisme. Les premiers peintres religieux s’émancipent finalement de cette tutelle pour atteindre, malgré un canon très strict bordant les façons de faire, une excellence que l’on résume par un nom : « Andreiv Roublev »  
Il réalisa au début du 15° siècle, les peintures de l’iconostase de la cathédrale de la Dormition de la Vierge dans la ville de Vladimir ainsi que les peintures des murs de la cathédrale de l’Annonciation du Kremlin à Moscou. Ses réalisations sont des purs chefs d’oeuvre de la peinture…mondiale. Ils n’en sont pas moins très russes. Le film d’ Andrei Tarkovsky de 1966 « Андрей Рублёв » ( Andreï Roublev) restitue avec une force peu commune la ligne profonde qui unit à travers les âges la perception collective d’une âme russe.


Le Tsar Ivan dit « le Terrible » ( 1530 - 1584 ) invita de nombreux artistes étrangers à venir travailler en Russie. Il encouragea les peintres et les sculpteurs russes à s’inspirer de ces maitres. Les doreurs étrangers importèrent aussi leurs techniques, enrichissant ainsi l’esprit de magnificence de la cour. Le Tsar Fyodor ( fils et successeur d’Ivan ) reçu le patriarche Arseniy de Constantinople qui, lors de sa visite remarqua d’admirables icônes dans la chambre de la Tsarine. Il y avait aussi selon ses dires beaucoup de mosaïques réalisées par des maitres russes.
Pierre le Grand qui était très désireux d’avoir non seulement des experts militaires, mais aussi des architectes marins voulut aussi avoir des artistes compétents. Il envoya également à l’étranger de nombreux étudiants qui devaient se perfectionner dans tous les domaines.

Les échanges ne s’arrêtèrent pas avec les  souverains suivants. Anna Ioannovna (L’impératrice Anne) puis Elisabeth II ainsi qu’une grande partie de la noblesse ont fait appel à de nombreux artistes étrangers. Les églises et les palais se transformèrent sous cette impulsion. Parmi ces artistes étrangers, il y eu de remarquables portraitistes comme Pietro Rotari et Stephano Torelli, des créateurs de scènes mythologiques comme Louis Lagrene et Friedrich Grooth  (connus aussi comme peintres animaliers). Catherine II fonda l’Hermitage et créa l’académie des Arts Russes. Cette dernière avait pour but, en autre chose, de favoriser le renouveau de l’art russe en gardant les traditions occidentales au sein d’une école destinée à enseigner le dessin et la peinture suivant les règles du bon goût.
L’Académie fit son office tant et si bien qu'une certaine peinture semble maintenant comme un sous produit de l’art occidental. Il n’en résulta pas moins d’un apprentissage qui permit assez vite la réalisation de purs chefs d’oeuvres. Le 18°siècle se regarde néanmoins comme moins émancipé que le 19°. Mais heureusement l’irruption de cet impalpable sujet, qui résonne facilement en nous, cette fameuse  « âme russe » va donner à la peinture à partir des années 1830, une qualité qui ouvre les portes d’une reconnaissance internationale.
Ce que la littérature russe a en nous provoquée, la peinture russe peut agir de même. Mais elle doit s’imposer à nous physiquement, soit par une exposition au Petit Palais soit si l'on est volontaire, par la visite du Musée Russe de Saint Petersbourg et de la Galerie Tretyakov à Moscou.

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Le Musée Russe de Saint Petersbourg est situé dans le Palais Michel qui dépend du complexe édifié par pierre Le Grand au 18°siècle ..Alexandre III voulut un Louvre Russe; Nicolas II le fit en 1895, les collections n’ont cessé de s’agrandir depuis.

Le Musée moscovite est l’ancienne galerie d’exposition de deux frères, Pavel et Sergei Tretiakov. Devenus de riches entrepreneurs, ils constituèrent une extraordinaire collection qui fut donnée à la ville en 1892. Le musée, inauguré le 15 août 1893, possède les principaux chefs d'oeuvres du siècle, les joyaux admirables des peintres irradiant l' «âme russe » comme trame sous jaccente. .

 

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Ilya Repine né dans une famille de serfs en 1844 est originaire de Tchouhouïv, près de Kharkiv en Ukraine. Il serait aujourd’hui considéré comme Ukrainen. Il se serait peut être aussi lui même considéré comme Ukrainien.
Mais il est russe, complètement russe par son parcours et sa peinture …même sa mort à Kuokkala qui deviendra Repino, nouveau nom donné en son hommage, est Russe.  Son refuge, son exil, ses "Pénates" sont à Kuokkala. Ville appartenant à la Finlande libre après avoir fait parti de l’empire Russe jusqu’à la Révolution d’Octobre. Une vie de peinture, d'expositions, de commandes prestigieuses laisse le très célébré Ilya Repin russe, complétement russe, jusque dans son acceptation de la révolution de 1905 et de son rejet de celle de 1917 internationaliste et sanguinaire.


« Procession religieuse dans la province de Koursk »1883, «  Les haleurs de la Volga » 1873 «  Les cosaques Zaporogues » 1891, « Léon Tolstoï pieds nus » 1901 sont des tableaux devenus très célèbres, il en va de même de ses admirables portraits. Des condensés d’"âme russe" qui outrpassant leurs sujets nous transportent vers une rêverie géographique.
Lorsque l’on voyage en Russie, l’immensité est perceptible. C’est une sensation forte qui, par la connaissance de la carte de plus dix sept millions de kilomètres carrés, nous submerge.
Il faut avoir circulé sur la route forestière de l’aéroport Koltsovo qui va vers Ekaterinbourg dans l’Oural pour s’en rendre compte. Cette large route isolée montre des panneaux routiers aux carrefours comportant plusieurs centaines de kilomètres entre les villes les plus proches comme Perm et Tcheliabinsk. La forêt englobe tout …la capitale est à 1798 km.
 De Napoléon à Barbarossa les témoignages sont éloquents. La largeur de la Moskova à Moscou est un signe. Les quartiers excentrés comme Obushkovskoye où il vous faut aller de Krasnogork par une autoroute disparaissant dans les brouillards de l’Oblast de Moscou, roulant dans la neige sous un ciel de zinc. Les immenses champs vides et nus succèdent à de touffus bois sans lumières. La Neva gigantesque qui ne se fige pas seulement devant la forteresse Pierre et Paul à la bouche du golf de Finlande mais en amont d’une ville gigantesque ou Petrograd existe encore. Il faut le voir pour le sentir ….On peu évoquer l’immense Sibérie, mais c’est une autre chose que d’y avoir circulé. Sylvain Tesson et son axe du loup font taire les voyages en chambre.

La peinture de paysage laisse la part belle au ciel et ses nuages changeants. La forêt, les bouleaux, les isbas et datchas dans une neige aux ombres bleues sont une poétique de l’hiver.

 

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Le Lac Russie 1900 Dernier tableau inachevé  Isaac Levitan

 

 Après la pluie, Plyos » 1889;

  Après la pluie, Plyos  1889     Isaac Levitan

 

 

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Tranquille Monastère 1890 Isaac Levitan

 

 


Le printemps et l’automne éclatent de couleur, la terre parle comme le peuple. Ils sont intimement liés par un contrat séculaire de vie.

 

 

 


« Après la pluie, Plyos » 1889;« Tranquille Coenoby (monastère) »1890; « L’appel du soir » 1892; d’Isaac Levitan sont des chefs d’oeuvres peu connus en Europe.
 Le ciel, l’eau, la végétation vibrent à l’oeil dans une étonnante immobilité. Comme une musique déclenchant un flot de sentiment, le sentiment de ce qui a été submerge l’âme du spectateur en lui révélant une présence toujours active. Toute l’éternité de l’immensité russe est là dans un instant, un moment d’incarnation fixé sur toile, l’air y souffle, l’oeil s’y fige et l’esprit voyage dans le temps et l’espace.
L’école de Barbizon s’est magnifiquement illustrée en créant ce genre de peinture d’extérieur et cela avec beaucoup de grâce mais la puissance de l’esprit ne l’a pas autant transfiguré. De l’anecdotique poétique, Levitan en fait une épopée mélancolique vivifiée par l’ "âme russe ".

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Isaac Levitan est né à Kybartaï, dans l’apskritis de Marijampolé en Lituanie, mais il est russe dans toute sa fibre artistique. Il appartient au groupe des Ambulants.  Malheureusement il meurt trop tôt en 1900 à l’aube de ses quarante ans. Si Repine fut très lié à Tolstoï, Levitan lui, fut l’ami de Tchekov et de Pavel Tretyakov. C’est ainsi que que l’on retrouve à la Galerie Tretyakov une succession de paysages époustouflants qui montrent une vision synthétique de la nature que l’on pourrait mettre en concordance symétrique et opposé à Ilya Repine. Lui qui fut un peintre de la figure humaine, un remarquable portraitiste touchant avec autant de sensibilité la psychologie des visages est à l'inverse de Levitan qui extériorise le sentiment panthéiste d’une nature mystique.

 

 

De l’Ukraine à la Lituanie, les sentiments forts d’une appartenance collective à une « âme russe » une « âme slave » si l’on préfère, existent toujours. Il faut pour s’en convaincre regarder la peinture de Denis Gorodnichiy, peintre d’extérieur ukrainien. Il s’inscrit dans une veine « impressioniste » si ce mot veut dire encore quelque chose. Gorodnichyi peint par touches larges, avec des empâtements aux couteaux, à la brosse dure, des paysages baignant dans la lumière, l’eau, la forêt, les arbres.

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Denis Gorodnichiy

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https://www.instagram.com/denisgorodnichy


Une église orthodoxe apparait quelque fois, une maison paysanne projette ses ombres de chaumes sur son flanc, l’eau miroite même à faible profondeur. La neige est particulièrement épaisse. Elle est d’une poudre couverte des traces plus blanches à l’orée d’ombres bleutées, le crissement s’y entend, les pas s’y enfoncent, les arbres la strient de leurs silhouettes. C’est saisissant de violence en vision rapprochée, c’est saisissant de calme et d’éternité en vision lointaine.
 Denis Gorodnichiy déstructure les paysages lissés des peintres du Nord comme Peder Mønsted ( 1859 1941) ou de l'école russe comme celle d’Apollinariy Vasnetsov ( 1856 1933 )…S’il n’atteint pas la précision d’ Ivan Shishkin ( 1832 1898 ) qui est le maitre du paysage russe, c’est que son oeil est différent; il est même « difractant ». Il peint la neige en volume, en surcharge et structure le blanc de titane au couteau à palette. Les formats sont souvent exceptionnellement petits, la puissance en est alors décuplée …L’ « âme russe » transparait dans le « floconnement » des nuages, dans le scintillement d’un soleil rouge, dans le balancement d’un chardon et la contre plongée sur la vallée qu’illumine une fin d’automne aperçue dans la trouée des frondaisons.


La peinture de paysage est un médium pour atteindre la peinture pure comme Soulage la cherche depuis plus de soixante dix ans. Le paysage est une façon d’agencer des masses dans une beauté formelle. Une abstraction de la réalité, une macro-vision qui se recompose avec la distance, qui crée une image dans l’image, visible par tous et compréhensible par tous …C’est la peinture totale qui se forge dans notre monde terrestre.


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"Etude de Chêne " inachevé 1887  Ivan SHISHKIN





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"Chênaie"  1887  Ivan SHISHKIN Musée Russe Kiev





















9 mai 2021

LE FAUX MARBRE Le Marbre peint Le Marbre feint

 

 

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Le mot marbre vient du grec marmaros ( μάρμαρος ) qui veut dire "pierre polie, qui brille ". Le Littré le défini comme «  Toute roche susceptible de prendre un beau poli. »

Peindre les pierres, peindre le calcaire immaculé. Voilà comment les premières peintures de faux marbre virent le jour.
 La Grèce antique travailla le marbre en bas relief et en rond de bosse. Le calcaire sorti des carrières, découpé, taillé et enfin poli, fût, de Phidias à Praxitèle, de Polyclète à Critios, le médium idéal pour atteindre l’Art total parfait:  La sculpture immaculée taillée dans des blocs de pierre blanche. Cette pierre de Paros est un calcaire dépourvu d’impuretés, éclatant de blancheur sous le soleil de l’Attique. Le marbre blanc fut aussi extrêmement utilisé en architecture sur tout le pourtour méditerranéen durant l'âge héllénistique.
Mais bientôt le besoin de couleur put se faire sentir. Si les statues chryséléphantines apportèrent un peu de diversité et de luxe, vinrent l’idée et l’envie de peindre les parements de marbre blanc avec des couleurs... Les veines furent teintées « artificiellement ». Les temples et Palais s'initiaient à la couleur.

Les couleurs du marbre sont des ravinements d’eaux chargés d’oxyde de carbone, d’oxyde de fer, de cuivre, de chrome, d’hématite, de manganèse qui donnent respectivement les noirs, les rouges, les verts, les jaunes, les violets et leur infinies nuances.
 Les cassures, les pliures, les mouchettés, les refends, les brèches, les nodules sont des accidents de fabrication.

La montagne dans son silence écrase et plisse les sédiments.
 Les plaques dites tectoniques sont le laboratoire des pierres. Inlassablement par l’action conjuguée de la chaleur du magma et de la pression sur la lithosphère, dans cette formidable presse, dans ce four chauffé par les Hadès, le calcaire se cristallise avec toute son eau captive colorée qui le travaille pernicieusement. Peindre le marbre blanc amène à peindre de fausses pierres colorées sur un fond de stuc. Le faux marbre voit le jour en même temps que l’extraction du marbre.


«  Les marbres croissent dans les carrières. Pline le rapporte sous l’autorité d’un éminent naturaliste et d’après le témoignage des ouvriers qui affirment que les brèches qu’ils font aux montagnes ne durent pas, car la pierre, se régénérant, ne tarde pas à les combler. Il déplore le fait : « S’il en est ainsi s’exclame-t-il, le luxe peut espérer ne jamais finir. » De la même manière, Strabon relate que les mines de fer exploitées à ÆThalie, avec le temps se remplissent à nouveau, comme la pierre dans les carrières de Rhodes, le marbre dans celle de Paros, le sel dans les mines de l’Inde, au témoignage de Clitharque. » ….in "Pierres" de R..Caillois

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 La peinture décorative Romaine montre des architectures intérieures peintes. Les maisons de l’aristocratie comme de la haute bourgeoisie ne se concevaient pas sans une décoration murale peinte. Cette habitude, ce goût qui s’étendait sur une large couche de la société, jusqu’aux maisons modestes des commerçants de la petite bourgeoisie eu cours du IIᵉ siècle av.J.-C. au IIIᵉ siècle de notre ère. Les décors d’architectures intérieures ont pour fonction d’ouvrir l’espace en créant des premiers et des arrières plans.
Le faux marbre est un des éléments de l’illusion recherchée. Le marbre utilisé en construction se retrouve comme  tous les éléments architecturaux, les colonnettes, les entablements, les soubassements, peint sur le stuc pour égarer l’oeil et ravir l’esprit. La décoration du mur au fil des styles s’allège pour ne devenir que jardin ou grande scène avec personnages ( « Les mégalographie ») mais le marbre est toujours présent comme éléments luxueux et facilement identifiable .

 


 Les décors du premier style romain montrent une répartition du mur directement inspirée de la Grèce classique. Un appareillage très sophistiqué d’éléments superposés. Le faux marbre est peint sur les soubassements puis gagne toutes les parties architecturées, les orthostrates en carreaux que l’on retrouve réinterprétés jusqu’au XIXᵉ siècle, puis les zones supérieures comme les assises isodomes de rectangle à bossage, les frises, les architraves, les corniches. Les scènes avec personnages et vues de jardins s’inscrivent petit à petit dans cette ordonnance architectonique, engendrant une longue filiation qui va s’inscrire dans l’histoire de la décoration intérieure.


Le traitement romain des marbres en peinture n’est pas des plus réaliste, mais les cailloutis, les mouchetés, les veines hydromorphiques sont déjà présentes.

Le chiquetage, consubstentiel à la création d’une brosse spécialisée pour cet effet, est inventé. Le marbre est reconnaissable par ses teintes et graphismes, il devient concept. La dextérité des peintres montre la possibilité de fixer des archétypes dans leur vision interne. Le marbre modèle est une image mentale.

 
Un décor unique daté du milieu du IIᵉ siècle à Verulamium ( Hertfordshire, Angleterre ) montre un décor de marbre quasi psychédélique couvrant l’intégralité du mur rythmé par des colonnes ne reposant sur rien.  Ce traitement est une interprétation provinciale d’une façon de faire plus maitrisée à Rome et à Pompéi que dans les marches lointaines. Les formes exagérément distordues et répétitives montrent la déperdition de la connaissance du modèle pour ne privilégier que l’effet en le surexploitant.

 

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Le grandiose procure ainsi ses effets. L’accumulation des motifs et le volume des pièces aident à l’impact visuel. L'ensemble est magnifié par des couleurs vives en contrastes, l’oeil s'en trouve subjugué, le spectateur saisi par la magnificence des formes et couleurs.. L’Exonarthex Byzantin de la basilique Sainte Sophie en est un bel exemple. Cette grand entrée comporte une impressionnante série de peintures imitant des marbres et onyx disposés en placage « aile de papillon », les veines sont en miroir, ce qui provoque d’hallucinants dessins colorés que le visiteur intègre sans broncher. L’effet décoratif trouve ici le gigantisme de l’édifice comme allié.

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Détail d'un faux marbre de l'Exonarthex Byzantin

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Le marbre utilisé comme du « précieux utile » dans les parements et sols intérieurs des palais est intellectualisé en peinture. Il est présent pour servir non seulement d’accompagnement des sujets représentés mais aussi en aporie face à la création divine.
 La Renaissance italienne nous donne de beaux exemples de peintures de faux marbre en accompagnement mais aussi comme partie intégrante du discours. Saint Thomas assigne à l’image, à la peinture religieuse, la mission de mettre clairement en mémoire « le mystère de l’Incarnation » et la vie didactique des Saints. Mais comment mettre en mémoire un mystère? Même incarné, le mystère est une chose inconnue, comment le figurer en échappant à sa dénaturation idolâtre? Il faut donc, nous renseignent les apologétistes comme les théologiens, créer une image qui porte les deux termes d’une contradiction: Figurer le sensible, le monde visible, la visibilité du verbe divin et l’invisible, l’infigurable, l’inénarrable, le mystère christique.


 Dans son ouvrage « Gloire et misère de l’image après Jésus Christ » Olivier Rey revient sur «  l’exemple paradigmatique » choisi par le philosophe Georges Didi-Huberman dans son étude concernant Fra Angelico, appelé aujourd’hui Beato Angelico:  La Madone des Ombres du couvent San Marco de Florence.Cette fresque ( véritable peinture à fresco) qui a pour nom exact "La sainte Conservation" est située dans le couloir des cellules de moines dominicains dont le frère Angelico faisait partie.

 

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Réalisée vers 1440, la Vierge et l’Enfant entourés par les évangélistes et les saints protecteurs des Médicis trônent dans la partie supérieure, la partie inférieure est constituée de quatre panneaux rectangulaires debout sur leurs largeurs représentant une idée de marbre une idée de marbre qui nous fait penser à de la peinture abstaite contemporaine. Veinés de droite à gauche en descendant, deux avec des franges d’ocre jaune sur un fond vert strié de rouge et deux autres en dominante d’ocre rouge et de sienne brulée; il est a remarquer la présence de nombreux splités, de grandes giclures, de ce que l'on pourrait reconnaitre aujourd'hui comme des "dripping". La disposition rappelle l’ordonnance des orthostrates romains. Le spectateur est au niveau des marbres et lève les yeux vers la scène de maternité divine. On parle de vertu « anagogique » des images pieuses quand elles nous élèvent vers les choses divines. Ici, les deux parties sont censées avoir cette action. Le niveau supérieur élève effectivement le regard et provoque l’esprit, en est ainsi du soubassement aussi indirectement. Il nous plonge dans l’abstraction du mystère de notre condition humaine. Le moine pénitent spectateur se tient au même niveau que la matière colorée. Le "marbre feint" est utilisée comme la représentation non figurative de l’indicible, de « ce qui ne s’énonce pas »  c’est à dire le mystère de la création.

Les moines sont face à des portes colorées qu'ils devront tenter d’ouvrir mentalement par l’oraison et ainsi accéder au Royaume supérieur. Ces peintures qui imitent le travail abstrait des pierres marbrièrers qui fascinent tant, ont une fonction non écrite. Représenter l’abstraction, c’est se plonger dans sa nuit intérieure pour y découvrir la lumière de l’amour divin comme l’écrit au XVIIᵉ siècle le Bienheureux Jean de C. Chanoine de Saint Sernin.

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Couvent des Ognissanti Florence


 Il nous faut donc, dit Olivier Rey, absolument considérer l’oeuvre dans son entier avec la partie inférieure qui est malheureusement le plus souvent absente des reproductions. D’autre fresques comportent ce même dispositif. La grande Cène de Ghirlandaio du couvent Ognissanti présente dans son soubassement, onze panneaux de faux marbres colorés encadrés de noir. Le principe et le but recherchés sont les mêmes. Il faut contempler cette fresque incroyable et comprendre que rien n'est anecdotique, pas plus le paon que les marbres.

Le faux marbre est également intégré dans les compositions de la Renaissance, il devient par sa fonction abstraite une sorte personnification de l’impossibilité humaine à approcher l’infini de Dieu. Notre condition terrestre limite notre connaissance. La nature façonnée par le créateur fait sortir de la roche des pierres colorées et fascinantes. Le peintre les représente avec l’idée d’ « encadrer le figuratif par le non-figuratif, de signifier que le visible est débordé de toutes parts par l’invisible » Le marbre est regardé comme mystère de la création, il vient des forces telluriques mais atteint le divin par son immuabilité.

La fonction ornementale du marbre peint est aussi une façon de célébrer la beauté de la nature qui elle même « fabrique » des images. Fugace comme les couchés de soleil, grandiose comme les paysages, la nature est à l'oeuvre devant nos yeux. Mais elle travaille aussi dans son antre cachée. Les roches polies sont une source d’émerveillement, les « jeux de nature » deviennent des modèles à imiter. L’exploitation des carrières, la mise au point des transports particuliers accélèrent l’utilisation des marbres dans la décoration intérieure.

Abandonné durant le moyen âge, l’utilisation des marbres d’Europe revient en force au XVIᵉ siècle pour culminer au XVIIIᵉ. Le faux marbre suit cet intérêt et permet de combler les vides, de minimiser les coûts. La peinture devient plus réaliste pour aller vers un trompe l’oeil qui est censé faire disparaitre l’idée de la peinture interprétative qui avait plutôt cours en Italie. La palette du peintre se précise ainsi que le graphisme illusioniste. La brosserie spécialisée s’affine pour créer les innombrables effets où la main de l’homme ne sera plus apparente. Les marbres peints d’une manière « conceptuelle» comme ceux de l’école italienne laissent la place à une sorte d’hyperréalisme. Les grands Campans verts, très étirés, de l’Opéra Royal du château de Versailles côtoient les innombrables panneaux peints extrêmement réalistes en couleur. Le château de Versailles donne la grammaire décorative classique qui allie les vrais marbres aux faux, le plus souvent invisibles aux visiteurs non avertis. L’ensemble des châteaux français suivront cette règle qui va se trouver adaptée à toute l’architecture des grandes demeures.
L’appauvrissement des marbres au siècle suivant est manifeste. Les carrières surexploitées ne donnent plus la même magnificence de couleur dans les plaques de grandes tailles. La peinture de faux marbre sera là pour suppléer à la nature déficiente alors que le goût du marbre de se tarie pas, loin s'en faut.

Les grands travaux de Louis Philippe au château de Fontainebleau laissent deux authentiques chefs d’oeuvres que sont les escaliers du Roi et de la Reine. Le décor de faux marbre d’une ampleur extraordinaire atteint ici une maitrise incomparable.

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Escalier du Roi


L’escalier du Roi transformé au XVIIIᵉ siècle par Gabriel, qui agrandit l'accès en ouvrant le nouvel escalier sur l'ancienne chambre de la duchesse d’Etampes conserve  heureusement le plafond initial de la chambre avec ses magnifiques stucs féminins. Cet escalier a été restauré en 1835 comme celui de la Reine, qui se trouve lui pourvu de grands cartons de tapisseries peints par Jean Baptiste Oudry entre 1733 et 1746. Ces grandes toiles sont encastrées dans les boiseries de la partie haute sous le nouveau plafond à compartiments peints et dorés. Toute la partie basse de l'escalier de la Reine est en faux marbre, ajusté en imitation de placage à bords francs.

Ces compostions de faux marbre dont personne ne parle, que donc peut être personne ne voit, sont extrêmement bien réalisés. Avec une maitrise incomparable, justesse des coloris et réalisme du graphisme, ils tiennent les superstructures qui ont besoin visuellement d’une assise forte. Ces escaliers ne sont malheureusement pas visibles. Les visiteurs les aperçoit de loin sans pouvoir les emprunter. Le nom des peintres est sans doute conservé dans les archives du château mais personne ne s’y intéresse …Le but de ces décors étant de ne pas être vu comme des décors. La maitrise du peintre les a rendu invisibles; personne ne les voit, personne ne les regarde comme des chefs d’oeuvres de technicité et de création.

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Faux Marbre  Escalier de la Reine


Les plaques géantes de faux marbre de l’escalier du Roi semblent devoir imiter le « Rouge Royal » bien qu’elles soient assez proches de l’incarnat Turquin de l’Aude. Ces plaques n’existent pas dans la nature. Ce sont des créations réalisées par un peintre en décor qui a conçu ces panneaux grands formats en respectant les coloris et les graphismes des marbres existants. Il a surtout, en idéalisant la composition des masses, juxtaposées celles ci dans un équilibre créant une belle harmonie.

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Escalier de la Reine


La peinture est « construite », les effets retrouvés, les transparences préservées, c’est une peinture « conceptuelle »  La projection d’un marbre idéalisé et pensé: Chaque plaque comporte ses différences comme ses convergences dans un ensemble décoratifs cohérent. Ces grands panneaux sont encadrés par ce qui s’apparente au Gris Turquin, un marbre dense et gris bleuté zébré de refends blancs grisâtres. Cet agencement ne se situe que dans la première montée d’escalier ainsi qu'au rez-de-chaussée.
La partie supérieure est ordonnée de grands panneaux rectangulaires debout sur leur tranches. Trop brunes pour être un pur Saint Anne, il s’agit sans doute d’un mélange de Saint Jean Fleuri de l’Aude et d’un Saint Anne des Pyrénées. La composition est rythmée par des pilastres et des champs de Brèches Grises. Le tout est très dense pour remplir son rôle de soutien au plafond très chargé de peintures, de sculptures et motifs décoratifs de stuc qui est un des joyaux du château.

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Escalier de la Reine;  vue avec les tableaux d'Oudry

 

L’escalier de la Reine entièrement transformé en 1835 présente une subtile composition de Gris Saint Anne et Rouge Incarnat qui rythme la partie inférieure et monte à l’étage par le limon et la cimaise. Les grands panneaux d’Incarnat sont extrêmement travaillés et montrent une dextérité peu commune de la part de l’exécutant. Il est habituel de n’avoir qu’un peintre par marbre car son dessin est comme une écriture qu’on ne mélange pas avec d’autres. Mais dans ce cas précis, la taille des compositions étant considérable, il serait intéressant de pouvoir étudier de près ces réalisations pour déterminer s’il y a eu éventuellement une deuxième main ou tout du moins des assistants.  Les escaliers du château de Fontainebleau sont les grands oubliés des descriptifs. L’exposition réalisée en 2019 sur les travaux et restaurations de Louis Philippe ( Le Roi et l'Histoire ) ne leurs rendent pas justice bien qu’ils soient des chefs d’oeuvres ayant une fonction qui excède la simple peinture décorative.

 

 


Les anglais reconnaissent le talent de Thomas Kershaw (1819-1898) qui fut un digne représentant de l’école de peinture décorative anglaise dont l’apogée technique et stylistique se situe entre les années 1840 et 1870. Thomas Kershaw remporta des prix prestigieux comme la médaille d’or de l’Exposition (Great Exhibition ) de Londres en 1851, une médaille de première classe à l’Exposition Universelle de Paris en 1855, Le premier Prix de l’Exposition Londonienne de 1862. Sa technique de « Marbleizing » était incomparable, il dû comme le faussaire hollandais Han Van Meegeren, prouver qu’il ne produisait pas des « faux » en utilisant une technique frauduleuse de reproduction. 

Il lui fut demandé, pour faire taire les suspicions et accusations après l’Exposition Universelle, de réaliser un panneau de faux marbre devant témoins. Une démonstration publique de son savoir faire et de sa technique. Il stupéfia son public. La Famille Royale lui commanda de prestigieux travaux comme la décoration de colonnes au palais de Buckingham ainsi qu' à l'Osborn House. Thomas Kershaw fut membre de la « Painter-Stainers Company » pendant plus de trente ans. Le peintre William Holgate (1931-2002) a été désigné par ses pairs comme son digne successeur.
 Le Victorian & Albert Museum rend un vibrant hommage à Thomas Khershaw en présentant ses panneaux de faux marbre encadrés sous verre. Il n’existe rien de tel au musée des Arts décoratifs de Paris. Les grands peintres décorateurs français du siècle dernier sont des anonymes.

 

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             Victorian & Albert Museum  Londres

 

 




Le faux marbre fait toujours pleinement partie de la décoration intérieure malgré les nouvelles technique de reproduction. Celles-ci sont censées faciliter le travail et sa pérennité, ce qui est une façon de suppléer plutôt à une déperdition du savoir. Les faux marbres en céramique peuvent remplacer l’école disparue des stucateurs marbriers qui ont couvert les entrées parisiennes de chefs d’oeuvres entre 1850 et 1950. C’est toute une génération qui a disparu avec son savoir faire dans la tourmente de la grande guerre. Les céramiques en imitation de marbre ne sont pas encore très répandues et les gammes de coloris et graphismes sont généralement d’esprit très contemporain. Le poli et les transparences sont étonnantes mais manque la composition pensée du peintre. Les agencements sont secs et mécaniques alors que les compositions faites avec du vrai marbre demandaient un choix, une sélection des graphismes qu’il était petit à petit de plus en plus difficile de faire. Le faux marbre permet lui toutes les combinaisons harmonieuses aussi bien en couleur qu’en masses contrariées.
Les faux marbres en papier collés ne sont utilisés que pour les installations temporaires et de petites dimensions. Il s’agit d’un marbre peint photographié et édité sur papiers adhésifs de la largeur des plinthes qu’ils recouvrent. L’illusion est bonne, les répétitions peuvent être évitées en retournant le motif.

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Ensemble de pinceaux particuliers pour peindre les faux marbres.(Source M. Nadaï)


La technique du faux marbre s’apprend dans les écoles de décor peint. Il en existe un certain nombre en France et à l’étranger. L’école Vanderkellen de Bruxelles était la plus célèbre mais depuis la disparition du vieux maitre, le fleuron de la renommée a bien de la peine à se fixer quelque part. Réalisé traditionnellement à la peinture à l’huile fine, il est courant aujourd’hui de peindre des faux marbres à la peinture acrylique, les différences ne sont généralement pas perceptibles par le néophyte bien que la technique soit assez différente. La brosserie spécialisée est bien spécifique pour les faux marbres à l’huile. Les chiqueteurs, les deux mèches, les brècheurs, les fileurs sont des outils indispensables comme le Blaireau et la queue à adoucir. Ils aident à une bonne exécution de l’imitation demandée en créant des effets que les pinceaux classiques ne savent pas produire. La rubrique faux marbre sur l’encyclopédie Wikipedia anglais ( la version française reste à faire ) nous apprend qu’il faut une dizaine d’années pour maitriser cet art! « It typically took an apprentice 10 years or more to fully master the art. » ( Wiki source Marbleizing)

 

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Un vétéran à l'ouvrage:  réalisation d'une brèche violette arabescatesque turque.


La contemplation des marbres est un préalable à sa réalisation en imitation. L’oeil pénètre dans les transparences et suit sans effort le parcours sinueux des veinages entremêlés.  S’abimer « s’abymé » s’engloutir dans le calcaire cristallin chargé de rudistes ( coquilles écrasées), de nodules, de micas chloriteux est une initiation à la lecture des pierres. De tout temps, des paysages, des montagnes, des gouffres, des monstres y ont été aperçu. L’attrait pour les images « naturelles » les images « acheiropoïètes »  c’est à dire non faite par l’homme, non exécutées par la main de l’homme. Ces images sont comme l’Icône envoyé à Agbar, une fascination dévorante. Les motifs des marbres comme les dessins des pierres de jaspes, d’Agates ou d’Obsidienne sont été de tout temps admirés comme les témoignages mystérieux du monde invisible. Aujourd’hui avec une approche plus réaliste, la beauté des roches nous entraine sans difficulté dans une rêverie poétique.

« Au coeur de la pierre, demeure le destin splendide qu’elle proclame et qui, comme les formes des nuages, comme le profil changeant des flammes et des cascades; ne représente rien. Il ne figura jamais comme j’ai prétendu tout à l’heure, larve ni lémure qui au vrai n’ont d’apparence que celle que leur prête l’imagination de l’homme; et il arrive qu’elle les fabrique à partir justement de ces dons du hasard. Il n’y eut jamais d’image, jamais de signe, mais l’imprévisible résultat d’un jeu de pression inexpiables et de températures telles que la notion même de chaleur n’a plus de sens. En même temps, ces armoiries sont norme et canon de la beauté profonde, celle que, sur le rivage opposé, les rares réussites du génie s’efforcent d’enrichir ou de retrouver. Elles procurent en outre, prise sur le vif et à tel instant de son progrès, une coupe irrécusable faite dans le tissu de l’univers. Comme l’empreinte fossile, ce sceau, cette trace n’est pas effigie seulement, mais la chose elle-même par miracle stabilisée, qui témoigne de soi et des lois cachées de la lancée commune où la nature entière est entrainée. »  In « Pierres » de Roger Caillois  1966


La beauté du soubassement de la Madone des Ombres de Florence peut être mis en parallèle avec les « Untitled  I - VI » de Cy Twombly.
Ces toiles donc sans titres, en série, peintes en 1986 à Gaeta en Italie, ont été présentées pour la première fois au Met Breur de New York en 2016.  Ces six grands formats rectangulaires étaient exposées légèrement à part dans l’exposition intitulée « Unfinished ».
La série accrochée dans une sorte de renfoncement provoquait un choc visuel et une grande émotion que beaucoup de visiteurs ont ressenti.
Séparées par une longue cloison de verre dépolie par endroit, l’espace ainsi créé avait l’aspect et la fonction d’une circulation. La vision déroulante de l’oeuvre provoquée volontairement par le manque de recul plaçait le visiteur dans la même posture que les moines dans le couloir où la Madone des Ombres a été peinte entre les cellules 25 et 26. La série Untilted  I-VI  n’a pas été incluse dans le catalogue raisonné, Elle est restée invisible dans son atelier jusqu’à la mort du peintre en 2011. Il est dit que personne ne saurait dire si elle est achevée ou non. Mais comme les pierres invisibles dans leurs caches, elle est sortie à la lumière; leur processus s'est donc comme les pierres, achevé. La peinture excède leur cadre blanc, la série parle comme les marbres aux sens du spectateur, un monde à part, mi marin mi forêt primordiale, qui enchante l'esprit.

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 Les toiles de Twombly sont des orthostrates de cascades d’infiltrations de calcite pure dans un fond de sel de fer, de chrome et de silicate de magnésie hydraté si l’on veut les regarder avec l’oeil souterrain du lecteur de Marbres. La beauté répercutée par le travail en série fonctionne comme pour le soubassement de Fra Angelico; l’oeil en pénétrant la matière et le geste renvoie l’esprit à l’introspection mystique, la nuit obscure où il faut trouver la lumière. Le non titre de la série est une porte ouverte comme souvent, à la première sensation du spectateur et c’est en cette occurence que l’on a pu dire que c’était le « regardeur » qui créait l’oeuvre. Le titre, la légende vous bride, vous oriente, vous guide, vous enjoint de penser ce que le peintre a voulu que vous pensiez; l’absence de titre fonctionne de même, mais avec votre liberté intérieure non gouvernée par le rationnel. La contemplation des marbres procède du même ordre, pas de titre, une date étirée sur 40 millions d’années il y a 100  millions d’années. Peindre les marbres c’est balbutier à la surface du monde. Cy Twombly en savait peut être quelque chose. Roger Caillois devait s'en douter.
 

 

 

 

 Untitled I- VI   Twombly fondation 2011

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III   et    II 

 

 Untitled I- VI   Twombly fondation 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22 mars 2021

FEMMES DANS L’AGIR PRODUIRE

 

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Les femmes de métier.

La peinture décorative que tout le monde connait mais que personne ne voit est un monde mixte et tant mieux.
 Il n’en a pas été toujours ainsi du temps de Lebrun ou de José Maria Sert. Depuis quand les femmes ont-elles pénétré cette profession? La grande guerre dit-on a fait disparaître une génération d’artisans d’art. L’ancienne maison Logelin à Bruxelles qui deviendra la si renommée Ecole Van Der Kellen, ne comptait pas d’étudiantes…Seuls les Beaux Arts pouvaient avoir des ateliers mixtes où les femmes étaient quand même minoritaires. Il faut attendre l‘émancipation du décor peint de sa férule du bâtiment pour voir les jeunes femmes arriver dans les écoles de décor.
 La qualification supérieure des peintres en bâtiments incluait dans les entreprises, le statut de peintre en décor pour effectuer les effets de matières comme les faux bois, les faux marbres puis les filets et frises décoratives qui agrémentaient les patines proposées. Ces entreprises avaient du personnel qualifié qui était capable de créer une couleur et faire de magnifique réchampis d’une propreté impeccable. Les entreprises ont changées…Les peintres utilisent des nuanciers industriels et le décor s’est émancipé vite ..très vite.
Les indépendants sont arrivés, les femmes également. Le métier s’est amélioré en s’ouvrant aux nouveaux talents.
La dorure était un métier d’homme il n’y a pas si longtemps,…maintenant les équipes de doreurs sur les chantiers sont plutôt des doreuses! La partie masculine régresse beaucoup et se retrouve en atelier. La mixité et encore moins la parité n’est vraiment visible sur les chantiers de dorure. Dans les CFA  ( centre de formation d’apprentis) comme « La Bonne Graine » l’apprentissage de la dorure ne regroupe pratiquement que des filles. Et dans la tapisserie ? Pour combien de temps l’hégémonie des hommes va-t-elle durer?

Voilà trois portraits de Jeunes femmes indépendantes qui ont choisi un métier aux qualités indéniables mais comportant des risques. Risques liés au statut d’indépendant qui ne leur procure pas les sécurités que beaucoup réclament comme des dûs.
Elles cotisent à « La Maison des Artistes » qui  est une association datant de 1952, agrée par l’état en 1969. Celle-ci gère les cotisations et contributions sociales des artistes auteurs pour les Urssaf …C’est un drôle de statut d’indépendant dans le système général, cela n’a rien à voir avec les « artisans » ou les professions d’indépendant sous le régime SSI.
Les artistes auteurs n’ont pas de droit chômage ( à la différence des intermittents du spectacle ) pas de congés payés, pas de comités d’entreprises, pas de stabilité d’emploi…Ils n’ont comme avantage catégoriel que la gratuité dans certains musées et des tarifs professionnels dans les boutiques de beaux arts. Il existe quelques entreprises de décor qui salarie leurs peintres décorateurs, ce qui ne les empêchent pas d’avoir recours aux indépendants pour les gros chantiers gourmand en personnel. Le statut de salarié est appréciable dans certains cas, comme lorsque l'on débute par exemple, il amène une certaine sécurité et l'assurance d'un revenu même modique mais souvent  arrive un moment où l'appel du large se fait entendre:


« Attaché? dit le loup: vous ne courez donc pas
Où vous voulez? Pas toujours, Mais qu’importe?
Il importe si bien, que de tous vos repas
je ne veux en aucune sorte. »

 

QUESTIONS à  Murielle Delaet

Montreuil sous Bois 93

insta @murielledelaet

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 - Comment appelez-vous votre métier?
Peintre en Décor!


- Quelle est votre formation ? Depuis combien de temps exercez vous ce métier?
Je suis née en Martinique, j’ai grandit là bas et à 14 ans je suis allée suivre ma scolarité au Québec
C’était le cursus canadien. Il ressemble beaucoup au système américain. J’étais à Montréal pour ma high school; puis j’ai intégré le CEGEP (Collège d’enseignement général et professionnel ) en décoration peinture, art plastique.
Après j’ai passé une maitrise en scénographie département Théâtre à l’UQAM  (Université du Quebec à Montréal). J’ai commencé à travailler là bas en réalisant des toiles peintes pour le théâtre et notamment pour le festival « Juste pour rire » pour ceux qui connaissent!  

Je suis arrivée en France en 2002 et j’ai travaillé comme assistante déco sur des pièces de théâtre et des films ..quelques courts-métrages dont je ne me souviens plus des titres sauf « le Nécrophile »  ah ah !….et  aussi un autre qui s’appelait « Après » où il y avait Géraldine Pailhas qui a été plus connue ensuite …
J’ai travaillé sur un seul long métrage, un chef d’oeuvre indien appelé « one dollar curry »! Puis j’ai postulé pour l’IPEDEC ( Institut de Peinture Décorative) en fin 2004 et j’ai commencé à travailler pour Emmanuel Renoird, un décorateur parisien qui habite maintenant à Los Angeles.  J’ai donc débuté dans la vie active en 2000 et bifurqué vers la déco intérieure en 2005. Je suis inscrite à la Maison des Artistes.

-  Est-ce que cela a été bien accepté dans votre entourage ?
Le choix de mon métier? Oui pas de problème ..Mes parents n’ont rien dit. Dans mon entourage s'il y a eu des commentaires, c’était surtout qu’ils s’interrogeaient sur ce métier qu’ils ne connaissaient pas …Est ce que l’on peut vivre de ça ? etc… Mais ça a été accepté sans problème, quelques interrogations mais c’est tout.

- Vous qui travaillez sur des chantiers ( Renovation du bâtiment ) Avez-vous trouvé votre place dans cet univers qui est majoritairement ( sinon exclusivement ) masculin ?
Ah mon expérience est très bonne! Il n’y a pas de problèmes je n’ai connu que très rarement des situations compliquées et je ne crois pas que ce soit parce que j’étais une femme…. De toute façon je ne me suis jamais senti être considéré comme le « sexe faible » Un mètre quatre vingt dix ça change les rapports!  Oui c’est un univers masculin, il n’y a pas de quelconques aménagements pour les femmes, c’est tout le monde à la même enseigne…S’ il y a un côté négatif à ça, c’est pour les commodités mais il suffit de demander et le plus souvent on a vestiaire et toilette pour nous.
On s’impose sans difficultés, je trouve qu’il n’y pas vraiment  de macho phallocrate misogyne sur les chantiers..Et s’il y en a, ils ravalent en silence leurs frustrations. J’ai connu des peintres enfin des corps de métiers désagréables mais pas de dérapages sexistes. Il n'y a que lorsque l'on est en tenue de ville et non pas en tenue de peintre que quelque fois il ne vous imagine pas peintre...et vous prenne pour la cliente...Ah ah Ça m'est arrivé!

- Quel est votre ressenti en tant que femme dans ce monde compétitif où l’on est jugé, évalué, comparé sur pièces
Alors là non ! Je n’ai aucun problème avec ça.
Aucune réticence vis à vis des jugements qui pourraient être portés sur mon travail; d’ailleurs la plus part des gens ne sont pas très critiques. Je n’ai que des compliments et souvent faciles. Les clients sont toujours hyper contents, les déco sont très vite satisfaits .. Et les peintres en bâtiment nous appelle « Picasso »…Je travaille en équipe, j’ai mes propres chantiers et intègre des équipes …quand ça ne va pas , c’est à dire quand ce que l’on fait n’est pas réussi on s'épaule, on recommence, on trouve des solutions c’est un travail d’équipe. Bon quelque fois il y a des ratages oui …mais on arrive toujours à s’en sortir…
Dans les sociétés de décoration comme Mériguet, Del Boca ou Gohard Deco, il peut y avoir entre salariés des compétitions je pense, mais dans les équipes d’indépendants c’est autre chose, c’est très volatile, on n’est pas lié par un contrat de travail. On s’entend bien, on est souple et polyvalent et la bonne humeur est de rigueur !


- Quels sont vos domaines de prédilection ? Acceptez vous tout les travaux?
J’aime élaborer des décors qui mélangent matières et ornements, j’aime beaucoup les pochoirs que je dessine et découpe ou fait découper au laser maintenant…La peinture des ornements en frise ou en semi donne beaucoup de satisfaction esthétique.
 Enfin, je fais de la deco traditionnelle XVIII et XIXème siècle et de la déco assez contemporaine, des créations d’effets et de matières pour des appartements très design…J’aime beaucoup mélanger les genres.

J’accepte tous les défis, oui …quoique .. certaine fois les demandes ne sont pas folichonnes… Je n’accepte pas les travaux de stucco par exemple, pas de béton ciré ou Tadelak, je sais le faire oui, mais ça ne m’intéresse pas…. Je le fais faire quand le deco ou le client en demande.

Depuis quelques temps je participe à des chantiers de Restauration, J’ai appris beaucoup de techniques en travaillant avec des restaurateurs. J’interviens en restitution sur ces chantiers qui peuvent être extrêmement techniques mais dont le résultat est magnifique. Je ne vais pas faire ici la liste des personnalités de la restauration mais j’ai travaillé avec Cinzia Pasquali par exemple et aussi avec Jean de Seynes mais c’est surtout avec Marie-Lys de Castelbajac que j’ai acquis une bonne connaissance des processus de restauration dans lesquels je pouvais amener mes compétences en restitution. Je travaille souvent avec elle et c’est toujours de très beaux chantiers!

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  - Quels sont les quelques chantiers qui vont ont laissés les meilleurs souvenirs ?:
J’aime énormément les déplacements, j’aime les voyages.
Le travail en équipe est agréable quand vous vous entendez bien. Depuis quelques années une équipe informelle s’est constituée à partir d’un beau chantier en Turquie et donc à cinq, on se retrouve à s’embaucher les uns les autres et l’habitude de travailler ensemble fait que l’on est extrêmement efficace!! Trois garçons, deux filles avec maintenant plus de dix ans de pratique en équipe, n’importe quel déplacement est agréable!
J’ai, je viens d’en parler, un très bon souvenir du chantier en Turquie à Istanbul, enfin plus précisément Kanliça, dans une grosse maison sur les rives du Bosphore. Quatre mois de chantier incroyable !  Et à ce moment là, la Turquie était agréable car en pleine croissance…
Je suis allée en Russie à Moscou, mais j’ai préférée Ekatérinbourg dans l’Oural..C’était une expérience !  j’y suis allée plusieurs fois en différentes saisons, le printemps et en plein hiver…neige, glace et températures extrêmes. On travaillait pour un Hôtel de luxe.
On a beaucoup bossé mais bien visité la ville et passé des soirées mémorables!
Je garde un super bon souvenir du chantier pour Jacques Garcia à Sorrente face au Vésuve, et ce n’est pas uniquement parce que c’est la capitale du Lemoncello !  C’était superbe.  On travaillait dans une somptueuse villa face à la mer. Toujours en équipe (avec mes amis les frères Christian et Cyrille Laroche ) on peignait un décor inspiré de la villa Kérylos.. Le temps était magnifique, la nourriture italienne divine et les ballades en scooter sur la corniche digne d’un film italien ! Je suis allée en Toscane aussi. Près de Florence à Greve in Chianti, dans un somptueux palais entouré de cyprès sur une colline ..Puis l’Angleterre, Londres à Covent Garden pour la grosse boutique Ladurée, à Ascot avec Nicolas Reese pour Garcia, enfin j’ai plein d’excellents souvenirs de chantier. La corse avec le Musée Bonaparte ou je retourne assez souvent avec Marie Lys de Castelbajac. J’ai aussi beaucoup aimé la restitution du décor du jardin d’hiver de l’Hôtel de Païva à Paris sur les Champs Elysées. J’ai travaillé en binôme avec Amaury de Cambolas, Nous avons, à partir des photographies anciennes datant de 1870 /1880  et des dégagements stratigraphiques, recréé le décor du Jardin d’hiver décrit par les frères Goncourt dans leur journal… Il y avait plus de dix couches de peinture, tout le monde avait oublié le décor original! C’était fabuleux de faire renaitre un décor si mythique dans cet endroit incroyable qu’est le Traveller’s.
J’ai été très aussi heureuse de créer un décor assez élaboré pour la chambre de William Christie dans sa superbe maison de Vendée, là où se déroule son festival baroque …J’y suis allé en équipe et ce fut une sacrée expérience ..William Christie venait tout les matins et nous offrait du thé!

Mais sinon, il y a le chantier d’une vie ! Mon château préféré..! J’ai commencé en 2009 à travailler au château de Tournoël …La grande ruine sur son éperon rocheux au dessus de la plaine de la Limagne près de Volvic…Le commissaire priseur Claude Aguttes m’a confié pièce après pièce la tache de réhabiliter les intérieurs proposés à la visite mais aussi les parties privées car le château est trop grand pour être visité entièrement. Je ne connaissais rien au décor de haute époque mais j’ai appris… Voilà douze ans que je travaille dans ce château et ce n’est toujours pas fini. J’y vais en équipe, monsieur Aguttes me communique ses idées et j’élabore un projet…Il me fait confiance et c’est quelque fois une surprise pour lui mais il est toujours enthousiaste et très satisfait. Sinon en ce moment je travaille pour Géraud de Torsiac avec les frères Laroche pour le grand Hôtel du Chateau de Versailles ! Encore une aventure....
 

 

 

QUESTIONS  à  Cécile Crochet

Paris 18 ème

Insta @cecile_crochet

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- Comment appelez-vous votre métier?
Mon métier est «  Peintre Décoratrice »

-  Depuis combien de temps exercez vous ce métier   - Quelle est votre formation ?
J’ai passé un baccalauréat B (économie) Puis une licence d’Art Plastique à Paris
J’ai suivi ensuite le cursus des Cours Renaissance à Bagnolet où j’ai appris le métier de peintre décoratrice. J’ai commencé travailler en 1994.
Ma formation a été financée par l’entreprise Trouvé. J’ai donc commencé dans l’entreprise de monsieur Trouvé avec monsieur Lefumat bien connu dans le monde de la peinture décorative. C’était assez déroutant mais formateur…Puis je suis allée travailler aux Etats Unis avec Pierre Finkelstein pendant un an. Devenue indépendante, j’ai continué de retour en France, en développant ma propre clientèle …et cela continue encore aujourd’hui ..
J’étais d’abord à l’Urssaf puis peu après inscrite à la Maison des Artistes.

-  Est-ce que votre métier a été bien accepté dans votre entourage ?
Oui, mes parents l’ont accepté sans réticence, ils étaient contents que je trouve ma voie!
Par contre, cette voie, ma grand mère ne l’a jamais comprise, elle disait que ce n’était pas un métier « normal » enfin que c’était un métier d’homme!

- Sur des chantiers ( Renovation du bâtiment ) Avez-vous trouvé votre place dans cet univers qui est majoritairement ( sinon exclusivement ) masculin ?

Ma place ? oui, il y a une grosse différence entre aujourd’hui et mes débuts…Lorsque j’ai commencé on me faisait comprendre que je n'étais pas légitime, il fallait s’imposer et je ne pouvais m’imposer que par la qualité de mon travail. Comment dire, on ne pouvais être prise au sérieux que par le travail effectué. Je me souviens d’un chantier en Suisse où je faisais des filets. J’ai pris une pause pour aller boire un café et quand  je suis revenue, un type avait marqué son numéro de téléphone sur ma règle à filet!  Il y a ceux qui veulent vous aider tout le temps et ceux qui vous ignorent..Il faut savoir se positionner en professionnel et au début ce n’est pas si facile….

- Quel est votre ressenti en tant que femme dans ce monde compétitif où l’on est jugé, évalué, comparé sur pièces?

Moi, je ne suis pas « compétitive ».et donc je n’ai jamais ressenti  de pression comme ça.. Certains hommes disent préférer travailler avec des femmes car il y aurait moins de combat de coq !  il y a aussi une forte compétition entre femme mais n’ayant jamais été dans ce sens là, ce n’est pas quelque chose qui me pèse. Oui, on est jugé sur son travail mais je pense que c’est comme ça que ça doit être non? Quand on réalise, on produit quelque chose de tangible comme du décor peint, le résultat est là et on ne se cache pas…De toute façon s’il y a des problèmes hommes femmes c’est souvent entre la peinture générale et les deco.. certains peintre en bâtiment ont du mal a être « dirigé » par une femme….et moi, lorsqu’il y a un problème je ne me dis pas que c’est parce que c'est un homme mais plutôt parce que c’est un con….


- Quels sont vos domaines de prédilection ?-
Ce que j’aime c’est le changement… Je n’ai pas de souci avec la variété. J’aime faire des choses très différentes. C’est un des grands avantage de notre métier que de faire des choses très différentes…

- Vous acceptez tout les travaux?

Oui, j'accepte tout ce que je sais faire, ou pas d'ailleurs!  En tout cas si c’est du décor peint j’expérimente, j’échantillonne dans mon atelier. Je fais de la laque, du meuble peint et plein de découvertes en créant des matières, même avec du relief...J'aime cette alchimie, cette cuisine artistique qui permet de projetter à partir d'un petit échantillon une salle entière ...la "vision de masse" est assez difficile à acquérir mais c'est une qualité qui vient avec le métier.

Je ne refuse rien, enfin uniquement les chantiers qui sont trop sales et bruyants ou si je n’ai pas confiance dans les entrepreneurs qui me sollicitent.

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 - Quels sont les quelques chantiers qui vont ont laissés les meilleurs souvenirs ?
Ah.. lorsque j’étais au Etats Unis j’ai eu des chantiers mémorables ..Comme celui du Getty Museum de Los Angeles avec Pierre Finkelstein.  J’y ai fait du faux marbre dans les salles d’expositions de l’art européen et notamment français, ce qui est amusant. J’y ai fait aussi de la patine et plein d’autres choses assez variés.

J’ai travaillé à Dallas, à Las Vegas. Je me souviens avec plaisir du Casear Palace où j’ai réalisé des colonnes en faux marbre pour un décor néo-romain assez kitch… j’ai travaillé aussi à New York bien sur, là où je résidais.
Sinon j’ai fait plein de beaux chantiers à Paris ..chez des Saoudiens et pour une clientèle toujours assez chic et internationale..J'ai participé à la rénovation du château de Sceaux. Comme celle du château de Villette aux environs de Paris ... …Il y en a tellement eu que je peine à m'en souvenir de tous!

Ah oui! J'ai travaillé un an pour des japonais!! ..Toute une deco sur les éléments d'une maison en kit!  J'ai réalisé énormément de décor pour les Ateliers Thiery qui sont une société de dorure bien connue.
En ce moment je m'occupe de la décoration de la maison mère d'une banque pestigieuse !!
 

 

QUESTIONS à Gaëlle Dulac

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insta @gaelledulac

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   - Comment appelez-vous votre métier?
Je suis peintre décorateur …je dis que je suis peintre et souvent ça suffit

   - Quelle est votre formation ? Depuis combien de temps exercez vous ce métier?
J’ai suivi des cours pendant ma scolarité dans un conservatoire d’art plastique, j’ai passé après un bac technique arts appliqués (STI) Puis j’ai fait l’école Olivier de Serre à Paris dans la section fresque mosaïque …
J’étais un peu perdue avec des histoires familiales compliquées, j’ai été au p’tit bonheur voir a la SEMA, la formation des métiers d’art. Je ne savais pas trop quoi faire à part être peintre et je suis tombé sur la formation « peintre en décor » je me suis que c’etait ça que je voulais faire !
 J’ai fait des petits boulots pendant six mois ( vendeuse au BHV par exemple ) pour me payer cette formation à l’IPEDEC ( Institut de peinture décorative  ) à Pantin…et ce n’était pas rien, c’était hyper cher, il fallait aussi se payer sa « caisse » ..c’est à dire la caisse de brosserie particulière … j’ai réussie à mettre dix mille euros de côté!
 Je suis sorti major de ma promo début 2004 et il fallait que je bosse sans tarder.
 J’ai très rapidement commencée à travailler sur le gros chantier de l’Hôtel Royal Monceau décoré par Jacques Garcia !
C’est Cyrille Laroche ( Maintenant Atelier Laroche ) qui m’a appelé au printemps 2004. Je l’avais rencontré à l’Ipedec où il était assistant. Assistant d’un professeur d’Olivier de Serre qui donnait des cours à l’Ipedec, Bruno Baloup. J’ai travaillé avec Cyrille sur un grand décor réalisé par Philippe Laurent ..J’ai peint des arbres, je m’en souviens ..on a bossé comme des fous, nuit et jour d'affilé, j’étais tellement crevée que je en suis même pas allé à la soirée d’inauguration !

Après comme une sorte de super formation, j'ai été assistante de Christian Martincourt ...et ça c'est formateur pour les futurs chantiers....


   -  Est-ce que cela a été bien accepté dans votre entourage ?
Oui très bien, Il n’y a eu aucune réticence autour de moi ….J’avais 19 ans, mon père de toute façon voulait que je fasse un métier manuel et ma mère, passionnée d’art, elle m’a soutenue vraiment …non, pas de problème de ce que côté là..!


- Sur des chantiers ( Renovation du bâtiment ) Avez vous trouvé votre place dans cet univers qui est majoritairement ( sinon exclusivement ) masculin ?
J’aime beaucoup être sur les chantiers, c’est très vivant, tu apprends l’humour et l’autodérision. tu as un nouveau rapport aux garçons, moi ça m'a beaucoup appris, ça renforce en plus, il y a un côté "guerrier" ou "aventurier", tu montes sur des échafaudages, c’est physique, tu te donnes à fond! Ça développes les qualités d’adaptation.
j’aime beaucoup les ambiances de chantier, il y a tous les milieux sociaux, plein de corps de métier. Il y a un échange et dans cet univers masculin, il y a un lachez prise que j’aime bien. Ça devient comme une famille!

 

- Quel est votre ressenti en tant que femme dans ce monde compétitif où l’on est jugé, évalué, comparé sur pièces ?
Oui et bien c’est pas évident, on fait beaucoup plus facilement confiance à un homme qu’a une femme dans le décor. En tant que femme il faut s’affirmer, ce qui n’est pas évident. Rester femme dans un monde d'homme, se faire entendre, comprendre et respecter…c’est un équilibre à maintenir en permanence et en même temps c’est du défi.

  Je pense que je suis compétitive mais dans le bon sens du terme, pas pour être la meilleure mais faire des choses comme les garçons, dès le début je voulais m’affirmer en tant que personne. Je refusais toutes leurs sollicitudes, ils voulaient te monter l’échafaudage moi j’aime faire ce que les mecs font, avoir le même rôle qu'eux. Puis j’ai appris l’humour, parce que au début je réagissais presque comme un pitbull à toutes les blagues un peu lourdes puis j’ai gagné en souplesse, j’ai compris les codes et l’humour chantier mais sans dérapages, je me sens toujours femme et je mets des limites. Pendant dix ans, j’étais avec un peintre qui est devenu chef de chantier et j’étais protégée, on était dans la même boite et c’était connu, après lorsque je suis devenu célibataire c’est devenu autre chose..et j’ai dû bien marquer les limites …mais une fois les limites marquées il n’y a pas de problème, même s’il y a toujours un jeu ambiguë chez certains. Parce qu’un mec avenant qui blague avec tout le monde c’est juste un mec sympa, un fille qui fait ça sans marquer les limites, ils dérapent…
Pour moi ce métier, rassemble bien les deux côtés masculin et féminin : le chantier, c’est le côté masculin et la fibre sensible, artistique c’est le côté féminin. .… c’est peut être pour ça qu’il y a autant de femme dans la déco…enfin c’est assez équilibré, les équipes sont le plus souvent mixtes. On rencontre de très belles personnes sur les chantiers.
 

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- Quels sont vos domaines de prédilection. - Acceptez vous tout les travaux?
J’aime la peinture figurative, je dessine et peint.
Sinon je fais toutes les matières et ornements… oui j’accepte tout ce que je trouve intéressant ..et qui plus est quand il y a une équipe sympa.. comme à Versailles pour le grand Contrôle avec l’équipe de Cyrille Laroche …


 - Quels sont les quelques chantiers qui vont ont laissés les meilleurs souvenirs ?
Ah! moi comme je le disais j’aime beaucoup les chantiers… donc il y en a beaucoup! …. D'abord j'ai un bon souvenir des cours que j’ai donné .. bon ce n’est pas des chantiers mais c’est pareil.  j’ai enseigné  à l'Atelier des Peintres en Décor et à l'école d'Art Mural de Versailles mais ce que j'ai préferé ce sont les cours donnés en Guadeloupe à l’ « Ecole de la Dernière Chance » ça c’était l’aventure pendant trois semaines!
Ce qui est amusant c’est que je logeais là bas chez une mes premières élèves de l’école des métiers d’art  (l’INFA) à Tremblay. Mais oui, les chantiers j'ai de bons souvenirs aussi ... ...J’ai travaillé au Ritz plusieurs fois pour les sociétés Trouvé et Gohard déco et dans plein d’endroits différents.. Mais c’est les lieux prestigieux où il est incroyable d’avoir été qui marquent vraiment……à Reims, au château des Crayères, l’hôtel de luxe pour les amateurs de Champagne…  Ah oui, l'un des plus beau c'était à la cahédrale d'Alès avec Valerio Fasciani, un vrai chantier de restitution de décor de voussures et demi-coupole sur les pas du peintre fresquiste Antoine Sublet....  Et évidemment le salon doré de l’Elysée en août 2020 avec Marie Begue...Le bureau du président ! j’ai restitué des décors peints sur les dorures dans le cadre d’une campagne de restauration assez médiatisée..
J’ai travaillé à l’Hotel Lambert avec Madeleine Hanaire dans la salle des muses…il faut voir ça!..J’ai eu aussi le Louvre pour moi toute seule pendant la fermeture covid, enfin quand je dis toute seule, c'était une bonne équipe de filles! Mes amies Chloé Costes, Lucie Deslile, Alexandra Chiarella et Priscilla de Buhren!. Il y a eu pas mal de travail avec les Ateliers Mariotti. On était seul dans le palais, j’ai peint du faux acajou sur des grandes portes…CNN m’a même interviewée, et longuement, mais ils n‘ont gardé que le passage où je détaille la brosserie … ( a voir ici)

 J’aime beaucoup les déplacements .. mais alors loin ! J’ai pu aller deux fois à Pékin .. La chine c’est quelque chose …Froid et pollué mais très intéressant.
Je suis allé travailler à Moscou aussi, avec l'atelier Tourtoulou, dans le centre, près de l’église Saint Jean le Précurseur. J’y fait des ornements, du faux marbre et de la patine ..pendant deux mois et demi !
J’ai même été au Kasakhstan faire la déco de la boite de Régine à Astana! (le président Nazarbaïev adorait aller au Jimmy’s de Monaco, il a demandé à Régine d’ouvrir une succursale chez lui…Horrible! ) C’était super dur comme chantier mais dingue d’aller là bas boire un coup avec Régine; elle était souvent pas drôle et on bossait avec des horaires de dingues!
Enfin l’aventure n’est pas finie …j’espère retourner à Moscou prochainement.


 

 

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 Les photos d'atelier ont été aimablement autorisées par Cécile Crochet

 

 

 

 

 

 

22 mars 2021

MEATPACKING MADISON



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2001

(....)


Dans la société appelée PBN : Les Productions Bonne Nouvelle, composée de deux salariés associés égalitaires, j’occupais en 1987 les fonctions de chef d’atelier. Nous étions localisé rue de la lune, dans une assez curieuse construction en pignon sur le boulevard Bonne Nouvelle. Cet immeuble construit disait-on par Eiffel avait une belle terrasse en triangle donnant sur la grande Porte Saint Denis. (il existe toujours)
C’est dans ces locaux que j’ai passé mes trois ans de ce qu’on pourrait appeler mon « apprentissage » J’ y ai attiré mon ami Denis Meillassoux qui très vite participa à cette aventure. Je l’avais rencontré un soir, chez un ami, plus ou moins commun. Nous nous sommes revu dès le lendemain dans un vernissage du peintre chinois Ru Xiao Phan que nous connaissions. Nous y avons exercés nos talents de critique d’art, cela fut le début d’une amitié qui nous amena naturellement à travailler ensemble. C’est avec lui que je suis allé à Manhattan pour la première fois en 1988. (...)

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Denis Meillassoux et Amaury de Cambolas 1996


En 2001, Denis avait un bon contact pour réaliser les décors des boutiques Emmanuel Ungaro. Le décorateur italien, Antonio Citterio, avait conçu une sorte de signature décorative avec un contraste fort entre les bois sombres (masculins) et une patine tirée à l’horizontale d’une couleur rose un peu fuchsia tendre et coloré, très lumineuse.
Les grands murs de jonction entre les présentoirs de bois sombre extrêmement design, sobres et chics, devaient être peints en patine horizontale; ce qui devait laisser par les stries du spalter une grande quantité de nuances colorées allant du fuchsia au rose le plus délicat. C’était assez technique, les stries devaient être horizontales avec une sorte de vibration élégante. Les cabines d’essayage ainsi que le fond des vitrines devaient être aussi peintes avec cette technique et bien évidemment de cette même couleur.

Une Jeune femme brune en tailleur qui se faisait appelée Madame Fourrier était l'interlocuteur de Denis, c’est elle qui gérait la réalisation des décors. Nous avions déjà réalisé les peintures de la grande boutique de l ’avenue Montaigne et maintenant la maison Ungaro voulait ouvrir une nouvelle boutique à New York. Denis fut bientôt sollicité et c’est ainsi qu’il m’embarqua dans cette aventure. Tout ne fut pas simple dès le commencement, car la maison Ungaro voulait exporter en kit sa boutique conçue et fabriquée en Italie sous l’oeil de Citterio. Une fois terminée dans leur atelier de Cantou, il ne s’agirait plus que d’agencer les différents éléments in situ pour minimiser le temps d’immobilisation de leur location et ouvrir le plus vite possible. Denis partit pour l’Italie du Nord, mais cela se passa avec tant de problèmes qu’il en revint assez vite en me disant que ça n’allait absolument pas, que ce n’était pas la bonne méthode et que nous partions réaliser les décors sur place. J’étais très heureux de cette nouvelle comme on s’imagine !
Denis avait suivit les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs ( « il a fait les « ArtDeco » comme l’on disait à ce moment là ) Il possédait un bon coup de crayon, un dessin très sûr pour toutes les architectures. Assez grand, d’allure sportive, il avait ce que l’on appelle, un physique avenant. Son visage régulier, sa masse de cheveux brun et son regard rieur lui assurait un beau succès auprès de tout le monde. Les sourires féminins l’encadraient. Sa verve et son humour faisait le reste. Madame Fourrier n’échappa pas à la règle.

 

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Denis Meillassoux Artiste et Peintre 2015


 Notre voyage fut décidé et organisé assez rapidement. Nous emmenions que le strict nécéssaire, toutes nos fournitures étant facilement accessible là bas. Il fallu trouver un hébergement car la société Ungaro ne pouvait s’en charger nous disait Madame Fourrier. Un budget nous avait été alloué et c’était à nous de nous débrouiller. Denis connaissait beaucoup de monde. Il m’expliqua qu’il connaissait une fille qui habitait New York. Plus précisément il me confia que c’était l’amie d’un ami et qu’elle avait un appartement dans Manhattan.
Evidement cela n’était pas gratuit, c’était d’ailleurs assez cher mais moins que l’hôtel et nous aurions une cuisine. Cette amie du nom de Laurence avait expliqué à Denis que son  « RoomMate » étant parti, elle cherchait un remplaçant, fusse-t-il temporaire; même pour un mois. Elle était d’accord pour nous recevoir tous les deux si nous pouvions partager la même chambre. Comme on s’en souviens, ce n’était pas la première fois pour moi et avec Denis cela ne me posait aucunes difficultés. Cette Jeune femme était photographe et avait disait-elle bien des difficultés à payer son « rent » surtout depuis son divorce.
Affaire fut conclue et nous voilà en partance pour aller travailler à New York! J’étais extrêmement content d’avoir cette deuxième chance!
Nous avions un rendez-vous là-bas, calé par Madame Fournier qui devait mettre les choses en route.
Je ne me souviens absolument pas du voyage, de ces préparatifs ou autres. Nous étions si insouciant, confiant qu’aucune possible gravité liée à ce départ n’a pu certainement fixer mes souvenirs. Nous sommes parti ensemble comme treize ans auparavant, sans aucun souci, en rigolant j’imagine. La complicité qui nous liait dans le travail était l’humour et la dérision. La vie ne se passait pas sans humour. On se moquait facilement de tout, à croire que la dérision nous permettait de supporter toutes les difficultés de notre travail et il y en avait énormément quand on y pense: Les conditions de chantiers difficiles, la lutte pour une place avec les autres corps de métier, les clients tatillons, les peintres en bâtiment sabotant nos fonds et l’obligation de travailler sans confort dans des endroits bruyants ( machines des menuisiers, des électriciens, des carreleurs) plein de poussière de ponçage avec en plus, un minimum de «  commodités » L’eau au robinet dans la cour, pas de vestiaire, pas de toilettes et des problèmes techniques constants.
Les boutiques sont souvent le théâtre d’une sorte de surenchère. Dans un même espace, pressé par une date d’ouverture, vous mettez tous les corps de métier ensembles et vous avez un chaudron explosif. Si vous êtes trop gentil, vous passez en dernier, si vous êtes trop pressants, vous vous mettez tout le monde à dos avec une ambiance qui passe de difficile à épouvantable!
Il faut s’affirmer sans agressivité et accepter en souplesse les aléas du chantier: faire et refaire, aider et se faire aider, prêter du matériel et courir après..etc etc  Denis par son humour rendait les choses si faciles que tout devenait une partie de rigolade même les plus sombres « galères » . On râlait, on s’amusait, on filoutait et on s’en sortait à chaque fois. Il y a plein d’anecdotes qui me font encore rire simplement en y pensant. Lorsque les situations étaient tendues, les réparties et l’aplomb de Denis pouvaient déclencher des fou-rires réparateurs bien qu’ils puissent devenir incapacitants chez moi. Je ne rappellerais que pour les lecteurs avertis ( cela pourrait faire l’objet d’une note plus détaillée) les épisodes du « paillons de Mirapolis », de la « cargolade de Byrrh-Cuzenier », des cubes de PBN, de Tombaize aux Tuileries etc…Je pourrais bien évidemment rajouter Ungaro-Madison.

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Nous sommes arrivés tranquillement en taxi au pied de notre nouvelle habitation. Laurence habitait dans le quartier de MeatPacking au 305 de la W 13th Street. Un bel immeuble fait d’une alternance en damier de briques sombres et rouges avec une grille noire donnant sur un renfoncement. Architecture austère d’une simplicité voulant sans doute rappeler Mies van der Rohe. L’ensemble semble difficile à dater.  L’appartement était agréable. Une petite entrée en angle ouvert donnait sur un long séjour. Un petit couloir sur la gauche ouvrait sur deux chambres face à face avec une salle de bain au milieu. Une cuisine, simple et en retrait près de la porte d’entrée sentait la litière du gros chat qui vivait confiné silencieusement sous les meubles.
L’ensemble était agencé avec le goût sûr d’une bohème bourgeoise chinant ça et là. Des meubles néo 60 se mélangeaient avec de la récupération vintage. Le tout dans les tons beige et verts d’eau, calme, sobre, chic… agrémenté de plantes grasses.
Laurence n’était plus si jeune que son apparence le voulait. Grande et très mince, dérivant même vers ce que l’on appelle la maigreur; ses jambes étaient si fines que tout galbe en avait disparu. Elle portait une grosse tignasse ébouriffée qu’elle manipulait souvent en penchant la tête. Son habillement s’inspirait des anciennes photographies devant lesquelles elle avait du rêver longtemps. Un mélange de Janis Joplin, d’Hendrix et de Talking Heads qui lui donnait évidemment le côté artiste recherché. Elle était moitié jolie, en tout cas elle l’avait peut être été et vivait la dessus. Elle nous accueillie avec beaucoup de gentillesse mais je perçu assez vite durant la conversation une sorte d’irritation de sa part devant l’attitude de Denis.
Assise sur le canapé, elle prenait des nouvelles de leurs connaissances communes, de l'ambiance de Paris, de la teneur du travail qui nous amenait dans « sa » ville. Elle ne me parlait pratiquement pas et pour ma part gardais un silence prudent. Après quelque minutes d’observation, il me semblait qu’elle était agacée de ne pas voir Denis en état d’allégeance, c’est à dire pour me faire bien comprendre, elle trouvait, je pense, Denis trop sûr de lui, trop à l’aise et blagueur. Elle aurait sans doute aimé le voir plus admiratif, plus en demande de conseils et d’explications sur l’impressionnant New York. Elle aurait souhaité le voir la reconnaissant comme une fille de poids, elle voulait être considérée comme une personnalité. Le problème était que ce n’était pas le cas. Tout était fabriqué et Denis le percevait instinctivement.
Il ne la prenait absolument pas au sérieux et rien de ce qu’elle pouvait dire ou penser n’avait pour lui de valeur. Je m’aperçu assez vite qu’il avait parfaitement raison, c’était une boite vide remplie des idées du moments, un personnage construit sur les apparences; sans fondement ni consistance. Elle était « cool » oui, mais larguée, seule et désespérée. Son attitude avec moi, était sans agressivité mais assez lointaine. Elle mit du temps à venir vers moi, puis elle vint trop; comme je l’ai gentiment repoussée, elle resta assez distante jusqu’à la fin du séjour et nous n’avons bien évidemment, pas gardé de lien.

 

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Nous avions rendez vous dès le lendemain avec madame Fourrier sur le chantier de la future boutique. Il fallait se déplacer en métro à partir de la station de la 14 ème rue et cela n’a pas été sans mal car souvent distrait, nous avons plus d’une fois raté nos correspondances!
La boutique était à l’angle de la très passante Madison avenue et de la East 67 ème rue qui arrive en perpendiculaire sur Central Park. J’étais de nouveau dans ce quartier arpenté en 1992. On s’imagine bien que c’était avec un certain plaisir que je retrouvais ces trottoirs plein de bons souvenirs.
Très spacieuse avec des vitrines sur l’angle, la boutique au numéro 790, s’ouvrait sur un dédale de grands présentoirs en construction. Face à l’entrée, un escalier fait de marches plates en verre rose fuchsia ne comportait pas de contre marche. Structure aérienne ultra moderne d’assez bel effet, il desservait un espace d’essayage à l’étage pour les bonnes clientes qui aiment à passer du temps dans une sorte de show room plus privatisé. Il y avait un grand sous sol avec des bureaux et des réserves.
Les travaux étaient très avancés, les peintres italo-américains s’affairaient, les menuisiers (italiens) travaillaient sur les présentoirs. Madame Fourrier enceinte d’une bonne dizaine de mois, nous accueilli toute souriante. Elle nous fit les présentations du chantier et de son responsable, un petit italien noiraud pète sec qui parlait avec accent prononcé en roulant les « r ».
Nous avions notre matériel sauf les liquides. Il nous fallait acheter une assez grande quantité d’essence de térébenthine.
Je n’avais jamais eu à faire des achats auparavant, tout était fourni. Ne sachant pas où aller, on nous indiqua une boutique mais ce n’était pas vraiment la bonne adresse . Aussi incroyable que cela puisse être, nous sommes parti acheter de l’essence dans China Town, dans ce dédale dont les touristes n’effleurent que la surface!  Extrêmement dense, très peuplé avec des arrières cours d’une crasse inimaginable, China Town n’est pas réputée pour ses fournitures de peinture.
Nous avons donc ramené de cette longue flânerie dans la foule, une sorte de pétrole infect acheté dans une boutique bazar qui ne rappelait rien de connu. Cette essence que nous mélangions avec l’huile de lin amené de Paris, nous permit de confectionner un glacis à peu près utilisable malgré son odeur de Kérosène huileux.
 Nous nous mîmes au travail, mélangeant les couleurs pour obtenir ce rose si particulier. Les fonds blancs préparés par les peintres devaient être très couverts, très « nourris » c’est à dire qu’ils devaient impérativement recevoir deux couches de fond uniformes sans maigreurs, ni manques de peinture car notre glacis rentrerait immanquablement dans ces failles. La patine laissera ainsi des tâches brunes affreuses. Il n’y a pas de reprises possibles si ces maigreurs appelées « embus » apparaissaient, c’était l’intégralité du panneau à refaire.  

Un colosse aux bras nus tatoués, avec un bandana ceinturant son front auréolé de maigres cheveux blonds en filasses se faisant appeler James, Denis l’appela pour toujours « le gros James ». Il était responsable du ménage. Fort en gueule, il prenait une place considérable. Denis eut tôt fait de le circonscrire par trois vannes bien senties ( Denis parlait un excellent anglais, imagé et nourri de références cinématographiques plus que littéraires, tout à fait adéquat ici) James et lui rivalisaient de fuckin’jokes. Nous avions un allié face au petit italien hargneux qui ne voulait pas avoir affaire aux « frenchies »
Je ne vais pas détailler les difficultés à travailler en finition dans un environnement si difficile, non, car c’est le lot des boutiques en chantier; mais disons que notre progression était lente et chaotique. La futur boutique attirait beaucoup de passants qui regardaient, questionnaient car comme toujours le chantier débordait un peu sur le trottoir. Il faisait beau, l’air était agréable. Il était d’usage de s’extraire du bruit et de l’agitation pour aller fumer et boire des cafés dehors.
Une matinée, il y eu un attroupement devant la porte. J’étais en train de peindre lorsque le gros James appela « Déniss Déniss  » pour venir voir l’attraction. Il y avait Sigourney Weaver à la porte. Elle voulait connaitre la date d’ouverture et créait l’attroupement. J’ai le souvenir d’une grande femme assez distinguée.


Nos journées de travail s’enchainaient avec des horaires assez souples, les premières journées furent très détendues; ce n’est qu’à la fin que les choses se corsèrent. Nous dûmes peindre les fonds des vitrines. Nous y avions tendu des papiers pour ne pas être vu de la rue mais c’était tellement exiguë que l’on ne pouvait à peine se retourner. Nous effacions à droite lorsque nous peignons à gauche et inversement. Les angles en lignes droites horizontales sont assez difficiles à traiter proprement, c’est à dire sans surcharge de peinture. Il faut patience et coup de main, les cabines d’essayage comportaient ces mêmes difficultés. Il y eut d’autres surprises, des imprévus. Madame Fourrier nous demanda de peindre le sous-sol dans ce même rose. Aucuns murs ne devaient rester blanc. Le problème était que ce sous-sol n’était pas peint du tout. Le chef peintre à qui nous nous sommes adressés pour que les fonds soient préparés, répondit sans ménagement à Denis : « You’re not the priority » Ce qui fait que nous nous sommes attelé à la peinture des murs en roulant grassement cette acrylique blanche américaine à l’odeur écoeurante si caractéristique. Les derniers jours furent donc assez intenses.

La vie avec Laurence n’était pas si simple, nous n’avions pas cette discipline qu’on les anglo-saxons pour la collocation. Nous avions commis l’impair de boire toute la bouteille de « Grapefruit » au petit déjeuné! ( Laurence se levait assez tard ) Elle le fit savoir. Difficile, boudeuse  hâbleuse, elle se vengea en nous obligeant à commander des Sushis. Le tarif était absolument exorbitant. Je me souviens de cette soirée morose, affalés dans son salon à attendre la livraison.  Une discussion sur Castro finie mal tourner car j’étais abasourdi par son inculture nourrie d’un romantisme révolutionnaire idiot. Elle se tenait en lotus avec ses jambes allumettes moulées dans un legging assez désavantageux. Les maigres sushis avalés, nous allions dans nos chambre et là, la soirée commençait car nous parlions, rions en l’oubliant complètement.

Elle n’eut que l’avantage de pouvoir nous faire découvrir des endroits assez amusants. Le quartier de Meatpacking n’était pas en cet été 2001, le quartier si en vue d’aujourd’hui.

 

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Une institution


La transformation n’avait pas encore eu lieu complètement. Il était en cours de « gentrification » mais les entrepôts des bouchers, les vieux abattoirs, les docks existaient encore dans leur vétusté et désuétude. Ce n’était pas un quartier « recommandable ». Bien loin d’aujourd’hui avec ses galeries d’art, ses restaurants bio et le nouveau Chelsea Market. La High Line n’existait pas encore ( elle fut ouverte en 2009) ni le superbe Witney Museum II ( ouvert lui en 2015)
Meatpacking était dans les années 80, un quartier en pleine déshérence, concentrant le trafic de drogue et la prostitution notamment transsexuelle.
La lente reprise s’amorça dans le courant des années 90 pour qu’en 2001, il soit devenu un quartier assez branché pour y habiter. La proximité du « Village » (West et Greenwich) lui donnait l’opportunité de se remplir de son trop plein. Une quantité de petits bars ainsi que quelques restaurants en vue concentraient les prémices des changements à venir.

 

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Nous allions au restaurant « Pastis » ouvert en 1999 qui acquit une fameuse renommée. Situé à l’angle de la rue d’à côté pour nous ( W12st/9Av) Il avait un faux aspect de bistrot français avec une terrasse cernée de plantes en bacs.  A l’intérieur, un carrelage bosselé blanc avec des plaques émaillées d’anciennes publicités en guise de décoration lui donnait un petit genre « Paris est une fête ».
Nous n’y serions pas allés sans Laurence. Mais l’endroit était très agréable. Peu cher avec un bon poulet croustillant. Ce restaurant est devenu une sorte d’icône mondaine où très vite la presse se fit l’écho des apparitions des personnalités venant y diner: Anna Wintour, Liv Tyler, Kate Hudson, Stella Mc Cartney, David Bowie ..etc etc. Personnalités que nous n’avons pas croisées. S’il existait dans la clientèle vue ces soirs là, des gens un tant soit peu connus, ils ne l’étaient pas pour nous.
En revanche Laurence passait, elle, pour une artiste en vue, grâce à son accoutrement. Manteau en pelisse de faux léopard, minijupe sur des collants disparaissant dans des bottes d’arpenteuse de trottoirs, elle arborait un maquillage de petits matins de catastrophe. Nous nous y allions diner mais le plus souvent boire des bières, au bar, sans elle.
Un soir le serveur nous regarda d’un oeil moqueur en train d’entreprendre deux japonaises un peu timides. Je m’évertuais à engager la conversation avec ses énigmatiques jolies touristes. Nous étions affalés sur le comptoir à dire n’importe quoi sûr de notre impunité de français. Denis était en verve, je rigolais de tout ses commentaires à l’emporte pièce lorsque le serveur se mit à rire aussi. Il nous comprenait parfaitement; c’était un marocain d’origine très sympathique, nous étions vraiment chez nous avec un bon allié dans la place.
 “When Pastis opened, it was like Paris had finally come to New York,’’ recalls Martha Stewart. “I and my colleagues so enjoyed the food and the ambience and the friendliness of the place. »
Le restaurant Pastis a fermé en 2014 avec de grands sanglots dans le NewYork Post.  

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H & H


Laurence nous fit découvrir une autre institution qui nous a beaucoup amusé. Un bar de bikers portant le joli nom de « Porcs et génisses » ! (Hogs and Heifers) lui aussi fermé aujourd’hui malheureusement. Il fut obligé de quitter les lieux en septembre 2015 à cause de la hausse de son loyer. Le quartier étant devenu massivement la proie des investisseurs, son nouveau propriétaire ne lui laissa aucune chance.  Le gros James connaissait ce bar, il nous expliqua le jeu de mot associé à ce nom bizarre. « Hogs » est aussi un des noms de la Harley du biker et il aime comme on le sait, parader avec une fille en croupe. On comprends mieux l’allusion.

L’entrée du Bar était filtrée par des clones de Hell’s Angels. Il était en pleine activité à ce moment là. Les « Bikers doorman » vous regardaient avec suspicion, quelques fois demandaient des « ID » pour savoir si vous étiez majeur; vous collaient un bracelet et la porte s’ouvrait.
Le bar était sombre avec une musique rock bien sentie. La première choses qui frappait le visiteur était les milliers de soutiens gorges de toutes tailles et toutes couleurs accrochés absolument partout. Ils englobaient, couvraient, détouraient tout les autres trophées couvrant les murs. Il y avait notamment une grosse Harley Davison scotchée sur la paroi. La deuxième chose frappante était, lorsque vos yeux s’habituaient aux lumières diffuses, les serveuses en soutiens gorge, jeans et bottes texanes. La tradition voulait que les soirées se terminent par des danses féminines sur le bar avec jets de soutiens gorge comme offrande. Nous y avons assistés, nous y sommes retournés plusieurs fois, c’était à deux pas.

 

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H&H Meatpacking  avant destruction.


Nous sommes beaucoup sortis, rentrés tard et levés tôt. Nous avons fait quelques soirées mémorables où notre « lâché prise » s’est distingué. Je me souviens d’un soir où nous avions décidé d’aller diner vers Greenwich village. Nous sommes parti en métro vers Washington square. Nous avons ensuite flâné dans les rues, descendant au gré de notre humeur vers les petites rues de Soho sans but réel. Nous voulions diner quelque part. En passant un carrefour, je vis un bar superbe en angle de rue. Le bar New-Yorkais tient plus du pub anglais que du café français. Les vitres laissent voir un intérieur bien tranché d’avec la rue. Les lumières et l’ameublement sont des incitation à la halte prolongée. Ce bar avait un aspect très attirant. C’était le coin de rez de chaussé d’un immeuble du début du siècle, avec large entablement et belle épaisseur des entre-fenêtres. Les murs extérieurs étaient blanc, les fenêtres carrées montraient un long comptoir dans une pénombre réchauffée par des petits abat jours. Il devait être à peine 19 h et ce fut notre perte. La serveuse était cubaine, il n’y avait personne, les after-work étaient déjà rentrés, très avenante son sourire était fabuleux, elle fit bien son métier.
Nous avons éclusé une bonne dose de bourbon pour que la soirée commence comme une bordée! J’ai un souvenir confus. Il existe une grande différence entre les cuites de désespoir et celles de plénitude quasi panthéiste. C’était vraiment par notre état de plénitude, de gaité libre sans brides d’aucunes sortes; en pleine possession de nos moyens, libérés des contraintes d’un sur-moi ( laissé à Paris) que nous nous sommes laissé prendre à la spirale joviale de l’alcool en pleine air. Nous sommes allés de place en place, diner sans doute quelque part; je ne sais plus …Mais nous marchions très gais sans avoir la moindre idée de notre itinéraire. Nous n’avions pas de carte ou de guide , on picolait de bar en bar.
Après un temps, arrivé devant un petit square, dans un quartier vide, nous avons franchit les barrières pour aller pisser. Nous savions que Jagger et Richard avait eu des problèmes avec ça donc nous étions prudents comme deux toupies chancelantes pouvaient l’être. La nuit venue, les trottoirs étaient vides comme les rues. Il pouvait être cinq heure du matin que nous n’aurions pas été surpris.
On ne savait pas du tout où nous pouvions être. Ayant la tête en vrac et la vision double, triple et floue, nous avons hélés un taxi.
Une grosse voiture jaune s’arrête enfin, nous donnons l’adresse de Laurence en bafouillant tous les deux penchés sur sa fenêtre ouverte. Le gars hésite et nous envoie promener promptement. Il nous indique du doigt la rue d’en face et nous dit quelque chose comme : « It’s here ! you moron » Nous étions devant ce petit parc triangulaire appelé Jackson Square (qui est un des plus anciens petit square de la ville) et qui est situé devant la 13 ème rue où nous habitions. Ce fut un choc! Nous étions revenu, après une longue dérive, devant chez nous. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment.
Le lendemain sur le chantier nous avons peiné à la tache. Après notre déjeuné acheté dans notre Deli coréen où nous avions nos habitudes: salade composée et hamburger à emporter, nous somme allés faire une petite sieste à Central Park. Dire une petite sieste est un euphémisme, nous nous sommes profondément endormi sur une pelouse. Le soleil nous a réveillé après deux heures de bronzage intensif. Denis était rouge vif. Il était difficile de cacher notre état au gros James qui se moquait de notre état chiffonné.

Denis qui comme je l’ai dit, connaissait beaucoup de monde, contacta une de ses connaissances habitant sur place, Franklin un garçon assez sympathique, membre d’une honorable famille du nom de Servan Schreiber. Il travaillait pour une institution internationale tout en faisant des piges pour USA Today. Notre diner fut très instructif car il nous expliqua de long et en large la grande différence qu’il y a entre les codes de séduction américain et français. Le peu de facilité de s’inviter les uns chez les autres. Ce que l’on appelait ici, les « dates » dans les bars. Le jeu des garçons face aux filles. Ce qu’elles attendent, ce qu’ils doivent faire. Rien n’était semblable à ce que l’on savait faire ou comprendre. La psychologie de la jeune américaine paraissait tordre le cou à toute notre compréhension de la chose. Il nous expliqua qu’un « non » pouvait être un « oui » et que « peut être » était sans doute un « non ». Que l’alcool servant chez nous, on le sait de désinhibiteur, pouvait servir ici d’excuse. Que bien des actes pouvaient être sans conséquences pour le lendemain et qu’il est malvenu d’y faire allusion le lendemain à moins d’y être autorisé. Il nous expliqua qu’ à l’université bien des filles se laissent aller à des fellations pour ne pas à avoir à coucher avec le garçon. Ce qui impensable pour nous.  Que le garçon se doit de franchement montrer son désir, ce qui peut être aussi le cas de la fille et que si les rapports sont plus rapidement établis (et peut être en ça plus superficiels) tout doit être fait dans une franchise déconcertante. Mais avec un jeu d’aller et venue régie par des codes dont il faut avoir la maitrise. C’était bien avant le phénomène  MeToo#, tout doit être bien changé aujourd’hui. Il y avait chez lui une vraie souffrance, le statut de français n’avait pas l’air de l’avantager.
denis n’avait pas que des amis à New York il y avait aussi de la famille. Son oncle nous invita à boire un verre au bar du Waldorf Astoria situé sur Park Avenue. La décoration du building qui date de 1931 est une merveille d’Art Deco. J’ai gardé un excellent souvenir de cette ambiance chic et feutrée qui rappelait l’ « Amérique heureuse » du cinéma des années quarante, où l’élégance à la Gary Grant était la norme. L’hôtel est toujours situé sur le Track 61 qui est une gare privée permettant de relier l’hôtel au métro. C’est par cette entrée que venait le président Rooselvet en chaise roulante. Le seul pays du monde à avoir eu un président en chaise roulante! Cet oncle était de passage pour voir son fils Marc.
Nous avons été nous aussi rendre visite à ce cousin germain de Denis qui travaillait dans Manhattan, comme commercial dans une grosse société de création de parfums. Il habitait une banlieue chic appelé Mamaroneck, dans le comté de Westchester au dessus de New Rochelle.
nous avions été le voir à son bureau dans le centre de Manhattan; je ne me souviens que d’un grand building de bureau avec à l’entrée une réception avec le nom des dizaines de sociétés occupant l’immeuble. Denis fut très agacé de s’entendre dire par Marc que nous ne pouvions le voir car il était trop occupé. C’était d’autant plus vexant que Denis lui amenait deux bouteilles de bordeaux qu’il dû laisser pour lui à la réception. Il ne consentit à prendre l’ascenseur pour nous voir rapidement dans le hall qu’à une deuxième visite. Il nous invita à déjeuné le dimanche suivant chez lui, dans sa jolie maison face à la mer dans cette petite ville portant ce sympathique nom indien. Je ne me souviens que de la vue, du jardin avec sa pelouse bien propre. il avait deux enfants en bas âge et une très agréable épouse .Une jeune italienne rousse dont je n’ai pas de souvenir. Je n’ai d’ailleurs aucun souvenir de Marc qui n’a jamais fait le moindre effort à mon égard.Il parlait avec suffisance de son travail et n’arrêtait pas de répéter «  t’sais les Ricains c’est des extra terrestres » Il était aussi grand que Denis, il lui ressemblait assez; à la différence qu’il en était la contre partie canaille. Son rictus et ses arcades sourcilières proéminentes lui ôtait à jamais le côté distingué de son cousin. C’était encore et toujours un jeu de compétition stérile qui liait sa conversation. Nous sommes restés une partie du dimanche, il faisait très beau, c’était amusant de sortir de la ville. Le train qui traverse le Bronx l’emmenant tous les matins dans le coeur de New York; il commençait son travail du jour dès qu’il s’asseyait dans le wagon disait-il avec emphase.

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Le chantier continuait sur sa lancée. Nous arrivions de moins en moins en retard car le trajet commençait à nous être connu. Notre distraction était telle qu un matin, nous nous sommes retrouvés vers la 110 ème rue à l’entrée du Spanish Harlem. Pourtant le trajet était simple; changement sans doute à Lexington Avenue, je ne m’en souviens plus. Mais la longueur des entre-stations, si différente d’avec Paris, dans ce métro tellement bruyant et inconfortable nous berçait jusqu’à nous faire somnoler et oublier de descendre à la bonne station.
 Les peintres finissaient leurs plafonds, nous tirions des bandes de couleur sur les murs; la progression des installations de présentoir donnait un air d’achèvement aux travaux.
Dans cet escalier à deux volées de marche fuchsia transparentes, il avait été installé sur le palier intermédiaire, un grand écran rectangulaire de taille humaine sur lequel face à nous marchaient des grandes filles avec ce déhanchement de défilés de mode qui les obligent à mettre leur talon devant leur hallux (le gros orteil). Cela était assez nouveau et attirait l’oeil d’une manière entêtante, désagréable.
 Une armée d’ouvriers nettoyeurs avaient retirés les protections laissant visible l’élégance de la structure de verre coloré. A la première montée tous le monde s’aperçut d’une petite erreur de conception. Aucune femme en jupe ne pourrait monter à l’étage. Les indiscrètes marches ne cachaient rien. Madame Fourrier fit mettre des opacifiants qui malheureusement dénaturaient la gracile beauté initiale. Voilà la preuve que le cheminement allant de l’idée au réel n’avait pas été effectué par l’artiste concepteur; qui semblait s’être oublier dans un face à face narcissique.

Nous nous réfugions assez souvent dans le bureau du sous-sol. L’on sut par une indiscrétion que la ligne du téléphone mural était connecté à l’Europe. Nous téléphonions gratuitement, les italiens aussi. Les liaisons téléphoniques n’étaient pas aussi fluides et simples qu’aujourd’hui entre les Etats-Unis et la France. C’était très cher et jamais nous n’avons utilisés nos téléphones portables, ni celui de Laurence chez elle.
 Le gros James était une personnalité exubérante, blaguant, râlant, bref une grande gueule. Denis et moi, nous nous entendions bien avec lui et allions dans son sens lorsqu’il se mettait à beugler des « slogans ». C’est une attitude que l’on retrouve aussi en France sur les chantiers. Il n’est pas rare qu’un artisan se mette à pousser un cri libérateur mais aussi fédérateur. Dans le mutisme des intervenants absorbés par leur tâche, il s’opère des contractions de concentration suivies par une libération de satisfaction une fois les micros objectifs atteints. L’artisan a besoin de l’exprimer. Les blagues récurrentes ou les moqueries amicales surgissent alors dans leur silence en des sortes de slogans, reprenant une expression, un nom appelé avec une intonation amusante, qui se répètent en écho parmi les corps de métier travaillant sur le chantier. C’est un phénomène sain démontrant une bonne ambiance générale. Le gros James aimait nous voir reprendre ses formules en choeur et cela fonctionnait surtout si lorsque nous étions disséminé à travailler dans des recoins, sans contact visuel. «  Fuck the damm’ shit » «  Geronimo » «  Hi Ho Silver! »  ou n’importe quoi d’autres déclenchaient des rires entre nous. Il avait stupéfié Denis par une réplique assassine. Râlant comme à son habitude contre les décisions de Madame Fourrier qui ne faisait que des apparitions éclairs. Denis lui dit « Yes, But you know, she’s the Boss! » Il répliqua l’air mauvais «  Noo, She’s a fuckin’ pregnant bitch! ».
 Nous allions acheter notre déjeuné, comme je l’ai dit, chez un coréen qui avait de très bons produits à emporter. Nous circulions en habit de travail. Pantalon plein de tâches de peinture, tee shirt et grosses chaussures de sécurité pleines de poussières (et de taches aussi). Je ne suis pas sûr que nous n’avions pas sur le crâne, vissé cette universelle casquette de base ball. Nous n’étions pas identifiable autrement que comme des « workers ». Nous avons croisés nombre de touristes lors de nos sorties de la journée. Les français sont reconnaissable à leur sac à dos et habillement. Un petit rien, un aspect particulier, un détail et nous les identifions comme français.  Denis s’amusait de l’homophonie entre l’anglais. Je me souviens qu’il me demanda de faire une expérience. Sur la cinquième avenue, habillé en peintre, avec nos salades et burger, je devais m’adresser à un américain que je croiserai, en le regardant dans les yeux, lui dire en français, sans transformer ma voix ou mon intonation :«  Boite à Musique » et attendre sa réaction.
Cela fonctionna absolument parfaitement, il me donna l’heure très aimablement. Ce à quoi je répondis en français toujours « Saint Cloud Paris Match » qu’il conclut par un « You’re welcome ».
Denis s’amusait aussi de transcrire en anglais des formules idiomatiques française comme « And my ass, is it chicken  ?» que le gros James adorait sans le comprendre.

Nous n’allions pas chaque jour déjeuner dans Central Park, les restaurants situés un peu plus loin vers l’Est nous étaient abordables. Après une assez longue marche sous un doux soleil sans doute vers le quartier de Lenox Hill, nous avons trouvé un « Dinner » posé un angle de rue.
Il existe nombre de ces rues intermédiaires droites, longues et impersonnelles qui filent à l’horizon. Elles sont aussi la ville labyrinthe où il ne se passe rien.. Le restaurant était  bricolé comme une sorte de wagon des années cinquante avec un escalier en bois pour accéder à l’entrée située sur son épaisseur. De couleur beige et rouge très fifties, il servait d’excellent hamburgers dans une ambiance de cinéma. Nous étions loin des quartiers touristiques. Très heureux d’être en « immersion » s’oubliant dans un rêve d’un autre personnage dans une  autre vie. Il nous est toujours apparu qu’il n’y avait que les chemins de traverse pour retrouver la vérité d’une sorte de quotidien, de routine qui en nous réincarnant faussement en autochtone, nous dépaysant absolument.
 Je suis sorti fumer une cigarette après le traditionnel hamburger frites ketchup bière. Je m’appuie à un sorte de poteau d’angle sur le côté du restaurant. Habillé en peintre avec mes chaussures de chantier. Je fume tranquillement lorsque devant moi s’arrête une voiture.  Cela s’agite à l’intérieur, ils sortent; le chauffeur ouvre le coffre et sort des valises à roulettes.
Je suis assez près. Je détaille une longue jeune femme en blanc. Très bien faite, extrêmement moulée dans son pantalon, elle réajuste son foulard, ramène ses cheveux en arrière et je reconnais Laetitia Casta. Je ne bouge pas, je regarde. Elle me regarde, nos regards se croisent  brièvement puis accompagnée d’un jeune homme assez efféminé, elle rentre en tirant ses valises dans l’immeuble à coté de moi.  Sorti à temps, Denis la voit passer fugitivement.
Ce qui m’a amusé dans cette scène, c’est la conjugaison de convergences mystérieuses. Le monde n’est pas si simple qu’il parait nous être donné. Cette femme passant là bas est peut être celle qui vous a guidé les mains lorsque, enfant, vous preniez des cours de modelage…Le taxi que vous prenez aujourd’hui, vous ne pouvez savoir que c’est celui dans lequel votre femme à pour la première fois embrassé son amant, il y a deux ans. Vous croisez des gens déjà vu ailleurs ou qui connaissent très bien votre appartement car ils en ont été les précédents locataires. Laetitia Casta arrivant à New York, regardant un peintre à casquette, la cigarette au bec, ne pouvait imaginer que j’étais un français, la reconnaissait parfaitement et qu’il y avait de ça un mois, j’étais dans son village de Loumio.

En arpentant les rues des quartiers un peu excentrés, partant le long des boulevards sans âme, longue marche sans but; je suis tombé en arrêt devant la petite vitrine d’une échoppe assez misérable. Un cordonnier présentait dans le bric à brac de sa devanture, une paire de chaussure noire montante. La forme me plut immédiatement, elles avaient une tenue très militaire authentique.  Nous sommes rentrés demander le prix. La boutique ressemblait à un débarras. Derrière le comptoir encombré de machines à lustrer, poncer, et d’une sorte d’établi de cordonnerie usé par les ans patiné de graisse et de cirage, se tenait un gars hirsute avec une barbe noir lui mangeant le visage. Il portait comme chapeau un journal plié en forme de bateau comme font les enfants en primaire. Nous pouvions voir que sa tête de rusé commerçant. Je discute  sans succès le prix des chaussures de vitrine.Il nous demande d’où l’on vient. Il a lui aussi un bel accent. Denis qui n’est jamais en reste pour demander d’où viennent les gens qui semblent avoir eu un parcours, lui demande son origine. Le gars nous dit qu’il me fera une ristourne si nous devinons d’ou il vient. En cet été de 2001, l’actualité n’est pas celle de l’après septembre à venir. Denis réfléchit et lui dit « Afghan » Un grand sourire éclaire son visage de barbu farouche !! J’achète à prix réduit les chaussures qui malheureusement ne résisteront qu’un an.

Laurence voulait nous présenter certains de ses amis. Elle avait dit-elle vanté Denis à deux architectes décorateurs qu’elle se targuait de bien connaitre. Mais je crains que ce ne fut pour nous une mauvaise introduction.
 Nous sommes allés avec elle dans un grand appartement de Soho, rencontrer deux architectes aquarellistes qui ne la connaissait réellement que par intermédiaire.
Ils nous reçurent dans une sorte de grand studio d’enregistrement à la décoration étrange. Dans le salon se trouvait une longue console d’enregistrement avec ce qui s’apparentait à un Synclavier, une sorte de grand synthétiseur pour composer et enregistrer de la musique « électronique » Un blanc et un noir semblaient y être au travail.
Les architectes nous reçurent dans un bureau attenant. Andrew Zegna et Bernd H.Dams ont eu un certain succès dans les années 2000 grâce à de jolies publications de leur travaux d’aquarelle. Ils créaient des architectures classiques américaines et européennes avec beaucoup de rigueur et de technique. Aquarelles extrêmement léchées, présentées sur un fond unis, ils peignaient soit d’authentiques projets du dix septième ou du dix huitième siècles non réalisés soit des visualisations d’états antérieurs de châteaux classiques.
Le dialogue fut trainant. Laurence se tortillait. Nous n’avions pas grand chose à dire n’étant pas demandeurs. Eux  peut être, ne voulaient finalement que voir nos tête de français.
 En effet, Il me semblait qu’il formait ce que l’on pourrait qualifier de couple gay raffiné et instruit, francophile et brillant. Leurs travaux étaient remarquables de propretés et de maitrise technique; obsessionnel et maniaque. Mais si loin de nos préoccupations.
Ils voulaient finalement savoir si nous accepterions de peindre pour eux des abats jours gratuitement. C’était imprécis et peu motivant ( et pas vraiment enthousiasmé par une surcharge de travail à l’oeil, je pense)
L’un d’eux fit une phrase malheureuse comme «  C’est très simple, je pourrais le faire moi même.. » Denis sauta sur l’occasion et lui répondit instantanément « Hé bien, faites le ! »
Nous ne sommes pas restés longtemps. C’était peu amical. Le musicien, dont je n’ai pas gardé le nom en tête, était dans mon souvenir, un maghrébin en survêtement qui nous parla en franco globish d’une manière assez frimeuse, pieds nus, faussement à l’aise. Il était pour nous juste un connard cool dans son intérieur mixant du rap avec un gars du Bronx. Laurence les regardait comme une groupie des années soixante dix, tout en étant très empruntée et mielleuse.
Je me souviens d’avantage des aquarellistes car il me semble les avoir de nouveau croisés à Paris dans un vernissage du carré rive gauche où ils exposaient. Mon ami Vianney m’avait offert à cette occasion un livre qu’il leur avait acheté « Les vases de jardin » publié chez Alain de Gourcuff. Ce n’est pas du tout dans mes centres d’intérêt et je soupçonne Vianney de s’être facilement débarrassé d’un achat dont il ne savait que faire.


Denis rentra en contact avec ami français qu’il n’avait pas vu depuis des lustres. Alex O.installé en famille à New York travaillait pour l’Agence Elite. Denis et lui semblaient très heureux de se revoir. Quoi de plus facile pour nous que d’aller boire un verre dans notre quartier!
Hogs and Heifers serait l’endroit idéal. Ainsi commença une soirée mémorable. Une soirée que l’absence de photos laisse dans une sorte de rêve éveillé . Ces photographies absentes auraient fonctionné comme des témoignages concrets suscitant des points fixes sur lesquels ma mémoire aurait pu mieux s’accrocher.
 Alex était assez corpulent, blond avec un large sourire. Il avait tout du bon papa. Son travail lui assurait un confortable niveau de vie que son aspect extérieur ne cachait pas. Les bikers le regardèrent d’un oeil torve. Quand à Denis et moi, nous étions toujours plus ou moins habillés en passe partout, une sorte de « causal » sombre et un peu rock roll par rapport à Alex.
 Le bar lui plut énormément, l’ambiance assez électrisée du vendredi nous imprégna rapidement. Les bières et le bourbon se succédaient. Je commandais assez souvent à ce moment là du « Southern Confort » une liqueur de la Nouvelle-Orléans, sucrée et assez alcoolisée cela se boit en cocktail, moi je la préférais pure, c’est évidemment assez traitre.
 Alex et Denis rivalisaient d’anecdotes et de bons mots. Alex est un jovial. Sa corpulence sa force lui permettent d’être à l’aise partout. Il dégagea un bel espace pour nous autour du bar. La musique toujours aussi forte l’obligeait à gueuler en français devant les serveuses amusées. Je ne sais si nous avions diner, sans doute, car il était déjà tard lorsque l’ambiance montant d’un cran nous vîmes deux jeunes filles en jupes monter sur le bar. La masse de garçons nous entourant se mis à siffler, taper du pied. Une sorte d’ovation scandait les déhanchements des deux filles qui franchement s’amusaient. C’est avec de grands sourires, regardant des types qui devaient les accompagner, qu’elles ôtèrent leurs tee shirts en les faisant tourbillonner dans une main.. Elles arpentaient le bar sans renverser les verres, tournaient sur elles même en riant et criant des « yeeep Hô »tonitruant. Alex et Denis s’époumonait à l’unissons en tapant les verres vides sur le comptoir, je sifflais comme à un concert de rock ( ce qui est un encouragement).
Les soutiens gorges devaient immanquablement rejoindre le décor. Comme des Femen avant l’heure, elles se dégrafèrent en même temps. Ce fut spontané et rapide. Elles arboraient fièrement de belles poitrines rondes et lourdes qui s’envolaient avec rythme. Rien ne peut plus charger l’ambiance d’une fièvre érotique que l’imprévu d’un déshabillage consenti comme une offrande à notre testostérone. Alex était fou. Le bon père de famille avait laissé place au grand fauve, au grand sanglier des marais que rien n’arrête.On criait, on dansait, on s’échappait …… on recommandait à boire.

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C’était impossible d’en rester là. Très heureux d’avoir découvert un bar aussi stimulant; Alex ne voyait pas d’autre choix que de nous rendre la pareille. Il arrêta un taxi pour nous emmener West 20 ème rue qui n’est pas très loin de Meatpacking. L’entrée du VIP Club comporte un tapis rouge bordé de petits pylônes du cuivre. Evidemment cela est plus chic. Nous faisons bonne figure malgré nos verres. Deux gros costauds font office de physionomistes, Alex sors son porte monnaie et nous invite à descendre. Les strass, le velours rouge, tout fleurait bon le bordel chic. L’escalier nous amène dans une grande salle à colonnes avec une scène dominant des rangées de fauteuils en ronds autour de petites tables. Il n’était pas possible d’englober d’un seul regard les scènes incroyables qui s’offraient à nos yeux.  Des dizaines de femmes nues dansant et virevoltant autour de petits groupes littéralement scotchés dans leurs fauteuils club.
 La dénomination exact de ce club est « The VIP Club for Adult Entertainment NYC » On y boit, on y écoute de la musique et surtout on y admire toutes les beautés de la création. Venues des quatre coins du monde, triées comme au Crazy Horse Saloon, de ravissante jeunes femmes de tout types, de toutes tailles circulent en bikini fantaisies, soulignant ce que les autres cachent. Elles sont appelées par les clients accrochés à leurs fauteuils et effectuent contre vingt dollars une danse avec effeuillage suggestif sur votre nez. L’entrée dans cette ambiance chaude et enveloppante vous laisse supposer que vous êtes arrivé au paradis puis après trois danses, vous vous apercevez que c’est plutôt en enfer que vous rôtissez de désir. Des mastodontes de la sécurité sont là pour appliquer la loi et l’ordre. S’il est autorisé de parler aux Napées dansantes, il est formellement interdit de les toucher.
 Installés et déjà avec un nouveau verre devant nous, il me semble absolument irréel de voir autour de nous, une grand brune entièrement nue se pencher sur deux hommes en cravates tout sourires, deux filles complices et contraires en déshabillées, une noire et une asiatique, rirent d’onduler ensemble devant des regards ébahis.
 De quelque côté que l’oeil se porte, les divines proportions des corps en mouvement dans la lumière attirent l’oeil. Nous assistons à deux ou trois danses à nos côtés avant qu’Alex d’un signe, envoie une incroyable belle brune sur les flancs de Denis qui s’enfonce dans le cuir du siège. Elle le regarde dans les yeux, sourie malicieusement et s’appuyant de ses deux mains sur les accoudoirs du fauteuil qui lui fait face, se mets a onduler comme une vague sur Denis. Elle se déshabille en une seconde, il lui suffit de tirer sur un petit cordon de strass et son mini maillot s’en va comme une ficelle qui tombe. Nous regardons le spectacle en riant. Elle ne peut comprendre nos encouragements en français. Denis arbore le masque rieur qu’on lui connait si ce n’est qu’il est figé comme une image à l’arrêt. La grande fille tourne et retourne l’effleurant de ses cuisses, frottant volontairement ses « nipples » sur le torse de Denis qui semble en catalepsie. Les lèvres rouges s’ouvre sur des dents brillantes, je vois son souffle agiter la mèche de Denis dont les yeux clignotent comme une alarme incendie. Lentement, je vois sa main gauche remonter vers la cuisse et se poser doucement presque à la naissance du fessier de la dame. Le geste est à peine ébauché qu’un énorme gars "afro american" en costume pose sa main gigantesque sur le bras de Denis qui vivement rebrousse chemin. Elle lève la tête et fait signe d’un sourire à son ange gardien que tout va bien. Epreuve terrible de frustration mélangée à une sorte de test de température interne, cette confrontation me rappelait les danses des « fillettes » Nouba qui fouettant le sol avec leurs lanières de cuir choisissaient parmi les lutteurs vainqueurs assis au pied d’un arbre celui qui allait passer la nuit avec elles. Une fois s’être bien déhanchées en tapant des pieds en rythme, elles posaient sur l’épaule de l’élu, une longue jambes de filles nues rougies de latérite. Les guerriers eux, baissaient la tête, jouant les insensibles, les pas concernés.
La musique soudainement s’arrête pour reprendre dans une mélodie que tout le monde semble connaitre. Les applaudissement fusent. L’ensemble des jeunes filles converge vers les rideaux rouges qui encadrent la scène centrale. Elles disparaissent pour mieux revenir : c’est la revue!
Elles défilent une à une sous les vivats, descendant de la scène vers la salle, c’est une sorte de parade qui a pour fonction de récréer du collectif, un peu à la manière du « Ein Prosit, Ein Prosit » de l’Oktoberfest qui voit toute l’assistance s’arrêter de parler pour chanter et vider sa choppe.

Nous buvons, applaudissons. Alex a eu sa danse que nous lui avons offert après celle de Denis. Il a résisté vaillamment à une jolie grande tigresse d’un brun luisant qui avait reçu les compliments du bon Dieu.
Pour ma part, je croyais mon émerveillement à son comble, j’étais repus. L’emprise des Physis remplissait ma psyché, s’il ont peut dire!  Dans le défilé se profilait devant moi une grande femme auburn vêtue d’une chemise blanche d’homme ouverte sur son micro maillot. Je fus frappé par son apparence. Elle passa devant moi pour bientôt regagner la scène. Grande et assez charpentée, elle portait sans effort une poitrine de belle circonférence. Son corps était entièrement couvert de taches de son. Les tâches de rousseur par millions virevoltèrent dans mes yeux. Son visage encadré de longues mèches de cheveux épais respirait l’amusement avec détachement. Le port de tête participait à la beauté de l’allure. Son visage piqueté possédait une grâce enfantine que ses yeux améliorait d’une beauté mature. Une tête de déesse sur un corps rêve.
Avant d’avoir pu finir ma dithyrambe, je vis Alex fendre la foule, la rattraper, lui parler à l’oreille et lui indiquer notre table. C’était mon tour, j’étais prêt à mourir.
 Ce fut un moment extatique, proche de l’apoplexie. J’étais propulsé comme un cloporte qui n’a connu que son maigre champs de vision, sur le sommet de l’Olympe au banquet des Dieux. Il n’y a rien à en dire plus. J’ai encore des frissons d’épiderme si je me laisse aller à y penser. J’ai après sa danse cruelle où j’étais la victime sacrificielle volontaire, pu discuter avec elle, elle souriait.
Elle s’amusait de ces français si polis. Elle riait assez tendrement de moi, habituée qu’elle était à l’effet dévastateur qu’elle pouvait produire chez certains. Elle avait vu dans mes yeux que je pourrais être le pantin dont parle Pierre Louÿs. A la fin, je refusais d’acheter un calendrier souvenir voyant qu’elle n'y était pas en photo.
 

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Club Heaven & Hell


La nuit fort avancée nous cueillie par sa fraicheur; la soirée entière était une ivresse plus forte que celle de nos breuvages. Dans la rue déserte, Alex n’était plus qu’un possédé marchant dans la nuit. Il voulait expurger le démon qui cognait dans sa chair. Par question de rentrer faire couche-couche panier. Il décida que non, ce n’était pas fini, qu’il en fallait encore. Il partit à la recherche d’un hôtel qu’il connaissait après avoir raflé dans ces boites de fer blanc que l’on trouve sur la chaussée, un journal gratuit avec des annonces d’Escorts.
Je serais pas aussi disert sur la fin de notre nuit.
(.....)
Le week end commençait donc par une lente journée ensoleillé de mars. Nous avons trainé sur les trottoirs adjacents de notre rue en flottant au soleil.. Nous ne restions que très peu dans l’appartement, fuyant la compagnie de Laurence qui semblait ne plus nous supporter et réciproquement. Trainer dans New York est une occupation en soi. Il y a toujours un côté mise en scène qui satisfait l’instant. Nous nous baladions un jour de Saint Patrick. La parade irlandaise fut assez amusante avec ses flonflons de cornemuse endiablée. Les irlandais sont, de tout manière, extrêmement sympathiques, même lorsque l’on porte une sorte d’étau sur les tempes et des jambes de bois. Nous sommes allés en fin de journée, trainer du côté du World Trade Center dont l’ombre double, gigantesque pinceau caressait les alentours. Je ne sais ce que nous avons fait le soir. Sans doute rien, si ce n’est que d’aller se coucher tôt.
Le dimanche fut plus culturel, nous sommes allés visiter le superbe Cloister Museum situé après les quartiers de Washington Heights et d’Hudson Heights, à Fort George . Nous avons été en métro puis en bus car le musée se trouve dans le fort du Tyron Park très loin au nord, au commencement de la presqu’ile. Si la visite est absolument passionnante, l’on est partagé entre le soulagement de voir sauvés des trésors inouïs de l’art classique français et la tristesse de les contempler en dehors de leurs milieux d’origine. Des Jubé, des sculptures de cloitres, des statues absolument uniques transportés à des milliers de kilomètres de chez elles, abandonnées après la guerre, vendues par ceux qui n’y voyaient plus en elles que des vielles pierres inutiles.
Je ne sais pas s’il est autant visité qu’auparavant, plus personne ne m’en parle. Il faut admettre que cet étrange musée est très loin des zones habituelles qui concentrent l’intérêt touristique de Manhattan.
Revenus en bus jusqu’à Harlem, nous avons flanés sur les grands boulevards. Le quartier n’était plus celui entre aperçu il y a seulement neuf ans. La transformation était déjà visible, il ne semblait plus contenir de friches gangrénant les blocks.
 Attiré par des chants, nous sommes entrés assister à un formidable godspel qui débordait d’une église toutes portes ouvertes. L’ambiance y était chaleureuse et bienveillante.

Le chantier touchait à sa fin. Les préparatifs du départ commençaient. Le gros James nous retrouvait tous les matins avec sa gouaille. Affrontant en commun les difficultés des chantiers, les liens entre les intervenants s’affirment ou se dénaturent jusqu’à devenir quelque fois un antagonisme. Nous, nous aimions bien le gros James et il nous appréciait en retour, c’était visible.
Une anecdote le prouve. Il nous avait accepté assez pour répondre d’une façon touchante et inattendue à un coup de gueule de Denis. Nous terminions les murs des entrées des cabines d’essayage, lorsqu’arrivant sans précaution, il bouscula violemment un escabeau sur lequel se trouvait la brosse à patine de Denis. La brosse fut projetée dans le sceau de glacis qui éclaboussa les murs alentours. Le glacis a cette particularité de se comporter avec beaucoup plus d’inertie que l’eau. L’essence et l’huile mélangées est un liquide fluide mais lourd et les éclaboussures furent importantes ruinant notre travail de l’heure. Denis explosa de fureur « What the fuck the fuck you do !» « Goddamn’Shit you fuck’d my fuckin’job, you fucker » etc ..etc..Denis gueulait comme un beau diable hors de lui. Je commençais à éponger, à pocher les murs à refaire lorsque je vis le chef des peintres, attirés par les cris, s’approcher. Il assista à toute la scène.
Plus Denis criait plus le gros James se décomposait, conscient de sa bévue. Il n’était pas peintre juste manutentionnaire s’occupant du nettoyage, il était pour lui très malvenu d’endommager le travail des autres. Le gros James nous surprit par sa contrition, lui qui braillait pour un oui ou pour non, intraitable et explosif, il était ici tout penaud disant à Denis « Yes Yes you’re right Déniss Fuck me .. » « yes fuck me » d’une touchante façon. Denis se calma mais cette scène impressionna le petit italien. Il prit à part Denis peu après et lui dit qu’il était dangereux de parler comme ça à un « Felon convicted »( criminel condamné) lui disant que le James avait été en prison pour meurtre et qu’il suffisait de regarder ses tatouages. Le gros James en avait en effet plein les bras. Il arborait notamment deux belles toiles d’araignées sur les coudes.

Nous nous sommes réconciliés sans problèmes et nous lui fîmes des adieux déchirant mais aussi hilarant. Le gros James avait une expression qu’il employait comme ultime provocation, il tétanisait son interlocuteur avec un « I fuck your dead grandmother! » Que l’on peut traduire dans ce contexte par  « N’insiste pas car voilà dont je suis capable ». Après de grandes embrassades sur le trottoir, montant dans notre taxi, Denis lui asséna un «  hé James, don’t forget to fuck your grandmother too !! »  Le gros James éclata de rire en rameutant la boutique « Guess what Déniss told me…. » On ne l’oubliera pas
Laurence voulait que lui soit réglé le loyer en liquide avant de partir. Cela n’était pas simple car nous ne pouvions retirer qu’une modique somme à chaque fois. Trois cents dollars pas plus et cela était aussi plafonné pour la semaine. Denis passait de distributeur en cash machine. Nos rapports ne se sont pas du tout détendu avec l’approche du départ. Elle dû donc se résigner à recevoir la fin du loyer par virement à notre retour. Il était temps de partir; l’ambiance était assez désagréable.
 Denis ne supportait plus le gros chat chafouin qui errait dans notre chambre. le matelas futon était assez bas pour le voir maculé de traces et de poils de la bête. La litière parfumait la cuisine. Il n’était pas dans nos obligations de la descendre de toute manière; et si Denis l’avait fait, il aurait descendu le chat avec.
Nous avons quitté la boutique avec nos affaires sans voir madame Fourrier. Pourtant il est d’usage de faire un point avec le donneur d’ordre avant de partir définitivement. Mais pour une raison inconnue, elle n’était pas là. Il s’en est suivi une engueulade mémorable de la part de Denis qui ne supporta pas le ton de reproche qu’elle eut au téléphone une fois arrivé à Paris. Puis tout s’arrangea comme à l’habitude.
 La boutique Ungaro sur Madison Avenue resta ouverte pendant Neuf ans. Elle laissa la place en 2010 à une autre enseigne de prêt à porter: Michael Kors.
Il est à noter une transformation extérieure de bon aloi concernant la façade. Le premier étage a été intégré au revêtement de carreaux blanc du rez de chaussée. La corniche fut replacée au dessus des fenêtres supérieures, ce qui élève la boutique, qui n’apparaissait pas si grande auparavant.

KORS 15


Dix ans après.




 

Article extrait d' "Itinéraire New Yorkais" 2020 chez l'auteur Paris

 

 

16 février 2021

L’ATELIER REESE


 Le discret atelier de la rue Durantin. Quartier des Abbesses Paris

rue du durantin

 
Si l’atelier d’artiste a toujours exercé une fascination pour un public averti, il suscite une certaine méfiance et aversion chez les adeptes de l’ordre et de l’hygiène bourgeoises.
Antre alchimique, il révèle l’outillage de la création en accumulant les scories des oeuvres échappées vers leurs destins. Il est habituel d’y attendre un amoncellement énigmatique qui apparaît comme un chaos pour le profane. Sans aller jusqu’aux excès de Lucian Freud ou Bacon, l’atelier, qu’il soit artisanal ou artistique, il subordonne si l’on peut dire, ses dispositions à sa destination. Il témoigne du travail à l’oeuvre.

bouquet reese

L’atelier du 41 rue Durantin s’ouvre sur un petit chemin sinueux entre des grandes tables sur tréteaux et des séries de toiles et panneaux apposés aux murs.
 Il y a des cadres en métal, des panneaux de toiles tendues couvertes d’acanthes, des grands châssis rythmés par de longues étagères pleines de livres, de pinceaux, de peintures et sculptures patinées. L’accumulation y est verticale et horizontale.
On y entre par une petite porte sur la rue qui ne laisse pas présager de la profondeur, qui s’étend sur trois niveaux séparés par de petits escaliers à trois marches…Une sorte de diverticule en micro mezzanine devant une verrière vous attire l’oeil au moment ou vous descendez dans la pièce principale. L’espace est comble, saturé, deux colonnes de métal accolées aux tables occupent le centre.

La lumière vient d’une ouverture zénithale à pans coupés.
Il n’y a que des circulations car il n’y a que des postes de « travail ». L’oeil s’y perd, la présence d’une armée d’ouvrages en cours oppresse.
On ne devient pas le meilleur atelier de peinture de France sans travail.


L’atelier suit au gré des travaux une fébrile activité qui s’achève par un déménagement qui le vide partiellement; comme un ressac, comme un poumon qui respire mais au fil des ans il reste en témoignage de campagnes glorieuses, bon nombre de trophées qui se greffent sur les murs et les étagères. L’atelier semble atteint d’une légère syllogomanie. C’est un lieu extraordinaire qui ne se visite pas. Il peut se fréquenter en invité, ce qui est un privilège.


 

Sebastien & Nicolas REESELes deux frères Reese ne sont associés que depuis 2006, bien que certains diront qu’ils se connaissent depuis l’enfance. Cela pourrait paraitre juste une formule à ceux qui ne comprennent pas les ressorts secrets des liens fraternels dans la confiance et le pardon. Leur affinité, leur goût et sensibilité aux choses de l’art naissent d’un creuset magique; un père australien, une mère anglaise qui se rencontrent à Rome, se marient à Paris et élèvent leurs enfants en Corse. Ils grandissent à l’ombre du meilleur des parrainages:  l’éducation éclectique entre les humanités françaises et la vibration italienne de la « cosa bella » L’équilibre entre le réel et l’idéal.
Voilà quinze ans d’activités couronnées de succès pourrait-on dire plus certainement.
Le succès fut présent dès les premiers engagements sur la scène de la décoration intérieure, succès secret, succès discret sans bruit qui s’étend dans un petit milieu privilégié. L’audience est restreinte mais internationale.
La peinture décorative est présente partout bien qu’invisible à l’oeil du public. C’est le nécéssaire inutile qui est le luxe du superflu comme disait Serge Royaux.
 Esthètes, collectionneurs, amateurs d’objets d’art demandent à leur environnement d’être un miroir réfléchissant leurs gouts. Tout est lié, de l’architecture aux arts plastiques, par le souci de l’écrin qui donne l’âme, l’esprit du lieu, le « genius loci » des « demeures de l’esprit » que certain se plaisent à inventorier avec talent.

L’atelier Reese atteint une maitrise de la peinture qui est loin de n’être que technique.

Mais le terme de peinture est à préciser. La peinture est d’intérieur comme le montre les grands décors monarchiques de 1670 / 1680 du château de Versailles. La peinture d’intérieur est aussi une peinture de chevalet, le chevalet est un outil d’atelier, la toile peut être marouflée et elle l’est le plus souvent pour les compositions les plus ardues. La distinction est donc illusoire et le terme « décorative » accolé à la peinture peut désigner Matisse comme Sert.

 

somewhere Toiles Nicolas
Au château de Versailles « Les sujets des tableaux et sculptures composant les décors étaient inclus dans des programmes iconographiques dont les sens est naturellement politique, dans la résidence du souverain, et dont le principe est la métaphore » écrit Nicolas Milovanovic. ( cf: Du Louvre a Versailles Lecture des grands décors Monarchiques N.Milovanovic  Belles Lettres 2005)

 Colbert concevait ces programmes et Le Brun les transposait en peinture. Certains étaient refusés pour des motifs généralement politiques, mais la liberté d’interprétation du peintre était grande. Les décorateurs d’aujourd’hui sont comme Colbert en son temps, des concepteurs de programmes métaphoriques allant dans le sens de la politique du client. Il se reconnait dans ces programmes plus qu’il ne les inspire. La liberté du peintre est à la mesure du discours évanescent du décorateur qui ne brille que par l’excellence du peintre qu’il emploie. C’est à ce point de création que le niveau général bascule dans l’excellence ou pas. Rubens a fait chuter Salomon de Brosse qui a été limogé car ils avaient un différent sur les arrivées de lumière dans la galerie Médicis. Le peintre peut supplanter l’architecte d’intérieur. Qui se souvient de la querelle entre Poussin et Le Mercier concernant les décors de la galerie du bords de l’eau au Louvre? Qui se souvient de Le Mercier? Le peintre est essentiel à la conception des décors, on peut le qualifier de maitre d’oeuvre du décor.  Il ne s’agit bien évidement pas des réalisations les plus courantes, nous parlons des travaux d’excellence. L’ensemble de la jolie peinture décorative ne rentre pas dans ces propos. L’atelier de Nicolas et Sébastien Reese a quitté il y a bien longtemps maintenant le gros du bataillon des peintres décorateurs, si bien fantasmé par Maylis de Kerangal, qui vont de l’école Van der Kellen à la Lascaux II. Les réalisations de l’atelier Reese sont un éventail qui propulse de l’air pur.

nico reese

 

 


L’ainé, Nicolas, peint et compose. La manière et le médium sont multiples, chaque repli de l’éventail est une spécialité atteinte avec maestria. Peinture à la touche et déliée alliant le trait et le coloris du dix-huitième siècle, ce ne sont pas des copies, pas des « à la manière de » ce sont, avec une vraie sensibilité d’époque qui donne toute la véracité aux ornements, de vrais originaux qui apparaissent.
Peinture à l’eau, peinture à la colle, aquarelle sur fond de calcaire, la subtilité des tons empêche le spectateur inattentif à l’oeil brouillé de voir la qualité des détails, la maitrise du pale dessin qui est l’armature sur laquelle repose la composition de Richard Mique qui n’a jamais fait de voyage dans le comté de Berkshire.



sebastien ReeseSébastien compose et peint. Il est complémentaire de la main du premier, il a l’oeil en couleur, il perçoit les subtilités du « Off White » et est capable de composer une harmonie albuginée pour la pièce maitresse du chef d’oeuvre de Sir Edwin Lutyens dans la Test Valley. Sebastien cadre et colore avec un sens de la lumière que ne renierait pas Sven Nykvist.
Nicolas a fait ses apprentissages à l’académie Charpentier et rue du Métal à Bruxelles, Sebastien lui a étudié le graphisme et la réalisation cinématographique, sa première production picturale montre des plans fixes en noir et blanc, transposition d’un temps suspendu qu’Hopper illustra en couleur.

 Nicolas lui visant les étoiles, s’étourdira dans ses premières oeuvres dans une voie lactée de grand format dont chaque étoile est une goutte d’eau peinte à la martre. Un labeur cosmique obsessionnel qu’il a quitté aujourd’hui pour une peinture personnelle qui fige le regard dans une poésie qui rendrait la macula désirable.


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Il y a derrière le sigle Reese studio ou Atelier Reese, le lecteur l’aura compris, bon nombre de possibilités comme avec des chapeaux cachettes. Les décors de l’architecture des grandes demeures rassemblent dans la production de l’atelier, les peintures sur toiles, les peintures sur boiseries, les peintures sur verre (ou plutôt sous verre, tant la technique est inversée, car c’est par l’envers que se trouve la vision du recto) et enfin les peintures sur soie comme par exemple pour la re-création de tissus d’ameublement du château de Versailles ainsi que les grandes compositions pour les appartements de monsieur Thierry de Ville d’Avray place de la concorde. Cette réhabilitation des décors comportait un double défi. Dans le Grand Cabinet, sur les neufs panneaux du XVIII ème siècle, il en manquait malheureusement cinq. Cinq grandes parcloses ( panneau vertical ) à réintégrer en motifs et couleurs. Qui pouvait se charger de ce travail d’orfèvre ?

gros de tours peint

 

L’atelier Reese sut réaliser une continuation des panneaux peints sur soie. Le résultat fut si impressionnant qu’une idée audacieuse vît le jour.
 La salle à manger privée de monsieur comportait un treillage de verdure avec des oiseaux exotiques imaginés par Alexis Peyrotte (1699 - 1769). Cette composition célèbre a disparu comme la plupart des oeuvres de ce grand peintre rocaille si célébré sous Louis XV. Ses peintures du cabinet du dauphin au château de Versailles ne sont connues que par des aquarelles, il en va de même des décors des châteaux de Crecy, de Choisy, de Sceaux qui ont été détruits. Seules subsistent les magnifiques peintures faites au château de Fontainebleau dans le cabinet du conseil du Roi.
Une description des panneaux de verdure de la salle à manger de monsieur de Ville d’Avray subsiste néanmoins aux Archives Nationales. Il s’agissait pour l’atelier Reese de concevoir sur soie un décor reprenant les éléments de Peyrotte. Les arabesques, les oiseaux exotiques, les fleurs et feuillages qui avaient fait la renommée de cette salle à manger, devaient renaître en toute simplicité. Mais s’il y a loin de la coupe aux lèvres, l’on peut affirmer que les fruits n’ont pas désespérés la promesse des fleurs. C’est encore un tour de force. Il faut le dire et le proclamer.

soie peinte reese


Renaître en toute « simplicité » est une formule agréable qui ne donne pas la mesure de la difficulté de l’entreprise. Les heures de travail, la dextérité viennent après la science de la composition. Comme pourrait le dire Sebastien Reese : « l’ordonnance, l’équilibre sont aux panneaux décoratifs ce qu’est un bon scénario pour un film … un préalable. »
Les appartements de monsieur Thierry de Ville d’Avray seront visibles par les amateurs. Des visites seront organisées et il faut espérer un dossier de presse aussi bien réalisé que celui édité pour l’ouverture des nouvelles salles du département des Objets d’Art de l’aile Sully du musée du Louvre en Juin 2014.

Ces compositions réalisées sur du gros de Tours avec feuillages et fleurs parmi lesquelles les oiseaux se cachent semblent avoir sauté les siècles. Le tout est si subtilement « vieilli » intégré dans l’harmonie générale qu’il en devient invisible par lui même. C’est ce qui stupéfie dans cette gageur. Personne n’aurait eu l’audace de s’y aventurer avec ce minimum de temps.
Cette réalisation est d’une si impressionnante qualité qu’il n’est pas pensable de ne pas les distinguer comme « créations » authentiques.
Les créateurs doivent être cités et célébrés.


La décoration intérieure se nourrit de restauration ainsi que de restitution. Le dégagement stratigraphique des surfaces repeintes laissent apparaitre le décor dit de premier état. Celui que l’on se doit de mettre au jour. Le scalpel chirurgical est donc le seul outil pour enlever les strates et conserver le décor original. Le dégagement est donc toujours « mécanique » et non chimique. Les parties dégagées sont restaurées, les parties pas trop détériorées sont « restituées »  Les parties manquantes, disparues ou jamais réalisées sont donc re-créées. Pour réussir ce tour de force, la ré-création, il faut une dextérité peu répandue. Le risque de basculement dans le vrai pastiche est immense; s’attaquer à des panneaux décoratifs en ayant la main de François Joseph Belanger par exemple, est un coup de maitre.

C’est donc patiemment que la réputation d’un atelier émerge. L’éclectisme des compétences, la faculté de relever des défis, la gestion d’équipe pour les grands travaux à l’étranger donnent aux donneurs d’ordre et commanditaires une confiance qu’un seul faux pas fait disparaitre. Aller réaliser des peintures in situ demande une préparation, une souplesse qui se doivent d’être au niveau des interventions. Le studio Reese ne peut égrener les interventions sans faire tourner la tête d’un Phileas Fogg: Los Angeles, Miami, Manhattan, Brooklyn, Londres; Hampshire, Suffolk, Jersey, Vienne, Florence, Lisbonne, Genève, Bâle, Ankara, Moscou, Sidney,

dressing Reese


Le verre devient une spécialité du studio Reese. Peindre sur verre parait être un gage de pérennité en ce qui concerne la peinture et la finition glacée mais le support disparait lui très facilement, ce qui équilibre les choses. La réalisation de motifs décoratifs sous verre comme ceux inspirés de William Morris se doivent d’être à la hauteur du métal précieux qui les protège, le palladium plus cher que l’or. La technique nous l’avons dit, est inversée. Les détails se réalisent en premier jet puis viennent en couches consécutives les différents éléments jusqu’au fond qui masqueront l’ensemble. La technique est la même avec les créations contemporaines. Le studio a réalisé une sorte de « chef d’oeuvre »  pour françois Champsaur: une mer d’indigo se noyant dans sa dilution vers le ciel du matin. Les reflets glacés font de cet Himalaya technique un objet précieux qui réchauffe l’esprit. La poésie s’écrit aussi avec de la peinture à l’huile extra fine.

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Après ces incursions dans les marges, la création peut s’affirmer par un chemin vierge de toutes traces. Sebastien et Nicolas Reese surprennent et déstabilisent le petit monde de la décoration peinte, phagocytée par les antiquaires où ils avaient leurs entrées. Ils deviennent créateurs de miroirs. Ils fabriquent à partir de vitres faites à la main, coulées sur table ( L’encyclopédie nous dit: C’est un procédé qui consiste à mélanger la silice avec des fondants comme de la chaux ou de la soude. L'objectif étant de rabaisser la température. Après ajout de l'eau et du calcin, le mélange est porté à une température de 1 550 degrés.)
Le verre est irrégulier. Il a des vagues et miroite sans le savoir. Le fond le révélera à la lumière qui pour l’instant le transperce.

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C’est avec ces matériaux que le miroir Reese qui pourrait s’appeler le miroir « sorcier » voit le jour. La découpe, le cadre d’acier, la peinture, les nuances en font un objet magique qui renvoie plus de mystère que de reflets.

Ces créations s’exposent jusqu’à Los Angeles grâce à la Galerie Carole Decombe. Les amateurs commencent à converger, ils seront légions quand l’ordre leur sera donné par la presse spécialisée et que les Reese seront hors de prix pour eux, c’est la fatalité des mouvements grégaires dans le monde du marché de l’art. Avoir un « Acamas » sera une gloire alors que cela est une émotion actuellement. Les formes sont importantes, elles se posent sur le mur qu’elles rejettent loin derrière. Le sujet se place devant le miroir c’est un réflexe de narcisse immémorial mais le reflet vous trahit, votre double vous abandonne, il n’y a que votre aura ectoplasmique qui vous saisit en libérant votre esprit, c’est ainsi que nait l’émotion.
Les commandes viennent de la partie éclairée par les sommets. Ils puisent dans l’obscur anonymat des créateurs les pépites qui éclairent leur travail de décoration. La lumière peut venir de la main qui les choisit, espérons le pour le Reese studio qui réitère ses ventes auprès de Michael S. Smith, qui a su embellir les intérieurs de Cindy Crawford ou Dustin Hoffman avant de décorer les appartements privés du couple Obama à la Maison Blanche.

Michael comme il se présente lui même, chasse en Europe et propose dans son « Jasper Showroom » de Los Angeles les objets qui rentrent dans son vocabulaire décoratif en offrant un choix, sans précédant dans le monde du Design, d’oeuvres toujours nouvelles et en évolution, avec toujours l’idée sous jacente que tout le monde devrait vivre avec les objets qu’il aime.

Pour Nicolas et Sebastien Reese le futur est proche. C’est un glissement vers une personnification de la création qui fera tomber les paravents occultant leurs travaux.

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 La peinture toujours à l’oeuvre ( L’exposition à la galerie Decombe l’année dernière )  Les  créations de miroirs ( exposition Zeugma 1 et Zeugma 2 *)  Les géants commandés par Michael S. Smith s’inscrivent dans la durée.

soie peinte reese


L’actualité de l’Atelier est l’ouverture prochaine de l’Hôtel de la Marine avec la visite des appartements de l’intendant au son du « confident » sur les oreilles (pour ceux qui ne le savent pas encore, il s’agit d’un casque connecté).
Découvrir l’atmosphère du XVIII ème siècle restituée sera le point d’orgue du parcours.
L’Hôtel du Garde Meuble anciennement ministère de la Marine, a été très peu ouvert au public. Après trois ans de fermeture, l’ouverture d’un des plus beaux balcons de Paris sera un événement. L’atelier Reese en fait partie et pour sa meilleure part.



balcon concorde


Les visites des appartements sont déjà ouvertes à la réservation sur le site de l’Hôtel de la Marine.
https://www.hotel-de-la-marine.paris

 

* Zeugma 1 & Zeugma 2: Exposition de miroirs Reese à la galerie Carole Decombe à Paris Rue de Lille.

 

 

 

 

31 janvier 2021

A QUI EST DEPUIS LONGTEMPS CONFINÉ DANS LA VILLE

TO ONE WHO HAS BEEN LONG IN CITY PENT

 

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A qui est depuis longtemps confiné dans la ville,

Il est fort doux de perdre son regard

Dans le beau visage ouvert du ciel - d'exaler une prière

En plein sourire du bleu firmament.

Qui serait plus heureux, lorsque le coeur comblé,

D'herbes onduleuses, et lit une courtoise

Et douce histoire sur l'amour et ses peines?

Rentrant au logis, le soir, l'oreille attentive

Aux plaintes de Philomèle, et l'oeil

Épousant la course d'un petit nuage brillant qui passe,

Il se lamente qu'un tel jour ait pu si vite s'enfuir,

S'enfuir comme une lame répandue pr un ange

Qui tombe dans la tranparence de l'éther, silencieusement.

***

 

To one who has been long city pent,

'Tis very sweet to look into the fair

And open face of heaven- to breathe a prayer

Full in the smile of the blue firmament.

Who is more happy, when, with heart's content,

Fatigued he sinks into some pleasent lair

Of wavy grass, and reads a debonair

And gentle tale of love and languishment?

Returning home at evening, with an ear

Catching the notes of Philomel, - an eye

Watching the sailing cloudlet's bright career,

He mourns that day so soon has glided by:

E'en like the passage of an angel's tear

That falls through the clear ether silently.

 

John Keats         Juin 1816

 

 

 

7 juin 2020

Soul of MALAYSIA

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« Dès le premier soir où nous nous sommes donnés à la mer. Elle s’étalait sous le ciel sans lune, noire avec un liséré blanc. Mais nos pieds en la touchant soulevèrent des étincelles: l’eau était pleine d’une poussière phosphorescente et si tiède qu’on s’y sentait pas pénétrer, mais seulement devenir plus léger. Je caressais de la main la surface polie de ses ondulations pour la voir s’argenter comme un cousin de velours. Je me redressais, et sur mes épaules coulaient des rivières de diamants. Je ne me lassais pas de ce jeu. Rolain, qui m’avait devancé avec les jeunes malais, m’appela. En nageant pour les rejoindre, je vis mon corps tout enveloppé d’un halo, transfiguré, radieux, le corps d’un ange. J’évoluais sans effort comme on flotte dans les rêves, et je traçais une belle voie lactée. Autour de moi d’autres êtres séraphiques tiraient du néant des nébuleuses. Si maintenant je mourrais, pensais-je, il n’y aurait pas de différence, je continuerais à nager dans un univers où des millions de mondes naissent et meurent… »

Voilà qui semble être une expérience de conscience parallèle, de rêve éveillé digne des visions extra lucides des adeptes du Grand Jeu.
Magnétisé par Roger Gilbert-Lecomte, lui même fasciné par la Stryge, le Jeu "simpliste" entraînera ses amis Daumal et Vaillant dans une spirale poétique où la notion d’"illusio" devient un moteur de voyance. Henri Fauconnier lui à la même période décrit non son rêve mais une sensation réelle, physique et naturelle car vécue: Il nage dans la lumière. Il rentre dans le corps d’un ange.


Le plancton luminescent est une expérience. Petites lumières dans l’eau d’un bain de minuit sous les tropiques ou formidable aventure dans les eaux noires d’un des Cayos du Belize. J’ai nagé dans des cathédrales lumineuses, mes palmes soulevaient des lucioles de braise. Autour de moi descendaient des processions de milliards de lumière qui disparaissaient dans le gouffre au dessus duquel je nageais. Les bulles rejetées par mon détendeur se mêlaient à des points de lumière verte pâle. J’ai vu les rivières de diamant glissées le long de mes jambes gainées de néoprène.
Fauconnier sans fournir les clefs de son expérience replace cette évocation dans la poésie qui imprègne l’ouvrage. Les Pantouns malais forment une toile de fond, une armature secrète d’autant plus forte que ces petits poème en incipit des chapitres comme dans le corps de texte ne sont pas traduit dans l’édition du Goncourt.

Les souvenirs accumulés d’une vie en complète rupture avec la vie régulière et réglementé de la métropole transforme son unique « roman » en une oraison poétique. Décalage avec une morale sociale, un guide de comportement qui était en 1900 extrêmement tenu. Carcan des esprits et des corps issue de la morale bourgeoise dévoyée, elle même succédanée abâtardie de l’ancien régime. Le choc des mondes est ici augmenté par le fracas de batailles de tranchées. Revenu de la guerre, Lescale retrouve par un hasard heureux et espéré, l’énigmatique Rolain. Soldat égaré avec lequel il s’était retrouvé dans un trou d’obus. « Rencontre fortuite au soir d’un jour de massacre. »

 

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La Malaisie est pour lui un rêve évoqué dans le froid et les ténèbres par cet ainé qui y avait vécu dix ans. Il lui parle «  de pays lointains qu’il avait connus, d’une vie large et libre sous les grandes forêts équatoriales ». L’attrait de l’ailleurs sous les grand cieux de la troposphère là où les cumulus montent plus haut en grandissant le ciel. Là où la nature dévorante se gorge de soleil de pluie lavant l’homme de son obligation de la contraindre pour survivre. Henri Fauconnier est l’homme d’un seul livre. Il y a dans ce roman, couronné par le prix Goncourt en 1930, un sens ésotérique qui distille ses secrets comme un précipité de Nature. La forme et le fond sont si bien imbriqués que le livre ne vieillit pas. Il est en 2020 d’une fraicheur intacte. L’attrait des iles, l’aspiration à l’aventure qu’inspiraient les colonies sont un sentiment lié à l’appel de la route qui existe encore pour certain. L’empire n’est plus mais les chemins de traverse sont encore là pour ceux qui ont soif de lointain. La lecture de Fauconnier ravive un sang chaud juvénile que les Pantouns tempèrent par la poésie de l’amour.
Le Pantoun malais est peu connu en France bien qu’il soit l’objet depuis longtemps d’études et d’admiration. Petits poèmes courts, récités ou improvisés, le Patoun est malléable pour l’instant, son sens peut être tourné et détourné, suivant le contexte ou les circonstances. Il parle d’amour, de joie ou de peine, il est obscur ou ironique mais toujours lié à la culture et à la tradition Malaise. Comme les Haïkus ou les petits sonnets songeurs de la Renaissance mais surtout comme les Tankas japonais qui en ont la brièveté, les Pantouns sont une des formes majeures de la poésie mondiale.

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 Dans « Malaisie » les quatre parties commencent chacune par un Pantoun non traduit. La page de titre comporte aussi un vers ou le mot pantun se répète.
«  Les Malais ont aussi eu leur trois couches: animiste, hindouisme, islam » Pour Fauconnier «  les chrétiens sont des païens badigeonnés de judaïsme et de christianisme.. »; «  La vie des Malais se passe à essayer de ne pas marcher sur le pied invisible de quelques divinité »
La poésie est une forme de conjuration qui soustrait à la pesanteur des jours le fatum qui les positionne comme des jouets dans la main des dieux.

Lescale sent la présence des esprits lorsqu’il rentre dans la grande forêt humide. « A mesure que nous avancions dans les profondeurs de la jungle, ma première impression s’accentuait. Je ne voyais aucun être vivant, et pourtant je me sentais au coeur même d’une vie intense. Anomalie si saisissante que je comprenais mieux maintenant pourquoi les vieilles légendes ont peuplé les forêts d’êtres invisibles ou dont l’existence fait corps avec celle des plantes. Et comme le jour commençait à tomber je devinais que les présences mystérieuses allaient devenir plus réelles et nous enserrer de plus près avec l’ombre. »

Pourquoi lors de sa parution, Henri Fauconnier trouva-t-il judicieux de ne pas traduire les petits vers en ouverture des quatre chapitres? Avait-il besoin d’expliquer la chose ? Devait-il faire le conférencier, écrivait-il un guide didactique? Non, revenu en Malaisie lors d'une  permission en 1917 pendant la guerre. Il y fait encore de nombreux voyages après la fin du conflit alors qu'il s’installe avec sa famille en Tunisie en 1925. Il écrit en 1930 son seul roman et remporte le prix Goncourt. Il n’entre pas en littérature, il se veut épistolier. Malaisie est une ode à une certaine jeunesse, un certain éden, ce n’est pas autobiographique, c’est une sorte de mise en lumière d’une sensation rentrée en lui qui ne le quittera pas malgré la vie de famille, la vie mondaine et sociale. C’est une clairière dans l’épaisseur touffus des jours, une clairière qu’il ouvre avec le Pantoun et la sensualité du souvenir.

 Le narrateur Lescale, L’énigmatique planteur, Rolain qui ne parle que des idées jamais de fait. La vie nu au soleil, « on s’habitue aussi facilement à la nudité qu’aux accoutrements ridicules, car au fond rien n’est ridicule - si ce n’est la peur de l’être, notre simiesque attachement à la mode » le panthéisme laïque, «  l’ascension de ces montagnes célestes qui depuis des heures planaient sur notre avance et maintenant s’abaissaient lentement pour nous accueillir »,  la douce et caressante Palaniaï qui l’apercevant « détournait la tête ou se cachait à moitié le visage, mais laissait paraître un sein négligent… »

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Il vibre à l'unisson du peuple et du pays. S'impregne de la langue malaise qu'il maitrise et fait de ses serviteurs Smaïl ou Ngah, un danseur, conteur et enchanteur venu du fond de la péninsule traditionnelle, affiné par des générations de poètes. Cela semble décrire un songe qui repose sur des faits vécus, ressentis dans la monotone dureté des jours dans les plantation d’Hévéas. Fauconnier aime le pays et ses habitants mais il fait du négoce. La beauté est dehors il s’échappe par la fenêtre sans vitre de la grande paillote.
C’est « Le voyage » ou la conquête d’une liberté intérieure qui résonne comme une adoration au soleil, à la mer, au corps libéré de ces entraves occidentales.

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 Ce n’est que dans la dernière partie intitulée « Amok » que l’on aura quelques bribes d’une vie quotidienne passée à gérer une plantation avec toutes les préoccupations d’un entrepreneur en terre indigène..C’est peine effleuré que le drame surgit, la présence de la guerre renait, le mystère malais de déroule en deux phases:  «  C’est Pa Daoud, le Pawang, un grand sorcier.. » qui entraine la maison dans une nuit d’exorcisme .. « Je me souviens de cette nuit comme d’une veillée mortuaire, coupée de pertes de conscience, et quand j’émergeais de ces torpeurs épaisses c’était pour entrer dans l’hallucination » …Puis c’est le cri « Amok! » «  Car on sait que l’amok, dès qu’il a vu le sang couler, n’épargnera personne, ni amis, ni enfants, parents. » Le Kriss rouillé à soif ..le sang l’appelle. Le sang coulera. La boucle se referme sur une nouvelle projection, la vie décrite  à la maison des Palmes s’arrête pour se reprendre d’une autre manière. Fauconnier ferme son livre sur son sommeil … « maintenant tu dors …tu dors… » Le rêve est une seconde vie comme nous enseigne le poète. Le soleil d’une jeunesse ivre d’un rêve éveillé se transmute en un songe couché sur le papier. Le dernier pantoum non traduit est un signe caché:

Kalau tuan mudek ka-ulu


charikan sahaya bunga kemoja


Kalau tuan mati dahulu


nantikan sahaya di-pintu shurga



La réédition de Malaisie en 1996 comportera les traductions des pantouns faites en 1954 par Henri Fauconnier. L’excellent article de Jean Claude Trutt paru en mars 2013 nous met en perspective les traductions de Fauconnier ainsi qu’une très intéressante direction d’explication du contexte.


Voici la traduction de celui précédemment cité:

Si tu vas vers les sources du fleuve
Cueille pour moi la fleur frangipane
Si tu meurs avant moi
Attends-moi à la porte du ciel



Le pantoum de la page d’ouverture comporte comme on l’a dit deux fois le mot Pantun
le voici avec se traduction:


Pantun sahaya pantun kelam


Kalau ta-tahu jangjan di-sindir


Mes chants sont des chants occultes
Si ne comprenez n'en soyez offensé

Traduction H Fauconnier 1954

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Pantum du chapitre Planteur :

Jikalau tidak kama bintan

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masakan bulan terbit tinggi


Jikalau tidak kama abang


masakan datang adek k-mari


Si ce n'est pour les étoiles
Pourquoi la lune brillerait-elle au ciel?
Si ce n'est pour son aîné
Pourquoi le cadet serait-il venu?

 

Voilà un livre à lire en écoutant la musique d'Edgar Froese "Epsilon in Malaysia"

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27 mars 2020

Reflexion sur une CUP OF TEA

 

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Hight in the sky, what do you see?
Flying saucer, flying teacup
From outer space, flying teapot

Haut dans le ciel, que vois tu?
Soucoupe volante, tasse de thé volante
 Venant de l’espace, théière volante


Ce couplet clôt le morceau de musique de 12 minutes 30 appelé « Flying Teapot ».
 Composé par Daevid Allen et Francis Moze en 1973, il fut une géniale tentative de mélange de rythmes.

Jazz fusionnant avec du rock, insérés dans des boucles répétitives de claviers synthétisés. Musique dite « psychédélique » ou « progressive » La voix susurrée de David Allen agissant comme une sorte de Mantra, n’en était que plus hypnotique grâce à la scansion de la basse de Moze.
Nous écoutions Gong en 1975 dans une sorte d’évaporation fumeuse de l’esprit ..Les Gnomes dessinés par Allen lui même, sur les grandes pochettes de disque, la théière avec ses petites hélices tournant sur son couvercle m’enchantaient.
Je n’avais jamais entendu parlé de la théière de Russell.
Le traditionnel thé et sa pansue théière me suffisait comme dépaysement anglais. L’histoire de David Allen est intéressante, nous y reviendront peut être.

 Bertrand Russell est un personnage considérable qui dépasse de bien loin sa fameuse théière volante qui fut une source d’inspiration patophysico-dadaïste pour Allen.
Son autobiographie parue en trois volumes ( Paris Belles Lettres) couvre les années allant de 1872 à 1914 puis de 1914 à 1944, pour se terminer en 1967, date de la parution de l’ouvrage. Russell est mort de la grippe en 1970 à l’âge de 97 ans.
 

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Bertrand Arthur William Russell 3eme Comte de Russell est un auteur extrêmement important pour l’histoire des idées. Il est le père de la philosophie analytique; on le qualifie de mathématicien, de logicien, d’épistémologiste comme de moraliste. Il s’engage en politique et publie de nombreux ouvrages lui amenant le prix Nobel de littérature en 1950. Il est assez connu pour le paradoxe qui porte son nom. Une antinomie de la théorie des ensembles qui est amusante à formuler à la compréhension des lecteurs, en deux propositions.
Il faut se souvenir que les « maths modernes »  fut une nouvelle discipline enseignée en classe dans les années soixante dix. (  cf: Commission Lichnerowicz 1967-) J’étais très heureux de dessiner des formes rondes ou ovales, de faire des flèches, des inclusions ; cela m’était beaucoup plus facile que le calcul mental..Les chiffres étant une nébuleuse sans fixation pour ma mémoire.
Le paradoxe de Russell s’énonce une première fois par cette question: L’ensemble des ensembles n’appartenant pas à eux mêmes appartient-il à lui même? Si la réponse est affirmative, l’ensemble étant constitué d’ensembles n’appartenant pas eux mêmes par définition, ne s’appartient donc pas à lui même. Si la réponse est négative, il peut s’appartenir à lui même mais contradiction ! Car …c’est l’ensemble des ensembles qui ne s’appartiennent pas eux mêmes.
Théorisé en formule mathématique cela s’écrit : y = { x / x ¢ x  }
Le paradoxe s’énonce une deuxième fois avec une formulation plus littéraire, plus « imagée » : Un barbier est réquisitionné pour raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux même, et seulement ceux là.

Doit-il se raser lui même? ….
Pour sortir de ce dilemme le barbier ne doit pas exister ! ..ou être une femme, donc ce n’est pas Un barbier.
Ce paradoxe est également décrit par la question de Burali Forti :
Un bibliothécaire en classant des annuaires s'aperçut que certains se mentionnaient eux-mêmes et d'autres pas. Il décida de créer deux nouveaux annuaires :  le Répertoire A de ceux qui se mentionnent eux-mêmes. Puis le répertoire B  de ceux qui ne se mentionnent pas eux-mêmes.
 En compulsant le répertoire B, il se demanda où cet annuaire devait être mentionné ?…
Les mathématiques s’en amusent par de grands énoncés de déduction logique …mais cela nous éloigne de la planète Gong.

 

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Daevid Allen  1938 - 2015


Daevid Allen sans le mentionner aucunement sur le disque de 1973, se prend d’affection pour la théière volante de Russell. Je notais précédemment la biographie de Bertrand Russell comme un conseil de lecture discret, je pourrais faire de même avec celle de Daevid Allen ( petit rappel :  Allen est un guitariste, musicien pataphysicien australien, ayant vécu en France notamment et fondateur du Soft Machine comme du groupe Gong. ) Mais les deux volumes de sa biographies appelées  « Gong Dreaming »  ( Gong Dreaming 1 : From Soft Machine to Gong et Gong Dreaming 2 : The Histories & Mysteries of Gong from 1969 - 1975) sont uniquement vendu d’occasion pour les sommes respectives de 493,37 € pour l’un et de 489,41€ pour l’autre!! Je n’ai pas eu la possibilité de les compulser ..Je ne les ai même jamais vu en librairie.  Daevid Allen par sa musique et son inspiration atypique, nous emmène jusqu’à Terry Riley et John Zorn ..(Ceci serait intéressant à développer. Nous y reviendrons peut être. )
Mais avec cette théière que l’on retrouve chargée des Pot Head Pixies du groupe Gong que veut nous dire Russell?


Russell procède par analogie pour exprimer la défiance qu’il avait face à l’existence de Dieu. La religion pour lui ne se comprenait qu’avec « l’émotion mystique » qui est,  écrit-il, un moteur de grande valeur pour les civilisations, mais l’obscurantisme inhérentes aux croyances en est un frein tout aussi puissant. Athée, il renverse la proposition de la réfutation de l’existence de Dieu en postulant son existence et en incombant aux croyants la charge de la preuve. Pour ce faire, il explique qu’une théière de porcelaine volante tourne autour du Soleil et de la planète Mars ne peut être vue ..même par de puissants télescopes car son orbite elliptique serait caché à la vue de la Terre. Demander de croire à cette théière par le simple fait qu’une réfutation n’est pas possible est pour lui la preuve de la difficulté inhérente des croyances en un Dieu.
 Pour le croyant comme David Allen, la théière existe ( il l’a vu ainsi que ceux qui l’habite) pour les autres, ils n’y croient pas ..alors qu’ils devraient raisonnablement n’être qu’agnostiques! Personne ne peut prouver son existence …n’y la réfuter!  (Ce qui est affirmé sans preuve, peut être nié sans preuve disait Euclide)
Pour certains cela nous rapprocherait du rasoir d’Ockham ! …Après le barbier cela pourrait sembler faire une boucle; hé bien pas du tout ! Cela étaye et consolide ce qui vous semble être une espèce de plaisanterie. Mais Guillaume d’Okham , le « venerabilis inceptor » n’est pas un facétieux, il est comme Russell, philosophe logicien mais aussi Franciscain et théologien  …et son rasoir tranche entre différents modèles donnés…il applique le principe de simplicité ou de parcimonie quelque fois appelé d’économie …pourquoi faire compliqué lorsque l’on peut faire simple (attention pas simpliste )  «  Il est inutile d’accomplir par un plus grand nombre de moyens ce qu’un nombre moindre de moyens suffire à produire »    Aristarque, Kepler, Galilée et Copernic utilisent ce principe de simplicité …Russell aussi. Les grandes interrogations métaphysiques sont des labyrinthes que le rasoir découpe en une alternative simple :
J’y crois mais ne peux le prouver. Ça n’existe pas mais je ne peux pas le prouver.
Donc conviction intime qui nous amène à, soit s’intéresser à la religion comme fait social et civilisationnel, soit à Dieu. La théière suscita bien des commentaires depuis 1952 et même des fuites en avant dans la sphère occidentale de la désaffection des religions issues de la chrétienté:  La Licorne rose invisible ( IPU), le Pastafarisme ( Flying Spaghetti Monster) d’Oregon, la Iglésia Patolica madrilène ou la Church of SubGenius.  
 

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IPU

The Invisible Pink Unicorn ( la Licorne rose invisible ) apparu en 1990 via Internet, est une religion élaborée avec cohérence, basée sur des principes de logique et de foi n’excluant pas le mystère. Elle se trouve étoffée petit à petit par des rites et une hiérarchie de grands prêtres. "Les licornes roses sont des être à fort pouvoir spirituel"  nous renseigne Serah Eley l’auteur du manifeste IPU ( auparavant appelé Steve Elay mais il aurait décidé en 2015 de devenir une femme!)…".Nous savons qu’elles sont roses sur la seule base de notre foi et nous savons qu’elles sont invisibles d’après la logique parce que nous ne la voyons pas »
Le manifeste est perdu …malheureusement; comme le sont les tablettes d’or de John Smith; le fondateur des mormons; "L’église de Jésus Christ des Saints des derniers jours"  Il les auraient restituées à l’ange Moroni qui les lui avait pourtant apporté en 1827.
 L’objectif non dissimulé de cette religion de la Licorne rose invisible est de signifier les failles de l’argumentation sur l’existence de Dieu. Montrant que cette croyance en des Licornes Roses qui disparaissent lorsque l'on veut les voir, n’est pas plus absurde que les croyances établies par les religions révélées :Juives, Catholiques Orthodoxes  Protestantes et les différentes chapelles de l’Islam. Elles qui ne découlent que d’un tronc commun paléo-juif élaboré depuis des siècles sont ancrées comme des vérités de foi et de logiques. Leurs variantes suscitent depuis de nombreux siècles commentaires de commentaires, exégèse et spéculations, création de dogmes, de mystères, de sacré, d’interdits, de lois, de prescriptions alimentaires et sexuelles extrêmement élaborés. La philosophie s’en sert, le mysticisme s’y épanoui, la raison s’y confronte, la science s’en dégage.

 

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La religion intéresse aussi la sociologie. Il suffit d’édifier un corpus avec une organisation sérieuse et le IPU ( Invisible Pink Unicorn) pourrait devenir à l’instar de l’église Kimbanguiste fondée en 1921 au Congo Belge ou du Caodaïsme fondé en Cochichine en 1925, une vraie religion avec ses temples, églises, pèlerinage et foule de croyants…
Mais s’il y a un mouvement qui est lancé ici, c’est plutôt dans la création de nouvelles églises qui par un grand rire libérateur provoque chez leur adeptes un sentiment d’euphorie. Ils ont rempli le vide laissé par la disparition de la crainte de Dieu dans les sociétés à solidarité organique, comme le dirait Durkheim ! Le IPU peut-il fonder une religion exportable?  L’église Patolica espagnole est-elle une dégénérescence de la movida? Le Pastafarisme est il une branche du Rastafarisme?
 

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Symbole du Pastafarisme



 Qu’est ce que le Pastafarisme? Mais c’est simplement la religion du Flying Spaghetti Monster élaboré en 2005 par B. Henderson, un physicien de l’état d’Oregon aux Etats Unis. Un monstre invisible (et indétectable) en forme de spaghetti volant aurait créé l’univers, mais ayant trop bu sa création n’est pas parfaite. Les premiers Pastafariens furent les Pirates ! Oui..Mais ils ont pratiquement disparu depuis 1800 ce qui a induit le réchauffement climatique et les catastrophes climatiques tels les ouragans.

Hendersen élabore sciemment une corrélation en ces deux faits en y incluant une causalité indémontrable mais aussi irréfutable car ses arguments sont les agissements du monstre invisible spaghetti qui se venge de la disparition de ses adeptes. Il avance "la preuve" en 2005 en montrant que la Somalie a le plus bas taux du monde d’émission de Co2, de méthane et d’hydrocarbures halogénés car elle possède la plus grande concentration existante de pirates dans ses eaux territoriales.
  Cela est à rapprocher de bien des discours de nombreux télé-évangélistes américains qui comme le fait ici Hendersen, fonctionnent dans leurs discours en associant la dévotion des fidèles aux bienfaits de Dieu sur la collectivité et inversement. (corrélation / causalité)
C’est le dessein intelligent ( Intelligent design), ce créationnisme pseudo scientifique qui est ciblé par Bobby Hendersen. En tant que de physicien, il ne peut supporter l’audience que cette dérive acquière dans la science de l’Univers.
En 2007 en Floride, les Pastafariens demandèrent un temps égal d’enseignement à celui du Dessein Intelligent qui était envisagé par certains de ces adeptes comme pouvant étayer ( et contrer) les théories de l’évolution enseignées à la faculté…Ce fut une belle polémique qui éclaira d’un jour nouveau l’imprégnation de la religion évangélique dans certaines sphères publiques.
 En 2016 les Pays-Bas reconnaissent le Pastafarisme comme religion. En 2017 Taïwan aussi.

 

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le panthéon caodaïste

 
J’ai évoqué précédemment le vide laissé par l’absence de la crainte de Dieu. C’est une formule bien sur, mais néanmoins l’on peut y voir un phénomène qui a été souvent étudié. La désaffection religieuse en Europe est actée depuis le début du siècle dernier. Les grands soubresauts qu’a connu l’église catholique romaine du tournant moderniste jusqu’au déficit d’image lié aux affaires scandaleuses aussi bien financières que morales, vident les églises. Les sociétés religieuses prospèrent ailleurs. Le monde Orthodoxe se raffermit sur ses terres ancestrales, l’Islam se voit comme un universalisme qui aurait les moyens de son ambition (même en Europe), les Évangélistes sont à la conquête des nouveaux territoires intérieurs comme extérieurs …L’Afrique se laisse tenter. Dieu n’est pas mort; il est comme le phoenix, sans arrêt réinventé par l’homme qui en a besoin comme d’un totem. Le totémisme étant la religion la plus simple. Comme le cerveau reptilien est sous jacent au neo-cortex, le totemisme est l’ombre du besoin de Dieu qui ne peut pas disparaitre. Chacun possède une disponibilité, une sensibilité au spirituel. Cela fait de vous un être religieux suivant vos dispositions sur une échelle allant du rationaliste athée pur et dur qui ignore ses petites manies rassurantes cachées dans ses petits rituels de la vie quotidienne au chaman illuminé ( assez près du mystique reclus ailleurs..) Il y a des religions sans Dieu ( Boudhisme Jainisme….) ..Il y a des Dieux sans religion  ( Gaïa, Mac Intosh….) Il est nécessaire d’avoir une croyance commune pour créer une société.  La religion traditionnelle ( avec ses transcendance, ses mystères et son surnaturel ) se trouve malmené par les enseignements de la science qui favorisent l’épanouissement du rationalisme et de l’individualisme critique. L’essence de la religion est la division du monde entre phénomènes sacrés et profanes: « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est a dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée église, tous ceux qui y adhèrent » (Les formes élémentaires de la vie religieuse d’Emile Durkheim 1912  CNRS Ed 2007-)
Que se passe-t-il lorsque la religion traditionnelle ne répond plus aux exigences de l’esprit scientifique qui façonne la société moderne individualiste critique? Durkheim pose les bases d’une grande discussion jamais terminée qui à le mérite comme l’interrogation sur le sexe des anges de ne pas douter des anges. Si la religion n’était que la transfiguration de la société? ..Si les hommes n’avaient jamais rien adoré d’autre que leur propre société?
« D’une manière général, il n’est pas douteux qu’une société à tout ce qu’il faut pour éveiller dans les esprits, par la seule action qu’elle exerce sur eux, la sensation du divin; car elle est a ses membres ce qu’un dieu est à ses fidèles . » (idid)   Durkheim prend ainsi l’exemple du culte de l’être suprême durant la Revolution Française : « Cette aptitude de la société à s’ériger en dieu ou à créer des dieux ne fut nul part plus visible que pendant les premières années de la Révolution. a ce moment, en effet sous l’influence de l’enthousiasme général, des choses, purement laïques par nature, furent transformées par l’opinion publique en choses sacrées: c’est la Patrie, la Liberté, la Raison… »      ( Ibid :Cité par Raymond Aron Les étapes de la pensées sociologique .1967 tel Gall 2002.)

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Hors que voyons-nous se dessiner dans l’hémisphère occidental? Un immense mouvement pour la préservation de la planète, la Gaïa des anciens grecs, la déesse mère, la déesse chthonienne qui revenue en 1970 avec James Lovelock est érigée en nouveau Dieu.
Une religion de la matière vivante qu’est notre planète, une religion de ses resources, de son climat. Une religion de la survie de la Terre comme un paradis à gagner pour les générations suivantes. Une religion où l’homme doit devenir le « «Katechon », le grand retardateur de la fin des temps car il est aussi l’ « Aufbrecher »  ( l’accélérateur de destruction) si l’on reprend la formule de Carl Schmitt. Les sept milliards d’individus devenant un programme de destruction en soi. La nouvelle religion demande un engagement total contre les sceptiques, les incroyants, les négationnistes; les capitalistes pollueurs, les consommateurs irresponsables et le gâchis consumériste.
Il y a d’abord notre civilisation de l’abondance à réformer politiquement et économiquement puis changer l’organisation mondiale des sociétés de la planète…même les plus économiquement retardées, passer de la disette à l’autosuffisance dans la liberté.…Rien que ça  !.
Mais le religieux s’en mêle et s'en est toujours mélé, des églises se créées naturellement .
Même si le changement climatique est un phénomène naturel, il est aujourd’hui anthropique ( cf:  FM Bréon  Directeur adjoint du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de l’Institut Pierre mon Laplace. Causeur Mars 2019 p52))

Anthropique, c’est à dire de cause essentiellement humaine, le changement climatique peut être limité mais au prix de modifications de société considérables! Alors tous chez Extinction Rébellion ?
L’amour de Gaïa nous entraine dans un sorte de cosmopolitisme qui pousse à gauche; la défense du localisme, du terroir, du sol, pousse à droite. Les mesures de résistance non violente passive entrainant une perturbation des activités économiques ( XR ), la grève des écoles le vendredi (Skolstrejk för klimatet (grève scolaire pour le climat), la marche des jeunes pour le climat à Paris par exemple, sont des actions de plus en plus coordonnées qui mobilisent les nouvelles générations émancipées du catéchisme chrétien ( protestants et catholiques) de la partie du monde sous emprise de la civilisation occidentale. Le monde politique s’en trouve imprégné, car au delà de la contradiction politique ressentie face à l’écologie nous pouvons dire comme Alain de Benoist «  Si les écologistes sont de droite pour tant de gens de gauche, et de gauche pour tant de gens de droite, il y a de bonne chances pour qu’ils se trouvent, de ce seul fait , sur la bonne voie.
Ce qui est sûr, en tout cas c’est qu’on retrouve dans l’idéologie politiques des thèmes qui proviennent de camps politico-idéologiques jusqu’ici souvent opposés. D’un côté, par exemple, l’écologisme représente l’une des formes contemporaines d’un « pessimisme culturel » qui, historiquement, s’est surtout manifesté à droite, en réaction précisément contre l’idéologie du progrès. D’un autre côté, ce pessimisme culturel est d’abord dirigé contre l’axiomatique intérêt et l’obsession de la performance quantifiée, contre la fuite en avant induite par une société fondée sur l’égoïsme concurrentiel, ce qui évoque plutôt une démarche de gauche . La vérité est que le mouvement écologiste est incontestablement conservateur, en cci qu’il entend préserver la qualité de la vie, la socialité organique, les cadres de vie traditionnels, les spécificité culturelles et la biodiversité, mais qu’il est également révolutionnaire, en ce sens qu’il entend rompre de façon radicale avec l’idéologie productiviste qui sous-tend aujourd’hui la logique planétaire de la Forme-Capital et du marché «  ( in:  Demain la Décroissance!  Penser l’écologie jusqu’au bout  A. de Benoist  Edite Edition 2007):


Donc mobilisation générale, car la mort du surnaturel décrétée doit l’être au profit d’une croyance en une Sur-nature !  La Parousie de l’homme pour l’homme. Mais que faites vous de la démographie? Alors là personne n’a de solution…7 à 8 milliards d’individus voulant vivre comme des américains? La pandémie n’est pas une option raisonnable.

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SITE HERODOTE.NET   André Larané  Fondateur d’Hérodote.net

 

 

Indulge yourself in a cup of tea!

 

 

19 novembre 2019

NICHOLAS REESE

 

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Du 19 Octobre au 23 novembre 2019

Neuf toiles de Nicholas Reese ont été exposées à Paris, rue de Lille, par la Galerie Carole Decombe.

 

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Nicholas Reese
 

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Carole Decombe Rue de Lille Paris

L’étoile à neuf pointes, le chat à neuf queues cingle l’oeil dans un éclatement de directions faussement contraires car elles nous ramènent au centre d’où nous croyions partir. Ce n’est que le spectateur qui face aux neuf toiles exposées actuellement rue de Lille, se trouve écartelé par les sentiments ressentis face aux images présentées car bientôt si son regard attentif lui provoque ( par son abandon où il voudra bien se laisser aller) des sensations agréables, troubles ou même troublantes, il ne reviendra qu’au point de départ de Nicholas Reese qui fonctionne comme un pivot, un point fixe.
Ce socle immobile d'où partent nos sensations et parfois même nos interrogations puisqu' il n’est pas certain que le premier regard nous donne tout ce qu’il y a à voir, sont les moments fixés par le peintre dans une sorte de lutte de longue haleine avec la peinture, médium choisi ici par Reese pour ancrer dans une matérialité ( là une toile peinte) des éclairs fugaces de conscience d’appartenir à un tout qui nous saisi. Pourquoi peindre et faire des images, des couleurs, des taches de matière sous la lumière qui les révèlent ? Et bien pour saisir l’élan originel de la vie qui s’offre à nous dans un tremblement de notre être. 

Henri Bergson nous dit «  La pensée qui n’est que pensée, l’oeuvre d’art qui n’est que conçue, le poème qui n’est que rêvé, ne coûtent pas encore de la peine; c’est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception artistique en statue en tableau, qui demande un effort. L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l’oeuvre où il aboutit, parce que grâce à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au dessus de soi même.  Or, cet effort n’eut été possible sans la matière: par la résistance qu’elle oppose et par la docilité où nous pouvons l’amener, elle est à la fois l’obstacle, l’instrument et le stimulant; elle éprouve notre force, en garde l’empreinte et en appelle l’intensification. »

  Puis montrant que partout où il y a création il y a joie, il surenchérit en déclarant: «  Plus riche est la création, plus profonde est la joie »  Cette chaleur interne, qui n’est en rien comparable au plaisir, un spectateur qui apprécie ces toiles la ressent. Pourquoi? comment? Et bien, c’est sans doute une parcelle de la joie ressentie par le peintre quand il sait et s’arrête, considérant sa toile terminée. La puissance des images est très variable, si comme pourrait le dire Giono, la joie demeure; la toile est conservée. Son pouvoir peut se transmettre aux spectateurs ; sinon Reese la détruit et se remet à l’ouvrage. Ces neufs toiles ici exposées sont passées par les filtres de l’épuisement du regard que le peintre leur a fait subir. Il les juge propre à faire leur travail pour le regardeur qui serait susceptible de ressentir le pouvoir qu’elles contiennent et qu’elles distillent sans s’épuiser. Effectivement, elles nous contentent en évitant l’effort de la création!
Georges Charbonnier  (Universitaire, critique, traducteur, préfacier, écrivain) interrogeait Marcel Duchamp en 1960
G CH: "Nous savons tous ou nous pensons tous savoir ce qu’est une œuvre d’art. À quel moment existe-t-elle et qui la fait ?"
Marcel Duchamp: "Je n’en sais rien moi-même. Mais je crois que l’artiste qui fait cette œuvre, ne sait pas ce qu’il fait. Je veux dire par là : il sait ce qu’il fait physiquement, et même sa matière grise pense normalement, mais il n’est pas capable d’estimer le résultat esthétique.
Ce résultat esthétique est un phénomène à deux pôles : le premier c’est l’artiste qui produit, le second c’est le spectateur, et par spectateur, je n’entends pas seulement le contemporain, mais j’entends toute la postérité et tous les regardeurs d’œuvres d’art qui, par leur vote, décident qu’une chose doit rester ou survivre parce qu’elle a une profondeur que l’artiste a produite, sans le savoir. Et j’insiste là-dessus parce que les artistes n’aiment pas qu’on leur dise ça. L’artiste aime bien croire qu’il est complètement conscient de ce qu’il fait, de pourquoi il le fait, de comment il le fait, et de la valeur intrinsèque de son œuvre. À ça, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste."

Nous sommes donc partie prenante pour la meilleure part…Elles nous appartiennent par la joie qu’elles nous procurent.

 



Moon Painting   (162x130)  2019

Cette toile est une musique parce qu’elle résonne en nous de mille notes du roi Cramoisi, elle télescope par un hasard étonnant le Thrak de Robert Fripp. C’est évidemment une coïncidence personnelle. Mais le Moon Painting englobe ces références pour se les approprier. Il ne s’agit pas ici d’en faire une description ou explication ( la tache et son ombre, le fil cousu ou la blanche déteinte du rayon lunaire) mais d’exprimer en trois phrases les résonances intérieures qu’elle provoque. La base est mouvante, le rayon lunaire ne semble pas fixe, il va certainement monter sur la porte sombre de nos frayeurs…Pourtant rien ne bouge et nous restons fixement dans une immobilité du regard qui nous saisi.
 « Comment des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ?  »( Jankélevitch)


Voilà pourquoi le Moon painting peut être regardé chaque jour dans l’immobilité et le silence.
 



Bleu 1   (146x114) 2019

Kandinsky par une sorte de synesthésie ( association intime son /couleur) nous décrit les bleus allant de la flûte à l’orgue en passant par « la sonorité somptueuse de la contrebasse » Il ajoute «  La puissance d’approfondissement du bleu est telle, qu’il devient plus intense justement dans les tons les plus profonds et qu’intérieurement, son effet devient plus caractéristique. Plus le bleu est profond plus il attire l’homme vers l’infini «  ( in : Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier. 1910 ed 1954)
Pourquoi devrions nous voir un sablier plutôt que deux rochers en équilibre? Pourquoi si ce n’est l’équilibre qui s’impose à nous, voir plutôt qu’écouter. Le bleu est un infini. Il nous apaise par sa puissance graphique comme une représentation du grand tout ou la pierre de Kubrick.  Il parle en nous et l’on se tait.


« L’homme est infiniment grand par rapport à l’infiniment petit et infiniment petit par rapport à l’infiniment grand ; ce qui le réduit presque à zéro. » ( Jankélevitch)

Nous sommes au milieu, à la jonction des formes..au dessus et au dessous dans le Bleu.
 


Forest 1  (150x120)

 

   Forest 2 (162x130)

Deux toiles de différente taille s’intitulent « Forest » ..Le titre est un leurre, une forêt dans laquelle on espère nous perdre justement …l’une pourrait s’intituler Skull que l’autre devrait s’appeler Charcoal et cela ne nous avancerait pas. Il faut simplement regarder et non pas lire. Elles sont bien différentes ( les queues du chat précité) mais nous ramènent au même point …une sorte d’inversion du regard sur notre propre nuit intérieure ..Ces sombres vibrations de basses ( si l’on suit la synesthésie Kandiskienne du sombre au grave…) sont des moments de résonances intimes. Le rouge de l’oxyde de fer n’est pas là pour nous distraire, ni la face émergeant du châssis dont on a contraint le champs-frein, comme une liaison vers la sainte Face de Rouault  ( ce n’est pas obligatoire..ce n’est que subjectif et cela doit être ainsi.) Ils sont, ce rouge et cette croix ( Forest 1) qu’un face à face; alors qu’avec Forest 2 nous avons plutôt l’impression de nous regarder de dos ..l’outrenoir du géant n’est pas loin .

Il n’y a que les mots de Lydie Dattas qui nous soulage !
«  Monstres d’Humanité, ces peintures iconoclastes portent sur leurs épaules quadrangulaires l’avenir du divin. Ce peuple de menhirs dressés contre le torrent du virtuel ne bouleverserait pas autant le visiteur s’il ne reflétait pas l’énorme combat de la lumière et des ténèbres qui fait le drame intime de l’homme. Chaque fois qu’il peint, trempant son pinceau dans la nuit, le maitre ouvre dans l’obscur des trouées par où passe une blonde christique. Doutant de sa vision, le maitre pose des caches à son tableau comme on mets des oeillères à un pur sang, pour ne plus voir de la route que l’asphalte essentiel. » ( in La blonde, les icônes barbares de Pierre Soulage. 2014)

 

Capture d’écran 2019-11-19 à 23

Arcadie 1  ( 195x130)

 

Arcadie 2  ( 195x130)

Le frotté de l’ardoise nous irrite comme un crin sur la peau, la douceur de la craie est un talc bienfaisant .. "In Arcadia ego" voilà le rêve des bergers avant que l’orage ne s’annonce, comme dans l’énigme de Nicolas Poussin.

L’abstraction pure a laissé la place aux vers de Maurice de Guérin dans le Glaucus:


« Comme un fruit suspendu dans l’ombre du feuillage,
 Mon destin s’est formé dans l’épaisseur des bois
J’ai grandi, recouvert d’une chaleur sauvage,
Et le vent qui rompait le tissu de l’ombrage
Me découvrit le ciel pour la première fois
Les faveurs de nos dieux m’ont touché dès l’enfance; »

Le grand Pan n’est pas mort, il nous chante sa mélodie de tuyaux de bambou. La beauté simple nous touche comme la candeur de nos jeunes années. Ces deux toiles sont la manifestation de la joie ressentie par Reese dans son bonheur intime loin des feux de la rampe qui ne seront ressenti par lui (et par nous en ricochet) que comme l’écho, le reflet d’une sorte d’ataraxie après un si long travail commencé il y a plus de trente ans. Voilà les toiles de la maturité heureuse; les toiles de l’aboutissement d’une libération après l’acquisition de la technique la plus accomplie. Comme le vieux Titien qui peignait comme un jeune homme insouciant. Il n’y a plus de frontières, la technique picturale est un sport de combat dont Reese sort vainqueur, il mélange les genres en liberté dans une spontanéité vivifiante. Le lointain est une masse, le proche un détail.

« Le temps est irréversible de la même manière que l'homme est libre: essentiellement et totalement. »  ( Jankélévitch )

 


 Deux petites peintures sauvées des eaux.

Sur un côté, discrètement deux petites peintures rattachent les travaux de l’année 2019 à cette longue pratique de la peinture effectuée par Nicholas Reese (depuis plus de trente cinq ans )..Il s’agit de deux visions anciennes sauvées des destructions multiples qui ont jalonnées ces années de pratique. Le travail est essentiellement de remettre l’ouvrage sur le bâti, Pénélope ou forgeron, le travail ne cesse pas car "c’est ta palette qui t’amènera aux pieds de Pharaon" comme le dit l’inscription antique. Nicholas Reese peint et repeint. L’exigence est une dure marâtre et voici ces deux enfants préférés qui nous viennent des années passées. Le Visage et la forme derrière un flou de miroir où comme l’exige le regard un monde s’ouvre …Une visiteuse est touchée par la vie aquatique prénatale, un autre voit le Vendredi orné d’os dans sa vie sauvage préservée. Les tons chauds nous caressent. La taille nous apprivoise. Ils sont de petites beautés cachées comme des cailloux tombés dans l’herbe bordant le grand chemin.


« La durée comprimée dans l'instant est comparable à l'énergie qui sommeille dans un grain de sable. »

( Jankélévitch )

 






Anonyme en mauve, ou pourquoi pas Purple Quagmire ?  Cette peinture ne figure malheureusement pas dans le dossier de presse de la galerie Carole Decombe. Nous ne savons pas son nom, ni sa taille ( peut être 110 x110 ?)
Cette toile semble plus nous regarder que l’inverse. On se retournerait, on se détournerait qu’elle nous regarderait encore. Voilà le spectateur pris à son piège de contenance affectée. Une sorte d’emprise nous tient face à notre quant à soi. Cette sournoise manoeuvre arrive à vaincre nos défenses qui aussi solides soient-elles ne résistent pas bien longtemps. Voilà le travail d’un peintre sincère qui n’a pas besoin du « dripping » pour entrer "dans" la peinture comme Pollock pouvait le réclamer. Mondrian voulait voir sa peinture en entier en gardant un format ne dépassant pas les limites de son oeil face à la toile, Rothko petit à petit peignit d’immenses toiles car il voulait être à l’intérieur de celles-ci en perdant la forme générale lorsqu’il y travaillait. Reese lui, monte sur le bulbe et les limites du rectangle (ou ici du carré) se perdent, il est dans sa couleur, dans sa matière, à se battre pour l’instant qui correspond à une nécessité intime.

«  La réminiscence n’a pas le poids du souvenir, elle est plutôt la touche fugitive qui nous effleure, souvent même à notre insu ; à la fois il en reste quelque chose et il n’en reste rien, il en reste quelque chose qui n’est rien ; c’est une trace qui ne laisse pas de traces ! » ( Jankélévitch)

 


Nicholas Reese vit et travaille à Paris. Il expose depuis la fin des années quatre vingt. Expositions personnelles ou collectives rares et choisies comme celle du Bateau Lavoir à Montmartre par exemple ou alors à Saint Germain des Près chez Anton Weller pour « Constellations » Il est également créateur de miroirs alchimiques avec son frère Sebastien, qui s’exposent jusqu’à la côte ouest des Etats-Unis; ce qui nécessiterait un traitement particulier de notre part car les ramifications artistiques sont complexes. En effet, puisqu’ils croisent aussi la route d’Isabelle Sicart, la remarquée créatrice céramiste dont l’oeuvre patiente est si syntone avec l’époque.

"Plus on s'éloigne plus l'on rentre dans le miroir"


L’instant figé provoque une irradiation positive. Juste un agencement de couleur et matière suscitant une résonance intime, un fugace sentiment lié au tremblement intérieur au moment de notre connexion à une sorte de « Noosphère » ressentie par une sensibilité artistique, nous amène cette douce chaleur du contentement qui est le marche pied du bonheur.
Aimer c’est être heureux ..et comment ne pas aimer ces instants qui sont comme l’écrit David Malouf, une plénitude immédiate qui nous lie avec le monde:

« Cette créature que j'ai pu prendre si facilement dans mes mains, dont j'ai pu sentir le cœur battre et les fortes ailes palpiter contre mes paumes, a volé plus loin et même plus haut que cet aéroplane disgracieux. Elle a été jusque en Sibérie. Son minuscule œil vif a vu quelque chose de vaste. Toute une moitié de la Terre. »

 

 

Nicholas Reese expose à Paris et ailleurs ..

à suivre en 2020....

 

 

Blue note II & I

 

 

 

10 novembre 2019

MADAME NHU

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Les officiels américains appelaient madame Nhu, la « Dragon Lady ». Les Sud-vietnamiens qui prenaient le risque de critiquer la conseillère du Président Ngo Dinh Diem, préféraient le terme de « Tiger Lady » car l’image du dragon est respecté en Asie.  
Le Xuan Nhu, épouse du frère du président, fut une personnalité internationale aussi fugace qu'impressionnante.

Ce fut un condensé de la tragédie vietnamienne. Jeune, belle, elle rivalisa sur les couvertures des magazines avec Jackie Kennedy dont elle est l’antithèse.
Elle est bien oubliée aujourd’hui comme commence à l’être la République du Sud-Vietnam qui s’efface petit à petit des mémoires.

Elle est morte en 2011.

Tran Lê Xuân fut donc une personnalité excentrique qui rentra dans le champs de la politique internationale au corps défendant des puissances concernées. Le vice président des Etats-Unis Lyndon B.Johnson comme Henry Cabot Lodge ( l'Ambassadeur américain au Vietnam) en seront abasourdi après avoir été confrontés au charme, à la spontanéité et l’irrationalité d’une première dame très particulière. Elle se montra avide, sensuelle, autoritaire, intolérante mais féministe et agissante dans un Sud-Vietnam qui fort de ses archaïsmes ne sera pas capable de réitérer l’exemple sud-Coréen, sauvé de la mainmise communiste grâce à l'intervention internationale portée par la puissance américaine.

Toute la stratégie de Kennedy, comme la position de la France liée au discours de Phnom-Pen du Général de Gaulle seront par la présence de cette jeune et jolie femme, battu en brèche. Les présidents Français et Américains seront trompés et acculés à des positionnements politiques intenables. La tragédie ne faisait que commencer.

Le Xuan qui signifie en vietnamien  « Printemps fleuri » fut l’épouse de Ngo Dinh Nhu, proche frère du président de la république du Sud-Vietnam.

Nhu dirigeait les services de sécurité de la République du Sud Vietnam de 1955 à 1963. C’est à dire qu’il était l’homme orchestre de ce que l’on appelait autrefois, la Police Secrète. Omniprésente et sans contre pouvoir, cette police fut une arme extrêmement puissante au service de la politique de son frère. Le président Ngo Dinh Diem
qui après avoir été appelé aux affaires par l’ex-empereur Bao Daï, fut élu à plus de 90% des voix en 1955 dans un référendum accepté par les américains mais truqué au delà de ce qu’ils avaient imaginés.
 La compréhension de la tragédie vietnamienne est à chercher dans cette petite partie d’Histoire qui est trop souvent éludée lorsque l’on évoque la fin de la "Guerre d’Indochine "(Dien Bien Phu et les accords de Genève en 1954) ou la "Guerre du Vietnam" dont le plus fort de l’engagement militaire américain se situe après 1963,  dans l'après  Kennedy 1964 - 1973 ( 1973 début du désengagement qui s’inscrit dans la présence américaine  qui va de 1954 à 1975 chute de Saigon). En effet, c’est l'ensemble de la politique américaine d’aide et de « containment » au Vietnam du Sud en 1955 qui constitue un très « mauvais départ » pour l'engagement US. Le coup d’état des généraux sud-vietnamiens de 1963 n'apporta aucune solution, bien au contraire, pour endiguer la fuite en avant et les dérives d'une situation inextricable dans le premier sens du terme pour les forces engagées dans la lutte anti-communiste de l'après guerre.
Le gouvernement autoritaire du président Diem, célibataire, vierge et chrétien, exilé longtemps aux États unis ( il n’en n'est revenu que par la volonté de l’ex-empereur Bao Daï ) repose entre les mains de son frère Ngo Dinh Nhu,  puissant chef de la sécurité et son plus proche conseiller politique.

 

 

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Il est lui même sous la domination de sa jeune épouse dont il est très amoureux. Il était dit dans les milieux français qu’elle « portait la culotte ». C’est donc tout naturellement que Le Xuan Nhu, appelée avec déférence  « Madame Nhu » devint la première conseillère puis une sorte de « first Lady » très visible, très médiatique. Elle porta elle même les réformes sur la famille, la place des femmes dans la société vietnamienne, la moralisation des comportements. Elle fut rapidement dénommée la « Toxic Lady » puis la « Dragon Lady ».

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 Il faut retracer le parcours de sa vie pour évaluer la force et la détermination de celle qui survécut à des événement qui auraient dû l’emporter comme son entourage.
Issue d’une famille de riches propriétaires, son père Tran Van Chuong était un familier de la cour de l’Empereur. Il fut ministre des affaires étrangères durant le gouvernement BaoDaï après le coup de force des Japonais lors de l’effondrement français en 1939.  Mais madame Nhu fut par son mariage propulsée dans le clan des Ngo.
Le clan Ngo est un roman à lui tout seul. Nous ne l’évoquerons que brièvement. Famille de mandarins convertie au catholicisme, la génération qui nous occupe est très brillante dans un certain sens.

 Les six frères Ngo sont:

L’ainé, Ngo Dinh Khoi, gouverneur de la province Quant Nam. Après la chute des japonais, il est arrêté par le Vietminh, avec son fils Ngo Dinh Kha, sur de vagues soupçons,. Ils sont torturés et enterrés vivants en 1945.  Ceci semble être une des raisons de l’anti-communisme de ses frères.

Le frère Président Ngo Dinh Diem fit d’excellentes études au lycée français de Hué. Francophile, Catholique, abstème, chaste et à jamais célibataire, il travailla pour l’administration coloniale dès les années trente ( il fut gouverneur de la province Binh Thuan) puis ses orientations nationalistes le font entrer en politique mais dilemme, s’il est anti-français (contre le système colonial)  il est aussi anti-communiste ( anti Viet-Minh)…Il créa d’abord le « Daï Viet Phu Hung Hoï » une association pour la restauration du grand Vietnam puis aidé par son frère Nhu, il fonde le parti  "Can Lo " que l’on pourrait qualifier d’indépendantiste ( anti-Français), d’ anti-communiste (refus de la politique d’Ho Chi Minh ), de nationaliste et d’obédience néo «"Personnalisme" inspiré de la doctrine catholique d’Emmanuel Mounier.

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Le Président Ngo Dinh Diem

Il revient de son exil au Etats-unis pour être premier ministre ..puis Président de la nouvelle République du Sud Vietnam.  Il fut exécuté au poignard et achevé au pistolet par les généraux putschistes en 1963.

 

 

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Ngo Dinh Nhu Le Xuan Le Chuong


 Ngo Dinh Nhu, très proche de son frère politiquement est tout aussi francophile mais indépendantiste. Il fait l’école des Chartres en France. Travaille à la bibliothèque d’Hanoï comme archiviste paléographe. puis rentre en politique dans le sillage de son frère. Il dirige la sécurité intérieure, la police et l’armée avec une main de fer. Impitoyable et cultivé, il est un mélange de Torquemada et de Machiavel selon Jean Lartéguy. Il fait un mariage d’amour avec Le Xuan de la famille Le Chuong, celle qui nous occupe :Madame Nhu née Le Chuong. Comme son frère, il fut exécuté par les généraux putschistes en 1963.

Pierre Martin Ngo Dinh Thuc, prêtre, est lui, devenu archevêque de Hué en 1960. Il jouera un rôle politique durant la présidence de son frère mais sera deux fois excommunié pour avoir consacré des évêques sans l’accord du Saint Siège.. Il mène une politique très anti bouddhiste,. Au moment de l’assassinat de ses deux frères, il se trouve à Rome, exilé in extremis grâce au concile auquel il avait été convié en 1962. Il ne reviendra jamais au Vietnam. Il vit en exil entre la France, l’Espagne et l’Italie . C’est lui qui ordonne et consacre Clemente Dominguez y Gomez, le fondateur de l'Église Chrétienne palmarienne des Carmélites de la Sainte Face qui se proclame après une vision dit-il, nouveau Pape, à la mort de Paul VI …Il est évidement immédiatement excommunié lui aussi!..Dinh Thuc fait amende honorable..il est réintégré ..concélèbre des messes avec Monseigneur Barthe, évêque de Toulon mais continue à ordonner des prêtres dans son appartement ..et est évidemment de nouveau excommunié…Il meurt dans un Monastère d’une congrégation vietnamo-américaine dans le Missouri en 1984. Il a été un souci constant pour la Congrégation de la doctrine de la foi siégeant à Rome sous la direction de Monseigneur Ratzinger .



Après la soutane, le sabre …Le cinquième frère; Ngo Dinh Can lui n’a pas fait d’étude et ne maîtrisa que très peu le français. Ce fut un chef de guerre qui régna sur le centre du pays, il n’a jamais quitté Hué, la capitale impériale.
Par la force et la menace, souvent mise à exécution, il accapare un grand nombre de terre et devient un seigneur féodal.
Il n’hésite pas à tuer de ses propres mains ses opposants. Puis s’engage dans la lutte anti-communiste avec férocité. Il s’implique violemment contre les ennemis intérieurs que sont devenus les moines bouddhistes qui sont en rébellion contre le pouvoir autocratique de Saigon. On le soupçonne d’avoir fait du marché noir de riz avec le Nord Vietnam comme d’avoir organisé des filières d’opium via le Laos.
Il fut arrêté après la chute de son frère.  Emprisonné et jugé en 1964, très diabétique, il dut être amené en civière pour être fusillé devant 200 personnes. Il légua sa fortune à des institutions de charités catholiques.

Ngo Dinh Luyen, le dernier frère, échappa à la malédiction du clan. Il fut ambassadeur au Royaume Uni. Bien que nommé par son frère Diem, il survécu à la tourmente en devenant plus secret et discret qu’un diplomate puisse être. Il est mort dans l’anonymat en 1990.

 

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Voilà ce que fut la famille d’accueil de la jeune Le Xuan qui rencontra son mari à quinze ans alors qu’il en avait trente.

Tran Le Xuan est née dans une famille de mandarin éduqués, très lié avec la France. Son grand père Tran Van Thong était un estimé gouverneur d’une province du Tonkin.
Son père Chuong marié très jeune ( à quatorze ans) parti poursuivre ses études entre Alger, Montpellier et Paris. Il fut le premier vietnamien à devenir, en 1922, docteur en Droit.
 Sa mère Chuong qui endura la difficile condition des femmes vietnamiennes de haut rang, qui étant dans l’obligation de donner un fils à la famille, se trouvait dans la servitude terrible de la position de jeune épouse, véritable servante de sa belle mère. Elle eu le malheur d’avoir deux filles avant la naissance du garçon tant désiré. La femme vietnamienne passait sa vie sous la coupe de son père d’abord puis sous celle de son mari puis enfin sous la domination de son fils aîné. Pour Le Xuan être la deuxième fille la reléguait dans une position totalement subalterne. Sa jeunesse fut assez difficile et douloureuse. Elle fut largement utilisée par son père pour le service de sa grand mère paternelle. Elle n’était pas considérée dans le protocole de ces maisons comportant nombre de domestiques et abritant la première épouse qui régnait sur les deux ou trois suivantes plus jeunes. Les enfants et la vie domestique occupaient toutes les tâches. Les hommes ne s’occupaient absolument pas des affaires domestiques, c’était un monde de femme, régit par les femmes où Le Xuan n’était rien ..Même les domestiques ne la considéraient pas car elle n’avait aucune influence. L’organisation de vie dans les petites villes de campagne étaient très traditionnelle, issue de mille ans d'occupation chinoise. Mais par bonheur pour elle, sa mère ayant goutée au progressisme occidental à Hanoï, fut très favorable à l’idée de donner une bonne instruction pour compléter l’éducation de ses deux filles: Le Chi et Le Xuan. Elles firent donc de solides études d’abord dans une école primaire de Saigon puis dans la capitale du Nord, Hanoï.

La famille Le Chuong vivait dans un mélange de tradition vietnamienne et de vie « à la française ». Le français était la langue couramment parlée dans la famille. Toute sa scolarité, se fit dans le lycée français d'Hanoï qui mélangeait les enfants des colons avec les enfants de la bourgeoisie vietnamienne éduquée. Le Xuan fut une très bonne élève. Sa mère Madame Chuong gagna en influence et son rôle social fut renforcé grâce à ses causeries du mardi où toute la bonne société influente se rassemblait dans ses salons. Il y avait donc un mélange de vietnamien et de français, de diplomates et même lorsqu’ils seront présent à Hanoï, de Japonais. Elle était très belle et intrigante …comme le sera sa fille.  C’est dans ce salon recherché que le jeune Ngo Dinh Nhu, venant d’une excellente famille de Hué comme nous l’avons vu, âgé de trente ans et ayant passé dix ans à Paris d’où il revint couronné du prestigieux diplôme de l’école des Chartres, rencontra Tran Le Xuan.

Il est beau et silencieux …… Certaines rumeurs disent qu’il aura été "testé" comme amant par la sa futur belle mère avant d’être "donné" à sa fille, qui s’empressa d’accepter pour sortir de cette famille étouffante. La condition des femmes dans la haute société étaient assez éprouvante. Elles étaient de véritables servantes des hommes. Elles passaient  comme nous l'avons dit, leur vie sous la coupe de leur géniteur avant d'être sous celle de leur mari pour finir assujetties à leur fils qui avait très vite autorité sur elle.  Le luxe apparent de leur existence cachait une position très difficile à vivre.

Le caractère de la jeune Le Xuan ne se prêtait pas à cette soumission. Elle déclarera n’avoir jamais été aimé de ses parents et donc profita de l’occasion qui lui a été donné de sortir de sa famille …Ses parents Tran an Chuong  et Tran Thi Nam Tran eurent un étrange destin. Après une vie brillante et luxueuse au Vietnam et à Washington où monsieur Chuong fut diplomate, ils se retirèrent de la vie public pour ne plus faire parler d’eux jusqu’à l’été 1986 où ils furent sauvagement assassinés chez eux par leur seul fils Tran Van Khiêm.  L’histoire est éprouvante ..ce fils adulé, ce play boy, bavard et instable qui bénéficia de toutes les facilités lors de la présidence Diem fut laissé pour compte lors du putsch de 1963. Il resta seul à Saigon. Ses parents étant aux États Unis, sa soeur adorée , Le Xuan en Europe, la protection du clan Ngo disparue, il fut emprisonné par le nouveau régime.
 Sa mère ne put rien pour lui malgré ses tentatives auprès des américains. Il resta emprisonné et fut détruit psychologiquement par les mauvais traitements infligés. Oublié par tous, il fut relégué aux travaux forcés dans l’Ile de Poulo Condor de sinistre mémoire. Là son corps fut autant ravagé que son esprit. Âgé de seulement quarante ans, il était une épave échouée chez ses parents à sa libération.
Recueilli au début avec émotion chez eux à Washington, leur relation se détériora jusqu’à la rupture …Il fut mis dehors par ses parents et découvrit par là même qu‘il était déshérité, c'est alors qu'il les assassinat avec brutalité en les étouffant avec un oreiller. Il fut interné à l’hôpital psychiatrique Saint Elisabeth de Washington pendant sept ans pendant lesquels il suivi de nombreux traitements sans amélioration notable. Il fut expulsé en France en 1993 où depuis sa trace se perd. Madame Nhu n’en dira rien, bien qu’elle fut en France également.

 

 


La personnalité de Madame Nhu se montre dans ce court extrait d’interview où elle sidère les observateurs en commentant la crise des moines qui vont en martyr s’immoler par le feu dans les rues de Saigon.  
Ces images terrifiantes qui stupéfient, donnent à la réplique de madame Nhu lors du premier « auto da fé » ( sens premier) la mesure de la violence des engagements qui façonnent cette période de l’Histoire.

« The only things they have done, they have barbecued one of their monks whom they have intoxicate whom they have abuse their confidente and even this barbecuing was done not even with self sufficient means because they used imported gasoline … »

 

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Cinq autres moines s’immoleront par le feu ..
Les premières images de Malcom Browne, correspondant à l’Associated Press font un scandale aux États-Unis. Le pouvoir autoritaire de Diem flanche, la répression contre les fêtes bouddhistes et leurs manifestations suspectées d’être utilisées par les communistes n’est plus tenable.
Les interdictions de parades publiques avec drapeaux et symboles pour les pagodes de Hué qui fêtaient la naissances de Bouddha sont avec du recul assez futiles et mesquines. Il s’agirait d’une vengeance organisée par l’archevêque Ngo Dinh Thuc ( frère aîné du président ) qui aurait été mortifié de ne pas avoir reçu de présent de la part du « vénérable" Thich Dinh Kiet président de l’association des Bouddhiste du Vietnam . Le vénérable résidait lui aussi dans l’ancienne capitale impériale où Monseigneur Thuc donna une immense et fastueuse fête pour son jubilé sacerdotal. Les manifestations catholiques étaient très encouragées par le régime qui tenant en suspicion les moines et ne pratiquait pas les parts égales entre les communautés. Outre l’interdiction de manifestations publiques, le gouverneur refuse aussi aux pagodes toute intervention radiophonique lors de cet anniversaire.
La foule se rassemble, les moines accompagnés du Vénérable vont chez le gouverneur pour contester et faire annuler cette interdiction.
 La foule grossit et s’enfle de …vingt mille personnes dit-on. Elle se masse devant l’immeuble de la radio ..la répression ne se fait pas attendre . Après quelques sommations, l’armée, commandé par un catholique ( le commandant Dang Sy) tire sur la foule, tue des enfants et blesse beaucoup de manifestant…Il y aura neuf morts dont six enfants. L’année 1963 est un tournant. Le monde découvre la lutte des moines contre le pouvoir du Sud-Vietnam.
Ces moines pacifistes ne sont pas comparables à la secte politico religieuse des Binh Xuyen que les français avaient utilisés fors de leur milices para-militaires aux méthodes mafieuses. Contestant le pouvoir de Diem, les Français avaient essayé de mettre le général Nguyen Van Dinh au pouvoir. Mais face à ce danger, le président Diem n’avait pas tergiversé et sans attendre un quelconque feu vert des conseillers américains, il s’engagea dans une répression terrible qui transforma Saigon en champ de bataille en avril 1955. La chute des Binh Xuyen déclencha le départ définitif des français du Vietnam après plus de cent ans de présence. La secte, bien que se livrant à des activités illégales bien profitables ( extorsions de fond, contrebande et prostitution) reçu du ministre des colonies, George Mandel, un statut officiel en 1938 !
L'histoire des sectes vietnamiennes très particulières est à faire.


Madame Nhu fit donc sensation par sa désinvolture face à ce qui sidérait l’opinion internationale. La guerre du Vietnam avait déjà ses travers de brutalité inouï rapportés par la presse ..le contraste entre la beauté du pays et l’horreur des combats comme le carnage d’Ap Bac à une cinquantaine de kilomètre de Saïgon ne pouvait qu'enchaîner l’opinion mondiale dans un jeu de répulsion; fascination . Ap Bac fut en 1963 la première victoire de petits Viet-cong contre les modernes troupes héliportés vietnamiennes encadrées par des conseillers américains. La défaite est cuisante et de nombreux américains seront tués au combat.  L’opinion américaine découvre avec effarement que le Viet-cong, très habile, resta sur place après la bataille et anéanti une colonne de secours terrestre de l’ARVN ( l’Armée de la république du Vietnam) qui venait sur ordre récupérer les corps des conseillers américains. Le ratio entre les morts américains et sud vietnamiens sacrifiés fut aussi un motif d’indignation. L’année 1963 sera l’année de la fronde des généraux, ce fut donc la dernière année du règne de madame Nhu.

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 Harangue de Madame Nhu face à l'ARVN 1962


Son implication politique, son féministe actif qui s’exprimait d’une manière assez singulière par des lois répressives mais « moralisantes » comme le statut de la femme dans la famille couplé avec l’interdiction du divorce, fut très mal accepté par la société traditionnelle vietnamienne. Elle se lança dans des croisades pour la place et la dignité de la femme qui alla de l’interdiction de la prostitution à l’interdiction des concours de beauté et des danses lascives !! Elle lutta farouchement contre les fumeries d’Opium si prisées des français. Considéré comme intrigante et rusée, son pouvoir sur son beau-frère fut un obstacle aux tentatives des Américains pour sortir de cette crise religieuse. Le sud Vietnam gonflé des réfugiés catholiques du nord trop choyés par la présidence Diem, s’enfonça pour son malheur dans une lutte contre les moines bouddhistes qui surent trouver une méthode d’Agit-Pro incroyablement spectaculaire que les communistes n’eurent qu’à utiliser pour transformer l’engagement américain en une abomination immorale.

 

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L'attitude provocante devant les micros et caméras comme le programme de moralisation de la société: répression de l'adultère, interdiction du divorce, bannissement de l'avortement ne pouvaient être acceptés par les Américains qui se voyaient enchaînés au président Diem qui intraitable résistait à toutes leurs pressions pour qu'il se sépare de Madame Nhu et de son mari. Le remplacement brutal du président Diem fut finalement décidé par Kennedy après une tournée de Madame Nhu aux Etats-Unis où elle fit des déclarations incendiaires que la presse, qui commençait à monter en puissance contre l'engagement militaire, jugeait scandaleuses et indéfendables; les bouddhistes seraient exploités et contrôlés par les communistes, les immolations seraient des manoeuvres organisés avec de pauvres moines bourrés d'opium....

La prise de conscience après la défaite d'Ap Bac donne à penser aux Historiens que Kennedy voulait le désengagement dès ce moment là. La décision fut prise en d'envoyer une nouvelle mission d'étude au vietnam le 23 septembre 1963. Le général Maxwell et Robert Mac Namara devaient étudier en sous mains les "solutions de remplacement" . MacNamara réitéra l'exigence américaine conditionnant la normalisation des aides à l'acceptation des demandes formulées par les bouddhistes et à l'interdiction de parole de Madame Nhu. Le président Diem refusa une fois de plus. Le manque de clairvoyance du président Diem est stupéfiant car en pleine crise militaire, il devenait un obstacle au travail de l'administration américaine qui voulait faire de l'ARVN une force autonome et suffisante contre le Nord, ce qui devrait dans leurs esprits amener au désengagement américain durant l'année 1964.

Le 1er novembre, le gouvernement fut renversé. Diem et Nhu furent exécutés le soir même alors que Madame Nhu était en voyage. Kennedy fut tué le 22 novembre soit 20 jours plus tard. L'escalade commençait.

Madame Nhu échappa donc au coup d'état de novembre. Son mari et le président furent sauvagement exécutés au couteau dans un véhicule de transport de troupe ( APC Armed Personnal Carrier), cela sidéra Kennedy qui n'imaginait pas qu'ils puissent finir de si horrible façon. La haine entretenue par l'image de la "Tiger Lady" lui aurait certainement valu une exécution au moins aussi barbare. Robert Mac Namara, secrétaire de la Défense, la considérait comme une "twisted witch" diabolique et retorse comme il l'écrit dans ses mémoires. John F. Kennedy lui, l'appelait en privé "That goddam bitch".."That bitch stuck her nose in and boiled up the whole situation there" dit-il.

Disparue dans la tourmente des événements, elle retourna dans l'anonymat... donc on l'oublia.

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Une jeune américaine, Monique Brinson Demery partit à sa recherche en 2005. Madame Nhu disparue, exilée depuis 45 ans n'avait pas d'adresse connue et se tenait très éloignée de la presse depuis sa timide réapparition dans les journaux américains lors du meurtre de ses parents par son frère Khiêm en 1986. Elle vivait disait-on en Europe où personne ne la connaissait. Elle refusa tout contact avec un journaliste du New York Times qui la retrouva et tenta de l'approcher en Italie. Elle habitait dit-il à ce moment là, dans une villa quelque part dans la banlieue de Rome. Depuis, plus rien, plus de nouvelles, personne ne savait si elle était toujours vivante.

Voilà pourquoi l'enquête de Madame Brinson Demery devient si interéssante. Elle le raconte dans son livre "Finding the Dragon Lady" paru en 2014  ( BBS PublicAffairs NY)...Pourvue d'un Master en études asiatiques, Monique B. Demery qui parle le vietnamien, se focalisa sur Madame Nhu comme sujet d'étude ..Comment une si jeune femme qui n'avait pas quarante ans ..petite de taille malgré ses haut talons et toujours impeccablement habillée dans de jolies robes cintrées,  pu avoir ce pouvoir extraordinaire de peser sur la politique internationale et d'emmener en 1963 la machine de guerre américaine dans une spirale infernale?  Qui était la Dragon Lady? Il fallait la retrouver pour savoir.

Monique B. Demery arriva à Paris avec de forts indices de l'y trouver.

Les forts indices n'étaient qu'une simple phrase d'un article paru sur un site vietnamien en 2002  Madame Nhu aurait reçu ce compatriote journaliste dans son appartement parisien et il décrit la vue de sa fenêtre du 11eme étage donnant sur la tour Eiffel. Voilà le début de l'enquête qui l'amène après bien des péripéties à retrouver et rentrer en contact avec la mystérieuse Madame Nhu qui n'a jamais publiée ses mémoires.

Le style est direct. Les descriptions des approches effectuées pour amadouer madame Nhu sont décrites comme dans un roman. Puis se déroule la biographie de cette toute jeune mère qui échappa aux communistes en courant seule sous la pluie en 1946, traversant un pont sous les balles avec son bébé plaqué contre elle. Cette femme dont le monde s'écroule lorsqu'elle devient mère, à connue la vie très réglementée de la haute bourgeoisie traditionnelle, l'aisance coloniale française, l'occupation japonaise, les représailles communistes, elle est gardée trois mois dans un camp de travail (elle est remarqué par un commandant Vietminh éduqué  qui la libère) elle se cache à Phat Diem chez un prêtre catholique. Puis assiste à la chute du Tonkin et donc de l'Indochine Française pendant que désargentée, elle vivait une simple vie de famille à Dalat avec ses quatre jeunes enfants:  Le Thuy, Trac, Quynh et Le Quyen

Son mari y fonde le "Can Lo"  comme nous l'avons évoqué précédemment, son parti nationaliste anti-communiste mais surtout "Personnaliste" bien qu'anti français ( Le Personnaliste, la troisième voie humaniste entre le capitaliste libéral et le communiste dictatorial théorisé par Emmanuel Mounier !)

Nous n'evoquerons ici que très superficiellement la vie de Le Xuan Nhu car il faut lire le livre de Monique Brinson Demery

Madame Nhu retrouve l'aisance matérielle de sa jeunesse en liant sa destinée à la politique de son mari et de son beau frère Diem, le futur Président qui devient le premier ministre de l'Empereur Bao Daï . L'histoire est incroyable, compliquée et mélangeant la politique vietnamienne à celle de la politique mondiale dite de "La guerre froide" pour dix ans de guerre chaude. Madame Nhu par son énergie et son caractère, fascina les médias du monde. Son courage physique est indéniable : face aux balles en 1946 s'échappant d'une probable exécution sommaire parmi des rangées de cadavres sous la pluie; face aux troupes des Binh Xuyen devant le palais de l'Indépendance en 1955 armée uniquement de son "Ao Daï" ( longue robe traditionnelle moulante)  Elle tient tête et s'entête, dérange les Français contrecarre les Américains et devient cette "Dragon Lady" dont Monique Brinson Demmery nous déroule l'histoire extraordinaire. Madame Nhu dans la tourmente de sa vie est cernée par les disparitions brutales: son mari et beau frère assasinés en 1963, ses parents assassinées en 1986, ses deux filles qui se tueront l'une et l'autre dans des accidents de la route. A Longjumeau en 1967, sa fille adorée Le Thuy meurt dans sa voiture percutée par deux camions. En 2012, Quyen, avocate à la commission romaine de l'immigration est tuée en scooter par un bus. Madame Nhu sera préservée de cette dernière douleur, car elle meurt un an auparavant, à Rome en 2011, âgée de quatre vingt six ans.

Le New york Times lui consacrera un article après plus de quarante ans d'absence.

 

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L'interêt porté à sa destinée, n'est pas séparable de la fascination visuelle liée aux photographies et films vues dans l'enfance. La guerre du Vietnam, l'Opération "Rolling thunder" les herbes couchées par le souffle des pales du Huey de la first Cav sont les images quotidiennes des journeaux télévisées comme "Télé soir" en 1965-67-68-70..Les tailleurs et chignon à la Wonk kar vai d ' "In the mood for love" ont dû aussi imprégner la rétine du jeune spectateur que j'étais.

 

"Do you really think woman are like you? I had to cross oceans to find you."

Anonymous H .     (in Madame Nhu's diary)

 

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Pour plus de compréhension concernant la guerre du Vietnam, avec le recul nécessaire:

 

The Vietnam War

Contents Vietnamese independence and the First Indochina War The Geneva Agreements of 1954 The creation of South Vietnam Repression and revolution in South Vietnam The expansion of U.S. involvement under Kennedy Lyndon Johnson and the Gulf of Tonkin Resolution Johnson takes the nation to war "Pacification" The Phoenix program Search and destroy: The ground war Technological rampage: The air war An inhuman fate: The U.S.

http://peacehistory-usfp.org

 

 

8 août 2019

UNE DECOUVERTE

 

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Vendredi 26 Juillet 2019



Le mois de juillet a été très chaud. La canicule était dans toutes les conversations.  Des records de chaleur ont été atteints en France, dans le sud bien évidemment, mais lorsque le thermomètre passa les 41°6 à Paris, ce fut un événement . L’Anjou n’échappa pas à cette extraordinaire vague de chaleur.
J’étais avec mes filles Lucille et Mahaut (7 ans) à la Grande Bécherelle; accompagné de Laurence.
Alexandre, mon frère, était arrivé la veille, seul, sans sa famille. Son épouse Béa s’annonçait pour Samedi, Ils avaient prévus d’aller retrouver leurs deux filles adolescentes dimanche à Bordeaux puis Arcachon.
Le jeudi soir, après une journée étouffante, la pluie se mit à tomber.
Vers 23 h, nous étions les fenêtres ouvertes, heureux de cette fraicheur. La pluie recommença très tôt à l’aurore ..l’air était plus respirable ce vendredi. Durant cette journée, venteuse, nuageuse nous sommes restés dans la maison et dans ses abords immédiats. Vers 17H, je décidais mes filles à faire une promenade vers la Loire …Mahaut s’arrêta aux balançoires et ne voulu pas nous suivre..Je partis donc avec Lucille faire un tour au « Rocher » en passant par le banc de la « grotte » (qui n’en est pas une mais plutôt un promontoire donnant sur la Loire, les vignes et le « rocher » cette falaise sur le fleuve) Il faisait beau mais beaucoup moins chaud ..les quarante degrés de la veille étant descendus à 27 / 28°…la promenade était possible.
Après un tour dans les vignes, nous sommes remontés vers les deux cèdres au milieu de la prairie. Puis après avoir arraché quelques lierres sur les troncs, je descendis vers les Wellingtonia ( nom donné au Séquoia géant par le botaniste anglais Lindley qui dédia cet arbre énorme au Duc de Wellington . L’orthographe a été francisé depuis en Velintonia ..mais nous, nous prononçons par tradition familiale « wellingtonia »..On ne sait plus pourquoi …)


 Sous la pénombre des deux wellingtonia dont la base est encore obscurcie par un énorme buis, grand comme un arbre , ce qu’il est en définitive; J’ai vu deux petits sacs à dos de couleur vive (bande blanche et bleu) au pied du séquoia de gauche lorsque l’on regarde les arbres de la maison. J’ai également vu une sorte de serviette en tissu de couleur accroché à une branche du grand buis. Marie ne me suivait pas encore sous les arbres , elle était encore dans la prairie au soleil.
Ces sacs m’ont tout de suite fait l’effet d’une sorte de bivouac. Il y avait une bouteille d’eau en plastique et ces sacs posés au pied de l’arbre. Je me suis rapproché des sacs et ai ouvert le premier ..en pensant à des effets laissés là en prévision de la nuit …comme certains sans-abris le font à Paris . Dans le sac ..il n’y avait rien d’autre qu’une hachette avec un manche gainé de plastique ..Elle m’est apparue toute neuve …Ce n’était pas des outils de bucheron..trop neuve et trop seule..Il y avait à côté, une boite de médicaments.  Perplexe j’ouvre le deuxième sac qui lui avait un rabat ..Deux baskets noires étaient posées sur le dessus ..elles tombèrent sur le côté. Prêt à ouvrir le sac, mon regard circulaire fut attiré par une sorte de veste matelassée noire posée dans les feuilles non loin de là ..vers la serviette accrochée aux branches.
Je m’approche et me penche ..je vois des baskets blanches mais ne réagis pas puis je vois le long de cette veste, une tête émaciée ..je vois mais il se passe un temps de stupeur dont je me rappelle parfaitement. une sorte de césure dans la conscience du présent ..je vois, je comprends mais ne réagis pas ….
C’est un corps couché sur le flanc, légèrement en chien de fusil ..la tête sectionnée du tronc repose près de l’épaule ..le corps est plat ..la veste matelassée est épaisse ..la tête est nécrosée, noire et putréfiée..les mains sont sèches et ressembles à des mains de grands brûlés…les jambes sont toutes plates dans le pantalon en jean’s ..les baskets sont blanches et sales … Je vois ..je comprends en une seconde ( qui semble longue) que oui …c’est un corps dont l’odeur me saisit …et il y a Lucille derrière qui va va arriver dans l’ombre des séquoias …Je rebrousse donc chemin pour l’intercepter en douceur et l’amène sans trop de difficultés vers mon frère qui jardine dans la cour à cinquante mètre de là…il gratte les mauvaises herbes qui nous envahissent …Je me souviens d’avoir parlé avec Lucille avec un détachement qui m’amuse à postériori….je l’envoie vers les balançoires ..et demande à mon frère de me suivre car j’ai à lui parler.
Sa réaction est l’incrédulité. Incrédule, qui ne le serait quand il entend «  Nous allons avoir des problèmes ..il y a un corps sous les wellingtonia ..! » « Tu déconnes? » ….  « Non, il y a un cadavre couché dans l’ombre des wellingtonia …viens voir »
Nous sommes donc retournés vers le séquoia ( nous marchions vers la maison ..) et à l’approche des frondaisons du massif, Lucille revient vers nous en courant heureuse de voir la promenade reprise !
Je l’arrête dans son élan et la ramène vers les balançoires désertées malheureusement par Mahaut qui est remontée dans la maison, je suppose.
Nous allons près du corps ….mon frère voit le cadavre, les sacs ….il se passe quelques secondes ..une minute tout au plus, avant que nous agissions ..lui va prévenir notre mère et moi j’appelle la gendarmerie ….
La conversation au téléphone avec la gendarmerie de Saint Georges se déroule en deux temps ..un temps routinier …avec une certaine nonchalance  lorsque ayant dit mon nom.mon adresse etc…que je raconte que j’ai trouvé des sacs à dos  …puis un intérêt très vif ..après l’énoncé que l’on me demande de répéter«  il y a un corps sous les arbres chez moi… »
Pardon? ..je vous dis « il y a un corps » La gendarmerie est arrivée au bout d’une demi heure … Deux gendarmes jeunes et harnachés …je les accompagne vers les séquoias en leur demandant de laisser leur véhicule près de la haie dans le chemin pour ne pas éveiller la curiosité de mes filles….Ils s’approchent des arbres mais je suis surpris de ne pas les voir rentrer davantage dans l’ombre et se pencher sur le cadavre comme je l’ai fait ….pour eux cela suffisait à distance, les vérifications étaient faites ..ils ont appelés leurs supérieurs …


Il était 18h:18h30 , les gendarmes, l’identification criminelle arrivent puis le médecin légiste et la morgue sont venus …Le médecin légiste s’est fait longuement attendre à tel point qu'Alexandre voyant les gendarmes désoeuvrés sous une petite pluie  insistante, les fit entrer dans la grande salle à manger …Cinq gendarmes dont un capitaine d’Angers qui était très sympathique et nous disait être amis avec les locataires actuels de la Maison du docteur Reboul ..Ils n’ont comme à leur habitude, rien voulu accepter, pas même un verre d’eau .
Ma soeur Annonciade, loin des événements puisque dans les Alpes, fit, une fois mise au courant de l’affaire par mes soins , des recherches sur internet concernant les disparitions signalées à Angers …Je montrais les résultats de sa recherche aux gendarmes ..Ils furent très étonnés et intéressés .. » Ah ça c’est une info! » me dit l’adjudant. Ils notèrent le nom et les références de l’article du Courrier de l’ouest qui faisait mention de la disparition d’un jeune homme installé avec sa famille dans le quartier de la Roseraie depuis 5 ans, il serait parti avec un sac et quelques affaires le 16 Juin . Cela semble concorder avec ce que nous avons vu. Mais un migrant anonyme passant dans la région en remontant vers le nord n’est pas exclu.
Pour les gendarmes, il n’y a pas de doute ..le jeune homme s’est suicidé par pendaison à un drap noué sur le buis ..La serviette aperçue est un drap imprimé, de couleur vive…Il est monté sur la branche et s’est jeté ..le cou cassé il est resté pendu assez longtemps pour que la tête se détache du tronc…soit quelques semaines.  un mois ? Nous n’avons rien vu .


Ma soeur est restée plusieurs semaines avec ses trois fils et sa fille ..elle et un de ses frères étant avec leur famille ..trois enfants chacun…Personne n’a vu le pendu ..à 80 mètres de la maison …Nous passons devant les wellingtonia chaque fois que nous prenons l’allée …à pied pour descendre sur les bords de Loire …ou en voiture …La base des arbres est bien sombre peut être, mais ..cela semble incroyable que personne n’ai aperçu une forme ..un sac, une tache de couleur ….Les enfants jouaient dans la cour …les parents dinaient dehors …ma mère regardait les arbres de sa chambre ou de la cuisine …rien… personne n’a remarqué quoique se soit  .
Pourtant ma nièce Lucia, se rappelle avoir vu en juillet ( la date serait à préciser ) quelqu’un devant la grille d’entrée au bout de l’allée, un jeune garçon noir, assez sale qui avait un drôle de regard ..elle s’est dit que quelque chose n’allait pas avec cette personne …mais comme il y a une famille de réfugiés africains logés par la famille Turpeault derrière le mur de la maison à l’orée du village comme nous ....on fait le lien  évidemment…et ça s’arrête là.
Personne d’autre n’a vu ou…. ne se rappelle de quoique que se soit. C’est incroyable.
Pourtant.

L’enquête est confiée à la police judiciaire d’Angers.

 

 

 

 

29 juin 2019

RELATIONS PRIVILÉGIÉES

 

 

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Photo Torsiac ©2019

 

Etienne Manac’h, ambassadeur de France en Chine de 1969 à 1975, était parti pour Pékin afin de se reposer : « A l’heure ou je m’exilais j’étais au bord de l’épuisement physique. La Chine était un havre. je me délivrais de l’action pour entrer en méditation » Ainsi , la « Révolution culturelle », pour avoir converti la République populaire en une sorte de planète morte pendant une décennie, aura du moins eu un effet bénéfique: elle aura été « merveilleusement propice » au sommeil de l’estimable diplomatie, qui, jouissant là, pendant six années, «  d’une bibliothèque où jamais la chaleur ne fit défaut pendant les mois d’hiver, ni la fraicheur de la climatisation pendant l’été torride »put « « dans une demeure qui avait le calme d’un monastère «  se remettre tranquillement de « dix huit ans de fièvre parisienne ». On se demande quand même ce qui avait amené de Gaulle à se désintéressé aussi brusquement de la Chine - La crise de la « Révolution Culturelle » ?
Il ne devait en tout cas plus en attendre grand-chose, comme l’indique le choix de son envoyé.


Se reposant maintenant en Bretagne de son repos pékinois, M Mana’h a écrit un très gros volume de souvenirs ( Mémoires d’extrême- Asie  Vol I Fayard 1977) dont la lecture est très …reposante. L’ouvrage, qui compte cinq cent quatre vingt dix pages bien tassées, ne couvre que la première année de son séjour en Chine. (…..)
M Manac’h ne se préoccupe pas outre mesure de la politique intérieure chinoise. Sur ce sujet, comme ses collaborateurs s’en souviennent, sa maxime était : moins en saura, moins on risquera de déplaire aux autorités chinoises.

(…..)
A la source de ce touchant dévouement se trouvait évidement le tour très classique de Zhou Enlai: ce dernier avait réussi à faire croire à M.Manac’h qu’il le prenait vraiment au sérieux, s’acquérant ainsi la gratitude éternelle de l’intéressé. Cette gratitude se cristallisa finalement dans la théorie selon laquelle la France jouirait de « relations privilégiées » avec la Chine.
Les « relations privilégiées », en fait, ne signifiaient pas que les Français obtenaient un plus large accès que d’autres à la Chine, ni même que ses hommes d’affaires y pouvaient négocier de meilleurs contrats ( on a vu des pays qui ne se souciaient même pas d’établir des relations diplomatiques, mieux réussir dans ce domaine), mais bien que la Chine était en droit d’exiger de la France, sans contrepartie, ce qu’elle aurait été en peine d’attendre de toute autre nation; elles signifient que, pour obtenir de Pékin le même traitement, voire parfois un traitement plus médiocre que d’autres pays, la France s’astreignait volontairement à des obligations supplémentaires, pouvant aller - on l’a vu en une mémorable occurence - jusqu’au sacrifice de son honneur et des élémentaires devoirs d’humanité.
(….)
« La Chine est un vaste pays, et qui est peuplé de Chinois » avait observé le général de Gaulle. Son envoyé, n’ayant disposé que de six ans pour méditer cette pensée, semble n’avoir eu le temps que d’en peser la première moitié. Les chinois n’apparaissent guère dans son ouvrage et quand, d’aventure, on en rencontre au détour des pages, c’est avec le saisissement de Robinson découvrant Vendredi.

(….)

Ne s’intéressent pas autrement au sort des Chinois durant ces années tragiques de la victoire du « social-fascisme à caractère féodal » ( comme l’appelait un auteur que l’ancien ambassadeur ne doit guère pratiquer, Li Yizhe ), On aurait pu croire qu’au moins celui de certains étrangers aurait dû retenir son attention, puisque, là, il ne pouvait en éluder l’information. Un exemple entre vingt ; il ne mentionne Anthony Grey que pour nous assurer que le journaliste anglais ( qui fut soumis pendant plus de deux ans à une détention inique) était en  « excellente santé » ( en fait le régime auquel il fut soumis l’avait reduit mentalement et nerveusement à l’état d’épave ) et qu’il n’avait souffert «  ni sévices physiques  ni privations matérielles » ( M .Manac’h s’abstient de signaler que Grey à écrit tout un livre sur son calvaire).
(…)
En avril 1970, un chinois, membre d’une délégation en visite, avait discrètement fait savoir qu’il voulait faire défection; du côté de français, la Sécurité lui avait donné l’assurance que l’asile politique lui serait accordé ». Les cadres de la délégations, ayant eu vent de son projet, le droguèrent et cherchèrent à le réexpédier de force à Pékin. A Orly, la police s’interposa: l’homme, plongé dans un demi coma, n’était manifestement pas en état de voyager. Il fut ramené à Paris, et placé dans un hôpital. Les Chinois exigèrent  qu’on leur rendit leur victime. De fébriles pourparlers s’engagèrent entre Pékin et Paris ; les « relations privilégiées » étaient en danger il fallait les sauver, fût ce au prix de l’honneur et la simple décence humaine.
La France renia donc sa parole, le malheureux , qui ne tenait même pas sur ses jambes, fut arraché de son lit d’hôpital, livré aux geôliers maoïstes, embarqué à destination de Pékin, vers le sort qu’on imagine…M. Manac’h qui fut, je pense, au courant de cette opération abjecte, saura certainement apporter l’épisode bien mieux que je ne pourrais le faire. Pour lire enfin ce qu’il aura à nous dire la) dessus, nous demeurons stoïquement prêts, s’il le faut, à piocher à travers cinq ou six livraisons supplémentaires de ses Mémoires.

Janvier 1978

Hygiène   Simon Leys

 

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Samedi 15  Juin


Petit déjeuné seul avec Cyrille à 8h …
Nous partons sur le chantier pour finir ce plafond et essayer de rectifier les différences de teintes.
L’ambiance du chantier est plus calme ..Ils travaillent tous les jours ..mais le week-end semble plus détendu .
Nous terminons le plafond …mais il y a toujours des différences de teintes entre les plaques de faux marbre …c’est un effet que l’on aurait recherché en France pour plus de véracité ..ici ça ne passe pas ..Ils m’ont fait rectifier des veines qu’ils jugeaient trop grandes et trop longues!

Géraud arrive pour le déjeuné ..Nous retournons dans le même restaurant qu’hier en terrasse, à la même table ..il fait chaud, les bières sont bien fraîches, nous sommes à l’ombre;  c’est très agréable . Nous sommes bien accueilli …Les passants sont très divertissants pour nous .
Les commandes passées, nous regardons, Cyrille et moi, Géraud manger son assiette de tofu au piment sur du riz blanc …les minutes passent et nous attendons toujours . Pourtant il n’y a pas grand monde ..nous sommes samedi . Non il n’avait pas compris !! il n’a rien « lancé » en cuisine pour nous …alors que je lui ai spécifiquement demandé avec mon traducteur enregistré .. " du porc des légumes sautés et du riz blanc" ( comme hier) ..Non il n’avait pas compris et donc maintenant c’est moi qui ne comprend pas comment il a pu ne pas comprendre ..Quelle erreur avons nous commise pour qu’il ne comprenne pas …Enfin, nous déjeunons et c’est la même chose qu’hier mais dans une présentation différente…
Nous retournons sur le chantier ..pas d’énervement . Il fait chaud et nous sommes en rythme avec cette torpeur de milieu de jour ..apanage des pays chaud.
Nous passons dans la grande salle à manger pour coller les seules toiles qui sont enfin arrivées hier soir de HongKong…Nous n’avons qu’un paquet de colle ... Nous marouflons sans difficultés ces deux grandes toiles qui sont inspirées du cabinet de Marie-Antoinette à Fontainebleau ..mais re-dessinées pour des panneaux de 4 mètres 20 de haut pour 2 m 30 de large …Les visages sont très réussis ainsi que les carnations ..les fausses  petites pierres sculptés aussi, en revanche les palmes et acanthes et corbeilles de rotin tressées sont  d’une facture assez sommaire et peu nerveuse …Mais l’effet global est pas mal du tout .
Nous allons jusqu’à épuisement de la colle …..Nous retournons à l’hôtel pour sortir vers 19 H .
Cyrille et Géraud monte dans leurs chambres,  je reste un peu dehors, assis devant l’épicerie à boire une canette fraîche …( Il existe une canette de « Soda Water » 0 calorie Sugar free, de marque Watson’s qui fait un excellent Perrier …l’offre d’eau pétillante est très succincte ici)

Nous allons sur l’esplanade où les danses aperçues samedi dernier ont lieu ..Musiques et gymnastiques rythmiques ont déjà commencés. iI y a beaucoup d’enfants ..qui courent en tous sens ..avec des patins à roulettes ou des trottinettes dont les roues s’illuminent ..Les danses sont les mêmes que samedi dernier …je reconnais la professeur de danse « classique » qui a dû dans sa jeunesse participer aux ballets glorifiant la Chine des "Masse Révolutionnaires en mouvement pour la glorieuse édification du Socialisme triomphant grâce au communisme paysan".
Géraud hésite ..tourne  et retourne et se décide au bout d’un petit moment de valse hésitation ..Il prends du temps pour se décider ..ce n’est pas la première fois que nous le remarquons. Le restaurant devant lequel nous sommes lui parait bien, mais trop chic pour nos tenues pense t-il  ( il est en short orange …moi pas ..même habillé en américain, je pense que ça ne pose pas de problème d’autant plus que j’aperçois par la vitre un client en short et pieds nus !..Mais les fauteuils rouges, le personnel très chic et les lumières des lustres le font douter. Une fois à l’intérieur, tout se passe très bien, si ce n’est que la chef de rang ..qui  semble parler un bon anglais ..avec une belle prononciation ..... ne connait qu’un nombre si limité de mots que le dialogue est difficile ..Voilà le seul restaurant sans connexion libre a internet ..Il faut s’inscrire et une page en chinois s’ouvre …impossible pour nous de remplir quoi que se soit .
Nous buvons un vin blanc australien que je suis allé choisir moi même dans leur cellier -cave à vin visible de la salle où nous sommes …Nous dinons très agréablement ..et retour à l’hôtel pour Géraud alors que décidons de faire une longue marche dans les alentours de ce « village » de Vanke.
Il y a beaucoup de petites boutiques invisibles du boulevard ..voilà une conception « américaine «  de zones piétonnes et commerciales avec habitations, l’accès y est gardé par de barrières , les voitures doivent s’annoncer comme dans une zone « privée ».
Un grand distributeur de livres retient mon attention ..une bibliothèque de quartier automatisée…avec un petit catalogue …Nous allons caresser des petits chiens dans un enclos appartenant à une jolie boutique de meubles de jardins, plantes et objets décoratifs. Nous déambulons sur les balcons terrasses ou il y quelques boutiques également ..…puis retour à l’hôtel .

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Dimanche 16 Juin


Réveillé vers 5h du matin ..rendormi à 7h 30 jusqu’a 9h …Il y a un gros cafard sur le sol de ma salle de bain …on mange trop, je dors mal et me sens fatigué .
Après le petit déjeuné composé que de fruits et d'un café. Nous allons sur le chantier voir si les toiles sont en place! ..Le chantier est calme ..Les doreurs sont toujours là ..les tapissiers aussi .
Tout va bien ..nous n’avons rien à faire ..pas de toiles, pas de matériel, le plafond pas sec ..c’est dimanche, nous visitons le jardin …en pleine réalisation. Des femmes âgées plantent sous un soleil de plombs, des milliers de petits pots contenant une plante malingre inconnue. Les arbres arrivent par camions et sont plantés dans une terre rouge et grasse …Ils ont des perfusions accrochés sur leurs troncs, attachés à des étais. Une pièce d’eau avec fontaines, cascades dans les rochers est en construction ..Une grosse pelleteuse à chenille trone dans la boue ..la terre est lacérée de ses traces profondes.. Cela ressemble plus à une zone de guerre ou de manoeuvre qu'a un jardin chinois pour l’instant, même si une somptueuse pagode y trône avec ses toits recourbés portant des cloches de bronze aux quatre coins. Les piliers de soutenement des étages ont de magnifique chapiteaux de poutres entremêlées du plus bel effet ..Voilà une construction traditionnelle qui émeut beaucoup plus que le gros pâté Troisième République qui est derrière nous . Les sculpltures de façade sont assez bien faites mais les deux atlantes des étages supérieurs en symétrie de façade sont amusantes à détailler. Il y a sur chaque ailes du bâtiment un couple soutenant les entablements. La femme et l’homme ont le même torse « Michelangelesque »  Ils n’ont pas osé le buste féminin ..
Les colonnes du rez-de-chaussée sont des futs bagués avec des chapiteaux corinthiens dont les angles dépassent des corniches ..Pas très réussi. Les bases des colonnes sont plus fines que les bagues qui alourdissent le fût d’une façon désagréable à l’oeil ..Bref plein de petites erreurs qui gâchent l’ensemble ..c’était la même chose à Al Khobar avec la villa néo-palladienne des Tamimi plein d’erreurs de proportion et d’équilibre des formes.
Nous allons à l’hôtel en milieu de matinée …Nous décidons d’aller chez les peintres déjeuner . Le Dafen Oil Painting Village, le quartier à l’est de Shenzhen où nous avons déjà fait des courses. Géraud ayant repéré une jolie boutique de sculptures sur bois avec des pièces toutes à fait intéressantes …Il y est allé déjà deux fois..et veut  acheter un bouddha en bronze (?)
La boutique étant fermée à midi, nous allons déjeuner sur le boulevard ..Le soleil est rude pour mon crâne ..je me mets à la mode chinoise, j’ouvre mon parapluie ( enfin celui de Cyrille car j’ai oublié le mien à l’Hôtel) .. Nous trouvons un restaurant non climatisé ouvert sur la rue avec des ventilateurs- plafonniers..Tables en bois et frigos plein la pièce….c’est typique et authentique ..Je prends du lard fumé et pimenté avec du riz blanc..Cyrille des coquilles aux piments ( des coques plates ..comme les dernières fois ) et Géraud une cassollette de grenouilles hachées avec des légumes baignant  dans l’ail et le piment …avec du riz et du thé ..Nous, nous sommes à la Tsing tao fraiche qui se boit comme de l’eau ..Géraud ne savait pas ce qu’il commandait …( moi non plus pas vraiment ) car tout ce commande d’après photo…et c’est évidemment non seulement pas précis mais même souvent trompeur. Les grenouilles sont hachées de telle sorte qu’il y a plus d‘os que de chair, c’est assez parfumé et même assez bon mais pénible à déguster.
Nous allons mieux après ce long repas ..Autour de nous, ils vont et viennent, s’assoient, déjeunent laissent une tonne de restes et s’en vont …un quart d’heure au maximum …Nous voyions devant nous à une table ..un chinois chauve avec de belles sandales de cuir ..il est habillé de lin blanc ..il a une barbiche et des lunettes de lettré…de son sac de toile dépasse un manche d’ivoire sculpté ..( Manche de couteau ou d’ombrelle? …Peut être les deux.. ( une sorte Zaotichi chinois?) Il est élégant et calme ..il sort sans un regard.
Nous accompagnons Géraud dans sa boutique de sculpture …Un peu à l’écart dans une ruelle cette petite échoppe tranche nettement avec les dizaine de « galeries » vendant sensiblement la même chose…d’horribles paysages trop colorés et systématiques ..ou des copies d’après photos ...et même peintes sur des tirages numériques…vraiment sans intérêt. Géraud a eu une chance incroyable de tomber par hasard avec nous sur cette boutique lors de notre premier passage.

La discussion commence à être longue ..et un peu lassante ..donc nous le laissons dans ses affaires de commerce …
Dans la rue adjacente nous rencontrons celui qui nous avais renseigné lorsque nous cherchions à acheter des tubes à l’huile …Il est toujours habillé à l’ancienne mode avec ses guêtres montante et ses sandales avec semelles de paille.. Il nous fait venir chez lui au deuxième étage …boire un thé ..il parle trois mots d’anglais ..mai est très souriant très aimable ..je m’installe dans une grande pièce ou deux jeunes femmes étaient accroupies sur un grand « tatami » …il y a dans la pièce un autel avec de l’encens, des panneaux de calligraphie partout… des  bouteilles rangées à l’horizontale ..je reconnais des bouchons de champagne ..il y a mille choses en vrac des catalogue des caisses et de petits meubles chinois …Il nous offre un thé apporté par une des jeunes femmes ..Je remarque des instruments de musique accrochés aux murs ..Trois sorte de sitar ..chinoise dont je ne connais pas le nom ni le son …L’ambiance est extraordinaire voilà Trois minute nous étions dans la rue surchauffée et maintenant en tailleur sous la brise du ventilateur a boire le thé avec des chinois énigmatiques .
Une ravissante femme de 45 ans à peu près  ( bien que l’attribution de l’âge  les concernant soit difficile dans la tranche médiane . Je ne les perçois que très jeune ou très vieux ..) habillée d’une robe traditionnelle en soie rose avec des motifs de fleur ..vient s’associer avec nous et me filme avec son téléphone …Ils ont tous des téléphone à la main et notre hôte a deux iPhone !…
Nous voila cyrille et moi entouré donc de notre ami à chignon et vêtement traditionnel ( comment dit on Kimono en chinois?) et de deux ravissantes femmes dont une nous amène un plan de grosses myrtilles. Cyrille a rencontrer avant de monter les escalier une jeune fille en short qui parle anglais ..elle vient s’assoir avec nous ..je ne sais pas qui elle est …mais s’offre à faire la traductrice … Elle m’explique que je suis dans l’ atelier de calligraphie « taoïste ». Mais impossible de comprendre son nom ..Personne n’a l’air de se rendre compte que nous ne comprenons rien .. Notre hôte nous donne des papiers calligraphiés ..le mieux se serait un poème .. »le ciel est large et le soleil loin «  ? un vers dans ce gout là …et pour Cyrille c’est une pensée de Mao (?) si j’ai bien compris ..Nous parlons de nous et je montre des photos de notre travail ..(entre peintre on doit s’entendre non?)La jeune femme en rose me sourie toujours avec sa robe fendue ..elle est ronde et a beaucoup de charme dans le visage ..des yeux rieurs et la lèvre sensuelle .. Elle nous invite a venir à côté car notre hôte doit joué de son instrument de musique ..pour une sorte de réception . Nous acceptons ..et nous voilà parti a 5 mm à pied dans une galerie au premier étage ..Géraud est toujours dans sa boutique et discute le prix des bouddhas de bois …
Au premier étage donc ce trouve une galerie vide avec une grande table pleine d’assiettes préparées de fruit ..le rouge des pastèques tranche sur la nappe blanche qui a été décorée par des petits monticules de mousses des bois …Il y une dizaine personne dont plusieurs femmes en jolies robes traditionnelles. Je les salue de plusieurs  Nihao nihao et ils me répondent en me regardant avec une certaine curiosité ….Nous nous installons Cyrille et moi le long du mur devant la table, accompagné de notre traductrice qui se prénomme Charlotte ( elle ne vient pas de Shenzhen et parle vraiment très bien anglais, je pense qu’elle doit venir d’HK mais non elle habite Ningbo me dit elle  !) Elle nous explique que nous allons assister à une petite réception organisée pour l’ouverture de la galerie ..il y aura de la musique, de la danse et une présentation de la cérémonie du thé !!
une jeune femme en robe chinoise traditionnelle satin crème fait l’ouverture avec un micro sans fil décoré de strass et diodes lumineuses..le son est amplifié avec une chambre d’écho ..les gens arrive du fond de la boutique appartement, nous sommes  bientôt une vingtaine, la représentation commence …Le laïus est long ..Charlotte ne peut me traduire tout. Une distribution de fleur est effectué pour « l’anniversaire de son père! » Je ne sais si il est présent ..je ne sais pas qui est cette jeune fille nous sourions sans comprendre.
Au bout de la table ..s’installe une jeune fille en costume traditionnel ..La cérémonie du thé commence sur une petite musique lancinante ..Elle a devant elle une théière des petit bol blancs très élégant posés sur de petit carrés de pierre noire..elle manie la pince pour prendre ces petits bols sans anses ..entre chaque mouvement ( très gracieux cela va sans dire ..elle tourne les poignets  lentement en amplifiant ses gestes comme un prestidigitateur   ) L’opération de préparation du thé consiste d’abords à chauffer les tasses ..puis à mettre le thé dans un petit bol a couvercle ..(beaucoup de thé noir sorti d’un sachet en aluminium) lavé une première fois le thé ..Puis de nouveau le faire infuser ( rapidement ) puis servir ..nous y avons droit ..il est fort et excellent. C’est un moment amusant ..lente chorégraphié, mais assez maniéré et sans vraiment de mystère ..c’est, je trouve, sur-joué dans la grâce, avec des gestes volontairement théâtrales sans réelle signification .. Le rituel japonais ou chinois vu dans certains films semble plus proche de la réalité élaborée lorsque les codes étaient actifs.
La musique s’amplifie et la première dans danse commence …Très maigre habillée de blanc avec une veste en  voilage noir transparent ..une jeune femme exécute des figures de danse très mélancolico-ampoulé mais qui finissent par me séduire ..je me laisse aller au charme du moment…Les téléphones se lèvent  de tout côté et ce n’est qu’une longue série de photos films et captures d’instant …ils sont sans complexes..
Vient le tour de notre ami le musicien Calligraphe ..Il s’installe devant une petite table dans le coin de la pièce …nous sommes toujours derrière notre table ..Il disparait parmi les gobelet et les tranches de pastèques…son sitar devant lui il présente sa musique en un long monologue ..traduit par charlotte par un  « il va jouer de la musique » ..évidemment je ne dis rien, je suis calme et respectueux ..La musique est, disons minimale ..quelques notes avec des glissando très timides ..une sorte de longue introduction suscitant l’attente …Cyrille me confiera après qu’il a trouver ça discordant…suspectant le calligraphe de ne pas savoir jouer ! Mais comment savoir …? Nous occidentaux sommes loin de la musique traditionnelle chinoise ..mais pourtant on peut mal jouer dans tous les pays ..et dans ce bricolage de réception, il n’est peut être qu’un amateur tâtonnant du sitar … nous avons entendu ce que l’on a entendu et je n’ai pas senti pour ma par que l’auditoire semblait écouter une performance ..d’ailleurs je l’ai trouvé bien contrit notre calligraphe ..surtout la fin, car après trois piccata et un petit glissando, il semblait faire non pas un silence mais une hésitation …puis sembla abdiquer ne sachant plus que faire .
la deuxième danse plus moderne fut exécuté par toute jeune fille habillé d’un long kimono vaporeux aux longues manches qui cachent les mains..elle a un joli chignon de très beaux yeux bien effilé et une bouche charnue malheureusement un peu molle ..quand elle sourit elle dévoile ses gencives et ses grandes dents …est elle belle, est-elle laide?..La danse est en tout cas parfaitement maitrisée dans ses mouvements c’est très agréable de la voir virevolter en passant  devant nous …la musique est moderne mais l’esprit est traditionnel.
Plusieurs discours s’enchainent ..le gros directeur à tête de boulanger ( ile est habillé en blanc .. ) sympathique et jovial ..il parle depuis plusieurs minute lorsque je demande à charlotte de quoi il peut bien nous entretenir ..elle me dit qu’il offre ses service à quiconque voudrait un cuisinier car il aime à faire de la bonne cuisine !! (?)Notre présentatrice ( la  jeune femme en beige) présente maintenant une femme tout en noir, habillé en tailleur pantalon  …très maquillée avec des bijoux voyant et une montre carré très épaisse en cube .Je l’ai remarqué car elle est à table avec nous sur ma droite ..visage impassible long cheveux lissés brillant ..elle est une sorte maitresse femme .Dominatrice .Toute de noir vêtue avec un maintien assez supérieur ..je vois en elle, la grande bourgeoise honorant de sa présence ce ramassis d’artistes..elle est habillée pour le bar panoramique du Shangri La plutôt que pour le village des peintres ..Elle parle longuement sans chercher ses mots et souriant à demi avec une certaine condescendance ..Charlotte m’informe qu’elle travaille pour le gouvernement ..nous n’en saurons pas plus et ne croiserons pas son regard. Un barbu filandreux assez sympathique parle plus brièvement ensuite ..il s’excuse dix fois mais doit partir …
Puis vient mon tour !! La présentatrice nous demande gentiment si l’on accepte de dire un mot ..Cyrille me dit » ah c’est toi qui t’y colle! » donc j’y vais et demande à Charlotte de venir a mes côté pour traduire au micro …Je réfléchi peu et commence à débiter mon compliment..je m’arrête pour laisser le temps a la traduction ..mais j’ai parlé en Français! donc je reprends en anglais ..mes remerciement et fait une petite phrase pour dire que venant de Paris Shenzhen est une magnifique expérience et que cette cérémonie en est une part importante etc etc ..Je salue le patron comme deux le fond deux présidents ayant signé un juteux contrat commercial scellant l’amitié indéfectible entre nos deux peuples ..Ils auraient poussés des slogans que j’aurais gueulé avec eux! Nous quittons dans la rue après fortes embrassades ..le calligraphe, la dame en satin rose et sourire pulpeux, Charlotte (qui nous donne sa carte et me dit que c’est dommage de ne pas m’avoir connu avant car l’hiver dernier elle venue à Paris …elle semble voyager beaucoup pour sa « Company »
Nous partons Cyrille et moi vers le musée Dafen …quelle étonnante parenthèse …!! Géraud est parti on ne sait ou …avec son marchant . Nous rentrons de notre côté …
Allant vers le musée nous croisons devant les galeries des séances de peinture..Ils sont dehors devant leur chevalet a s’essayer de peindre ..des paysages des marines d’après photo Cyrille parle avec une toute jeune fille qui dessiné maladroitement un petit bateau à voile ..un trait pour la mer et un soleil …Va falloir mettre la peinture maintenant ..elle est très distraite et veut s’entretenir avec Cyrille qui lui parle en anglais ..sa voisine est plus concentrée et ne nous regarde pas ..moi je fume un cigare à distance …il n’y a pas de voiture ce sont des ruelles à angles droits ..avec de petits arbres c’est paisible et très agréable.
Le Musée est gratuit ..il y a un portique de sécurité mais les contrôles sont très relâchés …Le bâtiment très « moderne » d’esprit se veut une déclinaison de volume et de forme rectangulaire ..c’est très grand et très vide …De nombreux tableaux sont récent ..les cartouches sont en chinois seule la date est lisible ..ils sont tous des années deux mille..certain de 2019  L’accrochage est étonnant ..pas thématique, par stylistique, pas chronologique..pas abstrait figuratif ( très peu de figures humaines ..) Il y a de tout de l’affreux du super affreux et de l’ignoble avec des trucs collés dégoulinant .Cyrille pense que c’est un accrochage temporaire d’étudiant …Il y a quelques belles toiles ..paysages et figuratives…Un seul Mao ..et des scènes paysannes et ouvrières…
Nous sortons pour aller boire un bière fraiche …Il fait chaud, certaine salle sont sans climatisation l’air y est poisseux …Il y a des visiteurs qui dorment sur des bancs …dans le musée.
Nous trouvons un bar à l’étage d’une maison près du boulevard et à notre  grande surprise, il y a de la Guinness  à la carte !  les fenêtres sont ouvertes et il y a des balcons à anse de panier plein de plantes. L’air circule …le patron  d’un soixantaine d’année un chinois aux cheveux long boit lui même y-une Guinness et semble heureux de voir aussi des amateurs, il nous fait signe d’un  toast de son verre! .
Il y a un couple d’occidentaux dans un coin ..les seuls aperçu dans le village des peintres ( aucun au Musée)
Nous rentrons en taxi …traversons des quartiers différents …il est 18h30
Ce soir nous dinons dans ma chambre ..une soupe  (soupes déshydratées dégueulasses qui passent aux toilettes )
Lessive et au lit
trois gâteaux secs et des abricots au sirop ..Cyrille s’enfile une paquet d’algues sèches ..je trouve ça bien immonde ..gout de poissons sales .
Lessive
Au lit à 23h ..

Shenzhen Huawei VIP Unit  2019  avec Géraud de Torsiac et Cyrille Laroche

 

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26 janvier 2019

LA PEINTURE CACHÉE DERRIÈRE LE MUR

 

 

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Il y a un plafond sous le plafond! Il y a une peinture derrière la cloison !
Voilà une étonnante découverte à Paris. Une grande peinture avec cavaliers, chiens et paysage étaient au secret derrière un banal contre-plaqué.


Le premier acte de cette aventure fut la dépose du faux plafond du premier étage de la future boutique Oscar de la Renta, rue de Marignan.
La démolition du plafond laissa apparaître des couleurs! Un plafond à caissons armorié.
Pas moins de vingt huit peintures héraldiques en très bon état constituées de blasons de grandes tailles, de rinceaux de couleurs vives peints sur toiles dont certaines à fond doré, étaient collées entre les moulures des caissons de staff peints en faux bois.
 C’était une surprise!  Les entrepreneurs et chefs de chantiers ne savaient pas exactement si cela avait de la valeur, si ce devait être conservé ou masqué….Le plafond armorié fuyant dans la pièce mitoyenne, le mur adjacent fut démoli et la pièce par ce décor révéla ses vraies dimensions.
Le faux bois et les grands blasons d’angle nous incitaient à imaginer que nous étions en présence d’une grande salle à manger plus que d’un grand salon. Le mur du fond, mur sans cheminée, sonnait creux. Une simple ouverture permit de voir qu’à dix centimètre du coffrage, il y avait non pas une boiserie, un lambris enfin, un reste de décoration allant de pair avec le plafond mais une peinture sombre avec des personnages. Deuxième découverte…et de taille.

Voilà tout le mur occupé par ce que l’on appellerait aujourd’hui un panoramique. Nouvelle concertation des entrepreneurs. Tout cela n’allait pas exactement dans la direction esthétique choisie pour une boutique de luxe. Une seule photographie envoyée à l’expert Eric Coatelem le décida à venir voir in situ cette drôle de découverte. Il apparaissait évident, malgré les salissures et la poussière, que les visages de cette peinture n’étaient absolument pas contemporains des rinceaux et armes du plafond. Première expertise qui ne sera suivi d’aucun effet car la chose était trop d’importance. Des gouges et un marteau du dix huitième siècle retrouvés dans la bourre d’une charpente, une pochette de tissu contenant un Napoléon dans un bras de fauteuil démantelé par un tapissier; il y a pléthore de découvertes étonnantes racontées par des artisans.

Découvertes qui alimentent le frisson de plaisir ressenti par la possibilité du trésor mis au jour par des mains insouciantes.

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Premier expert à voir la toile, Eric Coatelem n’a pas tergiversé, ses premiers mots ont été «  1660 1670 Français » Le frisson de la découverte était là.

 Le dôme du rocher au centre de la composition était facilement identifiable, C’était donc Jérusalem …pas la Jérusalem céleste mais la vraie, celle d'Omar. Mais de quelle bataille était-ce le témoignage ? Quel événement pouvait bien être représenté ? Quels en était les deux principaux protagonistes? Il n’y avait pas, à notre connaissance, dans les guerres du Grand Roi, une expédition guerrière en terre sainte!
Cette grande composition fuyait sous le parquet. Les pieds des cavaliers n’étaient pas visibles …Nous nous laissions à imaginer qu’un cartel ou du moins une indication de l’événement représenté pouvait être peinte au centre avec mention des personnages célébrés dans leurs poses avantageuses. Il fallait donc pour cela démonter une partie du plancher qui avait été surélevé.

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Le dôme du Rocher

Les côtés de la toile, à l’angle des murs, étaient intéressants. La toile très fine était marouflée directement sur les enduits du mur, une sorte de gaze assurait le maintien. Les traces de semences sur la partie non peinte de quelques centimètres indiquait une dépose de châssis. Cette toile de grande taille (approximativement six mètres de long sur trois mètres de haut) était arrivée dans cet appartement, roulée…La taille s’ajustant parfaitement avec le mur. Il avait été décidé, peut être au moment de la réalisation du plafond, de la coller sur ce mur où dans un modernisme d’avant garde, elle occuperait tout l’espace.
Eric Coatelem, en expert désintéressé, a très rapidement noté que la propriété de cette peinture devrait faire l’objet d’une discussion qui excédait les problèmes de décoration liés aux travaux de la boutique.

La journaliste Vanessa Friedman rédactrice en chef du service mode du New York Time, nous apprend dans son article du 21 janvier dernier, comment le « Chief exécutive » d’Oscar de la Renta, Alex Bolen, fut prévenu par son architecte en charge des travaux, Nathalie Ryan, qu’une découverte avait été faite. Découverte qui l’amena à prendre un avion et venir de New York voir la chose sur place. L’immeuble de type « Haussmanien » construit en 1910 appartient toujours à la même famille dont les descendants habitent encore aujourd’hui les étages supérieurs. Le rez-de-chaussée gauche est depuis longtemps loué en pas-de-porte ( Il y avait ici l’ancienne boutique Reed Krakoff avant les travaux actuels). Le premier étage, qui d’un appartement bourgeois de grande dimension fut transformé en bureau fonctionnel de courtier en assurance, s’est vu relié au rez-de-chaussé par un escalier, ce qui transforma la future boutique en duplex. L’agencement et la décoration sont signés Jeang Kim and Will Kim of Oro Studio. L’inauguration sera, à n’en pas douter, un événement du chic parisien…

Mais l’arrivée de cette grande toile extraordinaire, pouvant être considérée comme un bien immeuble, amena les propriétaires à être contactés et à intervenir.
De qui était cette peinture?
D’ou venait-elle?  Pourquoi était-elle cachée derrière un panneau ?  Que fallait-il en faire? De quelles armes le plafond s'ornait-il?
 Un expert fut choisi : Stéphane Pinta du Cabinet Turquin.
 Il put identifier cette scène atypique. La venue d’un Ambassadeur du Roi Soleil à Jérusalem!
Le tableau est décrit dans l’ouvrage d’Albert Vandal paru en 1900 « L’odyssée d’un Ambassadeur;  Les voyages du marquis de Nointel  1670-1680 » une reproduction du tableau y est même montrée page 112 avec la mention « L’arrivée devant Jérusalem - Tableau appartenant à la Mme la Marquise de Chasseloup-Laubat »

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L’ouvrage extrêmement bien documenté, nous détaille l'histoire de Charles François Ollier, marquis de Nointel qui fut un personnage extraordinaire. Ambassadeur de 1670 à 1679, il oeuvra pour Louis XIV auprès de la sublime Porte et visita les Echelles du Levant ( les villes de l’Empire  Ottoman ayant des marchands français qui dépendaient d'un consul sous l'autorité de l'ambassadeur.)
Ses voyages ou ce qu’on appellerait aujourd’hui ses tournées d’inspection, lui permirent d’aller d’Athènes à Jérusalem en passant par Constantinople et Alep .
Ceux-ci furent l’occasion d’une grande expédition religieuse, scientifique et culturelle, car le dépensier marquis avait de la curiosité et de l’intérêt pour l’Antiquité et les oeuvres d’art ainsi que les études de moeurs exotiques. Il voyagea accompagné d’orientalistes et de peintres, qui sur son ordre collectaient de nombreux manuscrits, réalisaient des relevés archéologiques et esquissaient de futurs tableaux événements commémorant les moments importants.

On lui doit notamment les seules descriptions du Parthénon avant sa destruction lors de l’explosion de septembre 1786  (Ce qui permit aux Anglais de justifier leurs prélèvements ) Sa vie se termina malheureusement dans la disgrâce et l’oubli. Il mourut à Paris dans la misère près de l’église Saint Roch ayant dispersé toutes ses collections.
Albert Vandal recense quatre grands tableaux réalisés à Constantinople et ramenés à Paris en 1780; qui se retrouvèrent dans un grand vestibule sur jardin au Château de Bercy dont les propriétaires étaient apparentés au marquis de Nointel.

Une "Vue d’Athènes" perdue, oubliée pendant de nombreuses années après la dispersion qui précéda la démolition du château. Puis finalement réapparue chez un brocanteur, M. Rozier, rue d'Arcole, à Paris, où il avait été repéré par M. Duplessis, conservateur des Estampes à la Bibliothèque Nationale, en 1882 ( source G.Meyer cf Infra). Le Musée de Chartres en fit l’acquisition. Elle est actuellement, et cela semble assez cohérent, présentée au Musée de la Ville d'Athènes qui la possède en dépôt. Les trois autres tableaux ont pour sujets: " Le renouvellement des Capitulations"  (Audience du Grand Vizir ) "La cérémonie du feu sacré" ( le vendredi saint orthodoxe) et " L’arrivée devant Jérusalem" (vue de Jérusalem en arrière plan du marquis; Composition comparable à la vue d'Athènes.)

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Vue d'Athenes ( Musée de la ville d'Athènes )

Albert Vandal écrit:
«  A Bercy, les tableaux étaient vraiment à leur place, en de haut appartements dorés, près des jardins dessinés par Lenôtre, dans un merveilleux ensemble décoratif. Au siècle dernier, on les citait encore parmi les curiosités du château. Survinrent les révolutions, les vicissitudes publiques et privées; le château de Bercy fut négligé par ses propriétaires, laissé à l’abandon; finalement, en 1861, la spéculation l’acquit et détruisit cette merveille. On mit le mobilier l’encan; les tableaux reparurent alors noircis, détériorés, lamentables. Un enduit de poussière et de moisissure les recouvrait; les toiles gondolées se fendillaient ; la peinture s’écaillait et tombait par endroits. Un marchand de Paris acheta ces restes et les fit réparer; un riche amateur, M.Moselmann les acquit plus tard. Depuis le hasard des héritages et des convenances particulières amena leur dispersion. »
Vandal fit des recherches approfondies et réussi à les localiser, les étudier et à les photographier ( cela semble plutôt des héliogravures d'après dessin...(?) )

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Le renouvellement des Capitulations ou l'audience du Grand Vizir. Vandal / Photographie de G.Meyer.

Le" Renouvellement des Capitulations" ( les Capitulations sont des traités de commerce qui accordaient aux signataires étrangers ce qu'on appelle la clause de la nation la plus favorisée : droits de douane réduits, plus quelques autres avantages..). Ce grand tableau "exotique" montrant le marquis face au grand vizir, lui même entouré de dignitaires ayant de très larges turbans dignes des "mamamouchis" de Molière, fût au château d'Aramont dans l'Oise, propriété de monsieur de Maindreville.

La "cérémonie du feu sacré" qui exalta la curiosité du marquis par ses scènes bachiques d'orgies religieuses, montre le miracle de la flamme surnaturelle apparaissant à la Pâques Orthodoxe dans le Saint Sépulcre. La flamme surnaturelle, gardée par un prêtre, est transmise de cierge en cierge dans un délire de transe mystique donnant lieu comme le dit Vandal, d'après une lettre du marquis, à " des scènes d' hideuse bestialité". Ce tableau fût au château de Sassy en Normandie propriété du duc d'Audiffret-Pasquier.

Concernant celui qui nous occupe, Vandal écrit en 1900 « le tableau représentant l’arrivée devant Jérusalem était resté en plein Paris, dans une maison particulière; mais on en ignorait absolument le sujet et la provenance. » Il précise dans une note en bas de page «  Au numéro 4 de la rue de Marignan, dans une maison appartenant à la marquise de Chasseloup-Laubat » Nous y voilà, car nous sommes bien au 4 rue de Marignan!

Guy Meyer, Docteur en Histoire et spécialiste du monde gréco-romain, nous donne encore plus de précisions concernant le cheminement des tableaux de Bercy. Dans son étude "A la Recherche d'un portrait d'Antoine Galland" dans les "Actes du colloque Antoine Galland et l'Orient des savants" Paris 2017, publié par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il nous renseigne sur le 4 rue de Marignan . C'était la propriété, l'Hôtel particulier, de monsieur Mosselman, l'acheteur des tableaux! Hyppolite-léopold Mosselman ( 1816- 1873) banquier à Bruxelles était collectionneur. Apparenté aux Casimir-Perier, il était aussi le propriétaire du château d'Aramont à Verberie sur Oise, Château qu'il fit pratiquement reconstruire vers 1840. Il y installa "le renouvellement des capitulations" dit "l'audience du grand vizir". Le tableau fût vendu ou légué avec le château à monsieur de Maindreville . Il serait intéressant de savoir si la mairie de Verberie, actuelle propriétaire, l'a encore. La " cérémonie du feu sacré" fut donnée par Mosselmann à sa nièce, la duchesse d'Audiffret-Pasquier qui l'amena au château de Sassy en Normandie, ancienne propriété du Chancelier Pasquier.

Le tableau a donc été, dès son acquisition par Mosselman, dans son Hôtel particulier du 4 rue de Marignan. Rue qui ne fut ouverte qu' en 1853. L’immeuble actuel au sis 4 rue de Marignan lui, fut construit en 1910 donc dix ans après la publication de l’ouvrage de Vandal.
 Aussi extraordinaire que cela puisse paraître la toile fut donc là avant l’immeuble. L'itinéraire Mosselmann Chasseloup-Laubat ne nous est pas connu. L'hôtel fut-il vendu (?) légué(?) aux La Rochefoucauld, actuel propriétaire ? La transformation complète du quartier vit l'ensemble de ses hôtels Particuliers disparaître.L'hôtel fut donc démoli pour construire un immeuble de rapport.
 Mais la toile a été conservée…déposée de son châssis et collée sur le mur du premier étage vers ...1910 ? Étonnant non?
Le goût ayant changé, la destination de l’appartement aussi, passant d'habitation à local commercial. La décoration grand siècle entreprise dans un immeuble du vingtième siècle laissa la place à quelques visions plus « contemporaine» et l’on masqua ces décors lus comme vieillots. Il nous semble plus probable que le souci de modernisation décida de la restructuration de l'appartement. Cela put se produire très tôt, vers 1930 (?)  L’hypothèse d’une « cache » de la seconde guerre mondiale pour soustraire un chef d’oeuvre aux réquisitions parait vraiment peu crédible.
Voilà le sujet du tableau trouvé, l’historique ébauché. Mais les questions n’en sont pas pour autant épuisées.

 

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Quel est le nom du peintre? Car si Albert Vandall nous renseigne par une description, une photographie et un début d’historique, il ne nous dévoile pas le nom de l'artiste.
 Le marquis de Nointel s’entoura de peintres et notamment d’un peintre installé à Constantinople, Rombaud Faidherbe. Celui-ci est secondé par un jeune peintre dont le nom n'apparaît pas et qui est désigné par Vandal comme le « peintre flamand ».
Faidherbe meurt pendant le voyage entrepris jusqu’à Jérusalem en 1673. Seul son second dit «le  peintre Flamand »  reste auprès du marquis lors du retour à Constantinople en 1674. La tache de collecte et de mise en forme des tableaux d'après les esquisses étant énorme, le marquis s'attacha les services d'un peintre supplémentaire en la personne de Jacques Carrey, ancien élève de Lebrun, envoyé à Constantinople pour collecter des motifs décoratifs. C’est à ce dernier que toutes les attributions revinrent par la suite, notamment les relevés du Parthénon. Mais Vandal prouve dans son ouvrage que cela est une erreur grossière et attribut au  « peintre flamand » anonyme, les tableaux et relevés du Pathénon. Jacques Carrey n’a pas participé au voyage à Jérusalem, mais il a néanmoins dû « collaborer » à la réalisation des grandes toiles déjà esquissées par Rombaud Faidherbe et son ami inconnu.

Qui était ce peintre flamand?
 Vandal écrit de lui:

«  C'est l’oeuvre d’un jeune peintre flamand qui travailla sous la direction de Nointel, sous ses yeux, et dont le nom ne nous est pas parvenu » (appendice III)


Ce peintre anonyme flamand pourrait bien être Arnould de Vuez pense Stéphane Pinta, en s'appuyant sur les écrits de Jean Pierre De Rycke "Arnould de Vuez auteur des dessins du Parthénon attribués à Carrey" ( Bulletin de correspondance helléniques 131/2007)  Ce jeune peintre fit une belle et longue carrière en Flandre. Il fit le voyage à Rome, copia Raphaël et rencontra Lebrun, fut reçu à l’académie royale de peinture en décembre 1861. Il est dit dans sa notice biographique rédigée par un de ses descendants (Ici) qu’il dû fuir à Constantinople après un duel d’honneur. Il partit dit-il dans la suite du marquis. Mais Vandal nous renseigne sur le fait que le marquis "partit  en 1670 et ne fut alors accompagné d’aucun peintre" et lorsqu’il eu la nécessité de faire réaliser des portraits, il trouva un peintre « établi sur les lieux » :  Rombaud Faidherbe. Arnould de Vuez était-il son aide et ami ? Etant son compatriote, il est très probable, en effet, qu’ils se soient retrouvés et qu’ils aient collaborés aux travaux demandé par Nointel. Mais la biographie de Vuez semble un obstacle à cette possibilité comme l'indique très justement Guy Meyer dans ses travaux ( opus cité ) et cela a de l'importance car s'il semble établi que"l'anonyme de Nointel" n'est pas Carrey, cela ne semble pas être Arnould de Vuez non plus. L'enjeu est de taille car outre les quatre tableaux, il y a l'attribution des dessins du parthénon en jeu.
Il existe de nombreuses peintures de Vuez dans les églises et couvents de Lille, Cambrai, Douai. Ainsi que dans les musées; le Louvre possède une toile, les musées de Dijon Rouen, Cambrai, Montpellier et le musée des Beaux Arts de Lille en ont également dans leurs collections. Une étude stylistique poussée serait la bienvenue. Meyer montre dans son étude, page 298 et suivantes, que la biographie de Vuez cadre plus avec le successeur de Nointel: Guilleragues. C'est très intéressant car la démonstration de Meyer très documentée, éclairante, lui fait dire que le dossier Arnould de Vuez est "presque vide".

 

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 Le consul de Seyde


Il est indéniable que « L’arrivée à Jérusalem » est de très belle facture. Le cheval de face, le visage du consul sont absolument remarquables. Le visage du marquis est plus ingrat. Était-il si laid? Il ressemble beaucoup au portrait vu sur "l'Audience du grand vizir". L’ensemble est bien construit avec une élégante farandole de piétons exotiques autour des cavaliers. Les arrières plans reçoivent traditionnellement un traitement plus secondaire mais le dôme du Rocher avec la ville fortifiée, situé au centre de la composition classique est comme un phylactère explicatif.  Dans une lettre au roi daté du 10 avril 1674, le marquis de Noindel raconte l'échange de monture qui eu lieu à son arrivée devant la ville sainte "Un cheval richement harnaché que l'on m'amena pour changer le mien un peu fatigué" Contrairement à ce que pense Vandal, l'échange n'a pas encore eu lieu. La scène montre l'arrivée du cheval amené par les turcs. A gauche du tableau, devant le consul, il y a un cheval "arabe" dont la tête tournée vers nous est de remarquable facture. Il n'a pas de cavalier, son harnachement de poitrail est beaucoup plus riche que celui du cheval du marquis. Sa couverture de selle ressemble à un caftan brodé d'or. Voilà sans doute la nouvelle monture. 

La reproduction en noir et blanc présentée page 112 dans l'ouvrage de Vandal, ainsi que la photographie prise par G.Meyer sur son édition du Vandal, laisse paraître une différence importante avec ce qui semble bien être l'original découvert ici. Il n'y a pas sur les reproductions, les deux personnages qui se tiennent derrière le marquis de Nointel. Un grand vide apparaît dans l'illustration avec un cavalier dans le lointain, alors que sur le tableau, il y a deux éminents personnages surmontant deux têtes de chevaux admirablement traités.  La copie pour l'héliogravure a-t elle été interprétée car le tableau était trop sale pour que les deux cavaliers et têtes de montures soient visibles ?  Difficile de le croire.

 

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Ilustrations Vandal et photographie Marignan:  Les cavaliers derrière le marquis de Nointel

 
La grande toile est actuellement entre les mains de Benoit Janson, restaurateur parisien éclectique et sympathique, qui redécouvre les couleurs derrière un gros vernis polymérisé. Les travaux de nettoyage se termineront au printemps. Il n’y avait pas de lacunes trop importante, de soulèvements trop visibles, de rupture d’accroche de la couche picturale; mais bien de nombreux repeints. Le marouflage a été très réussi, sans cloques, ni point de tension de colle apparent. La surface est sale bien sûr, très sale et très jaune; mais l’ensemble ne donne pas une impression de décrépitude et de fragilité.. Le vernis et les repeints otés, le travail de restauration proprement dit reste à faire.

La toile semble d’après Vanessa Friedman, destinée à rester sur le mur. Il est dit qu’une transposition avec rentoilage n’est pas envisageable car trop fragile (à vérifier auprès du restaurateur...). L’oeuvre sera visible pendant les dix ans que courre le bail.
Les conservateurs du Louvre et de Versailles vont sans doute se pencher sur le sujet car comme nous l'apprend Eric Bietry Rivierre du Figaro, une grande rétrospective Arnould de Vuez est en prévision pour septembre 2019 à l'Hôtel Sandelin de Saint Omer; sa ville natale ....dont la cathédrale Notre Dame conserve la « Prédication  de Saint Paul » considérée comme une de ses plus belles oeuvres.

Mais n'est-il pas le peintre trop commode de cette extraordinaire découverte?

Qui est donc le peintre Flamand "L'anonyme de Nointel"?

Celui des tableaux de Bercy, celui des relevés du Parthénon?

Celui de la rue Marignan?

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 Le nouvel équipage du marquis.

 

 

Les photographies ont été réalisées avant nettoyage et restauration.

 

 

 

7 décembre 2018

UNE DEUXIÈME VISITE SOUVENIR

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P4

Voici une autre photographie sortie de la boite de souvenirs, Nous l’appellerons : P4. Les premières photos qui accrochaient le regard étaient celles avec personnages. Nous y avons vu le Maréchal des logis Lièvre de la 2eme compagnie du GT 18. Compagnie qui convoyait en Indochine les troupes à travers le pays et notamment vers Battambang au Cambodge. Il y fut en opération avec la 13eme DBLE (Demi Brigade de la Légion Etrangère).
Celle-ci nous montre sans doute ce qu’a vu le MdL Lièvre lors de sa visite dans les ruines d’Angkor Vat avec son camarade et ami Yves Alain, que nous avons reconnu à ses côtés sur les clichés du billet précédent.
Cette photographie est intéressante car prise de haut. Toutes les vues actuelles sont prises du sol maintenant qu'il est formellement interdit de grimper sur les superstructures des temples. Ici le photographe prend son cliché en plongé, ce qui nous montre les faîtages des toits. Le bâtiment central est cruciforme. A droite, il est relié par une coursive à fenêtres avec balustres. Une amorce de tour à étage (Gopura) est visible. En regardant plus précisément, on aperçoit derrière le bâtiment central, la fuite d’un toit continuant le plan cruciforme du toit à fronton. Il y a six fenêtres visibles sur la droite. Une grande masse sombre avec un toit écroulé occupe le centre du cadrage. Des pierres éparses sont posées sur le sol à droite.
Quelle partie d’Angkor est-ce ? D’où a-t-il prit sa photo? ( Le photographe est anonyme car s’il y a si peu de clichés dans la boite de souvenirs, c’est sans doute qu’ils ont été donnés au MdL Lièvre et qu’il n’en est pas l’auteur.)
Le plan d’Angkor Vat est fascinant. Une régularité d’entrelacs de croix dans des carrés. Imbriqués les un dans les autres reliés par une longue voie reposant sur une horizontale simple. Peut être qu’il est utile de rappeler ici les dates et le nom du Roi qui fut l’ordonnateur de ce temple, palais, mausolée et monastère.
Construit entre 1113 et 1150  ( C’est l’âge des cathédrales en France: Chartres, début des travaux:1134, Notre Dame: 1163 ..) par le grand Roi Suryavarman II.
Il fut consacré à la seconde divinité de la Trimurti, Vishnu, à laquelle il s’identifiait. C’est ainsi qu’à sa mort, il prit le nom de Paravisnuloka «  Celui qui est allé au paradis du grand Vishnu »
Angkor Vat signifie « Ville royale Monastère ».
J’ai rappelé brièvement dans le premier article étudiant ces anciennes photos, l’étrange lien qui uni la France à ces ruines. Celles qui furent délaissées, oubliées par les fils des Khmers et découvertes au monde par la curiosité historique des voyageurs et savants français du XIXeme siècle.
 Aujourd’hui le tourisme de masse chinois met en péril les temples. Les allées, terrasses, escaliers et galeries sont fragilisées car envahies d’une foule en baskets et casquettes US brandissant des perches à selfies.

Cette première photographie (P4), montre des ruines.  Mais quelles sont elles?  C’est sans conteste une partie d’Angkor Vat. On reconnait les colonnettes de Grès, les entablement, les frontons, la formes des toits.
Les vues actuelles d’Angor Vat présentent des bâtiments en bon état avec quelques stigmates du temps mais pas d’effondrement de toit et de pierres décalées sur le haut des murs comme sur ce cliché. Pour identifier l’angle de vue et la partie représentée, il n’y a donc que les photos anciennes qui peuvent nous renseigner. Deux cartes postales anciennes viennent à notre aide. Tout est plus clair !  Il s’agit de la partie droite de la galerie ouest, avec le porche donnant sur l’édicule dit Bibliothèque du Nord, dans la cour intérieure. La photographie a été prise des soubassements de la première galerie avec quinconce que l’on appelait autrefois troisième étage. Maintenant le décompte se fait à partir du Prasat central vers l’extérieur.

 

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L'édicule effondré (Bibliothèque) et la porte à droite avec le batiment au toit cruciforme. Allée centrale dans le lointain.

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Vue avec la tour d'angle amorcée dans P4


 Le cliché P4 montre comme les cartes postales anciennes, le porche du Nord effondré. Le photographe monte sur les ruines des escaliers de la partie centrale, se retourne et photographie d’où il vient ..La première carte postale présente un cadrage plus réussi car l’allée centrale est visible. La perspective peut se dérouler et l’ampleur du lieu est mieux exprimé. Mais c’est le même angle de vue et nous pouvons reconnaitre notre cliché P4: Le porche nord et son pavillon de la deuxième galerie face à l’édicule nord  de la cour intérieure.

 

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P5

La photographie P5, est la deuxième vue d’Angkor Vat sans personnages. Le cadrage coupe le haut d’une tour d’angle. Il pourrait s’agir de la Prasat Nord de la partie centrale, dite la galerie avec quinconce. Ce deuxième niveau d’Angkor Vat était interdit à tout public. C’est pourquoi la galerie à nef unique qui le délimite en une sorte de carré de 110 mètres sur 115, est très sombre car il n’y a aucune ouverture. Des fausses fenêtres avec colonnettes sont présentes à l’extérieur pour l’ordonnance architecturale.
Une rampe de fer est visible sur le premier escalier du porche central hors champ sur le cadrage. Cette rampe à certainement été installée par les services d’étude du temple chaperonné par l’école Française d’Extreme Orient. Les douze escaliers de ce niveau sont impressionnants avec une pente de plus de 70 degrés. Une pente très raide, due au parti pris de faire des escaliers d’une seule volée.
Un naga se détache sur le ciel. L’état des bâtiments semble très satisfaisant en témoigne les frontons de la tour qui sont en excellent état.

 

 

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P6

Les photographies suivantes, P6 et P7, montrent deux moments de détente avec celui qui l’on reconnait comme le Maréchal des Logis Pierre Yves Lièvre.  Il est bien difficile de déterminer une date pour ces deux instantanés; 1946, 1947 ou début 48? quelque part sur les routes d’Indochine.

La photo P6 montre le MdL Lièvre avec un camarade tête nue. Ils sont tous les deux souriant, qui avec une cigarette aux lèvres, qui avec un chapeau de brousse ayant souffert d'avoir connu la saison des pluies. Leurs chemises sont ouvertes sur leurs torses ..ont-ils un « maillot de corps »? Peut être..Il y a des plis dans le blanc surexposé. Cette surexposition ne permet pas de voir s'il y a un col. Le pantalon est remonté sur les chaussures de marche à jambières attenantes. Les uniformes sont sobres, assez fripés, sans écussons ou particularités. Ce sont des tenues de brousse, des tenues de combat mais sans ceinturon. Vestes à quatre poches plates et pantalons simple sans les poches latérales à l’américaine.
Que font ils ? ils déambulent sur ce qui ressemble à un chantier…Il y a derrière eux, huit annamites. Il faut être attentif car ils ne se laissent pas distinguer facilement. De gauche à droite : on voit nettement un homme assis un peu en retrait à la hauteur de l’épaule gauche du MDL Lièvre puis les jambes nues de deux hommes derrière lui, masqués par sa haute stature. A droite de la photographie, il y a quatre hommes qui travaillent tournés vers le talus. A droite de celui qui est le seul à porter une chemise, il y a une silhouette noire au profil très lisible et à ses cotés, on aperçoit à demi caché le fessier d’un homme et sa jambe.
 Le dernier homme, le cinquième près du cadre, se tient droit, la main sur l’épaule gauche et porte ce que l’on distingue comme une hotte. Il est nu avec un pagne. Il attend. Il porte à la commissure des lèvres un petit bâton..Est ce une pipe? ou juste un effet photographique?
 Le bétel étant consommé par les femmes, il ne peux pas s’agir de ça. De plus, ils sont nus avec des pagnes, un seul porte une chemisette en loque. Leurs coupes de cheveux est intéressantes: ils ont des chignons. Celui qui est vu de dos en train de bêcher, porte une longue natte très fine. Ils ressemblent fortement aux Moïs, peuplade traditionnelle vivant dans les montagnes du Vietnam et sur les plateaux des revers de la cordillère annamite. Ils sont très proches en coutumes et habitats des « Kha » ou des « Méo » du Laos ainsi que des « Hmong » du Cambodge.

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Le sol semble meuble et peu tassé. Est ce une route? Pas sur.  Les Moïs travaillent-ils à déblayer? Ils ne semblent pas « ouvrir » une route. C’est assez énigmatique mais l’ambiance parait détendue. A première vue, on pourrait croire que les deux militaires français remontent la route qu’ils font déblayer par des locaux embrigadés dans des travaux pénibles de terrassement, il y a des rochers dans cette forêt. On imagine les camions derrière, en file attendant que l’ouvrage se fasse. Mais n’est ce pas plutôt une promenade sur un chantier (collecte de terre à brique?) rencontré au hasard d’une halte?  Le MdL Lièvre porte dans sa main droite quelque chose. Ce n’est pas une arme mais une chose qui tient dans sa paume avec une courroie qui passe entre son pouce et l’index. Est ce une gourde? un calepin ? un appareil photo? Son camarade pourrait être Yves Alain. En rapprochant les photographies II et III de celle-ci, on note une certaine ressemblance de coiffure et de morphologie avec lui.

 

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P7

 La photographie P7 est un portrait. Un portrait presque en pied du MDL Lièvre. Le cadrage coupe le chapeau de brousse (copie française du green jungle hat anglais modèle 1944) ainsi que les mollets. Mais ce n’est pas un instantané . C’est une photo posée. Le MdL Lièvre  tout sourire semble prendre une pose royale comme dans le célèbre tableau de Rigaud avec un déhanché praxitélien, c’est à dire en contra posto ! ( traduction:  le tombé des épaules contraire au déhanchement ..cf: statuaire grecque Praxitèle…) La scène est joyeuse en bordure de petits bananiers. Cette posture royale est dû au sceptre ..à la canne royale qui ressemble à une gaffe de marinier en métal mais avec un col de cygne à la place du crochet ! Cela ressemblerait plutôt à une perche de débâchage que l’on utilise pour les camions à plateau. Il ne s’agit pas d’une canne de chef de village ou de bâton de pélerin en tout cas. Le MdL rit et fait rire sans doute ses camarades. Il prend la pose. on prend une photo. Moment joyeux de détente, de « déconnade" entre militaires. Mais la grande différence avec la photo P6 et les précédentes, ce sont cette cartouchière et ce fusil qui n’apparaissent dans aucunes autres.  Le fusil est porté crosse en l’air dans le dos avec la sangle sur l’épaule. Le canon pointé vers le sol n’est pas clairement identifiable comme celui en dotation dans l’armée Française en Indochine ; le MAS 36 qui a un fût qui semble plus fin. La qualité de la photographie nous trompe peut être, mais la cartouchière plates en bandoulière est atypique aussi ..cela ne correspond pas à celle en cuir pour chargeur de MAS 36 ou de MAC 24/29. Est-ce une particularité du GT 18 ? Difficile de le savoir ….Une autre différence à remarquer est la présence d’une montre bracelet et d’un fin maillot de corps à manche longue.
 Le sourire du Maréchal des Logis Lièvre est assez visible pour être reconnu. Et il est indéniablement reconnu ! C’est bien lui, ce sourire que l’on retrouve chez ses enfants et surtout sur le visage de sa fille !
Sur le visage adulte des enfants, les chemins tortueux de l’hérédité sont lisibles comme en plein jour sur les jeunes visages des parents.

 

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P8

Parmi les clichés d’Angkor que nous avons commenté, il y avait cette vue de trois tours sanctuaires sur une terrasse avec escaliers encadrés par des lions assis. Nous l’avions volontairement écartée car elle ne correspondait pas à ce que nous connaissons d’Angkor Vat. Nous l’appellerons P8.
 Deux militaires sont visibles à gauche. Un homme nous fait face, il a des chaussette blanche qui attire le regard. Il est en short et porte un calot. Derrière lui, un autre en pantalon et chemise à manche courte (ou relevée ) rentrée dans la ceinture porte le képi blanc des légionnaires. Un soldat de la 13eme DBLE certainement convoyé par la GT 18. Donc nous pouvons envisager la possibilité, mais sans aucune certitude, que cette photo date de 1947. Battambang est une ville du nord du Cambodge à l’est du grand lac Tonlé Sap. Sachant que cette vue de trois Prasat sur une petite terrasse ne correspondait absolument pas avec les constructions d’Angkor Vat, une rapide recherche iconographique sur l’art Khmer nous permit d’identifier le temple comme étant celui du Preah Kô près de Roluos au nord de Battambang près de la frontière Thaïlandaise.

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Prea Kô

Le temple construit par le Roi Jayavarman II est dédié aux ancêtres, avec ses trois tours masculines flanqués de trois autres féminines derrière elles. La présence de trois statues du taureau Nandin lui donna le nom de Prea Kô qui signifie « taureau sacré ».  Marilia Albanese dans son ouvrage « Angkor les splendeurs de l’art khmer »( Gründ 2002 ) nous parle du Preah Kô  « Le Prasat situé au centre de la première rangé, plus grand que tous les autres, abritait une effigie de Jayavarman II, représenté sous la figure posthume de Parameśvara. » Cette statue que nous voyions en ombre dans l’ouverture centrale était donc encore en place lors de la visite des militaire français. Les tours étaient en très mauvais état. C’est très visible, aucun des éléments décoratifs ne semblent complets. Les murs de brique ont perdus leurs revêtements de stuc sculptés d’arabesques. Les gardiens protecteurs ( dvarapala) de portes sont manquants. Ils reviendront et le temple sera entièrement restauré ….. Il aura belle allure avec ses Prasats remontées mais la statue sera manquante, elle à été transportée au musée National du Cambodge à Phnom Penh. Wiképédia Anglais nous renseigne: « Le Paramavara, (Sanskrit: परमेश्वर)  ou Paramashiva est le terme généralement appelé dieu Shiva comme étant l'être suprême selon le saivisme, qui est l'un des 4 principaux sampradaya de l'hindouisme. Parameshwara est la réalité ultime et rien n'existe qui ne soit non plus avec Paramashiva. » 

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Le Shiva du Preah Kô au Musée de Phom Penh

Il est fascinant de voir que, dans ces ruines qu’arpentent des militaires en opération, Shiva dans l’ombre de sa retraite se découpe sur le ciel, les bras brisés mais la tête haute et cela depuis plusieurs siècles. Maintenant, luisant sous les mini lampes muséales, le pauvre Shiva doit rêver aux nuits de brouillard mourant aux matins rouges dans sa solitude d’avant le tourisme mondial.

 

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P9

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P10

Les deux dernières photographies (P9 et P10) trouvées dans l’enveloppe de la boite de souvenirs, représentent une grande chute d’eau, plus large que haute; juste un paysage sans bâtiments ni personnages; puis une vue de baigneurs regardant l'objectif en contre bas de la chute.
 Ils sont trois sur un groupe de rochers au pied de la cascade. Deux annamites, un blanc. Deux debout, un assis. L’annamite debout parait nu alors que le blanc laisse deviner un long maillot des années trente. Celui qui est assis n’est pas très visible. Sa position serait plus celle d’un jeune homme ou même celle d’une jeune fille. Ils paraissent, tous les deux, très noirs de peau. S’il s’agissait d’une photographie sans aucune provenance et sans présupposé; l’on pourrait aisément la situer en Afrique ou dans les îles. Mais les Moïs sont bien sombres de peau et le blanc ressemble à quelqu’un que l’on a l’impression d’avoir déjà vu. il pourrait, vu sa pose et sa tignasse, s’agir d’Yves Alain, le camarade du MdL Lièvre. Voilà une séance de baignade avec des locaux. Moment de détente sous le ciel blanc dans la chaleur de l’Indochine ..De vrais vacances en somme! Il n’y a, nous l’avons déjà dit, aucune mention au dos des photographies. Nous ne savons ni le lieu ni la date…aucune mémoire orale ne peux nous aider. Où se trouve ces majestueuses cataractes?  Croisées sans doute au détour d’une mission, près d’un poste français? Une étape sur le chemin..peut être ? Nous savons par les états de service connu du MdL Lièvre que ses positionnements étaient situés principalement autour de Saïgon, dans la plaine des joncs ainsi que vers la mer de chine sur la route cotière entre Phan Thiet  et Nha Trang.
Les missions de transport allaient aussi vers le nord; c’est à Thaï Ninh qu’il connu le baptême du feu en avril 1946. Thaï Ninh est une étape vers la frontière Cambodgienne. Il remonta jusqu’a Battambang et même Roluos près de la Thaïlande. Mais rien ne renseigne sur une mission vers le sud et les chutes d’eau qui nous occupe semblent bien être les chutes de Tataï sur l’affluent de la rivière Préat qui coule vers Koh Kong. Les chutes sont situées près de la province de Prat en Thaïlande, le long de la frontière dans le golf de Thaïlande. Elles sont encore aujourd’hui un lieu de baignade, mais dans des conditions moins sauvages avec des petits bateaux plein de touristes en gilet de sauvetage orange. On y accède par la route après une heure de trajet en venant de Sihanoukville.

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Chutes de Tataï


Les chutes sur P9 sont bien fournies avec un gros débit qui ressemble à celle de la saison des pluies. P10 montre un paysage noyé avec de nombreux débordement de lit. Donc, il est possible d’imaginer que ces photographies aient été prises entre le mois de mai et la mi novembre 1946 ou 1947. Mais sans assurance aucune, car elles peuvent tout aussi bien avoir été prises en 48.... bien qu’en 1948 le Maréchal des Logis Lièvre fut en poste à Phan Tiet. Petite ville située sur la route côtière à l’est de Saïgon. Il fut atteint du Typhus et rapatrié sanitaire en août 48.

Face à ces photographies qui semblaient muettes et promises à l’oubli, nous espérons que ces petites réflexions permettent de remplir les blancs des verso et de garder la mémoire de:

Pierre-Yves Lièvre ( 1928 - 2004)

Croix du combattant; Médaille commémorative d’extrême Orient.

 

 

 

 

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4 novembre 2018

UNE VISITE SOUVENIR

 

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Photographie I

 

Voici une vue d’une grande allée menant à une tour centrale au faitage plat. Nous voyons trois personnes à droite. Il s’agit d’après leurs tenues, de soldats en uniforme (pantalon beige, chaussures montantes pour deux d’entre eux). Ils sont vus de dos, marchant tranquillement vers un temple.

Un groupe de longs palmiers à droite se détache d’une petite construction tronquée par le cadrage. A gauche, une autre construction assez indistincte semble en ruine. Les taches sombres bien visibles pourraient être des parties de toit effondrées. Un palmier solitaire se détache sur le ciel au trois quart gauche de la composition.

La chaussée très large est encadrée d’une sorte de rampe constituée de pierres plates horizontales dont certaines sont bancales et même déchaussées de leur support.
La tonalité du grand ciel blanc sans nuage semble indiquer une matinée ou un milieu de journée.

La tour centrale à quatre niveaux est sans contestation l’enceinte extérieur d’Angkor Vat au Cambodge. La structure monumentale du centre est appelée Gopura. Nous aperçevons de part et d’autre, les pavillons latéraux symétriques à toits décroissants.

Les trois soldats européens marchent sur la digue occidentale qui amène à la première enceinte. Les tours du temple proprement dit, ne sont pas visibles du fait d’un faux plat du terrain et de la grande distance entre l’enceinte et le temple central au profil si reconnaissable.

 
Un de ces trois militaires peut être identifié car bien qu’il n’y ait ni note au verso, ni date certifiée cette photographie jamais montrée provient d’un fond d’archives privées. Il devrait s’agir du Maréchal des Logis Pierre Yves Lièvre au centre.
 Il en a la taille et l’allure et certains autres clichés nous le montrerons de face, ce qui permet un rapprochement crédible. Nous en reparlerons dans un prochain billet.

 Il est difficile de dater ce moment de détente, de visite des ruines d’Angkor en pleine guerre d’Indochine: 1946  1947?

Le Maréchal des logis Lièvre était affecté a la 2 eme compagnie du GT518. Le GT ou Groupe de Transport était une unité du Train créée en Indochine en 1946 qui organisait les convois nécessaires à l’implantation et au ravitaillement des troupes.
Ayant été partie prenante de l'opération Battambang avec le 13eme DBLE ( Demi Brigade de Légion Etrangère) il pu aller au Cambodge avec son convoi et visiter les ruine près de Siem Reap. Car le Cambodge était une des provinces de l'Indochine Française et la route était longue de Saigon Cholon via Tai Ninh, Siem Reap jusqu'a Battambang au nord est.

Le 518 exista du 14 février au 31 mars 1946 puis devint la 1er compagnie du GT 519. Le MDL Lièvre âgé de 18 ans participa aux combats du GT de Janvier 1946 à Août 1948 où atteint du typhus, il fut rapatrié sanitaire et dû être dégagé des cadres.
Il connu le baptême du feu à Tai Ninh en avril 1946. Tai Ninh est une ville de belle importance, située près de la frontière cambodgienne, à 300 kilomètres au nord ouest de Saigon.
La région fut le théâtre des combats menés par une forte personnalité vietnamienne: le général Nguyen Bînh.

Christopher E. Gosha dans son ouvrage «  La guerre par d’autres moyens: réflexions sur la guerre du Viêt Minh dans le sud Vietnam de 1945 à 1951 »  décrit le personnage:
« S’il est méconnu aujourd’hui, il impressionnait à l’époque ses adversaires français par sa bravoure et les combats acharnés qu’il livrait contre le Corps expéditionnaire. Des journalistes comme Lucien Bodard et même des officiers du Deuxième Bureau (Sud-Vietnam) furent fascinés par ce militaire vietnamien, borgne et farouchement nationaliste, qui se battait bec et ongles contre l’armée française dans le Sud-Vietnam ."

 « Par ailleurs, au grand dam de certains dirigeants communistes, ce nationaliste domina la conduite de la guerre et les questions militaires dans le Sud entre 1946 et 1951. Il serait difficile de trouver un général équivalent dans tout le corps d’officiers vietnamiens pendant toute la guerre franco-vietnamienne. Enfin, Nguyen Bînh se distinguait particulièrement parce qu’il n’hésitait pas à faire la guerre par d’autres moyens. L’usage de la terreur lui fut une arme militaire et politique à employer en même temps que la guerre plutôt « classique ». Les deux pouvaient aller de pair. »

Tai Ninh fut le centre avec Saigon Cholon d’une intense guérilla qui engageait les forces du général Nguyen Binh contre les troupes françaises et les Cao Ηài pro-français, ce qui créa une véritable guerre civile au sein du conflit colonial.


 

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Photographie II

 

Dans ce deuxième cliché, nous retrouvons nos trois soldats posant sur une des terrasses intérieures du  temple d’Angkor Vat. Un des pavillons aux frontons de dragons entrelacés est présent à droite. Ils sont très caractéristiques.
La grande tour d'angle semble bien fragilisée … Les petits colonnettes, en grès tourné, des fenêtres à balustres sont bien visibles à droite et derrière les trois hommes. Il y a des frises sculptées sur les entablements. L’ensemble donne l’impression d’une ruine avec nombre de pierre instables.

Il était assez malaisé de déterminer avec exactitude l’endroit où les trois militaires posent fièrement. Après de multiples recherches, cette tour arasée à deux niveaux ne pouvait corespondre qu'a la tour sud de la deuxième galerie.

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Ils sont debout sur l'escalier très escarpé du corps central. Par un effet visiuel d'écrasement, les ruines immédiatement derrière eux, sont l'édicule sud appelé Bibliothèque sur la terrasse et voilà que la tour sud prend sa place sur la deuxième galerie.
Ils ont donc gravi les structures du bâtiment central pour une visite en hauteur. Le pied posé sur une partie de corniche, un militaire en short s’accoude sur son genou. Position du chasseur sur son trophée. Le temple vide s’offrait à eux sans restriction.
 Il n’est que de penser à ce que pouvait être la découverte de ces ruines si fascinantes par leur forme et leur ampleur, en pleine guerre. Seuls et sans guide, ils pouvaient aller partout, sans contrainte, dans ce dédale de pierres sculptés.
Le temple moins restauré qu’aujourd’hui pouvait être périlleux. Etudiés depuis 1866, grâce aux premières missions effectués par un groupe d’officiers de Marine français ( le capitaine de Frégate Doudart de Lagrée et le Lieutenant de vaisseau Francis Garnier) le site était très dégradé et certains temples effondrés sur leur base. De nombreux temples furent donc relevés dans les années trente par anastylose ( démontage consolidation des terrains puis remontage complet) .
Mais malgré cela, il est bien visible ici que l’aspect général en 1946 ou 1947 était loin d’être celui d’aujourd’hui.


Parmi les trois soldats, nous reconnaissons le MDL Lièvre à gauche; jambes bien campées sur la terrasse et les mains dans le dos, sans doute glissées dans l’arrière du ceinturon (?) ; position de confort militaire bien connue. Sur sa droite, se trouve avec une chevelure assez volumineuse, celui que l’on pourrait identifier comme le premier homme à partir de la gauche sur la photographie numéro 1, celle des hommes marchant vers le temple.

Après un examen attentif, nous retrouvons la même allure et le même volume capillaire pour ce deuxième soldat entre ces deux photographies. Son nom ne nous est pas encore connu. Mais il pose indubitablement sur les deux clichés. Le troisième homme en short n’est pas sur la photo 1 car les trois hommes sont en pantalon (même un pantalon large qui ressemble au pantalon de sortie de la Marine américaine ) mais il sera sur la troisième et bien reconnaissable.

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Photographie III

 

Cette troisième photographie nous montre un militaire en short, le pied posé sur un énorme bloc de pierre. La pose est fière et détendue. Elle est évidement à rapprocher de la vue n°2  où, ce même homme en short posait déjà comme sur un cliché de chasse. La grosse pierre semble être une partie en haut relief des structures du toit.  Il pourrait s’agir d’une amorce de Naga, le génie des eaux, que l’on rencontre dans toute l’iconographie khmère. La terrasse, sur laquelle la pierre repose, est la margelle d’un bassin d’eau sacré avec ses strates en boudins moulurés du cloitre cruciforme entre la première et la deuxième galerie..
 En arrière plan, nous voyons les grands piliers à section rectangulaires si caractéristiques de la période angkorienne. Ils sont montés par assises et leur base est la réplique inversée de leur chapiteau.

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Angkor Vat aujourd’hui. Photographie à rapprocher du cliché 3
Bassin Terrasse Piliers et fenêtres à balustres.



L’identification de l’homme en short n’est faite que par le souvenir; il s’agirait du soldat Yves Alain dont malheureusement, nous n’avons pas plus de renseignement que de savoir qu’il était un bon camarade du Maréchal des Logis P-Y Lièvre.

Cette petite enquête va devoir continuer car il existe encore trois photographies extrêmement intéressantes exhumées de cette enveloppe conservée dans une boite …de souvenirs.


Này lắng nghe em khúc nhạc thơm
Say người như rượu tối tân hôn;
Như hương thấm tận qua xương tủy,
Âm điệu, thần tiên, thấm tận hồn.

Ecoute, bien-aimée, cette musique parfumée
Comme le vin, elle nous enivre le soir de noces ;
Pareille au parfum pénétrant jusqu’à la moëlle,
La divine mélodie imprègne notre âme.

Xuân Diêu

(1916-1985)


(Traduction de Pham Dan Binh)

 

25 octobre 2018

STATION SAINT DENIS BASILIQUE

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"Le samedi au matin, le 12 octobre 1793, les mêmes ouvriers qui, le 6 août 1793, avaient déjà détruit une grande partie des sépultures royales, pénétrèrent dans le caveau qui contenait les restes d' Henri IV et ceux de toute sa postérité.

Cinquante-quatre cerceuils de bois de chêne, "couverts d'une application de velours ou de moire rayée d'une croix de tissu d'argent" étaient posés sur des trétaux de fer rongés par la rouille. On commença par tirer celui d'Henri IV. La première enveloppe de chêne fut brisée à coup de marteau; puis on ouvrit avec le ciseau le cerceuil de plomb; on souleva le suaire encore intact, et le corps du roi apparut admirablement conservé, avec sa barbe presque blanche, les traits à peine altérés. On le dressa contre un pilier où il demeura jusqu'au lundi 14 Octobre.

Chacun eu la liberté de venir le contempler. "Un soldat...se précipita sur le cadavre du vainqueur de la Ligue, et, après un long silence d'admiration, il tira son sabre, lui coupa une longue mèche de barbe...et s'écria: "Et moi aussi je suis soldat français! " " désormais je n'aurai plus d'autre moustache" et plaçant cette mèche précieuse sur sa lèvre supérieure: "Maintenant, je suis sûr de vaincre les ennemis de la France et je marche à la victoire! " Il se retira. ( Alexandre Lenoir : Musée des Monuments Français.)

On mit le corps du roi debout sur une pierre. Une femme s'avança le poing tendu vers le visage du roi, le souffleta et le fit tomber à terre. Un assistant enleva deux dents au cadavre, un autre vint arracher une manche de la chemise royale qu'il promena dans l'église. Le lundi, à deux heures de l'après midi, on transporta le corps sur un lit de chaux, au fond d'une immense fosse creusée dans le cimetière des Valois.

Louis XIII était moins bien conservé qu' Henri IV, " mais très reconnaissable à sa moustache noire, fine et retroussée". Le tour de Louis XIV venu, on déplaça la bière, et sur une plaque de cuivre portant les armes de France et de Navarre, entourée du collier de Saint-Michel et du grand cordon du Saint -Esprit, on put lire à la lueur des lampes :

 

ICI EST LE CORPS

DE LOUIS XIV

PAR LA GRACE DE DIEU

ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE

TRÈS CHRESTIEN DÉCÉDÉ

EN SON CHÂTEAU DE VERSAILLES

LE PREMIER JOUR

DE SEPTEMBRE 1715

 

" Il était encore tout entier dans son cerceuil." Le suaire soulevé, la face apparut noire comme de l'encre.

Marie de Médicis, Anne d'Autriche , Marie Thérèse, femme de Louis XIV, et son fils Louis Dauphin de France, étaient en "putréfaction liquide".

Dix princes et princesses furent extraits le mardi 15 Octobre. C'étaient Marie Leczinska, femme de Louis XV, la grande Dauphine, le duc de Bourgogne et sa femme, la Dauphine, bru de Louis XV, et dix neuf autres petits princes et princesses décédés en bas âge, dont les restes allèrent rejoindre à la fosse commune les cadavres jetés la veille.

On ouvrit, le 16, les bières d'Henriette de France, fille d'Henri IV, d'Henriette d'Angleterre (Madame se meurt! Madame est morte!) de Philippe d'Orléans, dit Monsieur, frère unique de Louis XIV et de vingt princes ou princesse de la famille des Bourbons.

Et ce fut cette même journée, à onze heures, alors qu'au milieu des clameurs d'une foule déchaînée Marie -Antoinette montait à l'échafaud, qu'on sortit de son caveau le cerceuil de Louis XV.

Le corps, bien enveloppé de linges et de bandelettes, paraissait tout entier et bien conservé; mais dégagé de tout ce qui l'entourait, il tomba en putréfaction, et il en sortait une odeur si infect qu'il ne fut pas possible de rester présent : on brûla de la poudre, on tira plusieurs coups de fusil pour purifier l'air, et on jeta bien vite sur un lit de chaux les tristes restes de Louis le Bien-Aimé."

Extrait du "Courrier des Chercheurs et des Curieux  " par  J Bourgeat 1966

 

okkkkkk

Espagne 1936

17 mars 2018

REFLEXIONS AUTOUR D'UNE SALLE À MANGER

 

 

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La grande salle à manger de l’Hôtel de la Marquise de Païva ( Blanche Von Donnersmarck alias Thérèse Lachmann ) a fait l’objet entre août et septembre 2014 d’une grande campagne de restauration.
En effet, cette salle à manger classée depuis 1980 n’avait pratiquement pas été touchée depuis 1903. Les boiseries étaient d’un chêne bien foncé, le tissu rouge avait prit une teinte assez disparate suivant son exposition au soleil, le parquet marqueté dansait sous les pas et le plafond montrant une grande femme nue couleur chocolat couchée dans une sorte de mandorle dont l’or était assez fuyant. Les encadrements étaient luisants de patine nicotinée.

La grande cheminée très souvent en activité pour les membres du cercle distillait ses fumées depuis plus de cent ans dans l’humidité des haleines de cigares. Il était donc temps d’intervenir pour re-découvrir les beautés cachées de cette pièce élaborée par l’architecte Pierre Manguin en 1856. La Marquise qui recevait comme on sait deux fois par semaine, une vingtaine de convives se devait d’avoir à sa disposition une salle de réception à tout point exceptionnelle.
La pièce de forme rectangulaire comporte quatre portes doubles et donne sur la cour arrière où de grandes baies laissent entrer la lumière. Une cheminée monumentale fait face à ce que l'on peut appeler une desserte ou dressoir légèrement surélevé par un sol de marbres marquetés. Deux rafraichissoires en forme de fontaine de marbre y encadraient un grand buffet faisant face à la cheminée.
Les plats montaient des cuisines situées à la cave et le personnel s’activait autour d’une grande table en noyer sans doute ovale comme le magnifique surtout de table en bronze connu par une photographie de la photothèque patrimoniale. La restauration de la salle manger comporta deux axes majeurs: les boiseries et les sols, le revêtement mural et les ornements des deux plafonds ouvragés.
Les boiseries furent donc patiemment nettoyées pour retrouver leurs teintes d’origine. Le plafond extrêmement encrassé fut une redécouverte avec ses couleurs fraiches et son or étincelant; ce qui changea grandement l’aspect de la pièce. Des restes de papier peint imitant un "incarnat" ayant un aspect de Cuir de Cordou, furent retrouvés sous la vieille tenture et purent ainsi être refabriqués à l’identique.
 Fermée pendant deux mois et demi ce fut une renaissance extraordinaire. Une équipe d’une dizaine de restauratrice sous la direction de Marie-Lys de Castelbajac s’activa sur le grand plateau dressé pour la circonstance. Chaque élément décoratif fut travaillé avec les produits adéquats. L'âcre patine des ans finit dans de grands sceaux de rinçage remplis d’une eau noire et nauséabonde.

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Nettoyage de la partie centrale du plafond. 2014

A la vente de l’Hôtel en 1893, l’ancien cuisinier du Tsar Alexandre III, Pierre Cubat y installa un restaurant russe à succès jusqu’en 1900. Il  préserva les lieux mais endommagea gravement les superstructures de la desserte de la salle à manger. Une sorte de rôtisserie remplaca le grand buffet, ce qui calcina les peintures de fruits en guirlande encadrant le puit de lumière. Les salissures de ce petit plafond extrêmement chargé étaient autrement plus coriaces que celles du grand plafond.
Un des modillons de la corniche de ce petit plafond montra un détail intéressant. Deux dates gravées avec une pointe fine furent mises au jour sur le coté du modillon. Situées à une hauteur de plus de cinq mètres, c’est bien évidement une mention invisible qui fut réalisée par le staffeur qui opérait lors de la construction commencée en 1856. La date est bien lisible mais un chiffre est problématique …car peu cohérent . Est-ce un six à l’envers ? ou un neuf en miroir horizontal ? 1863  ou 1893 ? Il est hautement plus plausible que ce soit 1863 car les travaux furent terminés vers 1866 même si la grande toile de Baudry ne fut marouflée qu’en 1868 ( Précisé par Victor Champier in Bulletin des Arts décoratifs 1901)

 

MODILLONS


Invisible aux visiteurs également, l’étaient les sortes de signatures sur le plat des entablements des corniches de la salle à manger. Recouvert de crasse et de poussière, quatre noms dont des initiales apparaissent plus ou moins bien écrit au pinceau. Le plus lisible et calligraphié à la peinture noire est le nom d’un certain «  Edouard Cleisz » dont les archives de Paris conserve l’acte de naissance de son fils en 1866. La signature est sensiblement la même que sur la corniche et il est référencé comme peintre en bâtiment, âgé de trente ans. Les autres noms sont plus obscurs car sans prénom et trop courant pour certains, les archives sont donc muettes. On peut raisonnablement penser qu’il s’agit fort probablement de collègue de corporation.

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 Ci-dessus, deux des mentions manuscrites faites au pinceau, retrouvées en 2014 sur le haut des corniches sous une épaisse couche de salissure et de poussière."Cleisz Edouard" et "Mairet". Le nom de Mairet a été recouvert en partie par des initiales ( L B) fait à la peinture ocre clair; couleur que l'on retrouve dans certains méplats d'encadrement au plafond. La peinture noire a été utilisée pour les lettres des trois maximes en trois langues différentes, latin; allemand et russe, inscrites dans des cartouches enchâssées dans la corniche. Les peintres étaient donc vraisemblablement aussi des peintres en lettres.

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Extrait de naissance du fils de Louis Edouard Cleisz 1866

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La signature au bas du document "Cleisz" est de la même main que la signature au pinceau faite sur la corniche. Voilà un des peintres en bâtiment ayant oeuvré pour la Marquise qui sort de l'anonymat grâce à son graffiti.

 

 

 

 

La salle à manger, dont il ne s’agit pas ici de faire une étude détaillée, nous est connu par une série de photographies anciennes qu’il est intéressant de confronter entre elles. Il y eu trois sessions de prises de vue. La première fut faite par Pierre Manguin lui même pendant les travaux. Il photographia sur place bon nombre de propositions décoratives en plâtre ou en bois; et quelques vues d'intérieur malheureusement trop rares. La seconde session fut faite après pour la vente de 1893 puis une campagne publicitaire fut réalisée par le restaurateur Pierre Cubat, une fois le restaurant installé vers 1894.
 Voici deux photographies de la salle manger vers 1860.  Appelons les PH 1 et PH2, la date est plausible suivant l'avancement des travaux compris entre 1856 et 1866.

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PH 1

Les modèles des doubles portes de la salle à manger, réalisées comme l’ensemble des boiseries par l’ébéniste Antoine Knieb, se retrouvent en tout point comparable à celles existant dans le vestibule d’entrée. Il est à remarquer que les portes doubles du palier du premier étage, amenant au salon des fournisseurs et à la petite entrée des appartements de monsieur le Comte, sont également sur le même modèle.
Ces portes, nombreuses dans l’Hôtel, présentent dans leurs « oculi » supérieurs, des disques de bronze en bas relief ou des chiffres peints sur bois.
Ces disques enchâssés dans le haut des huisseries sont une déclinaison décorative que l'on se retrouve donc sur les portes de la salle à manger. Mais ces portes sont plus élaborées car elles comportent une toile ovale enchassée dans leurs frontons. Il s'agit de peintures de Joseph Victor Ranvier représentant des allégories nues des saisons et des activitées qui y sont liés. Dans le vestibule d'entrée, nous pouvons donc voir dans les oculi, l’illustration des fables de la Fontaines par Emile Picault ( la cigale et la fourmi, la laitière et le pot au lait, le corbeau et le renard, Phébus et Borée, le poisson et le pêcheur, la folie de l’amour)
Pour le palier du premier étage, les deux portes doubles présentent également des bas reliefs circulaires en bronze signé Picault représentant des muses ( Pandora, Minerva, Egeria et Psyché)
Or ici, dans la salle à manger: rien ! les oculi sont vides. Il n'y a que de pauvres disques de bois de fil posés sans ordre. Le sens du bois n'étant pas respecté ni même  d'équerre! Or, il existait évidemment une décoration, mais celle-ci a disparu et aucune explication ne nous est fournie.

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PH 2


Tout laisse à supposer que ces actuels disques de bois furent posés à la place de reliefs décoratifs. Ce fait fut confirmé en juillet 2015 par l'ébeniste Florent Dubosq, à qui fut confié la restauration des boiseries. Il nous fit remarquer la présence d'une feuillure dans la circonférence des moulures d’encadrement. Il n’était bien évidemment pas envisageable que ces parties soient restées vides aux vues de leurs importances dans la progression décorative des circulations de l’Hôtel.
La liste des objets référencés pour la vente Saloschin du 24 juillet 1893 est très instructive, car pour la salle à manger nous pouvons y lire «  Huit hauts de porte sur faïence par Ranvier estimés deux mille quatre cent francs » Donc voilà bien la confirmation qu’il existait encore en 1893 les disques décoratifs des portes.
La liste mentionne également « deux oeils de boeuf sur faïence par Ranvier estimés deux mille quatre cents francs »  Ils ne pouvaient être que dans les deux ovales au dessus des pans coupés qui encadrent la grande porte fenêtre donnant sur la cour. Des miroirs occupent l’espace actuellement. Ils sont placés bien trop haut pour avoir une quelconque utilité. S'ils furent enlevés également, cela fragilise l’explication d'une possible détérioration des faïences des portes. Où pourrait être ces oculi signés Ranvier?  Peut-être réutilisé par Salomon Saloshin l’acheteur de 1893 qui les transporta en Allemagne?

Il existe cinq photographies anciennes, nous pouvons raisonnablement déterminer trois périodes.
Les deux plus anciennes seraient la PH1 et la PH2 présentées plus haut. Négatif en verre au collodion humide provenant de la Photothèque patrimoniale du Musée des Arts Décoratifs
Les toiles de Victor Ranvier sur les frontons ne sont pas encore en place, le bâti sous jacent est visible. Le sol ainsi que les murs sont nus.
Les oculi ne présentent pas de disque décoratifs, ni un quelconque bois de fil de remplacement (cette partie est clairement destinée à recevoir un disque rajouté). Il s’agit d’un état avant finition, d’un état en cour aux alentours de 1860 /1865.

 

 

Photographie PH3

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Cette photographie que nous appelerons PH3 provenant également de la photothèque patrimoniale, présente une seule porte en vision frontale.
Il s’agit de la porte donnant accès au salon de jeux et au grand salon.
Nous pouvons remarquer que les murs comme le sol sont nus, mais la toile enchâssée de Ranvier est présente, nous pouvons reconnaitre « la pêche ».

Les deux oculi présentent leurs disques décoratifs! L’ouvrage est terminée.
 La porte fait face à la grande baie ouvrant sur le jardin intérieur et reçoit donc en éclairage directe la lumière, ce qui rend peu lisible le disque de droite. Le disque de gauche est lui bien discernable.
Un personnage est représenté agenouillé devant un arbre et regarde vers la droite alors que son pendant laisse, malgré la lumière, voir un personnage debout tourné vers la gauche. L’on imagine une scène allégorique antiquisante.
 
Le céramiste Théodore Deck, tout jeune médaillé de l’Exposition Universelle de 1855 débuta à Paris une carrière brillante ce qui lui vaut aujourd’hui un musée dans son Alsace natale. Il a réalisé de nombreux panneaux figuratifs en faïence en collaboration avec des artistes peintres .
Un panneau représentant une baigneuse, nous est connu dans la collection Fabius frères. Il est signé conjointement de Théodore Deck et Victor Ranvier. Il est envisageable de voir ici une même collaboration. Ranvier fut chargé des peintures sur toile enchâssées dans les portes et dessina les scènes des oculi. Le jeune Théodore Deck se chargea de les reproduire en faïence. Il réalisa également celles de la salle de bain de la Marquise ainsi que vraisemblablement les carreaux des lambris disparus du jardin d’hiver.
Quand et pourquoi ces disques furent-ils enlevés?  La faïence étant fragile, il se peut que certaines des faïences furent brisées et donc la série retirée.  Quand furent-ils retirés?  Ces faïences furent listées dans le catalogue de vente de 1893. Mais les photographies PH4 et PH5 datant de la vente ne les montrent plus. Cela semble étrange de les voir absentes des photographies prises au moment de l'inventaire.

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PH4 avec oculi vides

 

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PH5 avec Oculi vides.

 
Puis les photographies suivantes PH4 et PH5 provenant toujours de l’Album Manguin, montrent des disques vides sur les portes doubles. Ces vues présentent la salle à manger en situation avec le papier gaufré doré d’origine dont des restes furent trouvés lors de la campagne de restauration de 2015 (Il fut réimprimer et restitué comme nous avons dit)). Les rideaux avec leurs lourdes embrasses sont présents sur chaque porte indépendamment de leurs fonctions. Le sol est couvert d’un riche tapis à motif persan ne laissant pas le parquet apparent. Un tapis supplémentaire de triste aspect détermine un chemin (Visite organisée pour la vente ?). Deux chaises néo-Louis XIII en cuir sont visibles. Elles portent sur leur dossier, le chiffre entrelacé de Blanche et Guido surmonté d’une couronne comtal, ce sont donc bien les meubles de la Païva. Sur ces deux photographies, les piles en boiserie pleine se voient surmontées de grands vases tourmentés avec des anses en bronze représentant des personnages ailés au corps d’acanthe. Un profil en camée est posé sur la panse du vase ventru. Sur le document PH4, ces gros vases très travaillés sont montés en lampe avec un globe oblongue sans abat jour, à la méthode des lampes à huile mais il n’y a pas de clef de réglage d’intensité de la flamme et pour cause car nous voyons nettement un fil électrique courir à la base de celui de gauche. Il ne s’agit donc pas d’un type bougie Jablochkoff. (lampe à piles de 1870, La lampe à incandescence date de 1880).

Les bras de lumière visibles sur le côté de la cheminée présentent des ampoules surmontant des fausses bougies et il y a également un petit globe. Ces appliques ne sont pas présentes sur les autres photographies. Un examen attentif de la partie droite du lambris révèle de gros boutons électriques noirs.
L’hôtel était donc électrifié. Si le comte et la comtesse quittèrent Paris entre 1877 et 1882 et que la première vente fut organisée en 1893, qui procéda aux travaux ?

boutons electriques


L’électricité domestique fut lente à s’établir dans le courant des années 1880, en considérant la volonté de modernisme luxueux montrée par la Marquise, il est plausible d’imaginer que l’électricité fut effective du temps de la Païva. Au vue de ces photographies, l'installation éléctrique ne date pas du restaurant Cubat qui s’installa rapidement en location après la vente Saloschin.

 

Ci-contre détail de la photographie PH4: 

Série de cinq boutons électriques à gauche de la cheminée.

 

 

 

 

 

 

disques

Disques décoratifs disparus, détail de la photographie PH 3


Les disques de faïence furent donc enlevés très tôt, ce qui ne diminue en rien leur manque criant encore actuellement. Les portes ont perdues un des éléments majeurs de leur composition; ce qui les appauvrit considérablement d’autant plus que les oculi du verso de la porte du document PH2 donnant sur le petit sas, sont toujours enrichis du chiffre de la Marquise. Les deux « B » face à face pour Blanche dans le «  G » couché de Guido, le tout cerclé avec du feuillage, chiffre que nous avons vu sur le mobilier du document PH4.

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Arrière de la porte de la salle manger.

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Une autre différence notable peut être observée au faîte des frontons de porte. La dorure en plein des tournesols n’est réalisée que dans le document PH 4 et PH 5. Les autres photographies montrent distinctement les tournesols non dorés. Donc la dorure semble avoir été effectuée en deux temps. Il  s'agit soit d'un réajustement tardif conforme au souhait de la propriétaire ou d'un empressement à réaliser des clichés avant la complète finition des travaux.
Les photographies sépia de l’album Manguin ( PH4 et PH5) ne peuvent être datés de 1856 - 1866.  Il s'agit de photographies datant de la première vente en 1893 intégrées dans l’album Manguin par ses descendants puis données au Musée des Arts Décoratifs.

 

PH3 détail: Les Tournesols sont sans dorure ainsi que le ruban les encadrant, alors que le fronton à pans coupés et les éléments décoratifs voisins le sont.

PH4 détail: Les tournesols sont dorés

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 Etat actuel: les tournesols sont dorés en plein.

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  Détail de la photographie  PH2

 

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L’arrière de l’oval concave est décoré sur son pourtour d’un motif de rinceaux à palmettes claires qui n’est plus visible actuellement car l’oval a été repeint à une époque indéterminée; peut être période Cubat ou ultérieurement vers1903, période Travellers,le nouveau locataire après la deuxième vente en 1902.

  Tout l'arrière de la niche a été recouvert d’une épaisse couche de peinture ocre rouge sombre. Il n’a pas été possible de revenir à cet état antérieur lors de la campagne restauration car la dépose de la statue de Dalou aurait été nécessaire pour bien faire et cela est une opération trop à risque et trop onéreuse pour un motif malheureusement secondaire.
le socle de la statue est signé "Dalou 1864"

Le jeune Jules Dalou commençait ici une remarquable carrière où sa modestie légendaire fit qu'il cessa de signer ses oeuvres que tous les parisiens connaissent comme le" Triomphe de la République" place de la Nation ou l'extraordinaire gisant de Victoir Noir au cimetière du Père Lachaise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La promesse de vente de 1893 indique dans la liste des objets, outre les dessus de porte et les disques des portes elles mêmes «  Deux oeils de boeuf sur faïence par Ranvier estimés deux mille quatre cent francs » Il s’agit des grands oculi, en haut des dessus de boiserie sur les pans coupés, situés de part et d’autre de l’entrée du jardin d’hiver et de l’ouverture sur la fontaine du jardin. Ils sont occupés aujourd’hui par des miroirs qui ne lassent pas de surprendre par leurs places incongrues.
La disparition des petits disques de faïence des portes n’est pas due à l’usage intempestif des portes, car sinon ces deux grands disques situés très haut et protégés devraient être encore en place. Si tous les disques de faïence ont disparu. Est-ce plus certainement parce qu’ils ont été récupérés par l'acheteur, le banquier Josué Saloshin qui les a démontés et emmenés en Allemagne? Mais quid des photographies contemporaines de la vente montrant les portes sans faïences?
 Où sont-ils actuellement ?  Disparus dans Berlin bombardé ou présent dans une maison de province, détenus par un propriétaire ignorant de leur provenance?  Ils n’existe malheureusement pas de photographies de ces deux grands oculi par Ranvier. Nous ignorons tout de leur sujet et de leur composition.

 

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Nous voyons ci-dessus un des deux oculi qui devait initialement avoir un disque de faïence peint au naturel comme le stipule l'inventaire de vente.

Les grands oculi comportent actuellement des miroirs. Situés bien trop haut pour ne réflechir autre chose que le plafond. Cette option semble pourtant la meilleur pour préserver l'ordonnance décorative du dessin de Manguin. A savoir une partie plus claire en oeil de boeuf dans la masse de chêne. Il est bien dommage de ne pas avoir de document montrant ces faïences ouvragées et de ne pas savoir ce qu'elles sont devenues.

Le dressoir attenant à la salle manger était très utilisé pour le service des diners hebdomadaires de la Marquise. La communication discrète avec les cuisines au sous sol se faisait par l’escalier donnant sur le côté du rafraichissoir de droite. Le personnel devait s’agiter sur cette scène en parrallèle de la salle à manger pour que le déroulement du diner soit à la hauteur des exigences de la Marquise
Face à la grande cheminée, le mur du dressoir était occupé par un buffet très ouvragé. Ce grand meuble aussi utile qu’impressionnant, nous est évoqué par Victor Champier page 256 de sa « Visite à l’Hôtel Païva » paru en 1901 dans la Revue des Arts Décoratifs: «  Enfin, le buffet monumental, avec des figures sculptées en plein bois, inspirées des chanteurs de Luca Della Robbia, ce qui voulait dire: Le concert pendant le repas »
Champier est le seul à mentionner et décrire ce « buffet monumental ». Le Senne en 1910 lui, décrit une maison vide de ses meubles « Privé du riche ameublement qui l’ornait autrefois »
La liste associée à la promesse de vente de 1893 mentionne « un grand buffet dressoir en noyer sculpté avec ornements bronze estimé à vingt huit mille francs »

 

 

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Détail de la publication publicitaire de Pierre Cubat 1896


Madame Odile Nouvel Kammerer dans son ouvrage, nous renseigne par une brève note ( N°44)  que ce meuble serait conservé dans la collection Courvoisier à Jarnac. Une photographie du meuble présent au château des bords de la Charente est en effet en tout point semblable aux photographies du buffet conservées dans l’album Manguin et de la publication Cubat. Ce semble bien être le même meuble avec ses incrustations de marbre rouge, son grand miroir central et ses statues de bronze représentant des jeunes femmes levant des couronnes de lauriers à mi hauteur des colonnettes. Le fronton est en place tout près du plafond dans une pièce manifestement trop basse!

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Ci-contre la photographie du buffet présentée sur le site du Château Courvoisier à Jarnac.
La Maison Courvoisier ne souhaite pas « communiquer » sur l’histoire du meuble !

 

 

 

 

 

 

 

 Il existe une vue du meuble en situation dans le dressoir. Le cliché est très surexposé et peu lisible sans correction d’image. Mais nous y voyons clairement les corniches si caractéristiques du dressoir et les consoles de marbre du passage allant vers la salle à manger. Le meuble est-il bien le « buffet monumental » décrit par Champier ?  


Une page volante de l’album Manguin, de couleur crème qui aurait tout aussi bien pu appartenir à l’un des albums de la collection Maciet, présente quatre photographies dont le meuble dressoir qui nous occupe, sous lequel un autre «  buffet monumental » est présenté . Les deux autres photographies représentent une horloge à balancier et une colonne porte manteau. 

 

Voilà donc bien deux meubles buffets sur la même page.
Le premier buffet est celui qui est visible sur le seul cliché pris in situ. Le deuxième buffet est constitué d’une longue base très ouvragée avec un corps central à deux ventaux sans doute vitrés qui ont été passés au noir. Il s’agit de retouche photographique quelques fois en blanc, tel que l’on peut le remarquer sur plusieurs clichés ayant pour but d’annuler soit les reflets des miroirs, soit de cacher les tentures murales comme par exemple, sur la photographie d’une des portes de la bibliothèque à l’étage.

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 Page volante de l'Album Manguin montrant les deux buffets: En haut celui présenté  en situation sur la photographie suivante et le grand meuble avec ses"chanteurs" décrit par Champier.

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Buffet en situation. Photographie extrêmement importante car unique.

Les conques de la corniche sont bien visibles ainsi que le rafraississoir fontaine à gauche.

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La vue des deux buffets présents dans l’album Manguin pose bien des questions. Le premier buffet que l'on retrouve en situation sur la deuxième photographie présentée plus haut, est en tout point une conception "Païvienne" avec ses chimères faitières. Le deuxième buffet retouché sur fond neutre correspond à la description de Champier et reprend une grammaire de forme connue, à savoir la bibliothèque dessinée par Manguin et achetée par la Marquise avant la construction de son Hôtel, lors de l'exposition de 1855 .
Ce grand buffet comporte des statuettes de bronze sur le corps supérieur. Il y a deux petits personnages debout aux angles et deux autres sont allongés dans la partie centrale sous les vitrines.
 Un rapide examen nous permet de déceler à gauche, l’un des esclaves de Michel Ange du Louvre, l’Esclave mourant et sur la droite, un faune jouant de la flute la jambe repliée, qui correspond à une sculpture antique également au Louvre, réplique du faune de la collection Borghèse.
Au centre, il s’agit sans conteste de copie en miniature des sculptures de Michel Ange, intitulées "Le Jour et de La Nuit", provenant du tombeau de Julien, Duc de Nemours, à la Sagrestia Nuova de Florence.

Les quatre portes du long buffet soutenant le corps central présentent des groupes de personnages sculptées en bas reliefs. Un examen à la loupe nous permet de reconnaitre sans aucune ambiguïté, au centre les Cantores et sur les côtés, deux des scènes dites du Laudate ( les trompette et le tambour) copiés de la Cantoria de la cathédrale de Florence, réalisé par Luca della Robbia. Voilà donc le « concert pendant le repas » décrit par Victor Champier!

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Détail des sculptures de la partie supérieure et des panneaux de portes du centre du buffet.


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Détail des sculptures de la partie supérieure et des panneaux de portes du centre du buffet.


 Par un jeu inversé avec les originaux, les Cantores placés sur la partie centrale du meuble sont ceux de l’épaisseur de la Cantoria. Alors que les deux scènes des Laudate présentées de part et d’autre sur les portes de cotés, sont sur le balcon originel, les deux du centre.
 

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La Cantoria  et Les Cantores originaux de la cathédrale de Florence réalisés par Luca della Robbia  (1438)

 

 

 

 

 

 

 

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Le fronton aux chimères


Parmi les clichés colligés dans l'album Manguin, nous pouvons reconnaître le fronton du buffet aux chimères en bois sculpté. La présence de deux buffets pour le dressoir est mystérieuse. La photographie "in situ" montre bien que ce meuble aux chimères était en place lors de la vente de 1893. Le meuble aux chanteurs a été vu par Victor Champier lors de sa visite de l'Hôtel en 1900. Un meuble de cette importance aurait dû laisser quelques "traces" pour comprendre sa destinée.

Tout cela ne nous renseigne pas sur le grand meuble aux chanteurs de tribune. Il semble que sa physionomie général soit en complète concordance avec le lieu: Fronton à pans coupés comme la bibliothèque. Un vase central comme au milieu des frontons des portes du palier du premier étage
Le visage de Diane et les références florentines vont de même. Trois aigles juchés aux faîtes des colonnettes d’angles peuvent, si l’on se le permet, agir comme un pendant à l’aigle chasseur de la cheminée. Mais rien ne nous donne la possibilité d’en conclure une antériorité.
L’autre buffet dont la trace fut heureusement trouvée au château de Jarnac, est aussi, en de multiples occurrences, tout à fait en accord avec le lieu. Il ne suffit pas des chimères. Il y a aussi au centre du tiroir du milieu, une tête de Diane au regard baissé identique à celle de la cheminée du salon de musique mais aussi les deux profils de femmes dans des cercles couronnés de lauriers qui sont du même modèle que ceux de Picault sur les portes de la chambre de la Marquise et rappelle les deux visages de profil de la façade du jardin d’hiver. Les incrustations de marbre rouge sont également tout à fait dans le ton des boiseries d’Antoine Knieb.  Il fut pensé et réalisé pour la salle à manger. Il serait d’autre part très intéressant de retracer son voyage jusqu’à Jarnac, mais qu’en est-il de l’autre buffet? D’où vient-il ?  Où est-il allé? Mystère.


Il ne s’agit pas de sculptures « inspirées » de Luca della Robbia mais bien de copies fidèles comme l’étaient les sculptures des panneaux de la bibliothèque dessinés par Manguin dont la photographie nous renvoie à la porte du baptistère de la cathédrale de Florence que Manguin devait particulièrement aimer.
Au-dessus des deux groupes de Cantores, sur les panneaux des portes centrales, nous pouvons remarquer le fin visage bien connu, inspiré de la Diane d’Anet. Visage oblongue à diadème, que nous retrouvons sur le portail d’entrée ciselé par Legrain, ainsi que dans les angles des voussures de la corniche du Salon des Griffons. Même visage sur le milieu de la cheminée blanche du Salon de Musique etsur le groupe de la cheminée fontaine du Salon de Toilette comme sur les servantes de la malachite agenouillée dans la chambre à coucher!
La conception pourrait donc être attribuée à Pierre Manguin, même si une photographie de la collection Maciet montre un buffet ayant les mêmes copies de Michel Ange et bas reliefs Della Robbia alors qu’il n’y ait aucun lien avec l’Album Manguin. L’inspiration Renaissance était un gout de l’époque.
Victor Champier a-t-il vu le buffet?  Il parle de sculptures de « plein bois » . Ce détail ne serait-il pas celui d’un témoin oculaire?  Sinon d’où tient-il cette description des musiciens de la tribune des chantres de Florence?
Pourquoi y a -t-il précisément ces deux buffets sur la même page de l’album Manguin?
Un premier buffet aurait-il été remplacé par le second ? Lequel était le premier? Ou étaient-ils ensemble dans le dressoir ? Non, certainement pas car sur la photographie montrant le buffet en situation, le buffet est bien placé au milieu du dressoir.

Cet excellent cliché du fronton aux chimères en bois sculpté de ce buffet, détaché du corps central, semble bien être un cliché Manguin datant du temps des travaux et non pas un cliché prit à l’occasion de la vente de 1893 dont on peut voir une reproduction dans l’ouvrage promotionnel du restaurateur Pierre Cubat.
Les deux chimères extrêmement nerveuses encadrant le cartouche du fronton sont en tout point les soeurs de celle des écoinçons de l’arche amenant au dressoir. Le sculpteur Legrain qui, nous le savons par Champier, supervisa la réalisation des décors et travailla dans de nombreuses parties de l’Hôtel sans que l’on ne sache précisément lesquelles, pourrait bien en être l’auteur si l’on se réfère à une étrange sculpture dont on ne connait l’existence que par la photographie consignée dans l’album.

 

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Il n’est pas fait mention dans la liste de la promesse de vente de ces sortes de porte flambeaux et aucune description n’en a été donnée. Leurs tailles ne nous est pas connues. La mention « Legrain Sculpteur » est lisible sur la base de ce qui pourrait être un grand bougeoir avec une terrible chimère aux seins pointus, hurlant la gueule ouverte.
S’agit-il de la même sculpture prise de droite et de gauche comme une fiche anthropométrique ? ou bien d’une paire se faisant face montrant ainsi leurs deux côtés?

Aurait-on marqué deux fois le nom du sculpteur sur la base? Car chaque photographie comporte la mention Legrain sculpteur. Donc il s'agit probablement d'une paire.



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Détail montrant la mention "Legrain sculpteur"

La salle à Manger comporte deux autres terrifiantes chimères hurlantes sur la travée du plafond donnant vers le jardin. Elles se retiennent ou se poussent de leurs griffes et sortent leurs têtes carnassières face à face. Voilà six monstres en une seule pièce, comportant toutes cette même intensité qui inciterait naturellement à les voir comme des filles du ciseau d’Eugène Legrain.


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Chimère nettoyée.  2014

 

 

 

22 janvier 2018

PAULINE BUTCHER and the incontinent ROCK INNOVATOR

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On apprendra grâce à l'excellent article de Madame Orr l'étonnante aventure de cette jeune anglaise qui fut propulsée presque à son corps défendant dans ce monde étrange des "Freaks" de Laurel Canyon dans le Los Angeles late 60's...

Le livre de Pauline Butcher témoigne d'une période de la scène musicale californienne dans l'éclosion du "Flower Power" dont l'épicentre situé à San Francisco connu des variantes moins lénifiantes à Los Angeles.

P. Butcher donne un regard divergeant parmi les publications inombrables des groupies 70's concernant les idoles de la rock culture américaine. Zappa, personnalité hors du commun, ainsi que la vie communautaire de la Log Cabin de Laurel Canyon y sont décrite par une jeune fille extérieure au milieu lequel, générant ses dévots et thuriféraires, a largement relaté ses promiscuités avec des célébrités et cela malheureusement, le plus souvent sur le mode hagiographique ou celui du ressentiment vindicatif. Ce qui n'est pas le cas ici.

 

 

Frank Zappa, his groupies and me

Deborah Orr:  one single incident serves as a perfect illustration of just what an extraordinarily unusual and charismatic person the US musician Frank Zappa, who died in 1993, must have been.

https://www.theguardian.com


 

 

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 Visionnez l'interview de l'intéréssée ...interéssante ....

"Freak Out! My Life with Frank Zappa" Interview with author Pauline Butcher

 

22 janvier 2018

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2018

 

 

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22 mars 2017

PRÉSENCE DE MICHAUX

 

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J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie:
Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !


Ça l’air simple. Pourtant il y a vingt ans que j’essayais; et je n’eusse pas réussi, voulant commencer par là. Pourquoi pas? Je me serai cru humilié peut être, vu sa petite taille et sa vie opaque et lente.C’est possible. Les pensées de la couche du dessous sont rarement belles.(1)

Henri Michaux se désagrège et « s’unit à l’Escaut » mais évidement un fleuve semble plus facile pour s’engloutir qu’une pomme ! Il y a donc  de nombreuses portes d’entrée dans cette eau qui « pousse à grand flot »  Il est donc constamment aux aguets, se tenant sur le quai près à l’union face aux navires « de haut bord » qui eux n’ont pas de problème pour s’unir sur le port d’Anvers. Oui c’est bien normal ils sont fait pour ça. Mais s’unir au fleuve pour Michaux, c’est devenir le fleuve et malheureusement outre le fait qu’il est sans cesse en mouvement, il est très difficile pour lui de ne pas se laisser distraire …

« Et puis malgré moi, je regardais les femmes de temps à autre, et ça, un fleuve ne le permet pas, ni une pomme ne le permet, ni rien dans la nature. »  
« Partir est peu commode et de même de l’expliquer »

Car c’est souffrir qu’il faut pour bien partir et donc Henri Michaux tout en souffrant voyaga.
Ce fut l’activité essentielle de son existence. Il parti plus loin que la moyenne des voyageurs.

«  J’en viens à la pomme. Là encore, il y eu des tâtonnements, des expériences; c’est toute une histoire. »

Namur en 1899 va l’emprisonner, le claquemurer dans une Belgique qu'il passera son temps  à quitter, à fuir, à s’en dévêtir. La liberté viendra par l’évasion que procure la lecture intensive puis par ses voyages. Non pas « les » voyages mais bien « ses » voyages.

« Quand j’arrivai dans la pomme, j’étais glacé. »

Le poète, l’écrivain, le peintre, voilà ses titres de voyages avérés. Mais le matelot de 1920 qui part pour l’Amérique du Sud pendant une année avant d’être débarqué est l’objet d’une amusante enquête (2) de Simon Leys qui après avoir lu l’étude biographique de Michaux par JP Martin paru chez Gallimard en 2003; note « Malheureusement sur une question qui m’intéressait plus particulièrement -l’intermède marin du poète- ce remarquable travail m’a laissé sur ma faim »
Car il est, d’après lui, plus que suspect qu’il fut réellement matelot. Il est même tout à fait suspect que Michaux ait été durant cette année 1921 en Amérique du Sud. Abandonnant ses études de médecine, Michaux part pour la France et longe les côtes pour trouver une place de marin sur des bateaux en partance. Il coupe les ponts avec ses parents et erre trois mois jusqu’à Boulogne sur Mer. Cela semble difficile pour lui de se faire accepter comme matelot . Ses faits et gestes sont très partiellement connu par ses lettres envoyés à son ami de collège, Herman Closson, ami de coeur à qui il écrit en juillet 1920 «  D’ici une semaine, je serais très certainement parti » Puis ce fut le silence….. jusqu’a réapparaitre à Marseille en 1921 et retourne tranquilement chez ses parents et effectue sagement son service militaire.

Simon Leys détaille en une très intéressante enquête qui montre les incohérences, les falsifications avec un jeu des lettres subitement disparues dont heureusement des copies réapparaissant, la mise en place d’une énigme qui le laisse perplexe.
Le déroulement de cette année devient un mystère aussi opaque que les onze jours d’absence jamais élucidés dans la vie d’Agatha Christie qui en décembre 1926, disparue puis sans explication reprit le cour normal de son existence.


Michaux voyagera plus tard énormément, allant jusqu’en Chine mais cette expérience de matelot  de l’année 1921 ne donna pas toute la matière littéraire qu’un simple voyage sous mescaline pourra lui offrir plus tard.
 Aucune traces tangibles dans les registres, aucun documents autre que le peu, le très peu de commentaires écrit par Michaux lui même. Son livre si connu « Ecuador » relate un voyage fait sept ans plus tard.. mais des premiers contacts avec l’Amérique du Sud, rien.Alors Simon Leys doute et argumente.
Où était il? Que faisait-il? Les voyages sont l’essence même de sa littérature, de sa poésie et aussi de sa peinture. Voyager par la peinture? Comment faire, si ce n’est voyager en soi même.

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Donc les voyages physiques s 'effectuent aussi dans son propre corps et voilà ce qui est intéressant. Il ne s’agit pas de rêverie ou de rêve éveillé mais bien d’hallucinations liées à la prise d’Alcaloïde créant des effets psychodysleptiques.
 La mescaline tirée du champignon mexicain Peyolt lui ouvrira les portes de l’inspiration bien avant Aldous Huxley. Toute la peinture de Michaux se trouve être sous cette emprise qui l’amène à voir au travers de ces trous dont très jeune il avait déjà conscience .

«  Je suis troué » disait-il.

Mon sang
Le bouillon de mon sang dans lequel je patauge
Est mon chantre, ma laine, mes femmes.
Il est sans croûte. Il s’enchante, il s’épand.
Il m’emplit de vitres, de granits, de tessons.
Il me déchire. Je vis dans les éclats.

Dans la toux, dans l’atroce, dans la transe.
Il construit des châteaux,
Dans des toiles, dans des trames, dans des taches
Il les illumine.

(3)


Ces « voyages » feront l’objet d’une tentative cinématographique expérimentale produite par les laboratoires suisse Sandoz : « Images du Monde Visionnaire »  est un film « éducatif » « didactique » si ce n’est « scientifique » se voulant une fidèle transcription des hallucinations du poète/ peintre sous emprise de Mescaline ou de Haschich .
Réalisé en 1963 par Eric Duvivier  neveu du réalisateur bien connu.
 Eric Duvivier est spécialiste des effets spéciaux. Il fait preuve de beaucoup d’inspiration et est notamment l’auteur des séquences de rêves colorés et hallucinés dans le film inachevé « L’Enfer » d’ Henri Jacques Clouzot.  
Images du Monde visionnaire » s’appui sur le récit de  Michaux intitulé« Misérables Miracles » publié en 1956. Scindé en deux parties, le film semble commencer par une étude clinique pour s’envoler dans un surréalisme débridé.
 La première partie superbement illustré par les dessins si caractéristiques de Michaux  sorte de fourmillement d’image mentale proliférante est présenté par lui même en voix off .
 Entendre Michaux est un témoignage assez extraordinaire car il a savamment  orchestré ses apparitions, ses représentations et aussi ses disparitions.
Le film se déroule de façon hypnotique sinon soporifique, scandé par une composition de Gilbert Amy donnant une étrangeté propre au monde visionnaire des psychotropes utilisés par les psychédéliques. La deuxième partie est consacré aux effets du Haschich. Les images qui s’entremêlent sont plus descriptives plus narratives. Elles en viennent à ressembler fortement à des séquence de rêves expressionnistes, vues dans différents courts métrages d’avant garde c’est à dire de l’entre deux guerre comme Le Cabinet du Docteur Galigari ou La Coquille et le Clergyman dont nous avons déjà parlé ici en d’autre temps . Vue extérieures, personnages et matière en mouvement s’intercalent avec une illustration sonore moins structes que celle de Gilbert Amy. Il est à noter des animations image par image en pâte à modeler qui prennent vie  à grande vitesse.
Partant de masques africains, de visage simplistes pour se déformer en visages  effrayants, effets saisissant atteint par un morphing accéléré . Oeuvre prémonitoire des longues illustrations musicales de Bruce Brikford que l’on peut voir dans le film « Baby Snakes » (1979) de Frank Zappa ainsi que dans le « Amazing Mister Brikford » sorti en 1987. Il est amusant de constater qu’en 1963 il n’y avait pas ces préventions contre les susceptibilités des MIDASS (4); en s’autorisant une séquence où l’on peut voir une mosquée de type Sinan avec des minarets exagérément effilés se transformant en piques sur lesquelles sont embrochés des têtes humaines. Allusion claire à l’orientalité du produit, comme aux pratiques des Haschichien, Nizârite de sinistre mémoire.
 La bande son de cette deuxième partie est faite d’enregistrements plus disparates, de bruitisme, de grincements, de rires hystériques et de croassement de corbeaux. Pleine d’invention, ce deuxième chapitre réveille le spectateur assoupi par la première partie.

 

Michaux-Henri_ Images-du-monde-visionnaire_1963


Brassaï raconte qu’il téléphona à Michaux après avoir vu son film :

Paris, Vendredi 21 février 1964

Moi: J’ai beaucoup apprécié votre film sur le Haschich et la Mescaline . Les incantations et les images extraordinaires crées un effet magique combiné avec une musique excellente.
Quelques fois on en est réellement décontenancé.


Michaux: Je suis heureux de savoir que vous aimé mon film. Vous êtes d’un bon jugement. Le cameramen avait lequel j’ai travaillé à bien compris mes idées et le montage est très consciencieux.

Moi: Je suis déçu que ce film ne soit pas vu par le public car cela ne passera pas au cinéma. Ne pensez vous pas qu’il doit être distribué dans les salles?

Michaux: Oui c’est en discussion. Mais uniquement si le drogué et le médecin qui  ont fait l’introduction du film sont coupés. Mais ils garderont ma voix.

Moi: Ah vraiment. Le film a été montré cinq ou six fois, très peu de personnes ont pu le voir.
La salle de Géographie était pleine à craquer quand j’y suis allé. Je n’ai pu trouver une place. J’ai regardé le film assis sur le sol entre les pieds de Jean Paulhan et Dominique Aury.

From Sayag, Lionel-Marie, Brassaï The Monograph, Boston 2000

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( 1889  - 1984)

Un jour à vingt ans, lui vint une brusque illumination. Il se rendit compte, enfin, de son anti-vie, et qu’il fallait essayer l’autre bout. Aller trouver la terre à domicile et prendre son départ du modeste.
il partit.

(5)

 

 

NOTES

1- "Entre Centre et Absence" in Lointain Intérieur H. Michaux 1938

2-La Belgitude d'henri Michaux in Le Studio de l'Inutilité  Simon Leys 2012

3- Poémes H. Michaux 1938

4- MIDASS  "Descendant d’Immigrés du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne" CF: Cyril Bennasar.

5- Difficultés in Lointain Intérieur H.Michaux 1938

 

 

2 décembre 2016

ELOGE du SPECTRE

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« La Reprise par Inversion » chapitre 1 du Livre d’Orgue d’Olivier Messiaen, composé en 1951, fut pour moi une porte ouverte à deux battants pour rentrer dans le labyrinthe, non encore totalement exploré, de l’un des plus grands compositeurs français. Le choc fut immédiat et l’écoute devait en être sans cesse réactualisée pour laisser le son reprendre sa captation totale de mon esprit. Le fait de savoir que cette pièce d’orgue comportait trois décî-tâlas provenant des mesures rythmiques de la musique traditionnelle indienne n’est pas, évidement, à prendre en compte. La cascade de son sorti de l’orgue effectuait une si puissante impression qu’il fallu de nombreuses écoutes pour dépasser ce premier chapitre et intégrer le "Livre d’Orgue" dans sa totalité. La Musique de Messiaen fut aussi une porte pour appréhender la musique « contemporaine ».

Cliquez sur les mentions rouges pour télécharger l'extrait ou le suivant pour écouter la première minute d'oeuvres, souvent assez longues pour la plus part d'entre elles.


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Surgissant sans préambule, ni premières notes d’introduction, « Partiels pour 18 musiciens » de Gérard Grisey produisit un même effet sur-puissant sur moi. Emporté et statufié par le son venu des cordes et des cuivres, je retrouvais le même sentiment ressenti avec la « Reprise par Inversion. »
Composé en 1975 "Partiels" est la suite de "Périodes pour 7 musiciens" dont le déroulement final est exactement semblable au début de "Partiels" ce qui en fait donc plus qu’une suite mais une continuité parfaite.
Comme l’explique François Xavier Féron dans son article « Gérard Grisey: Première section de Partiels ( 1975) » : « Aborder la genèse de Partiels ne peut se faire sans évoquer Périodes (1974) pour sept instrumentistes car, dans la dernière section de cette partition, Grisey fait jouer par l’ensemble des instruments les composantes d’un spectre harmonique, procédé qui, au regard de son originalité, de ses répercussions sonores, mais aussi de son caractère suspensif, appelait un développement."

"Périodes" et "Partiels" sont devenues en une seule écoute la porte introductive aux « Espaces Acoustiques » de Grisey composés de 1975 à 1985. Oeuvre extrêmement importante, musique envoutante et magique qui devient par la même une introduction indolore et obligée à la musique spectrale.

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La connaissance des décî-tâlas ou du spectre harmonique ne sont pas nécessaire à l’appréciation de ces oeuvres qui ont une même direction, une même façon de dérouler les séquences du son en procurant des stilmuli nerveux comparables, en provoquant un plaisir inexpliqué rationnellement. La mise en parallèle ici, de ces deux formidables compositions correspond à un constat. Il est n’est pas dans mon propos d’effectuer une analyse musicologique, de restituer la Musique Spectrale dans une histoire de la musique contemporaine, qui est comme un bloc fermé et inconnu pour une majorité. C’est pourquoi j’utilise ici la première personne, pour montrer qu’il existe des voies d’introduction au néophyte. Des possibilité de créer des mélomanes. Pour demontrer que ce n’est pas une affaire de spécialiste.

La musique d’après guerre comme l’ensemble de l’Europe dévastée s’est reconstruite. Mais la rupture a été brutale. Elle s'est recomposée à partir des dernières avancées des compositeurs les plus innovants comme Debussy, Ives, Stravinsky, Bartok,Varèse, Schoenberg, Berg, Webern. Mais aussi contre le formalisme et une sorte conservatisme figé qui fut la cause de  l’édification d’une tabula rasa des principes musicaux en Europe occidentale. Les recherches, les innovations, les musiques expérimentales liées aux innovations techniques ont coupés les compositeurs du public traditionnel de la « grande » musique ou musique savante qui était tout simplement appelée Musique. Les autres genres avaient leurs appellations spécifiques ( Chansons, Variété, Cabaret, Music-Hall, Rock, Soul etc…) aujourd’hui, elle s’appelle explicitement « Musique Classique » et la Musique Contemporaine peine à en faire partie car leurs publics ne sont pas exactement semblables.
Le sérialisme intégral, l’a-tonalité, la musique aléatoire et les excentricités de toutes sortes, que l’on songe aux « Variations pour une porte un soupir » de Pierre Henry, par exemple. Près de 20 minutes de grincements de porte en 25 mouvements, oeuvre de musique concrète datant de 1963 (qui doit être extrêmement éprouvante à écouter en public assis devant des enceintes acoustiques!) ont coupés un large public des créations actuelles.

Pierre Henry - Variation pour une Porte et ...



L’industrie du disque et les programmations des orchestres privilégiant les versions d’oeuvre du répertoire historique ne facile pas la diffusion de la musique actuelle que l’on pourrait appeler tout aussi bien que contemporaine « musique de notre époque ». Jean Huber nous explique dans « La vraie faiblesse de la musique contemporaine : le « share of Voice » que «  Jusqu'à Mendelssohn (pour schématiser), la Musique jouée en concert est, en quasi totalité, celle du moment, créations ou reprises récentes, de moins de 20 ans. Avec Mendelssohn et jusqu'à la deuxième guerre mondiale, autour de 1945, une part progressivement croissante mais toujours limitée de Musique du Passé, est introduite dans les concerts.
Que s'est-il passé à partir de 1945 -à l'avènement de notre Musique Contemporaine- pour changer la donne si dramatiquement?
C'est la naissance du disque comme produit de consommation de masse. Il permet à tout mélomane de rester dans ses habitudes acquises confortables, donc d'être un conservateur, par convenance personnelle et aussi suite à l'influence du marketing des producteurs de masse (vedettariat, intégrales, collections, récompenses d'interprétations, références incontournables, tribunes comparatives, tournées internationales de concerts mono-programme, etc.).
Avec l'avènement du disque, notamment du 33 tours, l'offre réelle de la Musique Contemporaine, sa part de voix, n'est plus de 80% ou 90% comme au 19ème siècle, mais de quelques 2% ! (et ce pourcentage ne prend en compte que la Musique Classique ou savante qui elle-même ne représente que moins de 10% du total de la musique enregistrée vendue ou bien diffusée par les médias). »


Alors que les expérimentations et recherches sont médiatisés dans des cercles restreint de connaisseurs, les plus avant gardiste des recherches musicales confinent dans un purgatoire certain compositeur ayant fait le choix de revenir vers le public avec une musique tonale et inspirée qui devrait séduire un grand nombre d’amateur.
Pourtant peu écoute Arvö Part, Henrik Gorecki, Einojuhani Rautavaara par exemple, qui font partie des nombreux compositeurs alliant modernité et tradition, créateurs de chefs d’oeuvres à découvrir.
 En mai 2013, la mort d’Henri Dutilleux est passée assez inaperçue hors du cercle somme toute restreint des initiés, en majeur partie assez parisien. La ministre de la culture de l’époque a préférée honorer de sa présence les funérailles médiatiques de Georges Moustaki enterré le même jour. Avez vous écouté le somptueux « Timbre, Espace, Mouvement ou la nuit étoilée » écrite en 1978 ? Qui vous en parle?

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Nous voilà en territoire connu après l’écoute du début de ce deuxième mouvement «Interlude, Constellations ». Il y a une continuité sensorielle qui lie un grand nombre de pièces de musiquse dans le répertoire personnel de chacun qui ne demande qu’a s’élargir. Lorsque l’on est sensible aux premières mesures de L’Or du Rhin, la découverte d'un compositeur actuel aussi extraordinaire qu’Hugues Dufourt est un pur bonheur.  « Lucifer d’après Pollock » (1993);  « Voyage par delà les fleuves et les monts » (2010) et les fantastiques « Hivers » ( 2001) sont injustement méconnu d’un large public.

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Cette année 2016, la création "Ur-Geräusch" ( Rumeur des âges) aurait du donner lieu à un événement culturel extrêmement médiatisé. Malheureusement, bien que reconnu et célébré, cette première du compositeur est restée assez confidentielle. Le compositeur Hugues Dufourt nous ramène vers la musique spectrale précédement évoquée. Bien qu’ayant utilisé le premier, le nom "spectrale" dans ses écrits, sa musique excède le cadre du spectre harmonique théorisé par Gérard Grisey et Tristan Murail (avec la participation de Michaël Lévinas) au début des années 1970. L’irruption de la musique spectrale fut un grand souffle dans la création musicale..Venue sans prévenir et faisant un bel effet, Ses prémices pouvaient être écoutés dans nombres d’oeuvres de Messiaen, Ligeti ou même Varèse. Les premières recherches et compositions vinrent en 1959 d’Italie, par la personne de Giacinto Scelsi (1905 -1988) dont il n’est pas aisé de trouver les oeuvres…
Le site de Musique contemporaine Info donne du spectralisme une définition très claire :
« La musique spectrale, au sens premier, est fondée sur l'amalgamation spectrale du son musical et sur la perception de ce timbre. D'autres œuvres comme "Atmosphères" (1961) de György Ligeti (et sa micro-polyphonie), "Stimmung" (1968) de Karlheinz Stockhausen (et sa Momentform, prémices de sa période fusionnelle), "Metastaseis" (1954) de Iannis Xenakis (avec ses blocs massiques), "Mutations" (1969) de Jean-Claude Risset et "Stria" (1977) de John Chowning (avec leurs procédés synthétiques informatiques, dérivés ou en modulation) ont aussi influencé l'émergence ou l'installation du spectralisme, comme une démarche innovante de composition, par leur ambivalence harmonie-timbre. »

Atmosphère -  György Ligeti

 



Gérard Grisey est lui, plus synthétique lorsqu’il parle du mouvement qui à la création de "Partiels" en 1975, verra le jour.
 « Nous sommes des musiciens et notre modèle, c’est le son, non la littérature, le son, non les mathématiques, le son, non le théâtre, les arts plastiques, la théorie des quanta, la géologie, l’astrologie ou l’acupuncture. «
Ecrits- G. Grisey  Paris 2008

Sortant des « espaces Acoustiques » l’oreille plus mature, il sera possible d’apprécier la dernière oeuvre de Gérard Grisey datant de l’année même de sa disparition. « Quatre chants pour franchir le seuil » de 1998, méditation musicale sur la mort, plus difficile d’accès mais extrêmement prenante. Le premier chant appelé « La mort de l’Ange » commence par un effet de souffle qui n’est pas sans rappeler le souffle de l’infini, sorte de son des confins de l’espace entendu au début de « The Outer Darkness » sur  " Gates of Paradise" .  Robert Fripp comme Grisey, Dufourt ou Murail doit s’écouter seul et en silence, dans un environnement propice à la méditation contemplative ou à l'instrospection personnelle.

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The Outer Darkness    Robert Fripp

 

 

 Gerard Grisey - Quatre chants pour franchir le Seuil - Chant_1 

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28 novembre 2016

TRACES D'EMPIRE

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Un appel puissant et secret convie les éléments les plus vifs de la matière à se former, pour s’y développer, autour d’un point désigné. Pleins d’amour, ils se composent et s’ordonnent dans la plus étroite union.
Cette étreinte ardente des éléments c’est la vie de toute forme généralement, soit qu’elle renferme un organisme, soit que, privée du mouvement intérieur, elle ait reçu une vie compacte insensible ou plutôt l’organisme indissoluble de l’immobilité.

Pages sans titre - Maurice de Guérin 1835


L’humidité d’un jour de pluie, les faibles rayons blanchis d’un soleil hivernal laisse découvrir le jardin dans le parc. L’arrière cour préservée des turbulences de la ville envahissant les espaces du parc aménagés est une possibilité de cheminement dans des allées remontant nos désirs de monde lointain.
L’attrait pour le pays merveilleux célébré par des affiches de couleurs est toujours à l’oeuvre, c’est l’oeuvre qui a changé aujourd’hui.
Le Jardin d’Agronomie tropicale René Dumont situé à l’arrière du Parc de Vincennes s’est implanté dans l’ancien jardin d’essai colonial qui fut aménagé en 1899, lequel jardin fut transformé et embelli pour recevoir l’Exposition Coloniale de 1907.

Le jardin d’essai est comme son nom le stipule une volonté d’organiser, d’élever, le plus souvent dans les  anciennes colonies mais aussi en métropole comme à Nogent sur Marne , des jardins botaniques regroupant de nombreuses plantes peu connues, pour y être étudiées et développées comme nous l‘explique le très instructif site internet sur les « Jardin d’Essai"

« Son organisation, en une demi-douzaine de services, lui permet de couvrir de multiples activités de recherche, d’information, de prestations de tous ordres, au bénéfice des établissements extérieurs : Le Service agronomique qui conduit des recherches sur les cotons et autres textiles et sur la sériciculture. Ses études portent également sur les productions fruitières, les essences à caoutchouc, les ricins, les tabacs. Il procède également à des expertises sur café, cacao, amidons, etc. Le Service des Cultures est chargé de recevoir, multiplier, diffuser les graines et plants destinées aux jardins d’essais et stations de l’outre-mer, de l’étranger et aux échanges. Le Service chimique dont les analyses portent sur les terres, les engrais, les matières premières, les échantillons de plantes, etc. Le Service d’essai de machines s’occupe de la mécanisation des opérations culturales et post-récolte. Le Service entomologique se préoccupe autant des maladies des plantes que de leurs insectes prédateurs. »

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L’Etude agronomique, la science naturaliste, la connaissance approfondie de la flore exotique qui nous semble aujourd’hui commune était un enjeu du siècle, les écoles relayaient les découvertes grâce à des boites scolaires fournie par le service des cultures pour les leçon de choses. Le site de l’exposition colonial de 1907 est donc restée entre ses murets et ses arbres jusqu’à aujourd’hui, presque préservé. La flore exotique en à en partie disparue. Il ne reste que des bosquets de bambou vert de belle taille et quelques plaqueminiers de Chine entourés d’arbres à latex autour d’un petit étang artificiel. Lequel serpente en canaux gorgés de plantes aquatiques. Le jardin sauvage est encore parsemé d’édifices aux origines géographiques aussi diverses que l’Empire.
La plus part des bâtiments purent arriver, sans dommages malgré les époques de troubles et le manque criant d’entretien, jusqu’à l’orée des années quatre vingt.
L’incurie et le délaissement provoquèrent les conditions d’une accélération des dégradations provoqués par le vandalisme, le vol et l’incendie volontaire.

 

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Le Pavillon du Congo  (1900 - 2004†)

Incendié en 2004.

 Le Pavillon est resté longtemps comme une grande carcasse isolé, il est maintenant

disparu à la vue de tous, aujourd’hui caché par les broussailles qui protègent sa ruine


La belle porte chinoise, digne guichet des Hutongs qui accueille magistralement le visiteur, fut présentée au Grand Palais en 1906 comme étant la « Porte d’Annam ». Lessivée par les pluies, érodée au soleil, son rouge passée va à l’unisson de ses frises disparues. Un remarquable ensemble de figurine de moines sautillants occupait la grande partie vide sous le toit principal.

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Les décorations faîtières sont aussi manquantes. L’aspect général premier donnait une luxuriance décorative qui n'existe plus maintenant. .

Sa polychromie de rouge, de noir et d’or montrait une cohérence décorative parfaite forgée par un millénaire d’entrainement. Les restaurations ont été multiples depuis sa présentation du Grand Palais mais les dégradations sont malheureusement récurentes.

Il y manque la plus part de ses ornementations et claustras ouvragés. Les dorures sont un lointain souvenir....

 

                                Porte d'Annam

Plus la végétation grandit plus les bâtiments disparaissent, les allées décident de la marche indolente jusqu’au Pavillon du Souvenir Indochinois, en passant par le large pont aux Nâgas de Phnom Penh qui enjambe un filet d’eau courant dans les bambous. La tempête de 1999 a couché un gros arbre en travers du ruisseau en parallèle des groupes sculptés de नाग , le dieu serpent multi-face protecteur de l’eau et gardien de la fertilité.

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Nâgas Khmers


Le Pavillon du Souvenir Indochinois n’est plus. Seule la cour et les accompagnements avec brûles parfums et torchères de maçonnerie subsistent et arrivent malgré tout à donner cette atmosphère particulière lié à nos projections fantasques d’Orient indéchiffrable. Le grand Pavillon du Souvenir Indochinois fut cambriolé et volontairement incendié en fin d’après midi du samedi 21 avril 1984.
Ce large bâtiment occupait toute l’esplanade devant le large escalier aux rampes en dragons de pierre. Aujourd’hui, une petite pagode rouge y a été construite grace aux fonds de l’ANAI, l’Association Nationale des Anciens et des Amis de l’Indochine et du Souvenir Indochinois. Initiative heureuse, inauguré le 4 avril 1992 en présence de l’Empereur Bao Daï.

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Nouveau temple


Mais malheureusement la petite pagode n’a pas la beauté de la grande maison indochinoise aux panneaux sculptés de fine décorations ouvragées. Reproduction d’un DINH traditionnel, grande maison de bois orné et peint qui dans les villages avait un role civil et religieux. Maison de gouvernement et d’administration mais aussi lieu de culte des génies protecteurs et des rituelles cérémonies des fêtes villageoises.
Durant la première guerre mondiale, le jardin colonial servit d’annexe à l’hôpital militaire de Nogent. A la fin de la guerre, une association fut créer pour célébrer le culte funéraire des soldats et supplétifs morts au service de la France. L’ association du Souvenir Indochinois par le biais du Gouvernement générale de l’Indochine eu à sa disposition cette grande maison traditionnelle. L’association la rénova, l’embellit des constructions adjacentes qui sont ornés de la spirale signifiant les dualités des principes masculin-féminin ainsi que des symboles des huit éléments vitaux des forces naturelles. Le centre de la cour est pourvu d’une gigantesque urne dynastique qui est la reproduction de celle du Palais Impérial de Hué. Elle symbolise l’Empereur Gialong.

 

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Cour du Souvenir

Le 26 eme jour du 2me mois de la 4 eme année du règne de S. M. l’Empereur Khai Dinh, la maison du souvenir indochinois fut dédié au culte par un rescrit impérial .. Son statut de DINH fut donc transformé en DÊN, c’est à dire un temple national élevé pour la célébration de la mémoire d’un Roi ou d’un Génie tutélaire. Une cérémonie eu lieu en 1920 en présence du ministre des colonies Albert Sarraut et du Maréchal Joffre avec le délégué de l’Empereur Khai Dhin accompagnant le rescrit dûment encadré et exposé.
Le sanctuaire fut pourvu d’un riche mobilier laqué incrusté de nacre et d’objets votifs de bronze. Candélabres et brule-encens entouraient ainsi que des parasols en tissus brodées, le trône en demi lune ouvragée qui était visible de la cour lorsque les panneaux coulissants de bois sculptés étaient ouverts. Le temple se dévoilait ainsi à la vue de tous

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9 juin 1920 . Cérémonie dedicatoire et d'inauguration du temple commemoratif du souvenir.

Le grand temple occupait toute l'esplanade devant les escaliers aux dragons couchés

Les autels, les gongs et les bannières en profusion donnaient une magnificence unique, inégalé en Europe. Pendant plus de 78 ans, il fut le plus authentique des joyaux de l’art annamite. Mais il fut pillé et brulé. Rien n’en resta.  Cela ne s’est pas déroulé avant guerre ou dans les périodes de bouleversement propices au désintérêt lié à la conservation, non! C’était en 1984, c’est à dire hier, sous François Mitterand! La perte est irréparable et l’oubli généralisé. On lira avec profit le compte rendu détaillé d’ André Angladette, ingénieur agronome spécialiste de l’Indochine, intitulé « Le temple du souvenir Indochinois au Jardin colonial » à lire ici.


L’association du Souvenir Indochinois fit construire un monument dédié aux combattants vietnamiens catholique . Situé près de la cour du temple, il est de facture beaucoup moins intéressant que l’élégant Stûpa érigé pour l’âme des morts Cambodgiens et Laotiens. Il domine de ses angles acérés une clairière dans la futaie où les oiseaux siffleurs sont plus fréquent que les visiteurs silencieux.

 

 

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Stûpa



L’exposition coloniale est un souvenir peu entretenu. l’Empire Français n’a pas bonne presse car toute la colonisation se trouve relégué dans le chapitre de la repentance. Une lecture actuelle discrédite le passé sans permettre une distance inhérente à la compréhension de l’époque. Le succès de cette exposition, qui est loin d’être une exposition majeure par rapport aux expositions Universelles car son sujet était restreint aux uniques possessions française, fut considérable. 1,8 millions de visiteurs s’y pressèrent entre le 8 juin et le 30 octobre 1907.  Ce qui est d’un autre ordre de grandeur que la première exposition d’"Agriculture Coloniale" organisé en ce même lieu en 1905.

 

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La société d’Agriculture coloniale qui entretenait un travail considérable de présentation des cultures et avancement des recherches d’exploitation de la flore très méconnue des tropiques, organisa des concours dont les résultats furent publiés par le Ministère des Colonies.
La lecture de ce document nous révèle la complexité des classifications et la prolixité des entreprises. Les productions végétales des Colonies étaient un enjeu aussi scientifique que commerciale.

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Entrée de l'Exposition de 1907


 Mais il est aisément compréhensible que le sujet austère des naturalistes à herbier n’est pas la cause du succès populaire. Ce fut l’attrait des tableaux vivants proposés. C’est à dire une ethnographie à l’envers, faire venir les tropiques à Paris. Attraction s’il en fut, lorsque devant les yeux incrédules des visiteurs se déroulait des scènes de la vie quotidienne des autochtones. Rassemblés en famille recomposée dans leur habitat traditionnel également recomposé. Le parisien spectateur ébahi prenait une grande bouffée d’exotisme .
Voilà aujourd’hui ce que l'on appelle un « zoo humain » et c’était évidement une énorme attraction. Du « jamais vu ». Il ne s’agit que de s’imaginer ce qu’était la fréquence des voyages en 1907.  Les récits des colonies ont d’autre part beaucoup suscité la curiosité d’un public abreuvé d’histoires fantastiques par une presse à feuilleton.

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Visiteurs des villages Africains. L'expédition sans risques. L'attrait de la mixité.

Mais l’importance de cette exposition était les récompenses décernées par les différents jury concernant les productions multiples organisées dans les différentes colonies d’Afrique et d’Asie.
Le caoutchouc produit d’avenir, le thé, les épices comme les poivres blancs et noirs puis le Cacao dont l’Europe fera son profit pendant le siècle naissant. L’énorme travail d’étude était présentés dans les serres des différents pavillons aux architectures soignés.

 

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L'afrique, le Maghreb, Madagascar et la Réunion avaient leurs pavillons. Ils sont tous présents encore aujourd'hui à l'exception du
pavillon du Congo qui était une réplique des grandes maisons de commerce et de vente entre les producteurs locaux et acheteurs coloniaux. Comme évoqué précédent, cette grande maison aux auvents larges et accueillants à disparue dans un incendie suspect en février 2004. Ses restes calcinés sont toujours présents dans les broussailles. Le Pavillon Tunisien d’une architecture élégante en plan cruciforme allongé avec de grandes baies vitrés servit longtemps pour les étudiant en agronomie tropicale, il est aujourd’hui désaffecté et lentement mais surement va rejoindre le pavillon du Maroc qui s’effondre dans les sous bois. Le pavillon de la Réunion lui n’est plus que l’ombre de lui même …

 

 

 

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Le Pavillon du Maroc et le Pavillon de la Réunion  2016


 Le Pavillon de la Guinée semble légèrement préservé malgré son aspect misérable. Une antenne de police ou de sécurité l’utilise comme local, ce qui lui permet de survivre aux intempéries.
Lorsque nous sortons des sous bois en franchissant le joli pont indochinois qui résiste vaillamment, une grande étendue ouverte sur le ciel s’offre à nous. Des cultures entourent le grand Pavillon Indochinois qui fut le centre des collections présentés au public. L’ensemble des études avec herbiers et photographies des jardins d’essai expliquaient aux néophytes toute la diversité des tropiques.
Les tubercules féculants comme les ignames, les Marantas ou ArrowRoot, les sagoutiers et autre Canna Edulis.  Puis le mil et le sorgho qui nourrissait l’Afrique avec les haricots poix, les doliques, le Combo ..etc
Les productions d’Asie très prisées des connaisseurs ne faisait que commencer leurs diffusions : Courge du Siam ou de Malabar, poivre, vanille muscade, cannelle.
L’arbre à latex y était expliqué. Toute la science d’extraction du caoutchouc y fut détaillé pour ce produit promis à bel avenir.

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La Pavillon d'Indo-Chine


 Ce large pavillon de style légèrement mauresque avec sa grande coupole en arc écrasé fut sauvé de la ruine et du délabrement qui le menaçait sérieusement. Il abrite aujourd’hui derrière ses façades de briques blanchies, parfaitement restaurées dans leur alternance de couleur, le CIRAD, le centre de Coopération Internationale de Recherches Agronomique pour le Développement .
Cette restauration récente donne beaucoup d’espoir, même peut être un peu trop, quant à la possible réhabilitation des autres constructions.


 Tout proche et mis en confrontation se trouve la très intéressante Serre du Dahomey qui jouxte le Pavillon de l’Indo-Chine selon l’orthographe de la façade.

 

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Serre du Dahomey 1907 -  2016


La Serre est une sorte d’architecture néo-soudanaise avec de gros pignons assez courts encadrant les maçonneries basses soutenant les verrières. L’ensemble était entouré de poteaux aux fétiches donnant à cette « petit maison mystérieuse » un cachet indéniable. Le mariage de la culture Africaine et Occidentale dans un but prophylactique par les plantes. Les poteaux sont dit-on conservés dans des réserves mais la serre souffre un peu plus à chaque hiver pour aller vers sa fin.... qui n’est que de renaitre, nous l’espérons.



Mais les précédant sont multiples. Un incendie, une impossibilité de recours juridique, la décision de démolir ne peut plus être contré. L’amnésie collective fait le reste. Qui se souvient des phares et balises derrière le conseil économique et social ? Où même du Palais du Bardo ? Un incendie que personne n’explique dans un bâtiment désaffecté qui était promis soit disant à une restauration prochaine …et voilà la démolition programmé . Il n'en reste qu’une pelouse bien entretenue au Parc Montsouris.

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Le Palais du Bardo Paris 14°
Fruit de l’exposition Universelle de 1867, cet réplique du palais du Bey de Tunis fut remonté dans le grand parc du quatorzième arrondissement de Paris. Il servit d’observatoire météorologique en 1876 puis comme laboratoire des pollutions bactériologique et chimique de l’air en 1893.  Après la guerre, il fut progressivement désaffecté puis fermé pour être vendu d’une manière symbolique au gouvernement Tunisien en 1974.

Le 5 mars 1991 vers 18h, un incendie ravagea le bâtiment qui ne pu être sauvé. Inscrit à l’Inventaire des monuments Historiques, la Mairie de Paris,vota des crédit pour sa rénovation. Que s’est il passé entre 1974 et 1991 ? On ne le saura pas. Aucune photographie du bâtiment pendant et après l’incendie n’est disponible…



***




Si la honte le fait se retourner la nuit,
Chercher le sommeil pour cacher son visage
C’est qu’il voit avec ses yeux de la conscience
Celui qu’on disait un garçon intraitable
Revenir juger l’homme qui l’a trahi.
Plutôt plaider coupable qu’en guise de défense
Se prévaloir d’une sagesse acquise.

In Poème de Samuel Wood
Louis-René Des Forêts 1987










 

 

 

24 juillet 2016

RUS IN URBE

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Lorsque le regard erre au travers de la fenêtre, mon oeil suit les pourtours de la masse verte qui recouvre la ville. Alors que les moutonnement d’arbres viennent se briser sur les San Remo Appartement, la vue saisissante me surprend à dépasser l’évidence de Central Park.

Comment se fait-il que l’on ai laissé en pleine ville, un parc de verdure d’une telle ampleur?
Alors que la ville s’étend en hauteur, circonscrite par les limites des rives d’une île de près de 58 Kilomètres carré, qui? pourquoi et comment s’est constituée cette « campagne dans la ville »?



La ville monde générant ses propres maladies dû elle même créer l’antidote. Mais cela ne fut pas sans une volonté ferme qui outrepassait les élaborations d’une organisation rationnelle pour structurer l’effervescence de sa génération quasi spontanée. Devant l’accélération de la croissance anarchique de la ville dans la dernière décennie du dix huitième siècle, les responsables de l’administration de l’Etat de New York adoptèrent un plan pour réguler la répartition des populations nouvelles dans les constructions nécessaires à leurs établissement .

 

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Le Grid sans le parc central

Ce fut le « Commissionnairs’Plan » adopté en 1811 qui avait pour ambition d’organiser la ville nouvelle en plan hippodamien. Reprenant les grands principes mise en oeuvre dans l’antiquité, par Hippodamos, père de l’urbanisme grec allié aux bornages des Etrusques. La ville serait dessinée avec un plan à angles droits reprenant le principe du « cardo Maximus » la voie axiale nord sud découpée en rues perpendiculaires. Grille rationnelle pour une occupation de l’espace la plus fonctionnelle.
 L’arrivée massive de centaine de milliers de migrants en provenance d’Europe, l’établissement d’une multitude de commerces et petites fabriques, l’activité débordante du trafic portuaire devaient être régulés. Mais la grande trouée verte de Central Park ne figurait pas dans ce schéma d’implantation que constitue le Commisionairs’Plan.


Il fut décidé de créer seize « cardo maximus » soit 16 avenues nord sud tranchées par 155 rues délimitant des parcelles de 2 hectares.
 La ville commencée au sud devait vers le nord se policer pour remédier aux maladies sociales naissantes qui firent de New York en 1850 « Un cloaque de toutes les dépravations de la nature humaine » comme l’écrivit Thomas Jefferson.
La misère sociale et sanitaire d’une surpopulation avalée par l’industrie aux conditions brutales laissait libre cour à la criminalité et à la délinquance qui généraient dans leurs sillages, alcoolisme chronique, maladies contagieuses et abandon d’enfants. Tout cela paupérisant la masse sans espoir d’inverser la tendance.
Il fallut la volonté hygiéniste de certains, très inspirés des principes anglais pour imaginer l’élaboration d’un parc allant beaucoup plus loin que les carrés de verdure existant déjà dans la ville. Bien que l’opposition au projet fut rude car selon une large frange de responsables, il n’était ni nécessaire ni judicieux d’établir un grand poumon vert sur une ile aussi étroite et aussi bien ventilée par l’East et l’Hudson River. Il existait déjà par ailleurs les espaces de verdure de Madison square, de Washington square et Gramercy Park.
 Mais le grand cimetière boisé de Brooklyn appelé judicieusement « Green Park » attirait de plus en plus de population pour jouir de ses grandes pelouses. Les familles s’y rassemblaient pour des « pick-nick » nombreux et cela devint un haut lieu de promenade très prisé, ce qui plaida fortement pour l’utilité d’un parc au nord de l’ile de Manhattan.

Un mouvement très actif pro« Parc central » s’organisa autour du poète et éditorialiste William Cullan Bryant, bientôt relayé par le journaliste Frederic Law Olmsted par ailleur fervent connaisseur du travail du grand paysagiste anglais Sir Richard Paxton.
 En 1850, lors d’un voyage en Angleterre, Andrew Jackson Downing paysagiste américain déjà reconnu embaucha un jeune architecte anglais pour venir travailler avec lui à New York. Le jeune Calvert Bowyer Vaux n’en cru pas sa chance, lui qui était en admiration devant le travail de son aîné.

Andrew J.Downing rejoint Bryant, Olmsted dans le mouvement en faveur du parc central. Leurs déterminations fortes surent convaincre et le mouvement arriva assez vite à ses fins.
La municipalité acheta en 1853 les terres de la quasi totalité du futur parc compris entre les 59 ème et 106 ème rues et les cinquième et huitième avenues puis confia le projet à Andrew Jackson Downing.
Mais malheureusement celui-ci mourut dans un accident de bateau à vapeur sur l’Hudson River. La compétition pour l’élaboration d’un parc paysagé fut donc à nouveau ouverte. Calvert Bowyer Vaux bien qu’ayant élaboré un plan cohérent n’avait pas l’entregent pour voir aboutir son projet. Un ingénieur civil du nom d’ Egbert Viele, fut nommé en remplacement de Downing. Il présenta un projet que Vaux jugea effroyable.
 Pour empêcher ce désastre, Vaux s’allia avec Olmsted pour présenter un projet intitulé « Grennsward ». Le parc y était pensé comme une entité propre laissant la ville à ses pourtours. Sa taille et son esprit constituait une innovation qui ne laisse pas de surprendre encore aujourd’hui. Il est tout à fait remarquable tant il y est difficile de voir où l’oeuvre d’art finit et où le projet social commence.
 Le génie architectural de Vaux, les connaissances pratiques des impératifs particuliers liés au terrain ainsi que la connaissances des méandres politiques d’Olmsted purent convaincre l’administration d’adopter leur projet. Les travaux commencèrent donc en 1858.

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L'installation du Parc dans une ville encore en devenir. Notez le Mall et les réservoirs.

Il fallut assainir de nombreux marais, dégager à l’explosif de grande quantité de rocher, amener des millions de mètre cube de terre et planter des dizaines de milliers d’arbres bien évidement. Les populations résidents dans des villages de fortunes occupant les friches avec leurs troupeaux furent expropriés. Le chantier dura presque vingt ans  .
D’une distance de quatre kilomètres de long et près de neuf cents mètres de large, le parc ne se visite pas en une seule journée. Il y a bon nombre de circuit intermédiaire avec lacis de chemins, de petites places et clairières. La partie centrale est constituée d’un lac de grande proportion délimitant un parc plus architecturé au sud qu’au nord où l’aspect plus sauvage est entretenu par moins d’intervention paysagère comme d’entretien courant.
La conception d’Olmsted et Vaux permet au marcheur flâneur d’échapper à la ville grâce à une série de chemins, d’allées et de ponts qui évitent toutes intersections avec les nécessaire routes traversant le parc qui ne doit pas constituer un handicap aux communications urbaines.
Nous pouvons y goûter une promenade architecturée dans une verdure qui constitue un aparté au temps aussi bien qu’au mouvement incessant d’une ville de huit millions d’habitants.

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           Calvert Vaux                       Jacob  Wrey Mould                Frederick Law Olmsted   

           

Rentrons par la porte du Sud Ouest à l’intersection de la 60 ème rue et de la cinquième avenue et marchons vers le Nord pour aboutir quelques heures plus tard à Harlem au pied du Malcom X boulevard.
La Scholars' Gate est l’une des vingts portes du parc qui ne se trouve enclos que par de simples murets de pierre. Ici pas de grilles, mais ces petit murs sont quelques fois trompeurs car la déclivité du terrain peut cacher une différence de niveau impressionnante. Une grande installation provisoire d’Isa Gensken nous y accueille, c’est la voie commune du flux de visiteurs.

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les Orchidées géantes d' Isa Gensken

Le parc est bien domestiqué, les allées goudronnées nous emmènent vers les bâtiments du Zoo datant de 1930 et de l’ancienne armurerie de 1847 appelée l'Arsenal. Ces constructions n’ont rien à voir avec le projet initial. Une ambiance de kermesse chic y règne, nous traversons le tout sans s’arrêter pour franchir le porche de la trop célèbre horloge musicale Delacorte qui amuse tant les grands enfants avec ces animaux musiciens tournant autour du pilier à cloche.

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Trois sculpteurs furent associés à cette ronde d’hippopotame jouant du tambour, de pingouins siffleurs et autres golargol jouant tous les quarts d’heure un air de jardin d’enfants.
La première incursion dans l’univers Greensward se situe peu après en passant sous l’arche Denesmouth. La conception romantique se dégage des sculptures de la pierre du nouveau Brunswick en une claie ajourée de dix trèfles à quatre feuilles sur le parapet supérieur.
 Le pont, beaucoup plus large que long laisse passer la 65ème rue. Le visiteur s’engouffre ainsi dans une zone d’ombre, l’arche intégrée au paysage est un passage légèrement en pente vers l’intérieur du parc. Il y avait quatre lampes monumentales de bronze sur les piles carrés encadrant le parapet .Trois ayant été volés la seule restante est conservée en lieu sûr. Des copies pourraient y être réinstallées bientôt, ce qui redonnerait l’aspect original dans toute sa conception au plus vieux pont de Calvert Vaux.

 

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Desmouth Arch


 Les petits sentiers se croisent sous les arbres, le jardin se déploie devant le visiteur qui passe devant les monstres de schiste datant du paléozoïque. Les stries sur la surface de la roche sont caractéristiques de l’inlandsis laurentidien sorte de calotte glaciaire couvrant le continent nord américain il y a vingt mille ans. Les rochers furent très exploités pour fournir de la pierre à bâtir, la roche peut descendre à plus de trente mètres de profondeur dans certain endroit. Nous passons un petit belvédère qui assoupit dans la verdure repose sur un gros rocher qui fut habilement préservé comme un promontoire.

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 Effleurement de rocher

Les paysages furent entièrement remodelés; il ne reste plus rien de l’aspect initial, naturel qui était plutôt rustre et peu engageant avant qu’une armée de jardiniers terrassiers n’ interviennent.
Notre déambulation suit l’axe principal, la grand avenue sous les ormes qui constitue la promenade amenant les visiteurs vers le lac. Pour rejoindre ce « Mall » il nous faut passer sous le Willowdell Arch de Calvert Vaux datant de 1861. Pont de brique de Philadelphie à chainons de pierres, il laisse passer la 67 ème rue.

 

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La Willowdell Arch et le chien Balto

Sur un rocher trône le chien Balto qui constitue une étape photographique importante pour les amoureux des chiens, si nombreux aux Etat Unis. L’héroïque husky qui parcouru plus de mille kilomètres dans le blizzard pour amener dans la ville de Nome en Alaska, un sérum anti-diphtéries durant la grande épidémie de 1925. Le chien de bronze bien patiné par ses admirateurs fut sculpté par Frederick George Richard Roth, il trône les deux pattes avant bien posées et la langue à jamais pendante!  
Le grand Mall s’ouvre sur une série de statues sur socles reprenant l’esthétisme assez traditionnel des parcs européens donnant même une touche française dans une conception anglaise globale. Une vision romantique de jardins bosquets avec trouées et massifs avec des courbes et des sinuosités. Ici avec le Mall, la conception se rapproche de Le Nôtre avec sa perspective et ses statues. Olmsted et Vaux ont pris le parti didactique des grands hommes. Un Shakespeare d’imagination par John Quincy Ward inauguré en 1872; puis en face trône un Christophe Colomb par Jeronimo Suñol datant de 1894 ce sculpteur n’étant pas à son coup d’essai puisqu’il est également l’auteur du Colomb de la Plaza de Colon à Madrid.  Les grands auteurs ne sont pas oubliés avec les amis et compatriotes écossais Sir Walter Scott et Robert Burns, poète et dramaturge qui ont leurs places dans la « Literary Walk » imaginé par Olmsted. Ces deux statues datant de 1880 représentent les écrivains assis, inspirés, la plume à la main, habillés presque à l’antique.

 

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Scott vs Burns       


 Elles sont l’oeuvre du même sculpteur écossais Sir John Steel.Celui là même qui réalisa la statue du poète Burns à Edimbourg dont cette version semble une déclinaison. Si l’aimable Walter Scott semble épargné grâce à un formalisme très conventionnel rendant cette sculpture lourde et passablement ennuyeuse, la pose maniérée du travailleur de rimes cherchant sa muse rend le pauvre Burns totalement ridicule .

Avant les grand ormes qui s’ouvrent en encadrement du Mall, il faut bifurquer vers le sentier allant vers le Sheep Meadow ( la prairie aux moutons) pour admirer l’Indian Runner tout en tension et nervosité. Réalisé en 1869 par J.Q.A. Ward qui fréquenta les tribus Dakotas,cette sculpture nous montre un jeune indien tenant un petit arc contre lui. La pose pleine d’énergie contenue est celle du pisteur près à bondir sur quelque animal avec son chien à ses côtés. Il est donc à noter que le chien domestique et chasseur fut en cours dans l’ouest américain chez les « Natives ». La base de bronze montre sur son côté outre la signature de Ward, la mention du fondeur « Bronze by L.A. Amouroux NY » qui fut certainement d’ascendance française.

 

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 The Indian Runner et L' Eagles and Prey


  L’aigle fondant sur sa proie associe également la chasse et la France en la personne du sculpteur animalier Christophe Fratin. Deux aigles aux ailes déployées trônent sur un bouquetin agonisant. Le jeu des ailes croisées est élégant, le traitement est assez réaliste même si les plumes semblent assez baroques d’aspect. Ce bronze« Eagles and Prey » réalisé en 1850 fut installé en 1863, un peu à l’écart du Mall à l’intersection des chemins menant vers Sleep Meadow et Hecksher Ballfields.
Cette partie du parc regroupe l’essentiel des sculptures classiques qui s’organisent à l’entrée du Mall et à sa sortie près du Naumburg Bandshell. Construit en 1923 par l’architecte Jacob Wrey Mould qui fut l’associé de Calvert Vaux pour la création du parc et notamment de la « Bethesa Terrace », Le Grand Mall est comme une nef de cathédrale dont les branches formeraient la voute, le transept est la perpendiculaire du public venant écouter les concerts classiques devant le Bandshell et le choeur est représentée par la Bethesda, la fontaine et le lac.

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 The Mall

Les bancs si caractéristiques, en enfilade ininterrompue, sont une création de Vaux qui voulait encadrer les arbres , les ordonner en bosquets poétiques pour le promeneur contemplatif. Le manque d’entretien et les dégradations du temps firent qu’ils disparurent complètement. Ceux existant aujourd’hui proviennent du Conservatoire du parc Central, une association privée qui réunit des fonds pour restaurer et réhabiliter le parc dans sa version historique après des années de négligence et décrépitude. Les grands ormes plantés pour la plus part en 1919 ont eu aussi bien souffert. Ils étaient menacés de disparition par le graphiose ou maladie hollandaise de l’orme, une maladie fongique qui dessèche les arbres. Ce sont actuellement les plus beaux spécimens restant dans l’état de New York et c’est ainsi qu’ils sont choyés, étudiés, surveillés, inspectés et traités avec une vigilance constante. Une série de grands hommes trônent sous leurs feuillages. Trois bustes de bronze célébrant le génie de la musique et de la poésie:  Schiller par C. L.Richter datant de 1859, Beethoven par Henry Baerer de 1884 et Victor Herbert par Edmond T. Quinn de 1927.

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Pour accéder la Bethesda Terrace, coeur de cette cathédrale virtuelle, Vaux dessina une double entrée en escaliers descendants.
Le premier escalier descendant passe sous un grand porche  avec une salle périptère très décorée qui s’ouvre sur une large terrasse en pavement de brique rouge au milieu de laquelle se trouve une grande fontaine néo classique.  Le deuxième escalier descendant se situe sur le parapet et amène en double volée à la terrasse.

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Bethesda Terrace

Dessiné par Calvert Vaux et l’excentrique Jacob Wray Mould, cette place se projette comme étant une des rives du lac, montrant deux faces contraires, antagonistes et complémentaires. Une rive architecturée, organisée avec ordonnance de sculptures et confrontation des matériaux dans leurs matière et couleurs : la « sandstone » beige et la brique rose de Philadelphie. L’autre rive est appelée « Ramble »  quinze hectares de jardin sauvage que l’on doit considérer comme « naturel ».


Jésus monta à Jérusalem.
Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s'appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques.
Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux et de paralytiques. Ils attendaient le bouillonnement de l'eau.
Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine, et agitait l'eau. Et celui qui y descendait le premier après l'agitation de l'eau, était guéri de son infirmité quelle qu'elle fut.
Là se trouvait un homme malade depuis trente huit ans.
Jésus l'ayant vu gisant et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit:
"Veux-tu être guéri?" Le malade lui répondit: "Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine dès que l'eau est agitée, et pendant que j'y vais, un autre descend avant moi."
Jésus lui dit " Lève-toi, prends ton grabat et marche."
Et à l'instant cet homme fut guéri;
Jean 5:2

Jacob Wray Mould né en Angleterre, dont ses contemporains soulignaient l’excentricité toute artistique et la bizarrerie de caractère, avait étudié en profondeur l’art néo-Mauresque de l’Alhambra ainsi le travail d’Andrea Pisano réalisé pour la cathédrale San Maria del Fiore de Florence. Il collabora avec le maître de la polychromie Owen Jones, l’auteur de la célèbre Grammaire de l’Ornement de 1856, pour la chambre Turque de Buckingham Palace.

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 J. W. Mould


Mould arrivé à New York en 1852 était architecte, dessinateur, designer, illustrateur, musicien et linguiste ( il traduisit des livrets d’opéra!) réalisa l’ensemble des sujets décoratifs présents sur la Bethesda dont il dessina les motifs orientalisants des carrelages des plafonds, les treillages italianisant et notamment les incroyables bas-reliefs floraux des cotés d’escaliers. Entrelacs d’inspiration préraphaélite chargés d’innombrables détails et d’animaux cachés que son ami Dante Gabriel Rossetti devait apprécier. L’historien de l’architecture Davis van  Zanten définissait Mould comme étant« The closest thing to a bohemien,many-talented artist New York possessed during the 1850s and 1860s »

 

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Angel of Waters


L’Ange du Seigneur trône sur la fontaine miraculeuse parsemée de plantes aquatiques. Si l’ensemble fut dessiné par le trio Olmsted, Vaux, Mould, l’ « Angel of Water » statue de deux mètres quarante datant de 1868 est l’oeuvre d’Emma Stebbins, la première femme a avoir reçue une commande publique de la ville.

Les ailes sont bien déployées à l’horizontale pour recevoir leurs pigeons moqueurs, les quatre angelots sous la vasque représentent la tempérance, la santé la pureté et la paix. Une controverse s’ensuivit du choix d’Emma Stebbins pour la réalisation de l’Ange des Eaux. En effet son frère, le Colonel Henry Stebbins n’était autre que le président du bureau de la commission du Plan pour la création du parc. Emma Stebbins vivait à Rome dans le petit cercle autour de la célèbre actrice Charlotte Curshman qui réunissait plusieurs artistes féminines expatriées pratiquant la sculpture néo classique comme Louisa Lander, Harriet Hosmer, Anne Whitney, Edmonia Lewis, Margaret Foley, Florence Freeman et Vinnie Ream. Elles vivaient seules ou en groupe, émancipées et pratiquant les amours saphiques. Le groupe fut immortalisé par Henry James dans son livre « William Wetmore and His Friends » comme étant le « White Marmorean Flock » que l’on pourrait traduire par le troupeau blanc marmoréen!  Il n’en reste pas moins qu’Emma Stebbins était une « sculpteur » accomplie .

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La construction de la terrasse autour de 1860


Extrêmement populaire, la terrasse est représentée dans de nombreux films et romans. Lieu de rendez-vous et pour beaucoup aboutissement de la visite du parc alors que celui-ci se prolonge dans une configuration de plus en plus oublieuse de la ville dont les bruits atténués finissent par disparaître dans l’épaisseur des sous bois. Le lac pourvoit en canot pour la promenade à partir de la Loeb Boathouse et durant les hivers glacés servait de patinoire extrêmement réputée. Malheureusement le patinage y est interdit depuis quelques années pour des raisons de sécurité. Le patinage extérieur se pratiquant de nos jours sur les bassins Lasker au nord du parc, mais malheureusement dans un cadre beaucoup moins idyllique.
Le chemin partant de la terrasse en longeant le lac, nous amène via le pont appelé « Trefoil Arch » dont l’ouverture trilobé est d’un médiévisme affirmé donnant une signature aux ouvrage de Calvert Vaux vers le Conservatoire aquatique qui est une partie du parc assez transformée par rapport aux intentions initiales de Vaux et Olmsted.

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Trefoild Arch


 Facilement accessible depuis le carrefour Cinquième avenue et 53eme rue , il ne reste aujourd’hui du Conservatoire qu’un bassin très agréable durant les beaux jours, très prisé des enfants qui peuvent, comme aux Jardins des Tuileries ou du Luxembourg y louer des bateaux à voiles, à la différence que ceux-ci sont maintenant avec un petit moteur électrique, ce qui permet, à l’aide d’une télécommande, de diriger la baume et le safran.
 La Boat-house date de 1954, on y peut se restaurer et flâner en regardant les enfants jouer.
Deux grandes sculptures bien postérieures au Plan ont; au fil des années, gagnées en notoriété auprès du public même si leurs factures semblent à des années lumières de l’esthétisme élaborée du Mall. Participant à une sorte de « Disneylandisation » des esprits, les représentations infantiles régressives de Lobber  et Creeft sont néanmoins amusantes dans leur gigantisme et matériaux inaltérable. Voilà des sculptures datant de 1956 pour le portrait d’Hans Christian Andersen et 1959 pour Alice aux pays des Merveilles faites pour le selfie, la photo d’enfants grimpant sans risques sur le gros champignon d’Alice alors que certain au même moment risquait leur vie en bravant les interdits sur les sculptures animalières féroces d’Auguste Cain à l’entrée Castiglione des Jardins des Tuileries.
José de Creeft espagnol émigré à Paris pensionnaire du Bateau Lavoir en 1905, expérimentant dans les années 1925 différentes techniques allant de la taille directe ou de l’assemblage jusqu’au « ready made » vaut mieux que son oeuvre américaine la plus célèbre qui ne fut qu’une commande de George T. Delacorte. Editeur de « Pulps » de « funnies » et autre « comic strip »  Delacorte offrit comme sa cloche dansante, Alice in Wonderland aux enfants du Parc, popularisant ainsi le concept des « grands enfants » qui collent aux américains.

 

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 Bronze poli

 

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Le centre du parc était, de façon traditionnelle dans l’élaboration des jardins, une zone de protection des sources pour la consommation des villes. Le  « Croton water system » de 1842 détermina l’emplacement des réservoirs d’eau douce nécessaires. Le système se vit plusieurs fois modifié ainsi que l’atteste les travaux de 1930 qui transformèrent le premier réservoir remplacé par la « Great Lawn » la grande prairie du centre au niveau du Metropolitan Museum et devant le fameux Chateau du Belvedère, folie victorienne de Vaux et Mould. Petit château romantique en grosse pierre,construit sur un éperon affleurant, ses terrasses et balcons offrent une vue magnifique sur le Ramble et la grande pelouse. Il est depuis 1919 un centre météorologique.

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The Belvédère


Les chemins remontant vers le Nord croise la 79 eme rue qui est la deuxième coupe transversale traversant le parc. Glade Arch nous permet de pas croiser de voiture. Cet ouvrage de Calvert Vaux est de conception plus classique avec ses balustrades et ses voussures assez sages il n’y a que le chaînage en pointe qui lui donne du caractère. Ramassé sur lui même, sa largeur donne un obscur passage qui laisse le marcheur se découper en ombre sur la lumière.

 

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Glade Arch


Laissons le Metropolitain Museum visible sur notre droite, pour un autre sujet d’autant plus que la première réalisation signé Mould et Vaux ne présentait qu’une jolie construction néo gothique en brique, de taille modeste, entièrement transformée en 1890 par le grand Richard Morris Hunt
Puis le Metropolitan s’agrandit considérablement dans les années 1970 et 1980 en déclenchant à chaque fois controverse et interrogations.

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Greywacks Arch


Considéré par beaucoup comme un vrai chef d’oeuvre, la Greywacks Arch de J. W. Mould date de 1863. Elle présente une arche en pointe barrant un bandeau sur lequel courre une très élégante balustre. L’alternance des moellons de couleur sur la partie inférieure, crème pour la Greywack, rose pour la pierre de Passaic donne un rythme qui est en accord avec celui des lignes des arches très travaillées; l’une en horizontale brisée pour la partie supérieure,l’autre en belle courbe ventrue coulant sur des sortes de pieds enroulés soutenant le parement intérieur comme l’arche extérieure de façade.

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Great Lawn


Avant d’atteindre la grand prairie que l’on peut situer comme le centre géographique du parc si l’on ne prend pas en compte le grand Réservoir qui par son ampleur délimite une partie sud et une partie nord bien séparées; il nous fut nous arrêter au pied de l’obélisque colossal seul représentant de son espèce sur le continent américain. 

Après avoir franchi la Greywacke Arch émergeant des arbre sur un promontoire, le cadeau de 220 tonnes de granite rose repose a l'écart sur un socle pourvu de curieux crabes.  Haut de 21 mètres cet obélisque de Thoutmosis III venait d’Héliopolis et fut  d'abord offert par Mehemet Ali à l’Angleterre. Les obélisques allant par paire, la couronne britannique renonça au deuxième tant les difficultés de transport furent périlleuse pour arriver à ériger en 1878 le premier obélisque sur le quai Victoria de la Tamise où il se trouve toujours. Le deuxième fut donc proposée à la France qui préféra ceux de Karnak et n’en amena qu’un seul placé place la Concorde  (l’autre fut officiellement « rendu » à l’Egypte par le président Mitterrand).
 Ismael Pacha proposa alors à la ville de New York le dernier obélisque d’Héliopolis. La ville accepta et réussit au prix d’un incroyable voyage à placer ce gigantesque bloc dans Central Park en 1881.

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Egyptian Needle and Crab


 Il n’existe que vingt deux obélisques pharaoniques dans le monde. Leurs histoires seraient intéressantes à découvrir. Leurs voyages à étudier. Il en reste cinq en place en Egypte, un seul à Londres, un seul à Paris, un seul à Istanbul, un seul à New York et treize à Rome!!
Ils sont généralement assez mis en valeur, ce qui ne laisse pas de surprendre ici. Mais pourquoi diable, avoir été le cacher dans les arbres après tant de difficultés pour le faire venir?

Nous voilà donc marchant vers le grand réservoir en longeant la grande prairie ou les joueurs de frisbee du Sheep Meadow laissent ici la place aux équipes de Base Ball. La grande prairie fut nous l’avons dit l’ancien bassin de 1842 ( couplé avec le système Croton ) de préservation des eaux douces fonctionnant en parallèle du grand réservoir d’Olmsted et Vaux qui fut mis en fonction dès 1862.
Il fut asséché en 1930 pendant la grande crise financière au moment où la ville en faillite laissa le parc totalement à l’abandon. L’ancien réservoir devient pendant quelques années ce que les New Yorkais de l’époque appelait « HooverVille ». Censé être responsable du Crash boursier, les victimes massives de la crise se rassemblèrent petit à petit dans le parc en un gigantesque bidon ville de travailleurs pauvres.


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Le reservoir assèché, le début des installations.

 La nature devient ici moins domestiquée, les fourrés plus denses. Les chemins se concentrent en un seul passage à l’est longeant la grande retenue d’eau où il ne serait pas incongru de voir des voiles blanches. Mais tout sport nautique y est proscrit car le Jackeline kennedy Onassis Réservoir est une réserve d’eau, de faune et de tranquillité . Ses berges sont inaccessibles protégées par une grille qui ne fut pas aussi élégante qu’aujourd’hui, les hautes barrières faites d’industriels grillages ont heureusement disparues, la vue y était emprisonnée comme en témoigne de longs passages du film de John Schlesinger, Marathon Man . Les adeptes de la course à pied en font le tour aujourd’hui à l’inverse des aiguilles d’une montre, leur flux est régulé.

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Les grilles du réservoir       


 Mais l’aspect de campagne tranquille ne fut pas toujours en cours le long de ses berges. La criminalité endémique dans les années d’après guerre rendirent le parc extrêmement dangereux et pas seulement la nuit ( où il est toujours déconseillé de s’y « promener ») Le manque d’entretien, les déchets, les tags étaient les marques les plus évidente d’une dérive dont les images du métro datant des années soixante dix témoignent. Le touriste européen d’aujourd’hui ne soupçonne pas le dépaysement d’hier.

Le parc servit à de nombreux rassemblements d’Agit-pro  pacifiste contre la guerre du Vietnam, de nombreux concerts y furent organisés rassemblant des milliers de spectateurs. L’état de délabrement du parc, non entretenu, couvert de graffiti sur ses constructions, avec la great Lawn devenue comme le Sheep meadow des grands espaces de terre battues soulevant poussière l’été et boue l’hiver commençait à ressembler à celui de la grande dépression des années trente avant la réhabilitation entreprise par l'architecte Robert Moses pendant le New Deal.

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Urban Stress

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Trash Country


 Depuis le milieu des années quatre vingt dix la ville s’est transformée grâce à une politique volontariste menée par Rudolph Giuliani et William Bratton . Les berges aujourd’hui sont saines et propres, des cormorans côtoient les tortues d’eaux douces. Les jeunes filles « joggent » en solitaires.
Arrivé au bout du grand lac, la perspective est saisissante.Le paysage n’est plus urbain, la ville s’est effacée. La partie Nord du réservoir reprend l’ordonnance du jardin sportif avec ses grands espaces dédiés aux clubs comme le Recreation Center et les centres de Tennis.  Les aménagements de sentiers et bosquets semblent plus lâches qu’au sud, l’entretien aussi.

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 L'écaillé et L'arbre tatoué

Après le North Meadow le terrain s’accidente jusqu’à la « Ravine » et le « Loch », voilà les profondeurs touffues du parc qui enfin s’échappe complètement de l’élaboration ordonnée du sud .Calvert Vaux et Olmsted ont voulu récréer un endroit sauvage ressemblant aux forêts des Adirondacks au nord de l’état. Les dernière cimes de gratte-ciel sont devenues invisibles, les bois sont denses et la pente ardue. Les rochers, les cascades d’eau fraîche sont le fruit des architectes paysagistes. Au temps de la criminalité galopante voilà un redoutable endroit pour prendre le maquis ou faire des embuscades. Peu fréquenté encore, cette partie du parc offre un réel échappatoire vers une réalité à la Walden ou la vie dans les bois.

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 Walden ?


Il faut bien revenir vers la ville qui réapparaît avec un nouveau paysage. Le Conservatory Garden est un jardin dans le jardin . Il est tout à fait postérieur aux plan d’Olmsted et Vaux. Une serre avait été construite à cet endroit en 1898, on y entreposait aussi le bois issu de la taille des arbres du parc. Les serres et entrepôts furent détruits en 1934. Puis sous l’impulsion du Haussmann américain Robert Moses, il y fut créer d’après les plans du paysagiste Gilmore D.Clark, un jardin en trois parties, très dessinés, d’une conception « à la Française » cultivant de nombreuses variétés de plantes et de fleurs dont les tulipes et les chrysanthèmes qui colorent les parterres au printemps et à l’automne.

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The Conservatory Garden

Des allées de pommiers ombragent les visiteurs encore aujourd’hui peu nombreux. L’énorme grille ouvrant sur la cinquième avenue est celle du Chateau Vanderbilt qui fut le plus bel hôtel particulier de l’avenue prestigieuse, malheureusement aujourd’hui démoli. Il n'en reste que la somptueuse grille dessinée par George Brown Post l’architecte, créateur du grand manoir, elle fut forgée à Paris avec tout le savoir faire français.
Le jardin clos comporte en symétrie deux espaces de végétation en parterre circulaire dont le centre est occupé par une fontaine. Deux groupes de sculptures assez étonnantes y ont été installées. Hommage aux jeux d'eau peuplés d'harmonieuses fées.

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Secret Garden


 Au sud, dans un cercle de verdure rythmé par des sycomores se trouve «  le jardin secret » du bassin des nénuphars dédié à la romancière, auteure dû dit « Secret Garden »:  Frances Hodgson Burnett. Charmante sculpture de 1936 réalisée par Bessie Potter Vonnoh, montrant deux Nymphes (où peut être deux Nappées) dont l’une accroupie joue de la flute traversière. La deuxième fontaine également dan un jardin circulaire, est une danse, une cavalcade pleine de mouvement donnée par la famille Untermyer en 1947.
Trois femmes dansent vivement sur ma margelle d’une grande vasque à jet d’eau central , riant aux éclats, elles se tiennent les mains en faisant une ronde. Oeuvre du sculpteur allemand Walter Schott, la facture en est très Art Nouveau, les robes fines s’envolent en accentuant l’impression de mouvement.

 

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Wet Dance


Laissé complétement à l’abandon dans les années soixante dix. Le jardin n’existait plus. L’environnement délétère d’une déliquescence d’Harlem avait raison de cette partie du parc.
Une grande campagne de réhabilitation d’après les plans historiques fut mené sous la direction du paysagiste Lynden Miller et plus généralement du Central Park Conservancy dirigé par Elisabeth Barlow Rogers . Le jardin rouvrit ses portes en 1987 et est depuis aujourd’hui magnifiquement entretenu. Situé à l’écart des zones touristiques, il est peu fréquenté par la foule, il reste un parc calme et débonnaire débordant de variété horticole.
La partie la plus au nord du parc est occupé à l’Ouest par les « North Wood » qui sont une  prolongation de l’ambiance très authentique du Lock et de la Ravine. Olmsted et Vaux ont conservé en l’état un vieux fort carré datant des fortifications de la Guerre de 1812. Appelé le Blockhouse n°1, il est situé sur un promontoire et s’inscrit comme une ruine romantique utile à leurs projets. 

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Harlem Meer

Un ultime plan d’eau occupe la partie Est du parc. L’Harlem Meer, un découpage en haricot cintre ses berges. Il est actuellement un circuit de promenade assez proche de la ville mais néanmoins très agréable avec ses gros rocher surplombant le petit lac rempli de vie. Il y a bon nombre de hérons et oiseaux mais surtout une belle variété de poissons comme les pomoxis ou des perches jaunes. Le projet de Vaux et Olmsted permit par leur travaux d’excavation une retenue  d’eau tout en drainant les marécages qui empêchait la circulation, vers l’East River. Totalement défiguré après la seconde guerre mondiale par des berges bétonnées. Laissé à l’abandon dans les années soixante dix . L’endroit fut entièrement réhabilité en curant le plan d’eau qui regorgeait d’immondices et de sédiments (26 milles mètre cube furent retiré) La construction tout en subtilité du Dana Discovery Center est une réussite d’intégration dans la logique esthétique du Projet Olmsted et Vaux.

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La porte du Sud appelée Pionner’s Gate est à l’exact opposé de la Scholar’s Gate par nous où étions entré au Sud. Nous avons toujours la cinquième avenue sur notre droite mais nous sommes quatre kilomètre plus loin.
Les grandes orchidées ont laissées la place au curieux mais fort touchant mémorial dédié au grand Duke Ellington. La statue du musicien les bras ballants qui semble consterné près de son piano de concert ouvert est juchée à plus de sept mètres de haut sur une plateforme circulaire soutenue par trois colonnes triples ayant chacune trois cariatides africaines nues.

 

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The Duke


Le Duke Ellington circle, oeuvre du sculpteur Robert Graham fut érigé en 199, elle donne maintenant son nom à cette place qui s’appelait autrefois le Frawley Circle.
Nous voici donc à Harlem, sur le fameux Malcom X boulevard au terme de notre marche architecturale parmi la verdure du Greenwald plan de Frederick Law Olmsted et Calvert Vaux, deux artistes majeurs de l’écologie volontariste que bien des mégalopoles du monde n’ont pas eu la chance d’avoir.

Olmsted fervent admirateur des parcs anglais voyait le but à atteindre avec l’audace et la spontanéité des bâtisseurs, Calvert Vaux forgé par une conception forte de l’harmonie, du beau, de l’agréable, était subordonné à son jugement d’artiste total. Leur alliance donna ainsi la plus grande entreprise de Land-Art que l’Amérique pu connaître.



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X  Blvd

 

Quelques liens extrêments interréssants pour une approche plus approndie:

Mas  NYC 10 Architectural Walk  in Manhattan de Morrone & Postal 2009

Central Park story by R.Trout

The Croton System

Ephemeral New York

Beyond Central Park

Central Park Conservancy

The Greenward Fondation

et pour laisser l'imagination flotter:

La Conspiration de Central Park

 

 

 

 

 

29 mai 2016

CITÉ GRAND RUE Genève


La Rue

 
Deux vieilles causent à l’angle d’un mur,
elles font des gestes avec leurs mains sèches
à mitaines noires,
un petit chat blanc frotte en ronronnant
son beau poil luisant à leurs jupes rêches
et on voit branler leurs mentons pointus.
 
Une femme attend vers la laiterie,
une autre à la fontaine où son seau se remplit ;
des laveuses lavent leur linge :
elles rient, le seau grince,
on entend leurs rires et grincer le seau
dans le bruit de l’eau ;
des hommes entrent boire à la Croix-Fédérale,
le pasteur passe, le régent ;
et les petites filles rentrent de l’école
avec leurs cheveux moussus de soleil
et leurs mollets maigres.

Charles-Ferdinand Ramuz 1938

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Voici deux enfants insouciants sautillant il y a peu, de pavé en pavé dans la rue de la Cité. Vivant des heures tendres sans effroi des ombres qui les entourent, ils sont intemporels comme les pierres. Combien d’enfants passèrent ici même dans une constante déambulation. Allant de l’Hôtel de Ville vers le Rhône, le chemin est le même. Les murs et fenêtres ont changés comme les visages. Mais ce sont toujours des murs et des visages qui en lieu et place depuis des siècles d’existence font de cette rue un parcours lumineux qui nous enveloppe en toute conscience du paysage  dans lequel nous évoluons. Ces pavés arpentés l’hiver, l’été, seul où en groupe sont pour nous le point d’ancrage de nos voyages genèvois.

Principauté ecclésiastique, la ville est gouvernée par un évêque qui en plus d’exercer un magistère spirituel, occupe une seigneurie temporelle relevant en droit du Saint Empire Romain germanique. Comme dans bien des villes européennes son autorité se voit partagée à la fin du XIIIémé siècle par une assemblée regroupant les membres de la communauté civile, formant une « Landsgemeinde »
Syndics, petits et grands conseils, organisant l’administration urbaine mais aussi la politique intérieure et extérieure en collaboration et quelque fois en opposition avec l’Evêque.
Le centre névralgique en était le périmètre inchangé aujourd’hui, formé par la cathédrale Saint Pierre et l’Hôtel de ville pavoisé des armes alliant une partie de l’aigle à deux têtes de l’Empire et une des clés croisées des armes de l’évêché.

 

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La rue de la Cité, prolongement de la Grand Rue descend vers la ville, vers le Rhône et son ile face au Léman.
Les défenses extérieures formant un glacis impénétrable enserrent la ville vers le lac. La ville prospère de son commerce et de ses foires doit se défendre des volontés expansionnistes du Royaume de Savoie comme du duché de Bourgogne si proches.

Genève « clé de la Suisse » est une réalité donnant à la cité libre des alliés solides parmi les cantons suisses.Créant en 1477 avec Berne et Fribourg, une « Combourgeoisie ». Les villes organisèrent une alliance avec signature de traités d’assistance militaire face aux envahisseurs qui apprirent à leurs dépends la valeur des guerriers suisses.

Lorsque de l’Hôtel de ville, face au marché couvert, nous empruntons la rue de la grand rue qui serpente parmi d’anciennes maisons, les sédiments d’une longue histoire accumulée sont visibles. En témoigne la maison Tavel à la naissance de la Grand Rue, au croisement des axes de la ville haute où s’exerçait le pouvoir. Issu d’une illustre famille, Guy Tavel fut un des principaux artisans de la naissance du pouvoir politique des citoyens face à l’autorité de l’évêque, seigneur de la ville. La maison aujourd’hui Musée d’Histoire urbaine, se visite, des grandes caves ouvertes sur la rue pour les échanges commerciaux d’alors jusqu’à la tourelle d’angle offrant une vue sur le lac.

La Grand Rue expose un souci d’élégance comme de véracité qui préside à la conservation d’une physionomie plus qu’historique. Les antiquaires et galeries cachent dans leurs vitrines ombragées des ouvrages livrés aux amateurs. Un bouquiniste regroupe papiers anciens et éditions rares. Un excellent restaurant "Aux Antiquaires"gardant tout le charme des vieilles institutions participe par son aspect discret à la beauté du lieu ou pavés inégaux résonnent du pas des marcheurs.

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La flânerie nous renseigne grâce à la politesse faite aux célèbres habitants de la rue. Le grand Jean-Jacques y vit le jour en juin 1712. La maison est toujours là derrière sa façade remaniée. Celui qui vanta le système fédéraliste «  le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits états » est une gloire que la ville célèbre par son « parcours Rousseau en 7 étapes »»

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C’est au numéro 19 que le jeune André Ernest Modeste Gréty vint s’installer pour y composer son premier Opéra dont la première se tint à Génève en 1766.
 Le jeune homme à l’aube d’une carrière florissante à Paris y rencontra le vieux Voltaire avec qui il se lia d’amitié. Protégé de Napoléon, comblé d’honneur il se retira à Montmorency dans l’ancienne propreté de Jean Jacques Rousseau

Michel Simon qui de 1924 à 1975 enchanta le cinéma français y fit ses premières armes en fils de charcutier déballant la pente en culottes courtes vers le Rhône.

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 S’il y commença sa vie au numéro 27 c’est au 28 que Borges, vieil écrivain, jeune marié, couronné de gloire, choisi d’y finir son existence multiple où de Buenos Aires à Madrid, passant de Barcelone à Paris, il rayonna sur les lettres internationales par son réalisme magique et sa poésie érudite.

« De toutes les villes du monde,de toutes les patries intimes qu’un homme cherche à mériter au cours de ses voyages, Genève me semble la plus propice au bonheur. Je lui dois d’avoir découvert, à partir de 1914, le français, le latin, l’allemand, l’expressionnisme, Schopenhauer, la doctrine de Bouddha, le taoïsme, Conrad, Lafcadio Hearn et la nostalgie de Buenos Aires. Et aussi l’amour, l’amitié, l’humiliation et la tentation du suicide. Dans le souvenir tout est agréable, même l’épreuve »
Atlas (1984 ) Ed Gallimard 1988

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« Au centre de l’Europe, parmi les terres hautes de l’Europe, monte une tour de raison et de foi solide. Les cantons, maintenant sont vingt-deux. Celui de Genève, le dernier, est l’une de mes patries.
Demain, ils seront toute la planète.
Si mes paroles s’éloignent de la vérité, puissent elles être prophétiques. »
Les Conjurés (1985) Gallimard 1988


Six mois de vie consacrée à la Grand rue permit à Nicolaï Karamzine, de venir jusqu’a nous. Ecrivain et poète, conseiller du Tsar Alexandre Ier, Karamazine fut plus qu’un historien, il fut historiographe  et reçu ce qui n’est pas peu dire, le surnom de « Tite Live de la Russie »Voilà pourquoi il se devait d’aller jusqu’à notre connaissance déficiente!

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Serpentant dans sa pente de Grand rue, elle devient par un insensible passage rue de la cité où l’inclinaison plonge en ligne droite vers les eaux du rivage. L’angle du passage de l’une à l’autre se voit greffée d’une perpendiculaire de grand renon. La rue de la Tertasse .

 Ce nom n’est pas là par hasard, en effet il vient de tartasse, qui désignait un ouvrage de maçonnerie défensif, un mur de fortification comportant en remblai un grand nombre de pierre de récupération.

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 La rue de la Tertasse forme le coin de l’imposant Hôtel Particulier des Saussure, noble famille genevoise qui donna de grands noms scientifiques.

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 Horace Bénedict détermina, en le démontrant, l’Orogenèse alpine ce qui rangea le Neptunisme de Gottlob Werner au rang des théories sans fondements. L’orogenèse est une science géologique déterminant le processus de formation des montagnes ( compression de la croute terrestre ) alors que le neptunisme l’explique par l’assèchement d’un océan primordial. Horace Bénédict de Saussure fut longtemps considéré comme le père de l’alpinisme en ayant vaincu le Mont Blanc mais c’est un peu vite oublier Jacques Balmant dit » Balmant des Alpes » dont les exploits sont admirablement racontés par Alexandre Dumas dans ses « Impressions de Voyage en Suisse »
 Un autre grand nom fut Ferdinand de Saussure, le précurseur du structuralisme en linguistique. Il est considéré comme le père de la sémiologie qui est, comme chacun sait, l’étude des signes linguistiques.

Concentrant ses recherches de spécialiste des langues indo européennes, il introduit la distinction entre signifiant et signifié et met en forme une science qui « étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » ( Cours de linguistique générale  1916 )

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 La famille Saussure habite encore ce somptueux hôtel particulier où le talent décoratif de l’atelier Reese s’exerce de manière récurrente depuis plus d’un an. Les équipes se succèdent dans un lieu exceptionnel qui s’enrichi à chaque intervention de peinture décorative. Les fenêtres s’ouvrent sur la place de Neuve où trône le Grand Théâtre et le Musée Rath ainsi que sur les frondaisons du parc des Bastions.

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Les défenses et bastions, Rue de la Tertasse et de la Treille  Maquette Magnin 1850


Cette partie de la ville en contre bas de ses hauts murs enserrant la ville haute avait une porte défensive appelée Porte Neuve. Une architecture complexe à la Vauban protégeait la cité. En détournant les eaux du Rhône, les murailles et les douves ainsi inondées formaient une défense impressionnante qui fut le garant de la cité. En 1846, la démolition des bastions changea la physionomie de la ville qui pu s’étendre ailleurs que sur le lac. Le Bastion de l’Oie fermait les rues de la tertasse, de la Corraterie et de la Treille.

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C’est donc en contre bas de cette somptueuse maison Saussure que se déroula un des plus haut fait de la nation genevoise. La Nuit de L’Escalade qui encore aujourd’hui du fond de ce début du 17eme siècle réuni les habitants chaque 12 décembre pour des festivités et commémorations est un des fondements de l’identité genevoise.
La grande Fontaine, clôturant la rue de la Cité donnant sur la rue de la Confédération, érigée en 1857 est un bel hommage à ce fait d’armes qui fut aussi la dernière grande peur des âges anciens, une ville ouverte aux "gens d’armes" tuant, pillant et ravagent par le feu et le fer une cité endormie. Cette fontaine d’eau aujoud'hui « recyclée et non potable » ne semble plus vraiment comprise par une certaine population qui lui donne le nom de fontaine « Bel Air ».

 

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La fontaine de l'Escalade


La bataille de l’Escalade est une des dernières tentatives du Duché de Savoie pour annexer la ville libre de Genève.
Tout avait été minutieusement préparé. La troupe du Duc Charles Emmanuel Ier de Savoie est massée incognito dans la plaine de PlainPalais, environ deux milles soldats venus du Piemont, d’Espagne et de Savoie qui sans se faire remarquer, en remontant le cours de l’Arve sont prêts à rentrer en pleine nuit dans la ville haute assoupie.
La nuit est sans lune, froide avec du brouillard. L’opération fut minutieusement préparée. Trois cents hommes d’élites fortement armés et déterminés devront à l’aide d’échelles coulissantes, franchir sans bruit, les sept mètres du mur au pied de la Tertasse et de la Treille pour ouvrir les lourdes portes de la Porte Neuve .

Les soldats avancent couvert par les bruits d’eau des moulins tournant. Leurs cuirasses ont été peintes en noir, nul reflet, nul cliquetis ne doit faire sonner l’alarme. Un grand nombre de fagot ont été prévus pour combler les fossés devant les murs à franchir. Des relevés ayant été fait par des espions, les échelles coulissantes sont à la bonne hauteur.

 Les hommes s’élancent à deux heures du matin et franchissent la muraille sans faiblir. Ils passent l’obstacle, la ville est à eux, il suffit d’ouvrir la Porte Neuve de l’intérieur.
 Les gardes genevois sont en sous effectif. Le plan méticuleusement préparé semble ne pas pouvoir échouer, pourtant un bruit attire deux sentinelles qui font face à la troupe nocturne . Ils sont tués mais une des sentinelles tire un coup d’arquebuse et l’alerte est donnée.
 Le tocsin rythme une mêlée furieuse où Savoyard et Genevois s’affrontent sans quartiers. François de Brunaulieu le chef picard des Savoyards est tué très rapidement ce qui désorganise la troupe. Toutes les cloches de la ville sonnent et la populations courent aux armes.
Les combats font rage autour de la Porte Neuve que certain sont sur le point d’ouvrir. Voyant l’imminence du désastre, Un Lorrain du nom d’Isaac Mercier coupe la corde de la herse qui ne peut plus dès lors être ouverte. La porte est sauvée.

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 Le bastion de l’Oie déclenche un feu nourri de ses arquebuses et bombardes sur les grappes humaines massée sur les échelles apposées aux murs. Les troupes du Duc de Savoie entendant les déflagrations se précipitent croyant la Porte Neuve ouverte mais seule la mitraille les accueilles. Les Savoyards ayant franchit les murs sont acculés par des forces de plus en plus nombreuses dans lesquelle des femmes s’illustreront avec vaillance . Ils sont tués ou projetés en bas de la muraille, la ville est sauvée.

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 Le  "Cé qu’è lainô" est l’hymne du canton de Genève. Hymne de la République .

Ce chant écrit dès 1603 par un auteur anonyme raconte cet évènement glorieux en arpitan genevois.

Cé qu'è lainô, le Maitre dé bataille,
Que se moqué et se ri dé canaille,
À bin fai vi, pè on desande nai,
Qu'il étivé patron dé Genevouai.

Celui qui est en haut, le Maître des batailles,
Qui se moque et se rit des canailles
A bien fait voir, par une nuit de samedi,
Qu'il était patron des Genevois.

I son vegnu le doze de dessanbro,
Pè onna nai asse naire que d'ancro;
Y étivé l' an mil si san et dou,
Qu' i veniron par là ou pou trè tou.

Ils sont venus le douze de décembre,
Par une nuit aussi noire que d'encre;
C'était l'an mil six cent et deux,
Qu'ils vinrent par là un peu trop tôt.

Petis et grans, ossis an sevegnance:
Pè on matin d' onna bella demanze,
Et pè on zeur qu' y fassive bin frai,
Sans le bon Di, nos étivon to prai!

Petits et grands, ayez en souvenance
Par un matin d'un beau dimanche,
Et par un jour où il faisait bien froid,
Sans le bon Dieu, nous étions tous pris!

Dedian sa man il y tin la victoire,
À lui solet en démure la gloire.
À to zamai son Sain Non sai begni!
Amen, amen, ainsi, ainsi soit-y!

Dedans sa main il tient la victoire,
À lui seul en demeure la gloire.
À tout jamais son Saint Nom soit béni,
Amen, amen, ainsi, ainsi soit-il!

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 La fin de la rue la cité compte une bien curieuse maison. A l’angle de deux façades décalée, se trouve une étrange disposition d’étage reposant sur une sorte de mat à section rectangulaire de grande hauteur posée sur une borne de pierre. De quel enchainement de causes à effets cette bizarrerie architecturale a-t-elle pu voir le jour? Passant et repassant sous cet étrange portique, nous finissons par ne plus le voir. Alors que cette poutre solitaire a bien des questions à formuler et nos réponses sont maigres.
Pourquoi n’avoir construit qu’un dernier étage en comblant l’angle?  Et cela, pour une toute petit fenêtre montrant le peu d’apparat de cette construction certainement utilitaire. Ne serait-ce pas une extraordinaire survivance d’un reste de dispositif ancien partiellement transformé, partiellement conservé. Pourrait-il s’agir  ’une partie de ce que l’on appelait des « Haut Bancs »? La partie du Haut banc étant conservé et aménagé avec la disparition dans sa partie haute de ce que l’on appelait le Dôme?

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Rue de la Cité


Au XVI eme siècle, le commerce et les foires prirent beaucoup d’ampleur. Il fut alors aménagé des boutiques de bois en avant des immeubles des rues basses qui était protégées pas des avant-corps sur piliers appelés Hauts Bancs. Il est ainsi rapporté par le professeur Louis Binz : « « Les hauts Bancs s’ouvrant côtés des façades des maisons, acheteurs et marchandises se trouvaient ainsi à l’abri. Hauts bancs et dômes ne furent démolis qu’au début dut XIXeme siècle »
 .Genève et les Suisses «  L.Binz & A. Berchtold Ed cantonale Genève 1991

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Dômes et Hauts Bancs

Il existe dans la grand rue une étonnante construction sur la partie haute d’un bel immeuble qui ressemble à ce que pourrai être un dôme « aménagé » ayant une construction dans l’espace autrefois libre. Ce n’est que supposition car il n’y a qu’une ressemblance de forme pour étayer cette idée. Mais quel plan aurait décidé de cette arche avec balcon, ayant dans sa partie haute deux fenêtres bien mal situées.

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L’aspect de Genève ne se laisse découvrir qu’en arpentant la vieille ville qui regorge de trésors discrets. L’histoire de l’Europe s’y trouve en certain point concentré pour éclairer ce sentiment naturel d’appartenance que certain peuvent ressentir devant une chaine cerclée aux bornes de pierre ou devant la cuve creusée d’un bloc de granit devenue fontaine coulant sans entraves.

 

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17 avril 2016

SERT ET LES NATIONS

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« Je partirai d’une idée très simple: ce qui sépare et ce qui unit les hommes »

C’est en ces termes que José Maria Sert expliqua en septembre 1934 au journal de Genève ainsi qu'à l’écrivain Jean Martin, son projet de peinture monumentale pour la salle du Conseil de la toute nouvelle Société des Nations dont le siège venait de sortir de terre dans le parc de l’Ariana à Genève.
L’immense bâtiment réalisé entre 1929 et 1937 par un collège d’architectes Italien, Suisse, Français et Hongrois, constitué respectivement de Carlo Broggi, Julien Flegenheimer, Camille Lefèvre et Joseph Vago se vit pourvu de donation venant du monde entier.

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 La création de la société des Nations au lendemain de la grande guerre qui avait ravagé les peules, était l'espoir d’un âge de paix internationale. Le gouvernement de la République espagnole proposa par l’entremise de l’écrivain diplomate Salvador de Madariaga, le très admiré Sert qui déjà était au travail pour la décoration du grand hall du Rockefeller Center de New York. L’Espagne ne pouvait que souscrire avec enthousiasme au projet d’organisation des états car ce que l’on appelait «l' Ecole Espagnole » venait tout droit de l’Université de Salamanque qui fut dès le XVI ème siècle sous l’égide du dominicain Francisco de Vittoria, les concepteurs et théoriciens du droit international en formulant la notion d « Orbis » c’est à dire en avalisant la notion d’un monde constitué d’entités politiques devant se réguler par la loi.

Sert, peintre international et monumental ne pouvait qu’être à la mesure du projet. Le français Joseph Avenol, secrétaire général de la SDN en 1933, fit le voyage en Espagne accompagné de plusieurs des architectes. Ayant visité la cathédrale de Vich, le grand oeuvre de Sert, il écrivit à son adjoint, Pablo Azcarate: «  J’avais assurément très souvent entendu parler de Sert: Je ne connaissais pas ses oeuvres…En faisant la découverte des oeuvres de Sert, dont je ressens encore la puissante impression, j’ai éprouvé une grande inquiétude. Je me suis demandé si, en attribuant seulement une salle de commissions à la générosité du Gouvernement espagnol, nous ne commettrions pas une erreur irréparable. De tout ce que nous connaissons parmi les dons annoncé, rien n’égale de bien loin la grandeur et le génie de Sert. Dans l’ensemble du Palais, reléguer dans une salle de commission, même,dans l’une des plus grandes, une oeuvre de cette puissance, c’est déséquilibrer complètement la décoration. De l’avis des deux architectes et le mien, cette oeuvre doit être mise au tout premier plan et, j’ajouterai, devenir le centre de la décoration »

 

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Après quelques tergiversations quant au "centre de la décoration" à savoir la galerie des Pas Perdus ou alors la salle du Conseil , c'est celle ci qui fut finalement retenue. Sert signa un contrat en 1935 qui l’engageait à réaliser une oeuvre de 435 m2. Il s'agissait  pour lui de faire de cette Salle du Conseil un tableau à part entière : «  No realizo un cuadro para una salo sino que hago de una sala un cuadro  » ( "je ne réalise pas un tableau pour une pièce mais d'une pièce fait un tableau" in M.Castillo 1947)

L’immensité de la tache était à sa mesure car il réalisait au même moment les gigantesques toiles commandées par John D Rockefeller pour le General Electric Building de New York. Sert, comme la famille Tiepolo en son temps, travaille vite. Il réalise des « Bocetos » ( ou Bocettos en Italien) c’est à dire des esquisses peinte assez poussées qu’il assemble dans des maquettes en trois dimensions.
 Un métrage très précis des lieux à décorer lui permet de peindre sur toile à Paris. Puis ces toiles sont envoyées et marouflées in situ soit sur les murs directement soit sur des panneaux de bois fixés aux murs. C’est ainsi que travailleur infatigable, il s’entoure d’assistant pour tous les travaux préparatoires comme pour les mises en place des personnages d’après ses maquettes préalablement  mises aux carreaux. Le premier d’une équipe de six à sept peintres et le plus fidèle de ses collaborateurs fut Luis Massot, catalan comme lui, qui restera à ses côtés jusqu’en 1945.

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Salle du Conseil Genève


Sert n’utilise pas de modèles vivants. Ce ne semble pas dans son caractère que de vouloir diriger une cohorte d’homme et de femme nus en composition plus ou moins fantastique sinon héroïque. Il utilise plutôt le mannequin articulé qu’il assemble en groupe pour ensuite par les photographier, les dessiner puis peindre ses compositions. Il peint avec un mélange de glacis et vernis contenant du sépia, de la Terre de Cassel, de l’Ombre Brulée et du Brun Van Dyck. Les fonds  sont d’or ou d’argent verni. Cependant les rehauts de couleur ne sont pas rares, comme en témoigne magnifiquement le rouge carmin des tentures du salon de Maurice de Wendel visible à Carnavalet. Sert eu plusieurs ateliers à Paris, le premier rue Barbey de Jouy, fut aussi sa résidence. Il organisa un grand espace de travail, rue de la villa Ségur dans un bâtiment d’angle de grande proportion  d'à peu près 30 mètres de long pour 10 de large, subdivisé en deux niveaux de tailles inégales. Le rez de chaussée très clair et luxueux pouvait servir de salle d’exposition et de réception. Le sol de marbre et les formes très sobres donnaient une modernité que l’on ne retrouvait pas dans son appartement du 252 de la rue de Rivoli où une accumulation très dix neuvièmiste de collectionneur règnait.

 

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Atelier de la rue de la Villa Ségur


L’étage supérieur est «  Santa Sanctorum ».  Personne n’y était autorisé, seul ses assistants pouvaient y pénétrer. Porte infranchissable même pour ses amis intimes et même, dit-on à sa propre épouse que se fut Misia ou Roussy.  L’atelier est un lieu secret ou toute élaboration doit se faire dans la concentration et le zèle du perfectionniste. Sert travaille les corps, les visages en salis d’or, se gardant des lumières pour les faire venir de l’extérieur de la toile, en réverbération .

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Salle Francisco de Vitoria  1938


« Lo que separan y lo que une a los hombres » est une composition intégrée à la salle du conseil, c’est à dire qu’elle couvre les murs et plafond en participant à l’architecture. Elle devient architecture en intégrant les deux couleurs dominantes des murs et des mezzanines. Le gris chaud et le laiton de couverture des balcons et mains courantes des escaliers. La grande composition de rideaux s’ouvrant sur de faux ronds de bosses rythme les allégories qui s’entremêlent. Six rideaux aux angles retenus, découvrant sept grisailles de grandes tailles.
Sert reprend des compositions déjà visibles au Rockefeller Center, il créé des variantes mais son propos est le même. L’optimisme sous tend les figures symboliques qui célèbrent les plus hautes aspirations vers la paix, le progrès, la concorde entre les nations pour le bonheur du genre humain. Les grisailles placées aux angles sont des allégories représentant: L’intelligence, la Justice, la Force et la Loi, qui s’entremêlent avec une trilogie:  l’évocation de la Paix située au milieu du mur central puis de part et d'autre: La mort de la Paix et la renaissance de la Paix.

Les lourds rideaux de couleur or présentent les forces en présence pour l’élaboration du monde nouveau. L’espérance, le progrès de la science, le progrès social, le progrès technique et inséré dans la trilogie de la paix, les vainqueurs et les vaincus. Sert montre bien par cette disposition sur le mur central que les vaincus et les vainqueurs sont partis prenantes pour l’édification de la paix future.

Le prix Nobel de la Paix de 1933, Sir Norman Angell déclarant dans son discours « les vainqueurs sont aussi des perdants » montre la justesse du propos, incitant ainsi les peuples à se concerter pour terminer les conflits dans la concorde. Car les vaincus ne le sont que trop pour ne pas leur donner des envies de revanche. Les « réparations de guerre » devant être prises dans un tout autre esprit que la vengeance amenant la ponction destructrice de richesse. Malheureusement, il fallut un autre conflit mondial pour mettre en pratique cette évidence, mise en place avec la reconstruction américaine du Japon et de l’Allemagne de 1945 car trois ans après la réalisation de ces peintures, l’Europe explosait de nouveau le monde.

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Les vainqueurs, l'Evocation de la Paix, les vaincus


Le plafond est une des pièces majeures du propos élaboré par Sert. Le cahier des charges signé avec la République le 11 septembre 1935 stipulait bien « qu’au plafond serait représenté le Maitre Francisco de Vitoria montrant la voie aux juristes qui élaborèrent les règles du droit international »
Sert dans une colossale étoile de bras musculeux montre les cinq parties du monde formant la clef de voute allégorique du propos. Les géants se tiennent sur des hauts murs entourés d’une foule écoutant dans un désordre exalté, la leçon de Salamanque dont on voit le clocher de la cathédrale s’élever dans l’or du ciel. Comme pour la commande de Rockefeller, les géants sont présents au plafond pour faire paraitre le ciel plus haut et symbolisant la puissance de ces idées, ils nous aspirent vers une identification bénéfique.

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Plafond "La solidarité des peuples "ou "la Leçon de Salamanque"

Les grands idéaux de Sert furent malheureusement fort malmenés bien avant la conflagration mondiale de 1939. Il acheva ses toiles en mai 1936 à Paris puis les compositions furent envoyées à Genève pour y être installées. L’inauguration était programmée comme une étape radieuse dans son parcours plein de succès, il était un peintre comblé lorsqu’il appris le déclenchement de la guerre civile espagnole en juillet. Puis trois semaines après, on lui rapporta la destruction de la cathédrale de Vich par les révolutionnaires rouges extrémistes qui saccagèrent et incendièrent la ville. La cathédrale brûla et s’effondra avec ses trésors et son grand oeuvre qu’il mit plus de 17 ans à réaliser. Cet ensemble de peintures, cette première commande auxquelles il était si attaché fut irémédiablement détruite mais après la guerre, infatigable travailleur, il se lança de nouveau dans ce gigantesque chantier  pour restituer à la cathédral sont décor. Il termina ce travail épuisé à la veille de sa mort. La cathédrale repeinte fut resplendissante pour ses funérailles.

Deux des scènes allégoriques du Palais de la SDN sont des reprises, avec des variantes du projet «  Les Triomphes de l’Humanité » réalisé à New York, la même année.  Le Progrès industriel et La Paix se retrouve dans la composition de Genève sous les noms respectifs de «  Progrès technique » et de « L’Espérance »

Paul Claudel interroge la composition du "Progrès Technique" peinte à Genève :
 «  Et plus loin quelle est cette roue gigantesque, ou plutôt ce fragment de roue à engrenage, que toute une colonne d’esclaves, associée au joug d’une paire de boeufs, tire, à mon avis, plutôt que vers le scap’s heap, vers le lieu d’ajustage définitif sinon un appel à ce temps où la loi du rythme collectif succèdera à la cruauté d’un effort anarchique? »

L’effort anarchique est souligné par le manque d’alignement des boeufs qui semblent sur le point de refuser la charge. La Locomotive à vapeur toute fumée dehors s’élance en partie haute comme pour souligner le rythme collectif des pistons. Il y a une variante de taille par rapport au « Progrès industriel » de New York où la locomotive est perpendiculaire à la scène de traction qui est là, beaucoup plus ordonnée car ce sont des chevaux alignés qui tirent le char. Le premier dessin gardé en esquisse des travaux du G E building montre à la place de la locomotive, une rangée d’usines crachant ses fumées. C’est d’après J. Frémontier à la demande de John Rockfeller qui investissait dans les chemins de fer que Sert a remplacé les usines par le train.
La version genevoise est plus dynamique plus aérienne, si tenté qu’une machine à vapeur puisse l’être. La composition s’inscrivant dans le même format, il est intéressant de comparer l’effet produit par ce changement de direction.


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Le Progrès Technique  vue d'ensemble et détail - Genève

 

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Le progrès Industriel
New York

 

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L’Espérance Genève

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La Paix   New York

La composition du GE Building seul sur un pignon, n’est pas en continuité comme à Genève. La masse humaine et chevaline donne une large assise de tonalité plus forte au passage de la locomotive qui semble aller plus lentement. La partie en balcon de la machine regroupe une série d’hommes torses nus brandissant leur bras en acclamation. Le progrès croise en hauteur sur le pont la masse musculaire qui tout à son effort ne voit pas la nuée de vapeur. La composition de Genève plus violente, laisse une "Louison" en furie écraser la masse sombre de l’obscurantisme technique.
L’Espérance de Genève est l’une des compositions les plus remarquée de l’ensemble. La scène s’articule sur un demi cercle tenu dans la partie inférieure, par une foule de femmes accueillant des hommes revenant du front puis la composition s’élève grâce aux canons pointés vers le ciel dont les fûts convergents soutiennent une mère portant son enfant en triomphe.
 Tout aspire l’oeil vers cet équilibre montrant la fragile progéniture représentant l’avenir. La scène encadrée par le réalisme du lourd rideau tombant sur la porte est une réussite complète, et se joue de la difficulté à insérer dans un espace réduit cette élévation en perpective.
Appelé "La Paix" à New York, cette même scène fut donc peinte antérieurement avec des variantes minimes. Parmi les hommes revenant sans doute du front, les casques n’apparaissent que dans la version suisse et les canons tirant en l'air le sont également . Il est étonnant de voir cette version sans casques ni tirs . Les deux versions présentent parmi les femmes en fichu un énigmatique personnage qui semble être un adolescent portant des fusils factices fait de bois. Légèrement dissemblable sur les versions, il regarde de coté et semble important pour la scène mais aucune explication n’en été donné.
La version américaine présente des drapeaux dans le lointain que l’on ne retrouve pas dans la version suisse où, en revanche un groupe d’homme dans la partie supérieure fait basculer au prix de lourds efforts, un canon dans le vide. L’espérance de la paix passe par le désarmement.
Les deux compositions reprises pour le chantier de Genève indiquent que Sert devait être particulierement satisfait de ces dessins. Il y a en effet une puissante évocation visuelle, grandiose et héroïque à la hauteur de l’idée première. C’est peut-on le dire, une peinture « engagée » que Sert livre en pleine tourmente. La guerre l’éloignera de l’Europe, il retourna travailler à NewYork pour réaliser une deuxième commande de John Rockefeller puis dès 1941 se lancera dans la re-création des peintures de la cathédrale de Vich. Inaugurée le 15 novembre 1945, par une cérémonie officielle et grandiose, José Maria Sert meurt quelques jours après, à Barcelone, le 27 novembre 1945. Il est enterré dans le cloitre de la cathédrale.

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RIP

La Société des Nations tint son dernier conseil en 1939. Le 10 janvier 1946 l’organisation des Nations Unies s’installe à New York. Le 1er Aout 1946 la SDN est dissoute et le Palais des Nations devint une représentation européenne de l’ONU regroupant de nombreuses assemblées et instances:
    Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)
    Bureau de la coordination des affaires humanitaires
    Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)
    Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)
    Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI)
    Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco)


Le gouvernement Espagnol fit en novembre 2008, un nouveau présent de taille au Grand Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Il offrit la décoration du plafond de la salle des droits humains et l’alliance des civilisations plus communément appelée Salle de conférence XX.

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Les Mousses de Barcelo


Miguel Barcelo réalisa sur les 200 m2 de coupole une peinture stalactite de couleurs mélangées traitant de la décrépitude en intérieur. Ne représentant qu’elle même la couleur s’échappe de la voute en écharpes vers les spectateurs. La couleur de la voute varie dit-on lorsque l’on change de point de vue, ce qui est sans doute la moindre des choses pour une oeuvre en relief.

Quant à la postérité, Sert sera, certainement plus que Barcelo, conforme au vers de Paul Valery qui se réjouissait que les fruits aient passés la promesse des fleurs

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José Maria Sert 1912

portrait par Jacques Emile Blanche

 

Bibliographie:

Arturo Colorado Castellary " Les peintures Murales de José maria Sert dans la salle Francisco de Vitoria" Nations Unies NY 1985

Jo Fremontier " José maria Sert La rencontre de l'extravagance et de la demesure " edition de l'Amateur 2008

Alberto del Castillo  "José Maria Sert Su vida y su Obra" Argos 1947

 

 

Remerciements:

Les photographies de la salle du Conseil ont été réalisées par notre amie Cécile Crochet, peintre décoratrice qui a travaillée au Palais des Nations .

 

12 janvier 2016

Adrienne S. ou le livre enchanté.

 

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Dans un basculement de manège imitant les chevaux de bois, le cerf à l’oeil rond semble sous hypnose ..Mourenka maitresse chatte, dans son pourpoint bleu le domine en cavalière émérite …La petite Darenka au triste fichu noué sur ses boucles auburn semble doucement résignée.
Le paysage de montagne laisse apparaitre quelques cimes glacées derrière de grand épicéas sans neige.
Un ensemble de pierreries volent dans leurs halos de blanc reflet: ..Saphirs rubis diamants émeraudes ou améthystes…elles volent en nombre à chaque coup de sabot. A chaque coup de ce sabot magique que l’on ne voit pas, les pierres précieuses apparaissent dans une étincelle jaune…
Le vieux Kokovania isolé dans son Isba attendait comme chaque hiver le fameux et invisible cerf au sabot d’argent …Cette fois la petite chatte Mourenka était là pour lui…
Signé en bas à gauche par un sage « A.S. » cette image colorée traverse les consciences et surgie des limbes des souvenirs du premier âge.
 L’enfance bercée au son des contes, fixe son regard sur la large page et tandis que l’histoire s’envole dans l’oubli, l’image s’imprime irrémédiablement.

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Adrienne au yeux clair était une fée retirée en Sologne à Saint Gervais Laforêt, elle vivait dans une maison entouré d’animaux domestiques et travaillait exclusivement pour Flammarion qui lui commandait des dessins et peintures pour les grands livres de contes pour enfant qui étaient les « beaux livres » que l’on offrait après la guerre dans cette France prospère qui gardait l’âme de la civilisation occidentale si malmenée qu’elle finie par être considérée comme obsolète.

Adrienne Ségur était né à Athènes en novembre 1901, fille de l’écrivain, conteur romancier Nicolaos Episcopopoulos qui de 1880 à 1930 publia en grec de nombreux contes fantastiques terrifiants chargés de références aux passions charnelles et à la volupté.. Installé à Paris, il est naturalisé sous le nom de Nicolas Ségur et continue en français une oeuvre abondante sous les encouragements de son ami Anatole France.
La jeune fille commença avant la guerre à Paris, une carrière de dessinatrice sous le nom d’Adrienne Novel. Elle écrit et illustre des histoires simples et douces pour les plus petits utilisant un trait simple. Quittant les images graphiques noir et blanc assez épurées, elle passe à la couleur  aquarellée mais cesse toute publication pendant l'ocupation. Puis à la libération, prend son envol et illustre d’une manière foisonnante, luxuriante les grands contes européens dans de beaux livres diffusés dans toutes l’Europe.
Mais Flammarion n’ayant pas d’édition populaire bon marché, son travail néanmoins reconnu n’atteint pas le niveau de célébrité qu’on connu et connaisse encore les illustrateurs tel que Carl Larsson ou Arthur Rakham.

Dès les années trente, elle dessine en noir et blanc une série de vignette pour « Le pays des trente six mille volontés » d’André Maurois, mais son imaginaire l’amène à écrire et illustrer les aventures d’un gentil personnage que les tout petits enfants d’avant guerre feuilletteront en attendant l'age de lire Tintin. Les  « aventures de Cotonnet" alternent alors couleurs simples et illustrations graphique  en noir et blanc très marquées par l’époque.
En 1934 elle présente les « Contes de Perrault » en signant ses vignettes d’un simple A placé dans carré. Elle innove par son format allongé, sa mise en page dépouillée, ses dessins au trait surs et directs. Ce grand livre fut publié par les éditions Sudel, une Société universitaire très versée dans les sciences de l’éducation et l’outil pédagogique qui existe toujours

Le milieu littéraire et intellectuel lui est très proche par son père, auteur de nombreux romans. Il rédige également des critiques littéraires et frequente le milieu de l'édition.  Ses livres sont toujours centrés sur ses préoccupations premières qu'il n'a pas abandonné. La Grèce antique et l’amour charnel dans le couple l'occupe pleinement. Les titres très évocateurs de ses romans: Les proies de Vénus ( 1929) Le Paradis des hommes ( 1930) L’anneau sensuel ( 1930) L’impure ( 1931) La Chair (1931)  Le lit conjugal ( 1933) Mystère charnel (1934) Fantôme de volupté (1934)  etc …etc…sont aux antipodes du charmant petit monsieur Cotonnet et du petit ours brun Misha.

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  En écrivant et dessinant  "Cotonnet aviateur" ou "Cotonnet en Amérique" Adrienne Ségur semble prendre refuge dans le satin de l’enfance, échappatoire d’une jeune femme certainement très sollicitée dans sa vie sociale naissante. Elle fera le choix d’épouser un homme de dix ans son ainé, ayant une personnalité toute particulière.
Elle rencontre et épouse en 1932 Mounir Hafez poête égyptien, philosophe et scientifique.

Mounir Hafez suit les cours de Louis Massignon au Collège de France et commence à publier ses poèmes. Il voyage entre Le Caire et Paris jusqu'à la révolution Nassérienne où il se fixe définitivement à Paris. Il fut reconnu comme l'un des grands spécialistes de la mystique musulmane Soufi. Sa biographie est riche en colloques et publications, il est « un maitre et disciple dans le soufisme » mais il n’est nulle part fait mention de son épouse, car à l’inverse de son  truculent beau père, la vie intérieure semble n’avoir été que le seul objet de ses travaux. Il aurait fréquenté Maurice Blanchot, George Bataille et Emil Cioran sans qu’il nous soit possible de trouver de plus amples renseignements. Sa vie et son mariage sont à l’égal de la biographie d’Adrienne Ségur, un vaste champ de questionnement ou le « secret discret » cher à Michel Lieris, semble en avoir été le fil conducteur.

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M. Hafez


 Adrienne Segur fut responsable des pages enfants du Figaro juste avant la déclaration de guerre. Entre 1936 et 1939, elle y dessina les illustrations d’une rubrique qui semble bien surprenante  aujourd'hui pour un quotidien d’information plus proche de la politique que du divertissement.
Le couple Ségur aurait été inquiété pendant l’occupation, peut-être même arrêté comme espion. Nous n’avons pu recueillir plus de précisions concernant cet évènement qui généralement n’est pas passé sous silence.

Le rythme des publications s’accélère après la guerre avec, dès 1946 «  L‘ours PaFu raconte … » puis en 47 « Un tout petit cochon s’en allait à l’école » suivi d’une présentation d’Alice au pays des Merveilles.
Le traitement proprement-dit, des images change pour devenir beaucoup plus luxuriant, plus onirique et non plus réellement descriptif. Une grande image en couleur résumant non seulement, le conte en y présentant les protagonistes mais aussi l’esprit en un au-delà de l’histoire pour la forcer à entrer dans un merveilleux plus fantastique. Les animaux sont parés de couronne, d’habits de cour. Les poses et traitements des pelages sont très réalistes tout en ayant un certain maniérisme propre aux fées et princes charmants. S’agit-il de belles images? s’agit-il d’art?   Assurément il ne s'agit pas de cela .  Il s’agit d’"images de suggestion " liées à une narration.

Les images de suggestion ont une puissance visuelle qui agissent d'une manière interne et silencieuse sur le spectateur.

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"Le Briquet " Conte D'Andersen.

 

La démarche et le travail de l’illustrateur pour enfant est-elle comparable à celle de l’artiste peintre? Nous pouvons aisément considérer que si les procédés liés à la représentation sont du même ordre. Le travail sur le plan, avec l’utilisation du dessin et de la couleur relève du même mécanisme. Celui ci faisant appel aussi bien à la sensibilité qu’à l’intelligence dans un but d’ordonnance, donnant au spectateur un effet intelligible de captation et production d’émotion. Mais l’image associé aux contes ou histoires fantastiques pour l’enfance est loin des procédés cognitifs de l’adulte.

 

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"Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon " Contesse de Ségur


 L’enfant n’évalue pas complètement la différence entre lui et les animaux ce qui l’amène sans encombre vers les représentations anthropomorphiques des contes. Il ne s’agit pas ici de rentrer dans l’aspect thérapeutique des contes comme l’expose Bruno Bettelheim ou Pierre Péju mais plutôt comme le montrait Georges Jean, poète essayiste, professeur qui s’est consacré au mental de l’enfance; à la dimension « magique » du conte. Il procède entièrement de l’imaginaire des enfants en effectuant un travail d'interprétation du réel, ce qui leurs permets une circulation entre le monde intérieur et le monde extérieur.

La puissance des images est l’outil distingué permettant pour la prime enfance de travailler un matériau brut. Ce qui fut théorisé par les chercheurs américains Anthony Manzo et V. Lengenza. Leurs travaux leur permit de mettre au point en 1975 la PPF ou "Picture Potency Formula".

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Feuille d'évaluation de la PPF

Il s’agit avec cette formule d’évaluer les potentialités d’une image pouvant favoriser l’expression, le langage, le développement des pré-scolaires comme des moins de sept ans. Après une série de test où de nombreux enfants sont questionnés sur leur vision de l'image, une graduation est proposée pour donner une mesure de PPF. Une graduation allant de "High language stimulation value" à "Low value" avec de nombreuses strates intermédiaires.
Les enfants ont une vision kaléidoscopique des images et surtout des images complexes. Certains illustrateurs et éditeurs estiment que la simplification du graphisme comme de l’utilisation unique du noir-gris-blanc avec toutes les déformations possibles de dessin, laisseraient plus de liberté interprétative à l’enfant. Il n’en pas du tout certain. A cet âge, il est bien possible qu’une image vide ne provoque que du vide. L’image complexe semble porter en elle beaucoup plus de stimuli.

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"Les sept princes corbeaux"  Conte de Grimm

 

La vision kaléidoscopique procède par segment discernable pendant la "lecture" de l'image. Le nombre des parties discernables augmente la fixation du regard sur ces mêmes parties. Même si la proportion des éléments lus décroît quand s’accroit le nombre d’éléments lisibles: nombre de personnages, précision du dessin ( costumes accessoires etc..) paysage avec détails d’arrière plan et couleurs élaborées;  la fréquence des retours sur l’image est plus profitable à l’enfant, en ce sens que plus une image donne à lire plus elle est susceptible de découpages variés de ses éléments « Grafico-sémantiques »

Voilà une sollicitation visuelle qui ne peut qu’encourager le développement de l’imaginaire et du formulé par le langage, d’un énoncé, car le tout jeune spectateur n’a pas en regardant une image une relation immédiate avec le réel, cela vient avec son développement aux alentours de l’âge de sept ans où le statut analogique de l’image se dévoile. Une photo, une peinture abstraite ou les nuages, représentent toujours quelque chose pour celui qui regarde. Il y voit des formes même cachées. L’historien d’art, Ersnt Gombrich dans son ouvrage «  Psychologie de la représentation picturale » nous montre l’importance de nos images dans le processus d’éducation.
« Toute image relève d’un univers de représentation symbolique qui répond à des conventions, à des usages socio-culturels, à des traditions ethniques historiquements datées. »

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"La tortue d'Urashima" Contes Populaires Japonais

Voilà en quoi la luxuriance des illustrations d’Adrienne Ségur est un solidifiant civilisationnel pour la France et l’Europe. En créant, par exemple des images stylistiquement européennes de contes japonais comme « La tortue d’Urashima » illustrant ainsi les contes populaires russes comme l’étonnant « Kuz’ma Skorobogaty et la renarde » ainsi que le romantique « Finist, le beau Sokol » . Adrienne Ségur ouvre le monde aux enfants par de grandes représentations contenant tout l’imaginaire des voyages. Elle fixe pour la vie, une poétique dont l’effluve nostalgique revient à l’âge adulte par la simple contemplation de ces pages colorées.
Lieu de « peletonnage » dans une sécurité familiale, le moment de l'histoire raconté aux enfants est primordiale. Ils scrutent encore et encore l’image qui s’imprime à jamais; le tout s’associant à une représentation du monde puisant dans nos identités propres. Le travail d’Adrienne Ségur devrait être puissamment redécouvert car répondant aux aspirations de notre époque.

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"Poucette" Conte d'Andersen


Le grand " Livre des Bêtes Enchantées" parut en 1956 et se situe à l’acmé de cette période de réclusion et de travail intense d'après guerre. Retirée en Sologne, Adrienne Ségur ne s’arrêtera de peindre qu’à l’aube des années soixante-dix quand l’arthrose brisa le geste créateur.
Les livres pour enfants ont beaucoup changés. Pourtant les contes de Grimm, d’Andersen, de Colette ou de Lewis Carol sont évidemment encore à lire aux enfants. Ils n’ont pas épuisés leurs enseignements bénéfiques surtout s’ils sont accompagnés de ces images foisonnantes de mystère et de poésie intemporelle comme la magie des rêves d’enfants.

 

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Adrienne Ségur s’est éteinte sans bruit au Plessis Robinson en 1981

 

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Mounir Hafez son mari poursuivra ses travaux et recherches jusqu’en 1997. Il meurt le 1er Janvier 1998.

 

 

 

 

PS :

 


Voilà une image avec un fort contraste …Voyez vous l’enfant dans cette image?

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Si oui, sachez que des chercheurs de l’université de Cardiff après une étude sérieuse ont déterminés que si vous pouvez voir cet enfant, vous avez de fortes chances de souffrir de troubles psychotiques.

En effet sur les deux groupes sélectionnés, la majorité de ceux voyant l’enfant venait d’une unité de soins psychiatriques.

Le groupe de « sain d’esprit » étant majoritairement des non-noyants.

Voyez-vous l’enfant?

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A retrouver sur le site medisite "acteur de votre santé" que nous remercions.

 

Les photographies d'Adrienne Ségur sont d'Erwin Blumenfeld  (1936)

 

 

27 septembre 2015

Caché en son VEXIN

Nymphes, divinités dont le pouvoir conduit
Les racines des bois et le cours des fontaines,
Qui nourrissez les airs de fécondes haleines,
Et des sources que Pan entretient toujours pleines
Aux champs menez la vie à grands flots et sans bruit,

Comme la nuit répand le sommeil dans nos veines;
Dieux des monts et des bois, dieux nommés ou cachés,
De qui le charme vient à tous lieux solitaires,
Et toi, dieu des bergers à ces lieux attachés,
Pan, qui dans les forêts m’entr’ouvris tes mystères:

Maurice de Guérin - Glaucus 1840

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Par la porte étroite, le vent nous enveloppe dans un tressaillement d’épiderme. Les génies du lieu savent au détour d’un passage provoquer d’intérieurs transports. Une sensation fugitive liée à la claire conscience du temps fait soudainement parler les pierres et les arbres. Cet écho intime résonne à la vue d’un moellon moussu, d’une allée sous les frondaisons .

Que de ces près l’émail plaît à mon coeur!
Que de ces bois l’ombrage m’intéresse!
Quand je quittai cette onde enchanteresse,
L’hiver régnait dans toute sa fureur.

Et cependant mes yeux demandaient ce rivage;
Et cependant d’ennuis, de chagrins dévorés,
Au milieu des palais, d’hommes froid entouré,
Je regrettais partout mes amis du village,
Mais le printemps rends mes champs & mes beaux jours.

François René de Chateaubriand Tableaux de la Nature. - L’amour de la campagne -1784

 

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Les terrasses et perspectives des jardins du château de Villette suivent l’ordonnance des villas romaines axées Nord Ouest, la lumière y est favorable à l’émotion, le cadre porte à la rêverie aux « Tableaux de la Nature » cher à Chateaubriand

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La « Rivière » que son Neptune venu du château Royal de Saint Ouen ordonne, coule face au salon octogonal du château. Celui ci domine les parterres de ses terrasses datant de la maison forte du XVI° siècle transformée en 1668, par Jean Dyel, en une villégiature d’agrément concentré du génie des deux Mansart.


 Les « Rivières » sont des rêves de domination. La nature domestiquée dans l’ordonnance de la haute civilisation. Coulant de bassins et vasques, les fontaines jaillissantes peuplés de nymphes, naïades des écumes chantant en coeur avec les nappées des prairies et forêts. Ce dispositif joue un rôle essentiel d’animation: «  Elle est bouillonnante au creuset de la source » animent les espaliers en dévers, les plans juxtaposés, les lits dirigés d’une eau sauvage. L’eau de source cascade jusqu’au bassin en fer à cheval daté du XVII°siècle soit plus ancien que celui du défunt Marly.
Les Rivières ont bien souvent disparues, les génies aquatiques les ont désertés dilapidées par les exfiltrations ravageuses, les fuites ruinant les bassins non étanches. La rivière de Marly, la plus belle et la plus connue, ne vécue que vingt ans.Terminée en 1704 elle fut démolie sur ordre du cardinal Fleury en 1728 «  pour ne pas la réparer » La  Rivière de Brunoy subit ainsi le même sort lors de la Révolution, le château et ses bassins furent détruits. Reste par bonheur à Saint Cloud, la grande cascade d’Antoine Le Pautre construite en 1664 qui coule toujours sur son dénivelé datant du château de Monsieur. La belle cascade du Champs de Bataille s’en inspire par ses sculptures et ornements, elle est un renouveau dans le déclin du genre.

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 Cachée dans ses petits bois, encerclée de route et autrefois de chemin de fer, la Rivière de Villette s’est tarie. Les bassins aux masques de lions venant du château de Choisy sont muets. Les mousses ne sont plus irriguées, les cascades ne chantonnent plus pour les beautés de pierre qui perdent leurs visages un peu plus chaque année; la Rivière attend son printemps.

 

la rivière en 1960


 La promenade dans les allées de feuilles dorées débouche sur des clairières où silencieuses des statues blessées nous attendent. Les sphinges des petits passages sur les canaux donnant sur les pièces d’eau latérales, elles mêmes gardées par de grand sphinx commandés en 1710 pour le château de Marly sont la proie des injures du temps et de l’oubli. Mais sait-on que le Phoenix est toujours à l’oeuvre en se réincarnant aussi dans les pierres qui donc peuvent renaitre comme feuilles au printemps?.

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Seuls les grands vases de pierre du au ciseau du sculpteur Bertin commandés par le Roi pour les balustres de l’Orangerie de Versailles résistent encore en témoins muets d’une époque révolue. Les quatre vases de bronze rythmant la descente vers les jardins ne sont présent actuellement que par les empreintes de leurs larmes de vert de gris imprimées sur la pierre. Reviendront-ils?

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Dans le fracas des travaux, cris, interpellations d’un peuple de travailleurs, ouvriers d’une troisième renaissance, les salons du château font entendre à ceux qui l’écoutent d’autres bruits et musiques. Pierre Cousin, receveur des finances de Normandie, Conseiller privé de Louis le Grand, adjoint de Colbert à l’administration des bâtiments du Royaume, embellit et transforme les intérieurs du château; construit sur les plan de François Mansart au dix-septième siècle par la famille Dyel qui possédait quarante mille hectares de terre ainsi qu’une des Antilles.

La cour pavée en deux temps mais pour son plus grand bien, laisse apparaitre une modeste façade trompeuse. Le bâtiment parait plus petit qu’il n’est à contrario des constructions magnifiées du dix neuvième siècle où le génie de l’architecture du paraitre privilégiait la forme au contenu. Le château pourvu de cinq fenêtres sur ses cotés s’inscrit dans un carré et non dans le rectangle trompeur d’une façade d’apparat. Le perron à double révolution est orné de sa rampe d’origine datant du grand siècle.

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Vases de bronze venant du château de Marly    ( photo ~ 1970)

Le grand vestibule donne l’ampleur des salons dont il distribue les circulations. L’escalier dont la remarquable stéréotomie de départ montre le génie de François Mansart est d’une discrétion tel que les regards sont happés par la perspective du grand salon octogonal ouvrant sur l’axe du Neptune triomphant de la grande perspective extérieure. Les dessus de portes sont signés par François Boucher et Huquier, les boiseries de chêne de Hollande ainsi que les fontaines de pierre de la salle à manger datant de 1748 réalisées par François Martin sont en tout point remarquables. Les transformations et déperditions ne se sont pas attaqués à l’âme des salons.

Le temps des Grouchy résonne encore des jeux d’enfants de Sophie, Emmanuel, Charlotte et d’Henri-François. L’ainé des fils devait lors des ses passages dans la maison familiale laisser une odeur de cavalerie, faire résonner ses talons de bottes, faire sonner le bout de son sabre sur les pierres du vestibule d’entrée. Emmanuel de Grouchy, grand cavalier injustement lié à son retard auprès de l’Empereur pour avoir poursuivit une cavalerie prussienne fantôme à Waterloo, était le premier fils du Marquis de Grouchy premier du nom qui hérita du domaine par sa mère.
Emmanuel, forte personnalité et vaillant guerrier, Marquis, Comte d’Empire, Maréchal et pair de France, fut blessé plus d’une vingtaine de fois dans les batailles glorieuses de l’Empereur à qui il tenait tête. Ses campagnes ainsi que son nom sont gravés sur l’arc du Triomphe de l’Empire.

Sa soeur ainée Sophie dit  « Grouchette » littéraire et sensuelle, intellectuelle et active, est connue aujourd’hui comme madame de Condorcet a qui elle fut bien mariée malgré la différence d’âge, car elle oeuvra pour sa postérité et publia ses oeuvres. L’extraordinaire savant dont le laboratoire était installé dans l’aile de gauche face à la chapelle fut une victime de la sanglante et inique politique de la Révolution.

«  Pendant la terreur, Condorcet, on le sait, du s’enfuir de paris. Il s’était déguisé en paysan. Il partit à pieds et marcha aussi longtemps qu’il le pût, droit devant lui. Au bout de quelques heures, exténué de fatigue, il entra dans une auberge et demanda à la femme qui la tenait de lui servir une omelette. L’aubergiste trouva ce paysan assez singulier. Il avait des attaches bien fines….un visage qui ne reflétait pas la campagne.Méfiante, elle lui posa la question: « combien d’oeufs? » Condorcet savait tout. Le calcul intégral n’avait pas de secret pour lui, Ni la physique. Ni la philosophie.Ni l’économie politique. Il avait réfléchi sur tous lesproblèmes. Tout conçu. Tout prévu. Et l’instruction publique obligatoire et les droits de l’homme. Et même le danger de la surpopulation et la nécessité de la limitation des naissances. Il était l’un des maitres de l’Encyclopédie. Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences. Membre de l’Académie française. Le maximum de connaissance. Le maximum de réflexion. Mais jamais, non jamais il ne s’était demandé combien il fallait d’oeufs pour faire une omelette ? Au hasard, il répondit « douze » La bonne femme- qui était « sans culotte » ( comme la duchesse de Coigny qui est à l’origine de ce sobriquet) alla tout droit au comité de Salut public le plus proche pour dénoncer un cy-devant costumé en paysan…Condorcet fut arrêté. Jeté en prison. il s’y suicida pour éviter la guillotine, avec un poison que lui avait donné son beau-frère Cabanis et qui était caché dans le chaton d’une bague. »

Wladimir d’Ormesson- sept 1973-  Revue des Deux Mondes


Marie-Georges Cabanis, médecin et philosophe avait en effet épousé Charlotte Félicité la dernière fille de la famille Grouchy. Sophie de Condorcet fut une brillante personnalité. Elle anima un salon ou l’esprit libre, les idées nouvelles des penseurs les plus brillants de l’époque avaient la parole. Belle et sensuelle, elle se maria dans la chapelle de Villette en ayant son amant le marquis de La Fayette comme témoin. Elle éclaira le Saint Simonisme d’un jour nouveau en voulant concevoir dans l’éther un être parfait avec le comte de Saint Simon. Ils embarquèrent pour se faire dans une montgolfière, mais leur union n’eut pas de fruits.
Elle fut la grande amie d’Aimée de Coigny ( la « sans culotte » précédemment citée) tout autant brillante et intellectuelle, grande amie de Talleyrand, mariée au Duc de Fleury, elle divorce et reprend son nom, arrêtée et emprisonnée le 16 mars 1794 sous l’inculpation «  d’aristocrate puante ».  Elle devint pendant quatre mois à la prison de Saint Lazare « la jeune captive » d’André Chénier. Muse inspirante par sa grâce et sa beauté les derniers poèmes de l’une des plus cruelles victime de Robespierre, André Chénier poète guillotiné à 31 ans.


Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson ;
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin ;
Je veux achever ma journée.

Ô mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les coeurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Palès encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts.
Je ne veux point mourir encore.


  André Chenier - La jeune captive - 1794



Aimé de Coigny sera sauvée en soudoyant pour cent louis un indicateur qui enlèvera son nom de la liste des condamnés à mort. La chute de Robespierre amenera sa libération.
Elle fut une amie d’enfance de Sophie et pourtant lui enleva son grand amour, le beau et oisif Mailla Garat qui inspira aux deux femmes des lettres d’une torride sensualité montrant toute la puissance du désir féminin lorsqu’il peut s’exprimer. Cette fière et belle indomptable et future « merveilleuse » répondit à Napoléon qui lui demanda en public :

« Madame de Coigny, aimez-vous toujours autant les hommes ? »

« Oui, sire, surtout lorsqu’ils sont bien élevés ».


La beauté et l’attrait d’Aimée devait du temps des séjours à Villette tourner la tête de bien des hommes de la maison. Le grand miroir du salon nous parle de ces aventures dont l’on peut imaginer ayant comme protagonistes Emmanuel l’ardent cavalier de deux ans plus jeune que Grouchette...  Mais entré à l’école d’artillerie de Strasbourg en 1780,  il peut tout aussi bien s’agir d’ Henri-François appelé « le chevalier » qui ne fut jamais marié mais eut deux fils qu’il reconnu en leur donnant son nom

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Le miroir porte d’une main alerte «  m grouchy est un coquin  V aimée » l’inscription est gravée au diamant à mi hauteur en travers. Toujours visible aujourd’hui, l’on peut imaginer une vengeance avec affront public après une « taquinerie » amoureuse de celui qui aurait outrepassé son désir sur l’instant…Surprise à la toilette ? Baisers volés entre deux portes? attouchement sur une déjà « sans culotte »?


« La beauté de traits n’a qu’une beauté, la beauté d’expression a autant de beautés que de sentiments.Tous ceux d’Aimée se reflétaient sur son visage et passaient dans ses attitudes. Le charme même de son corps était fait aussi de pensée. Et cette pensée profonde, variée, imprévue, hardie en ses examens, soudaine en ses ripostes, redoutable dans ses ironies, irrésistible dans sa gaîté, tirait de sa mobilité même un charme de plus et paraissait toujours nouvelle. Il y avait en elle trop de femmes pour qu’on se défendît contre toutes : qui résistait à l’une cédait à l’autre. Voilà le secret de l’empire exercé par elle et par celles qui lui ressemblent. Cette surabondance, si elle multipliait les séductions de son corps et les activités de son intelligence, précipitait aussi les mouvements de son cœur. Et, comme aucune passion ne tient ses promesses et que la lie de chaque joie épuisée donne la soif d’autres joies, l’amour de l’amour avait fait, disait-on, à travers la diversité des expériences, l’unité de sa vie. »
Une vie d’amour – Aimée de Coigny et ses mémoires inédits E.Lamy Revues des Deux Mondes Tome 8 1902


« La nature semblait s’être plu à la combler de tous ses dons. Son visage était enchanteur, son regard brûlant, sa taille celle qu’on donne à Vénus ;… le goût et l’esprit de la duchesse de Fleury brillaient par-dessus tout. »       Madame Vigée-Lebrun-Souvenirs- 1828

La vie mouvementé des Grouchy pendant la révolution, laisse le domaine vide et sans soin, il est restitué à la famille après Thermidor. Mais il ne sera plus qu' habité par le vieux Marquis sombre et rigide et son fils Henri qui gère tant bien que mal le domaine. Sophie habitera à proximité à Meulan dans la maison des Annonciades qu’elle nommera « la Maisonnette » . La rupture entre les deux amies se situe durant cette période ou comble de la duplicité Mailla Garat amenera à la « Maisonnette » Aimée de Coigny déjà son amante. Celle-ci y laissera son écritoire avec les lettres de Garat que Sophie ne pourra s’empêcher de lire à son grand désespoir .

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"Ton front croule et coulent les larmes, les années sont passées sur cette chair meurtrie"

En 1818,  Emmanuel, exilé par la Restauration, retiré à Philadelphie est contraint de vendre le domaine. Les archives furent versées intégralement aux Archives de Seine et Oise, constituant le fond Grouchy. Ensemble homogène unique avec facturier datant du XVeme siècle .
Après cette période de stabilité, une grande période de laisser aller par des propriétaires éphémères vit le parc se dégrader pour même disparaitre. De 1900 à 1945, les jardins lentement disparurent, victimes de choix aberrant comme le projet de réunion des deux pièces d’eau. Puis la Comtesse de la Barthe Thermes qui, même issue d’une antique lignée ne sut, ne put conserver l’intégrité des jardins ni des bâtiments. La couverture des cuisines, buanderies, les batiments de gauche dans la cour d'entrée furent dénaturés en 1910 par un toit mansardé pourvus de grosses et lourdes fenêtres. Cela est d'autant plus regrettable que la chapelle qui lui fait face, a vu son toit détruit par une bombe en 1944 et fut restitué à l’identique.

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L’étang de l’ouest fut asséché et planté, puis laissé en jachère. De grands arbres furent plantés autour des terrasses dénaturant les perpectives. Les branches de grands résineux ombraient les fenêtres des salons ou toutes vues étaient bannies. La Rivière disparue dans les herbes folles et la futaie malingre. Les bassins étaient abandonnés depuis cent ans. Le baron et la Baronne Robert Gérard achetèrent le domaine après la guerre. Ils entreprirent une salutaire rénovation. Restituant les plans d’eau, restaurant les bâtiments sans toutefois aller jusqu’à replacer les balustres qui couronnaient l’ensemble du château et dont il n’existe plus aujourd'hui, pour juger de leurs élégances que celles du corps central sur jardin. A la mort du Baron Gérard en 1998, le domaine fut de nouveau vendu en 1999.

Olivia Hsu Decker, américaine d’origine chinoise ayant fait fortune dans l’immobilier avec sa société Decker Bullock à San Francisco, continua la restauration du château en un esprit international pour de l’événementiel légèrement strass et paillettes.  Agent immobilier de comédiennes hollywoodiennes comme madame Stone ou madame Cher ainsi que de champion sportif comme monsieur Agassi, madame Hsu Decker a rentabilisée son achat en louant le domaine à des productions cinématographiques ayant comme têtes d’affiches des célébrités comme monsieur Hanks, monsieur Depardieu, monsieur Perez et la charmante madame Ardant.

 

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Vendu à nouveau en 2011, le domaine est en mue constante.
Aujourd’hui les jardins à la française sortent de terre, l’eau coulera certainement bientôt. Les intérieurs retrouvent leur éclat grâce à la l’intervention d’un magicien d’intérieur qui à plus d’une bataille à son actif.
Il faut espérer que le faitage chiffrée de la grille d’entrée, ouvrage du XVIII°siècle posée en 1746 par jacques Pion serrurier d’art, retrouvera sa place ainsi les quatre beaux vases de bronze, face aux jardins qui pourraient en brûle-parfums célébrer le renouveau d’un ilot d’Histoire, de charme et poésie dans un Vexin à préserver.

 

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 Dernière minute:

Les quatre vases de bronze ne reviendront pas. Ils ont été volé en 1999 ainsi qu'une partie du décor statuaire du parc.

information révélé par monsieur Lablaude, Architecte en chef des Monuments Historiques.

 

 

 

 

31 août 2015

LEFUEL ou la salle disparue

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A l’ombre dans une petite chapelle sans porte, le visage de bronze d’Hector Martin Lefuel s’enfonce dans le silence.
 Le réseau extrêmement dense de tombes architecturées de la 7eme division du cimetière de Passy cache la sépulture pleine de feuilles du grand architecte mort un soir de réveillon en 1880.

 

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L’oublié château de Neudeck, nous l’avons vu précédemment, fut l’une des ses grandes réalisations méconnues. Mais
Hector Lefuel fut avant tout l’homme du grand dessein. Les innombrables projets et tentatives laissèrent comme un sommet vierge cet objectif qu’un seul d’une longue lignée aurait le privilège d’en recevoir la gloire attachée à son accomplissement.
A la suite de ses pairs et maitres, Duban et Visconti, Hector Lefuel fut celui par lequel le Palais du Louvre retrouva le Palais des Tuileries.
Moment incomparable d’excellence, acmé architecturale qui rattache en un grand déroulé, en un unique quadrangle monarchique, les constructions de François Ier, Henri II, Charles IX, Henri II, Catherine de Médicis, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Napoléon Ier, Louis XVIII, La IIeme République et enfin Napoléon III.

Ce moment fut court, très court, trop court. Il fut malheureusement interrompu brutalement par l’incroyable décision de raser le Palais martyrisé par la Commune .
En 1882, la IIIe République adjugea, après enchères, la démolition de la vieille demeure des Rois à l’entrepreneur Achille Picard pour la somme de 33 300 Francs.

Lefuel acheva donc le grand dessein qui occupait les esprit depuis Henri IV. Les grands travaux du Louvre étaient en grandes parties terminés à la chute de l’Empire en septembre 1870.
 Le ministère Ollivier arrêta les travaux en février. Les derniers ouvriers quittèrent le site le 30 avril. L’agence Lefuel fut dissoute le 1er mai.
La République fut proclamée le 4 septembre.

il faut bien se représenter ce que l’agence Lefuel entreprit en l’espace de quelques années:
Achèvement du Nouveau Louvre 1854 - 1857.
Aménagement intérieur du nouveau Louvre 1857 - 1861
Les nouveaux appartement des Tuileries 1856 1860
Le Pavillon de Flore et la Grande Galerie 1861 - 1870

 

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L'ancien Louvre. Le pavillon de l'Horloge (ou pavillon Sully) et son aile gauche Louis XIII, à droite l'aile Henri II. Le Pavillon Daru à l'extrême droite n'est pas encore en travaux. Les façades et les pavillons historiques seront profondement remaniés et unifiés en 1856 . (Baldus 1854)

Lefuel s'engagea avec energie dans un chantier de construction et de transformation d’une ampleur gigantesque, reprenant les plans, les travaux en cours de son prédécesseur Louis Visconti brutalement mort dans son fiacre. Il fut retrouvé inanimé par son cocher au retour d'une inspection de chantier en 1853.
 Les chiffres donnent la mesure de la formidable organisation de l’agence Lefuel. Organisation pyramidale avec un bureau central de quarante neuf membres gérant des lots d’interventions assez autonomes constituant autant de chantiers différents. Les différentes tâches comprenaient les transformations des anciens bâtiments, les nouvelles constructions de la cour Napoléon et les travaux intérieurs du Palais des Tuileries. Chaque lots était dirigé par une équipe d’inspecteurs, de vérificateurs, de conducteurs de travaux et une armée de trois mille ouvriers. Le travail se poursuivait sans relâche autre que le jour du seigneur. Les techniques de construction ne peuvent aujourd’hui que nous impressionner aux vues des ces champs de pierre avec tombereaux attelés devant d'immenses échafaudage de madriers avec des engins de levage rudimentaires. La force animale et humaine étaient extrêmement sollicitées. Les accidents nombreux. Le budget se comptant en allocations de plusieurs millions de francs par sessions semblait illimité.

 

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Construction de la place Napoléon . Aile sud et Echafaudage du futur pavillon Denon. les galeries du rez-de-chaussée sont existantes. (Dimanche 24 mai 1854 Baldus)


L’organisation était le maitre de mot de l’efficacité déployée par les équipes menant ces chantiers parallèles. Lefuel fut secondé par des architectes adjoints de renom comme l’italien Marco Treves et l’américain Richard Morris Hunt qui lui, s’occupa plus particulièrement de l’aile Rivoli regroupant le pavillon de la Bibliothèque. Morris Hunt dessina ultérieurement la façade du Metropolitan Muséum de New York ainsi que le socle de la statue de la Liberté .

Le « Projet d’ensemble des travaux à exécuter tant au Palais des Tuileries qu’aux bâtiments et galeries qui le réunissent au Louvre, rédigé d’après le programme donné par l’Empereur » est présenté par Lefuel aux membres du Conseil.
Il s’agit de la  transformation complète de la physionomie du Palais du Louvre, comportant outre le travail sur les façades anciennes Henri II, la transformation du Pavillon Sully, mais aussi de la création des bâtiments de la cour Napoléon, avec les Pavillons Turgot, Richelieu, Colbert, Denon, Mollien ainsi que la destruction et la reconstruction de la grande Galerie du Bord de Seine comme du pavillon de Flore.
Les nouveaux bâtiments créant six cours intérieures ainsi que l’excroissance du Pavillon des Etats comme le travail de « placage  » c’est à dire le remplacement des anciennes façades devraient actuellement changer le regard porté sur l’art du Second Empire.

 

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Placage des nouvelles façades de la galerie de Diane aux Tuileries avec à droite, les échafaudages du pavillon de Flore.


 La critique rapide, facile de l’architecture du dix neuvième siècle montre une inconpréhension de cet art éclectique comportant une charge ornementale et sculpturale allégorique très importante. Il fonctionne par augmentatif, par rajouts et reprises de style. C'est une architecture privilégiant la continuité, l’intégration dans l’Histoire plutôt que la rupture. Il semblerait que la critique sans nuance de l'architecture du second Empire montre que le Louvre n’est toujours pas perçu comme un véritable Palais Napoléon III.

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L'ancien pavillon de Flore

Le « Gros Pavillon du bord de la Rivière » construit en 1607, puis dénommé Pavillon de Flore d’après un ballet donné par Louis XIV en 1669, fut remanié en 1787 suite à un incendie, puis transformé en Pavillon de « L’égalité » abritant  le comité de Salut Public en 1793. Bien que chargé d’Histoire, ce n'était plus qu'une ruine qui menaçait de s’effondrer dès 1850.


Le Pavillon de Flore fut donc démoli. Le 30 janvier 1861,  Hector Lefuel signale qu’une partie de la corniche de l’étage attique s’est écroulé. Une photographie montre le Pavillon en bien mauvais état avec un étai soutenant la face orientale. Il fut décidé de le détruire entièrement ainsi qu’une partie de la grande galerie pour tout reconstruire avec les mêmes proportions mais avec un décor différent, se démarquant de l’ordre colossal à grand pilastres cannelés.

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Cette photographie montre en 1861 l'état de l'angle sur la seine après la demolition de la grande galerie et du pavillon de Flore. A droite, la premiere travée du château des Tuileries, à gauche l'amorce du pavillon de la Tremoille. Dans l'ouverture pratiquée, l'ancienne cour des Comptes est visible de l'autre côté de la seine. Incendiée comme les Tuileries par la commune en 1871, le bâtiment sera remplacé par la gare d'Orsay. (Photo Baldus )

 

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Vue du chantier de la construction des guichets et du pavillon des Etats. Le dôme Médicis du chateau des Tuileries est visible par l'ouverture. Vue de l'ancien pont du carrousel d'Antoine Remi Polonceau dit pont aux "rond de serviettes" detruit en 1930. (Baldus Décembre 1865)


Carpeaux réalisa sur le tympan de la façade seine du pavillon son "Triomphe de Flore"… « Perdere aedificare » Détruire pour construire, tout changer pour que rien ne bouge, voilà la continuité d’une tradition, "Tradere " Transmettre avec apport et nouveauté…La controverse provoquée par le groupe sculpté par Jean Baptiste Carpeaux en est le témoignage manifeste. La nudité très réaliste du Triomphe de Flore fit jaser, de nombreuses protestations s’élevèrent au point qu’il fut envisagé de déposer la sculpture en cour de réalisation, d’autant que Lefuel contestait la proéminence du haut relief qui dépassait de l’alignement de la corniche.
« Un jour que le sculpteur, sur place, terminait son oeuvre en taille directe, il aperçut en-dessous de lui un bourgeois parisien en haut de forme qui se hissait péniblement sur les échelles de l'échafaudage. L'artiste allait l'admonester quand il reconnut l'Empereur. Celui-ci, parvenu sur la plate- forme, regarda longuement le haut-relief et déclara: " Que tout demeure en cet état ". La Flore avait triomphé (1). » La modernité dans la tradition aussi. 

 

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Echafaudage devant les groupes sculptés de J.B Carpeaux. Nouveau Pavillon de Flore


Les aménagements intérieures furent extrêmement pensés, élaborés et très éclectiques allant du dénuement total de la pierre brute ornée de sculptures reprenant en intérieur, une disposition extérieure comme pour l’escalier de la Bibliothèque (dit escalier Lefuel), l’escalier Denon ou les galeries du rez-de-chaussée jusqu’aux luxe débridé des grands appartements du ministère d’Etat (Ministère des Finances jusqu’en 1985 ) présentant un décor extrêmement riche et raffiné, regardé actuellement comme le paradigme du style Second Empire.  
La statutaire fut particulièrement mise à l’honneur. Plus de 300 sculpteurs et ornemanistes participèrent à cette ruche. Toutes les commandes passées furent honorées y compris les statues refusées ou annulées. Grands sculpteurs ou plus anonymes apportèrent leurs talents. La liste des archives Lefuel est longue de plus de trois cent noms. On y trouve aussi bien le futur opposant politique David d’Angers (qui ne travaille qu'en 1824 sur l’aile Est sous Louis XVIII ) que les grands statuaires du Paris Haussmanien comme de la IIIeme République triomphante: Dielbolt, Simar, Duret, Cavalier, Rouillard, Fremiet, Vilain, Pollet, Bosio, Bonnassieux, Carpeaux, Delaplanche, Dumont, Rude, Perraud, Cabet, Caïn, Carrier Belleuse, Jouffroy ..etc... la liste est immense comme le nombre des réalisations.

Louis Napoléon voulu avoir près de sa résidence impériale une grande salle d’assemblée pour réunir les corps constitués. En effet, la nouvelle constitution élaborée après la période dite « sans partage » du début de l’Empire donnait aux chambres un rôle à jouer dans la vie politique et législative. Formule parlementaire  « rationalisée » qui s’articulait en un « Le président propose, le Conseil d’Etat met en forme, le Corps Législatif vote, le Sénat vérifie la constitutionnalité » (2)

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Salle des Etats 


La grande salle dit « des Etats » fut achevée en 1857, elle n’est pas située comme on l'imagine dans le Pavillon des Etats appelé aujourd’hui Pavillon des Sessions. Celui ci fut construit en excroissance à la grande galerie et devait recevoir les chefs d’Etats étrangers (3); mais bien dans l’aile dite Denon qui regarde la cour Napoléon perpendiculairement à la Seine.

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 Montage anonyme  1859 (?)

 

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Salle des Etats avec le Trône Impérial  ( Première séance officielle le 7 février 1859 )


Cette grande salle recevait chaque année les séances législatives ainsi que des événements exceptionnels comme le banquet donné en l’honneur des généraux de l’armée d’Italie, le 14 aout 1859 ou la réception par l'Empereur des résultats du Plébiscite de 1870.


 Sa taille et disposition intérieure pouvait rassembler plusieurs centaines de personnes. Un grand balcon soutenu par des colonnes cannelées courrait le long des murs dont les hautes fenêtres donnaient sur la cour des Ecuries avec son somptueux fer à cheval donnant sur le manège (aujourd’hui cour Lefuel) et la cour Sud (actuellement Visconti) .
D’une grande hauteur de plafond, la partie supérieur des fenêtres étaient surmontées d’une série d’oculi de grands diamètres laissant le plafond glisser vers les murs en un effet de coupole surprenant. La gigantesque peinture du plafond fut confié au peintre Charles-Louis Müller qui réalisa en un temps record une très grande allégorie qu’il peignit sur une série de grandes toiles installées sur les mezzanines du palais de L’Industrie, transformées en atelier, mis à sa disposition en 1858.
Cette immense composition représentant «  La France Impériale protégeant les Arts, l’Industrie, les Sciences et la Religion. » était encadrées aux extrémités de la salle par le Triomphe des Empereurs Charlemagne et Napoléon Ier. Les photographes Edouard Baldus et Jean Pierre Lampué furent chargés de réaliser des clichés des peintures ainsi que du décor sculpté, le tout complété par une vue générale.
Baldus fut commandités pour suivre les travaux et constituer des archives iconographiques.

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 Porte Nord de la Salle des Etats -1859 Baldus. Toile en tympan de Ch-L Müller "Le triomphe de Charlemagne"


Les portes de la Salle des Etats étaient encadrées d' atlantes sculptés par Pierre-Jules Cavalier. Les photographies de Baldus sont les seuls témoignages de ces réalisations très remarquées pour leurs suaves nonchalances et dont nous n’avons pu trouver plus d'amples descriptions.

 La IIIeme République se vit contrainte de réaffecter cette grande salle à l’usage du Musée du Louvre.

De grandes transformations semblaient nécessaire à la présentation des collections de tableaux. Le plafond de Müller fut détruit et percé pour recevoir une verrière car l’éclairage naturel zénithal était la norme muséographique. Les décors rappelant l’Empire déchu furent détruit en 1886. Le réaménagement complet de la grande salle en galerie fit disparaitre jusqu’à son souvenir .…Les fenêtres furent bouchées, le balcon supprimé. Une large et lourde composition en corniche de staff fut édifiée. Reprenant le rythme des oculis, une série de médaillons représentaient les grands peintres français classiques.

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Salle des Etats fermée au public pendant l'Occupation


Ce large entablement encadrant une verrière vint couronner les murs couverts de tableaux de Maitres jusqu’en 1950. L’arrivée des Noces de Cana provoqua une nouvelle transformation pour mettre le décor plus en conformité avec le gout du jour. Les sculptures et arches furent détruites et laissèrent place à une grande frise à la grecque alors que le bas des murs recevaient des lambris peint en faux marbre.  Le parquet en point de Hongrie fut changé pour une coupe à l’anglaise.

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Salle des Etats 1950


En 1966, la Joconde supplanta Véronèse. L’épuration se fit plus forte. La corniche et les lambris furent démontés. Le parquet redevint en point de Hongrie. Le minimalisme décoratif atteint son point culminant avec la disparition de tout ornement pour la réouverture en 2005 de la salle des Etats pensé par Lorenzo Piqueras. La Joconde est présentée sur un grand panneau autour duquel le flux des touristes s’articule. Les Noces de Cana sont accrochées en pendant avec deux passages latéraux. Une nouvelle verrière avec" led" lumière du jour augmentée d’une climatisation parachève le dispositif généreusement financé par la Nippon Télévision Network. La muséographie est la mise en avant des oeuvres en organisant la disparition des entourages.

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Salle des Etats restructurée.


 La salle des Etats n’est depuis longtemps connue que sous le titre de Salle des Peintures Italiennes pour les visiteurs d'aujourd'hui quant au Japon, elle s’appelle là-bas tout simplement la " Mona Lisa Room".

 

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Les pierres parlent. L’architecture écrase le temps humain d’une vie, pour toucher physiquement nos descendants qui avec l’oeil et la main nous retrouvent hors de la mort. Ils nous regardent et nous jugent à l’aulne de l’élévation de l’esprit d’une époque qui a su et voulu laisser une preuve tangible de son existence ou de son non-existence dans l’Histoire .

 

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Notes

1 - G.Poisson  in « Quand Napoléon III bâtissait le grand Louvre » / 1994 Revue du Souvenir Napoléonien N° 393

2 - in Ph.Seguin Louis Napoléon le Grand  Grasset 1990 page 181

3-  Une excroissance symétrique comportant un théâtre était prévue sur l’aile Marsan. Le projet ne fut jamais réalisé.

Les photographies sont tirées du dossier du musée du Louvre "Le photographe et l'architecte" RMN 1995 et

de l'excellent blog d'Andrew Cusack (andrewcusack.com).

 

16 mars 2015

GATES OF PARADISE

 

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“Music is a language in which we can express our struggle with what it is to be a human being,”
Robert Fripp 2012  F.Times



Le terme de musique est actuellement utilisé de manière globalisante quasi holiste, regroupant toutes sortes de composants qui n’ont de points communs que le fait d’être du son. Des ondes vibratoires.
 La hiérarchie comme la différentiation ou discrimination dans le premier sens du terme, c’est à dire, effectuer une distinction n’a plus cours.

Il n’y a plus que de la « musique ». Pourtant dans les formes, il existe des catégories innombrables que le profane ne saurait déterminer par leurs appellations de spécialistes.
 Une grande catégorie est appelée « musique savante » ce qui n’est pas moins impressionnant que bon nombre d’appellation ayant des distinguo ésotériques comme le techno-groove ou la Raw house ou même le Jackin’house. La musique savante ou « dite savante » comme certaines précautions de langage la détermine, est le domaine complexe de la dite « musique contemporaine » par opposition aux musiques dites « populaires » et dites « traditionnelles » Mais les étiquettes sont changeantes, mouvantes et si le Jazz peut être classé en musique populaire, l’Art-Rock ne saurait être rangé comme certain le font, dans la musique savante, la confusion venant de la traduction anglaise pour musique savante en Art music.
La musique contemporaine est une grande inconnue. Des expériences dodécaphoniques atonales sérielles « bruitistes » , de  l'École de Vienne à l'IRCAM, des recherches électro acoustiques par les grands barons des années soixante, soixante-dix; la musique contemporaine à disparue de la lumière . Elle se retrouve confinée dans un cercle élitiste qui ne fait surface qu’à l’occasion de polémique telle celle suscitée par la conférence de Jérôme Ducros donnée au Collège de France en 2012 « L’atonalisme. Et après? » ( excellente conférence visible ici).


La révolution électro acoustique est passée, la musique concrète de Schaeffer et d'Henry donne Paris comme capitale historique. Le Gesang der Jünglinged ( chant des adolescents) de Karlheinz Stockhausen, première oeuvre électro-acoustique date de 1956 soit la préhistoire de la musique numérique d’aujourd’hui.
Le compositeur multi instrumentiste et virtuose Robert Fripp détermine par son génie musical une catégorie de musique savante particulière qu’il appelle "Soundscape" . Sorte de néologisme composé sur le modèle du landscape ( paysage).  Cette catégorie de musique savante se retrouve dans la musique électro-acoustique et numérique. Le « soundscape » ne doit pas être confondu avec les soundscapes ou « paysages sonores » qui sont une recherche d’écologie acoustique utilisant des combinaisons de son de la nature (les éléments et la faune) inventé par le canadien R.Murray Schafer.

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Robert Fripp


Le Soundscape de Robert Fripp est une méthode de composition qui utilise les possibilités numérique non seulement de création mais d’utilisation du son. L’élément fondamental de la musique est, nous dit Richard Millet ( Pour la Musique contemporaine  Fayard 2004) la combinaison de la spiritualité, de la consolation et de ce qui peut se traduire par « paysage » La musique suscite un abandon en nous même qui nous fait entrer dans une intimité absolue «  de sorte que, l’écoutant, nous pouvons dire que nous sommes écoutés par elle…Ce qui fait de nous un de ses éléments ».

Les compositions pour soliste sont habituellement réservées aux instruments « orchestraux » comme le piano et l’orgue. Olivier Messiaen n’eut sans doute pas imaginé qu’avec une nouvelle lutherie, la guitare puisse rejoindre ce cercle fermé et très périlleux des oeuvres pour instrument seul, comme celle de Michael Jarrell qui lui, isole des parties de clarinette ou d'alto. La guitare de Fripp est avant tout l’instrument servant à construire la composition qui s’enrichissant sur elle-même devient un orchestre par « boucles » successives et consécutives.
Les fameux Loops numériques où le son est enregistré à l’instant puis répété et diffusé en boucle avec reprise de micro-boucle en décalage sur l’instrument joué qui ne cessent d’enrichir la composition. Le son est capté par un ensemble de synthétiseur de traitement audio et rediffusé en réponse ou accompagnement avec la composition qui s’élabore par thèmes, utilisant l’improvisation maîtrisée. Musique complexe qui découle de l’ancien " Frippertronic" des années 1970 qui ont vu passer Robert Fripp de l’expérimentation pure à la création d'une oeuvre extrêmement originale.

 

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Le Frippertronics ( terme inventé par la poète Joanna Walton, compagne de Fripp à la fin des années 1970) est un système de retard analogique constitué de deux magnétophones à bandes situés côte à côte couplés avec une guitare électrique. Les deux machines sont configurées de sorte que la bande se déplace à partir de la bobine d'alimentation de la première, à la bobine d'enroulement de la seconde, permettant ainsi au son enregistré par la première machine de la reproduire après un certain temps sur le second. Le système se trouva de beaucoup amélioré par l'arrivée du numérique!

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J’eu la chance d’assister au concert donné au Winter Garden du Financial World trade Center de New York en décembre 2010.
 Se produisant seul sur scène, assis avec une guitare Les Paul modifiée, Robert Fripp n'est entouré que d'une console de réglage informatique. Le son de la guitare soliste commence seul. La facture, le touché, la tessiture de la guitare de Fripp est très particulière. Ce son est très reconnaissable dans les enregistrements auquel il a participé. Très coulante, la mélodie monte en cercle autour de vous, la guitare sonne comme un violoncelle, le son est acheminé vers un réseau d'unités de retard numériques comme le TC2290 TC d’Electronic. Les retardateurs numériques sont utilisés pour créer ces boucles audio de différentes longueurs de temps. La méthode commune étant qu'une unité serait utilisée pour créer une boucle complète, puis une autre unité pour créer une boucle différente. Ces boucles seraient ensuite combinées dans la sortie audio finale. Ce ne sont pas des procédés de studio, ce sont des performances, des moments uniques de créations instantanées sur une trame très élaborée, très pensée. Une cathédrale sonore liée à  sa volonté de recherche personnelle. Fripp fut ainsi amené à suivre pendant plusieurs années l’étude de l’oeuvre de Gurdjieff à l’"International Academy for Continuous Education" école fondé par l’ingénieur écrivain  John G. Bennet.

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Winter Garden New York 2010

La musique ainsi produite est envoûtante, elle semble tourner, monter autour de vous. Elle ne parait pas être diffusée d’une source unique. Son action est apaisante comme un choeur de Solesme pour progressivement sortir de vous, en mettant vos sens en léthargie pour ne faire scintiller que l’esprit.

En consultant ce lien vous pouvez non seulement vivre cette expérience soundscape mais aussi entendre Robert Fripp parler de ses compositions.

http://www.wnyc.org/robert-fripps-soundscapes-live-2010/


La production personnelle de Robert Fripp est extrêmement riche. Les enregistrements sont trop nombreux pour être cités. Le site Elephant Talk recense 171 albums en temps que soliste. Il existe aussi une très abondante discographie de participation à différents projets collectifs.  De 1981 à 1997, Robert Fripp publie plusieurs compositions majeures réalisées en studio et sur scène. Les publications postérieures seront en très grande majorité des enregistrements de concerts donnés aux États Unis, en Europe et au Japon.

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Nous pouvons citer "Let the Power Fall" en 1981 comportant des suites d’anticipation au Frippertronic intitulées 1985,1986 jusqu’à 1989. Saccadé et syncopé, le son se répète en boucles enivrantes  On y entend une sorte de langage en suite mélodique qui semble fait pour communiquer avec des entités extra-terrestres. Un méta langage non décrypté de sons couleurs semblant sortir du synthétiseur modulaire ARP 2500 utilisé par François Truffeau dans le film de Steven Spielberg « Close Encounters of the Third Kind » datant de 1977.

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Le très mystérieux opus intitulé «  A blessing of Tears » ( une bénédiction de larmes) de 1995 comporte outre le morceau éponyme mais aussi "The cathedral of Tears", puissante composition mettant l’âme aux bords des lèvres ainsi que la suite "Returning "  I ,II, III. Musique envoûtante qui submerge et coule, se déroule comme un serpent de chants aigus imprégnant fortement l’esprit.

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"Radiophonics" paru en 1995 sous-titré  "soundscapes in Argentina" s’ouvre sur une longue plainte appelée "Atmosphère" qui, en un crescendo dramatique de 11 minutes, développe une tension très angoissante.

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"That Which Passes" sortie en 1995 comporte deux compositions assez brutales. "The Leap" et "On Triumph" developpent des volutes de son évoluant en tenailles et s’écrasant sur nos tempes en exercent une pression remarquable sur l’occiput. Nous sommes aux antipodes de l"ambiant " Music .

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En 1997 parait le chef d’oeuvre que constitue "The Gates of Paradise" . The "Outer Darkness" s’ouvre sur un souffle comparable aux enregistrements des bruits de l’univers ramené par les sondes spatiales. Quatre parties intitulées de la même manière en alternance "Outer Darkness" et" Gates of Paradise" sont des soundscapes virtigineux qui s'apparentent  plus à des " spacescapes" par leurs beautés envoûtantes et mystérieuses de plaintes soufflées et de pureté sonore.

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Les" November Suite" sous-titrés "Live at the green park station" paru en 1997 sont un enregistrement d’une performance fait à Bath le 21 novembre 1996, dans une ancienne gare de chemin de fer . Par un temps glacial, Robert Fripp élabora une suite en différente plate-forme qui devait durer huit heures mais l’arrivée tardive des techniciens (David Singleton and Hugh O'Donnell ) écourta la performance qui se déroulait devant un public transi au devant duquel se trouvait Peter Hammill et Michael Gill. La suite magnifique fut condensée en un disque d’une heure de lente et puissante beauté formelle tournoyant dans un air glacé.

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L’enregistrement des" Pie Jesu" en 1997, est tourné vers une sorte mysticisme que sa pochette annonce en représentant un jésus de bois sculpté regardé aussi bien en crucifié  qu’en bon berger ouvrant les bras pour accueillir les pêcheurs égarés dans la nuit. Les titres comme "Abandonment to Divin Providence" ou "Sometimes God Hides" montrent dans une tension, dans une crispation très forte du son, les préoccupations spirituelles et métaphysiques du compositeur.

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Pour finir il faut évoquer le minimal "Glass and Breath" paru en 2007 et uniquement disponible sur la base de données d’Eléphant Talk « Verre et Souffle » est un exercice de tintinabulisme concentré. Sur une lente pluie de notes scintillantes et claires, voilà une longue méditation qui s’abîme en elle-même sans repère, pendant une heure. Pure et claire, l’écoute des trois mouvements est comme une lente dépossession de soi même pour atteindre un état ataraxique

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Dans ce choix loin d'être exhaustif, l'on se doit de mentionner le " Kan-Non-Power"  qui est un « bootleg » enregistré au TFM Hall de Tokyo en le 11 novembre 1992 contenant 17 morceaux extrêmement intéressants, très mélangés. Le disque s'ouvre sur " Sound  Scape" qui constitue avec  "Firescape" et "Urbanscape" un excellent trio de soundscapes très envoutants. Le titre "Kan-non-Power "est un mélange très convaincant de guitare acoustique et de soundscape, synthèse extrêmement entraînante, montrant dans une juxtaposition maitrisé les deux facettes du génie de Fripp.

Les morceaux comme "Yamanashi Blues", "Melrose Avenue" ou "Walk don't run " "Asturias" et le superbement classique "Contapunctus" nous renvoie vers la League of Crafty Guitarists . Ce sont des productions du maitre et d'élèves surdoués issus des cours donnés par Robert Fripp dans la Guitar Craft School qu'il a fondé en Virginie, hébergé par la "School for Continuous Education", l'école fondé par John G. Bennet, cité plus haut. `

Le cursus était constitué d'une série de cours de guitare ainsi que d'éveil de soi et de développement personnel.  Les étudiants se voyaient initiés à la nouvelle norme "Tuning" consistant en un jeu ergonomique avec positionnement des doigts et du médiator sans tension pour avoir un jeu très délié sans fatigue musculaire. Le jeu devait se faire de manière acoustique avec des cordes métal sur des guitares ayant une caisse acoustique en carbone très peu profonde donnant un son tout particulier comme celles de la série fabriquées par l'Ovation Guitar Company.


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En 2011, trois mille étudiants avaient terminés les cours. Les étudiants qui continuent à pratiquer le jeu de Guitar Craft ont été surnommés les "crafties". Le virtuose Trey Gunn et le California Guitar Trio, qui ont constitué Le Robert Fripp Quintette à cordes ont enregistrés plusieurs albums sous le nom de «Robert Fripp et la Ligue des Crafty Guitaristes"
Après 25 ans, le mouvement Guitar Craft a imposé sa présence dans les cercles les plus pointus du monde de la  guitare. Il propose toujours des cours d'initiation et des spectacles en Europe et aux Etats-Unis .  Les Cercles de Guitar Craft se rencontrent dans de nombreuses villes; en particulier, le Cercle de Seattle toujours très actif, qui se réunit pour des performances avec didacticiel et parraine aussi une école.

Robert Fripp devient par la résurgence de ses thèmes et l’ampleur de son travail depuis une quarantaine d’année un des compositeurs majeurs du début du vingt et unième siècle. L’ensemble de son oeuvre pourra être consultée sur le site internet Elephant talk qui recense toutes les publications en un catalogue d’oeuvres et de participations impressionnant avec, ce qui est très appréciable, la possibilité d’acheter les différents opus impossibles à trouver ailleurs. Les Soundscapes sont d’écoute confidentielle bien malheureusement .
La philharmonie de Paris propose actuellement une exposition sur David Bowie. La collaboration entre Brian Eno et Robert Fripp amena celui-ci à participer en 1977 à l’album de la période berlinoise de Bowie « Heroes » Les influences comme le son de la guitare de R.Fripp y sont très reconnaissables. Les cinq minutes du morceau intitulé «Moss Garden » sont une préfiguration des Soundscapes à venir.

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Au mois d’août 2012, Robert Fripp annonçait sa retraite musicale au cours d’un interview au Financial Time. Il décide face aux innombrables difficultés de sa position d'auteur d’abandonner son statut de musicien professionnel, il s’en explique :
"Ce qui a changé en 40 ans? C'est très simple. Il y a quarante ans il y avait une économie de marché. Aujourd'hui, il y a une société de marché. Aujourd'hui, tout, l'éthique, y compris, a un prix."
Malgré son label indépendant dont la définition mise en exergue en résume la philosophie:
« Discipline Global Mobile (DGM) is a small, mobile, independent music company that aspires to Intelligence. »


La société DGM fondé en 1992 par Robert Fripp a pour but premier de mettre en contact permanent l’audience avec la musique et les musiciens avec leur audience pour préserver les intérêts de tous comme leur intégrité propre. C’est une réponse aux différents conflits rencontrés avec les sociétés de production et de diffusion comme Universals.
Mais heureusement comme les Alouettes qui ont leurs langues prises dans la gelée *, les décisions sont changeantes. Ainsi tourne le vent. Robert Fripp a mis fin à sa retraite annoncée ( et prématurée) pour revenir avec une nouvelle formation dont il est le nom:  King Crimson, la mythique formation, phoenix cramoisi qui se renouvelle sans cesse, n'ayant comme pivot, comme membre permanent que Robert Fripp . Après une tournée aux Etats-Unis couronnée par un nouvel album " Live at the Orpheum ". La nouvelle formation avec notamement Jakko Jakszyk en double guitare et chant, viendra en septembre prochain à Paris .
Une nouvelle formation avec trois batteries en avant scène, non pour interpréter des soundscapes méditatifs mais plutôt pour les quarante ans du Starless et de sa bible noire explosant ses riff ravageurs.

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*Lark's tongues in Aspic....

23 novembre 2014

LE CREPUSCULE DE LA MARQUISE et le Neudeck Neue Schloss

 

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La vie au 25

La marquise reçoit deux jours par semaine et son salon concurrence celui de la Princesse Mathilde qui s’en offusque.

La « société » en étant presque la même….

 


Pourquoi le « Tout Paris » cette évanescente aristocratie littéraire et artistique, se presse-t-il aux diners de la Païva considérée par beaucoup comme scandaleuse et dont la Presse brocarde les dépenses excessives de son luxe tapageur?
Les frères Goncourt nous ont laissés des descriptions très défavorables. Ils n’ont pas de mot assez acerbes pour ces diners auxquels ils ont été conviés que très épisodiquement, cette «  dent dure » étant un procédé attirant mais réducteur qui fit , on le comprends, le succès de leur Journal.
 Mais l'attrait de ces diners rassemblant dix invités le vendredi puis vingt le dimanche, uniquement des hommes, vint par la qualité de l’assemblée alliée à une très bonne table dans un lieu à découvrir mais aussi par la personnalité de Thérèse Lachmann bientôt Blanche de Donnersmarck dite "La Païva".


Fréderic Lollié qui fut un habitué de ces soirées est assez flatteur dans ses écrits:
« La société parisienne n’avait pas de secret pour Mme de Païva, malgré qu’une grande partie de cette société suivit son cours en dehors d’elle. Instruite du sort de bien des gens, lisant les journaux d’importance, en trois ou quatre langue parcourant toutes les nouveautés littéraires d’une valeur égal à leur succès, enfin se faisant envoyer toutes les partitions des musiciens acclamés, elle étonnait son entourage par la sureté de son jugement et la diversité de ses informations. »   F.Lollié « La Païva La légende et l’Histoire de la Marquise de Païva » Tallendier 1920 Paris p.169

Personnalité hors du commun, la Marquise sut créer l’écrin pour sa cour ainsi que la renommée découlant d’elle.  Les diners du rez-de-chaussée de la place Saint Georges n’étaient que la préfiguration du Salon des Champs Elysées, où s’y affinant quelques fidèles, le bouche à oreille et la presse firent le reste. Le Comte Guido von Donnersmarck, nouvel alter ego d’une femme mariée, grâce à sa puissance financière participa grandement à cette élévation spectaculaire qui fit de la « Marquise » une personnalité en vue.

Le Comte fut décrit comme un jeune homme renfermé et peu affable. Sans doute trop timide et sans expérience, il fut attaché par une découverte de ses sens qui dans les bras d’une femme plus âgée et très expérimentée pu lui permettre de construire une fois marié et veuf, une deuxième existence avec la jeune Katherina Von Slepzow de trente deux ans sa cadette, dont il put ainsi par son expérience acquise la couvrir de « bijoux d’Impératrice ».

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Le jeune Comte acheta pour la marquise de Païva en 1857 le château de Ponchartrain, villégiature dans les Yvelines. Les serres du Château pourvoyaient l’Hôtel des Champs Elysées en légumes et fruits frais*, la cave était excellente . Les diners parisiens s’y nourrissaient. Les conversations étaient très orientées, les sujets « funèbres » ou « galants » étant proscrits seuls les arts et la littérature avaient droit de cité.

*« Un château royal nous donnait des raisins, des cerises et des pêches quand tombait la neige… » Houssaye  Confessions T5 Paris 1885 1891


La verve de Théophile Gautier, les saillies de Léon Gozlan , les propos d’Eugène Delacroix nous sont rapportés par Arsène Houssaye dans ses « Confessions » où il n’hésite pas à écrire :
« Mais l’art, la littérature, l’éternel féminin, éclataient sur la table, comme les topazes du vin de champagne, les perles du vin du Rhin et les rubis de tous les châteaux du Bordelais. Jamais les gens de lettres et les artistes n’avaient été plus royalement fêtés. »
Les invités et habitués avaient eux même le loisir d’inviter à leur tour des convives intéressants et intéressés, l’aréopage se constituait par cooptation et n’était pas réinvité les grincheux ou les ennuyeux «  La causerie à l’hôtel Païva était toujours étincelante, imprévue, ruisselant d’inouïsme. »

L’Inouïsme! voilà un beau néologisme pour décrire ces diners dont beaucoup en évoquait le luxe sans espoir d’y être convié. Le célèbre escalier d’onyx d’Algérie unique à Paris (et peut être, ailleurs aussi !) présente sur sa base un cartouche en lettres d’or qui stipule:

 «  Pulsat amica cohors, dodus ingeus pendit portas Inuita turra venit, caudite parva domus »  

Ce qui peut se traduire par l’élégante formule:  «  Si la foule des amis se présente, ouvre toutes grandes les portes de la vaste maison, mais si c’est la foule de importuns, entrebâille les portes de l’étroite demeure. »
  Quelque soit le statut social, la renommée ou la carrière politique, la Marquise ne recevait dit-on que ses « amis » ou les amis de ses amis. Nous sommes très loin du mauvais jeu de mot « Qui paye y va » !
Les convives se retrouvaient dans le grand salon en attendant l’apparition de la Païva. Ils pouvaient accéder au balcon dominant le jardin sur l’avenue. Cette ample balustre a disparue avec la sur-élévation de la terrasse.
Le physique de la Marquise a suscité de nombreux commentaires, ainsi de cette description très violente de Jules de Goncourt datant de 1867 :
 « La maîtresse de maison, je la regarde, je l'étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles épaules se montrant par derrière jusqu'aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relâchement des épaulettes; de gros yeux ronds; un nez en poire avec un méplat kalmouck au bout, un nez aux ailes lourdes; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là dedans des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires, et, de chaque côté de la bouche, un creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton qu'il coupe d'un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d'une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans, et qui prend, par instants je ne sais quoi de terrible d'une morte fardée. »


 La Païva ne semblait pas aimer son image et il est souvent rapporté qu’elle dû se farder excessivement pour lutter contre un vieillissement précoce.
Elle n’avait pas le gout de la photographie ni des portraits. Les photos de la bibliothèque nationale montrant l’inscription « la Païva » sur une jolie jeune fille de trois quart, désigne Mona Païva une danseuse de 1925 qui n’a évidement rien à voir avec la Marquise.

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Mona Païva . Danseuse de cabaret d'avant guerre ( 1930)

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La courtisane Cora Pearl abusivement confondue avec la Marquise et Catherine Von Slepzow portant les bijoux de l'Impératrice achetés pour la Marquise.

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Photo retouchée colorisée. Une représentation couramment admise de la Marquise. Mais Portrait si laid et dénué d'intérêt qu'il aurait été préférable de ne pas le connaitre.

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Portrait attribué à Adolphe Menut.

Une autre photographie montrant une femme en pied avec une belle toilette prise presque de dos est souvent légendée Marquise de Païva mais rien ne vient l’authentifier.


Fédéric Lollié dit avoir « entrevu l’admirable tableau de Gérôme trop secrètement gardé »

Car si le portrait du Comte de Donnersmack, réalisé par Paul Baudry est connu et fut exposé à l'exposition «  Portrait du Siècle »  il n’en est pas de même pour le portrait de la Marquise réalisé par Jean-Léon Gérôme. Ce tableau dont aucune reproduction n’est connu fut emporté au château de Neudeck et disparu à jamais.
Une description très favorable à la Marquise a été faite par Lollié qui insiste sur les yeux intelligents « caressant tour à tour impérieux » , le buste « irréprochable dans ses contours » les bras et les épaules « magnifiques » et la voix acérée et mordante tout en concédant un profil légèrement sémitique! Le Senne qui n’est pas tendre car trop près des descriptions des Goncourt et mélangeant les périodes, n’omet pas de rappeler que la Marquise « grande, élancée la taille bien prise… portait admirablement la toilette ». Emile Le Senne « Madame de Païva » 1910 Paris


Les bijoux et les lustres se répondaient dans leurs éclats , la Païva fut évidement victime de cette obligation de réussite, de cette obligation de réceptions « mondaines »  où la verve, le brio, la chaleur étaient de mises. Mais des réunions entre amis place Saint Georges puis de l « inouïsme » des diners de l’hôtel des Champs Elysées à peine terminés dont la renommée fut nourrit pas les échos de presse, la Marquise vit son salon aller jusqu’à la monotonie d’une « institution » à bout de souffle après la chute de l’Empire .

L'ambiance très différente fut décrite par Monsieur de Villeflosse :   « Ferdinand bac, il y a dix ans me confiait que tout gamin, son parrain Arsène Houssaye, l’avait emmené diner dans cette salle à manger où la chère était aussi somptueuse que le décor. A sa grande surprise, il trouva sa place à côté de la Marquise et cette idole mûre  « guenon du pays de Nod, bête à sept cornes » disait Alexandre Dumas fils, chercha tout le temps du repas à planter son mince et haut talon sur le pied stupéfait de l’adolescent ».  
Le privilège ressenti par les invités s’était émoussés, la Marquise elle même avait « vieillie » et les invités se firent plus rares.
Le comte Guido ne fut jamais célébré comme un grand causeur, l’on disait de lui qu’il semblait se désintéresser des discussions et ne se départissait pas de son air sérieux de jeune homme pommadé et compassé.
La Marquise, si elle ne savait que trop facilement parler d’argent, fût tout d’abord "moderne et mécène" avant de se laisser prendre par le pouvoir des « affaires » politiques. C’est à ce titre qu’après la défaite de Sedan, elle oeuvra dans les cercles du pouvoir par des manoeuvres liées au statut de son mari qui fut nommé gouverneur d’Alsace et de Lorraine.
 Elle fut très utile par sa connaissance des milieux fortunés parisiens, pour le calcul et la négociation de l’indemnité de guerre, fixée à six milliards de francs. Profitant de la parenté du comte avec Bismarck et de son entregent auprès de Gambetta, elle voulut  négocier un rapprochement entre la France et l’Allemagne mais ne gagna que la position inconfortable d’espionne peu favorable après celle de courtisane. Elle dû sous la pression du gouvernement français quitter Paris pour sa retraite de Silésie en 1877.

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Jardin d'Hiver du 25 avenue des Champs Elysées.


Les cheminées nous l’avons vu ne flambaient que très rarement, les calorifères ne réchauffant que très peu, les invités pouvaient se plaindre du froid et notamment dans le « jardin d’Hiver » où se tenait après souper une collation sous la verrière. Extension sur la cour arrière, le jardin d’hiver n’existe plus actuellement. Seule son allée latérale subsiste profondément remaniée par les extensions des années vingt.
«  Dans la serre où l'on fume après dîner, on est gelé par des courants d'air venant de la couverture, ou étouffé par les bouffées de chaleur des bouches du calorifère. »  Journal des Goncourt 1868.


 Les Goncourt ont encore une fois la plume dévastatrice mais cela nous renseigne sur la «  circulation » des hôtes qui déposés sous le porche couvert accèdent en passant une «  porte de bronze, lourde majestueuse  » qui s’ouvre sur le vestibule; puis les invités entrant dans les salons où la Marquise se fait attendre, gagnent enfin la salle à manger avec la grande desserte d’ébène, les grands chandeliers et les grandes torchères d’argent. La table était somptueusement parée d’un service de Saxe au milieu duquel trônait ce fameux surtout de table dit « Surtout d’Ariane » oeuvre de Carrier Belleuse livré en mai 1867.
Représentant Ariane chevauchant une panthère, estimé d’une valeur de 800 mille francs de l’époque que l’on décrivait ainsi : «  Des néréides entrelacées se glissent au travers de la surface miroitante en offrant des mets délicats…une Ariane sensuelle se penche sur le dos de la panthère, en levant sa coupe » June Hargrove  1979 RMH

Ce surtout n’est connu que par des photographies de la Bibliothèque des Arts Décoratifs . Carrier Belleuse en fit une variante appelée « la version de Johan Dannecker » en 1805.

 « Après le café on s'assoit dans le petit jardin muré, aux dessins de verdure de tapisserie, pareil à un jardin de Pompéi, dans lequel arrivent, par bouffées sonores, la musique de Mabille, les quadrilles de la prostitution à pied, venant expirer aux pieds de la fille, qui se vante d'avoir par jour 1 000 francs de loyer à Paris et 1 000 de loyer à Pontchartrain.
Elle reste en ce jardin, presque nue, par le froid de la soirée qui nous gèle tous, dégageant autour d'elle la froideur d'un marbre, et manquant de l'éducation, de l'amabilité, de l'acquit, du tact, sans la douceur du charme, sans la caresse de la politesse, sans le liant de la femme, sans même l'excitant de la fille, et sotte tout le temps, mais jamais bête, et vous surprenant, à tout moment, par quelque réflexion empruntée à la vie pratique ou au secret des affaires, par des idées personnelles, par des axiomes qui semblent l'expérience de la Fortune, par une originalité sèche et antipathique qu'elle paraît tirer de sa religion, de sa race, des hauts et des bas prodigieux de son existence, des contrastes de son destin d'aventurière de l'amour. »
Jules et Edmond de Goncourt Journal 1867.
La charge est rude mais l’explication simple.
La Marquise par son parcours chaotique, par sa lutte acharnée, par son emprise personnelle et sa volonté inflexible de réussite matérielle était au delà de la sympathie, de l’affabilité.  Les grandes dames de l’aristocratie peuvent être aimables et avoir du tact, leur onctuosité est toute baignée du sentiment profond de leur supériorité naturelle, alors que la parvenue dans la lutte et la douleur sait son pouvoir en quelque sorte usurpé, illégitime profondément, donc, la garde ne se baisse jamais. Il n’y a pas de place pour la « caresse de la politesse » seule la réédition du subalterne permet la stabilité de la position.
La liste des invités les plus assidus déroule un panorama de la vie mondaine et intellectuelle: Théophile Gautier, Eugène Delacroix, Paul Baudry, Louis Léon Gérome, Emile de Girardin, Charles Augustin Sainte Beuve, Paul Lacroix, Hector Lefuel, Emile Augier, Paul de Saint Victor, Léon Gozlan, Arsène Houssaye, François Ponsard..etc
 Partagé entre plusieurs Salons dont celui de la comtesse de Loynse, Taine se fit excuser sous maints prétexte, quant à Renan, il fut connu pour toujours refuser les invitations.

La domesticité très nombreuse se devait d’un service irréprochable car les convives du vendredi étaient bien souvent ceux des mardis de la cousine de l’Empereur qui recevait rue de Courcelles. Lollié nous apprends que ces domestiques étaient « mieux payés que des chefs de bureau »! le Senne nous rapporte qu’un domestique servant à table s’était permis de sourire à l’énoncé d’un bon mot qui fit rire l’assemblé. Il fut sanctionné pour ce manque de détachement car il est impensable que le personnel puisse écouter les conversations. Ils pouvaient entendre sans avoir l’air de comprendre mais en aucun cas participer. Ce qui est le summum du professionnalisme.

Le personnel n’a pas laissé de souvenir écrit. Nous ne savons que peu de chose sur l’organisation de la maison. Le personnel dévolue à la Marquise devait être en surnombre car outre les parures, la toilette est restée dans les mémoires. Lollié nous rapporte que quatre femmes de chambre s’occupaient des bains de la Marquise qui prenait quatre bains de suite avec soit du lait, soit de l’eau parfumé au tilleul. Le Senne corrobore cette information en rapportant une lettre d’une femme de chambre qui explique qu’après les bains multiples et parfumés, la Païva se faisait énergiquement masser et frictionner de lait mélangé d’Alun et de citrons. Elle ne se plaignait jamais que se fut trop énergique et se raffermissait les chairs à l’air froid des fenêtres ouvertes.
Les cuisines et le jardins, les allées-venues incessantes entre Pontchartrain et le 25 devaient mobiliser un certain nombre d’homme. Les écuries pouvaient contenir neuf chevaux et six voitures à cheval comme le stipulait le prospectus de la première vente en 1893. Les remises et écuries étaient très spacieuses, il en existe partiellement encore derrière les nouvelles constructions d’après 1923 . Elles furent vendues séparément après la vente de 1902  et cela pour un prix aussi élevé que l’adjudication totale.

La fin du salon de l’avenue des Champs Elysées était prévisible à la chute de l’Empire, même si il y eu un renouveau certain vers 1872 avec la reprise des diners mondains. La grandeur était passée et les manoeuvres politiques n’arrangèrent rien, l’hôtel fut fermé d’abord par intermittence entre 1875 (date de la fin des travaux à Neudeck) et 1877 , puis définitivement avec le déménagement du Comte et de la Comtesse .
La façade fermée resta silencieuse, cloitrée et mystérieuse pendant 16 ans.

 

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Revues Les Modes 1922
Les Parisiens colportaient de nombreuses rumeurs, les courtisanes dont les histoires savoureuses se mélangeaient, fabriquaient malgré elles leurs légendes. La confusion augmentait les fantasmes comme le rapporte le journal « Les Modes » en décrivant la Marquise servie nue sur un plateau d’argent portée par quatre maitres d’hôtel lors d’un diner dans la grande salle à manger!

Confusion avec Cora Pearl * dit « le plat du jour » qui s’était présentée à son amant, nue sur un plateau, et se fit connaitre comme la « grande horizontale »!
* Emma Elisabeth Crouch 1835-1886 Maitresse du Duc de Morny et de Plon Plon !

 

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Le grand oeuvre oublié

La Marquise se retira dans son nouveau château de Neudeck en haute Silésie, aujourd’hui territoire Polonais.
Après la mort trop vite venue de Manguin en 1869 l’architecte privilégié de la Marquise devint le grand Hector Lefuel. L’architecte des grandes transformations du Louvre et témoin de leur mariage. Mariage tant attendu par la Marquise et le comte Henckel, qui ne fut célébré qu’en 1871, car la Marquise réussie après une longue procédure à faire casser et annuler son mariage avec le Marquis de Païva qui lui ne se suicida qu’en 1872, le 9 novembre précisément.
Les « jeunes » époux entreprirent la construction d’un nouveau « Schloss » sur les terres prolifiques du berceau familial Donnersmarck où ils possédaient 24 mille hectares de terre . L' ancien château remanié dans le style Tudor en 1840 n’eu plus l’heure de plaire , la Marquise voulu son nouveau domaine.
 La documentation est rare concernant la décision et la construction du nouveau château . Mais la Païva y imprima sa marque indélébile . Il n’est pas impossible que Manguin commença les travaux et les plans avant la guerre de 70. Mais sa mort prématuré laissa Lefuel reprendre le projet. Il est des similitudes du corps central du château avec une villa construite à Saint Maur par Manguin mais en l’absence de document rien n’est certain.
Le château de Lefuel est beaucoup plus qu’une folie, c’est de nouveau un coup de maitre, une recréation dans un style éclectique néo louis XIII à la Mansart. Lefuel comme Manguin avant lui, disposa de la fortune colossale du Comte pour réaliser une oeuvre complète et cohérente d’une dimension autrement gigantesque que l’Hôtel des Champs Elysées.  

 

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1935 ?


Présentant une grand façade majestueuse harpée de chaine de pierres blanches jouant avec la brique, le château s’ordonne autour de jardins pourvus de grandes statues de bronze encadrant des escaliers amenant vers des bassins dans un esprit rappelant manifestement le jardin des Tuileries.
Les fondations furent très difficiles à élaborer en raison d’un sol extrêmement meuble et humide doté d’une nappe phréatique très importante. Les techniques de drainage en usage pour les villes balnéaires durent être utilisées. Outre la consolidation classique avec empierrage, il fut enseveli 10 000 grumes de chênes recouvert d’une couche de plomb de près de 10 cm d’épaisseur pour stabiliser le sol !
 Hector Lefuel s’occupa de l’ensemble des travaux avec une équipe d’architecte et passa commande pour les aménagements et la décoration intérieure en étroite collaboration avec la Marquise.
Les jardins furent confié aux talentueux paysagistes Peter Joseph Lenne et son élève Gustav Meier.
Le château fut achevé en 1876 .
La Marquise s’y installa en 1877 …..y mourut le mardi 21 janvier 1884 à 16 heures.  

Ce fut sa dernière grande entreprise.

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1935 (?)

De nombreux artisans français et non des moindres, travaillèrent pour cette réalisation totalement ignorée en France.
 La maison Christofle exécuta de très importants éléments de décor intérieur. Les artisans français firent de nombreux séjour pour monter, ajuster ces réalisations , comme la rampe et balustrade de l’escalier de fer forgé et bronze orné de paons sculptés. Il ne fallut pas moins de 28 caisses arrivées en 1875 et deux spécialistes pour assembler le tout. (Mr Binder et Mr Beuriot, artisan de la Maison Christofle in Revue du Louvre Zgorniack 1989 N°1)


 Ernest Eugène Hiolle* sculpta une grande cheminée toute à fait extraordinaire présentant Diane allongée avec deux chasseurs en pendant sonnant de la trompe.
 Une grande partie du mobilier fut sans doute acheté à l’exposition universelle de Vienne en 1873 car suivant la notice rapportée à l’époque, le comte Henckel et H. Le Fuel auraient dépensés dans la section française plus de 300 mille francs.
Le déménagement du 25 avenue des Champs-Elysées certainement très important constitua un apport non négligeable. Il faut se souvenir que le grand lion héraldique de bronze, sculpté par Jacquemart, fut emmené en Silésie comme beaucoup d’oeuvres d’art de moindre formats, petits tableaux et mobilier.
L’architecte, peintre, ornemaniste Charles Rossigneux **fut chargé de la décoration peinte. Un temps sollicité pour réaliser le mausolée de la Marquise mais le projet fut finalement abandonné sans que l’on en sache les raisons. Il n’y a que très peu de documents connus concernant l’intérieur du château. Le fait pour les artisans français de travailler pour les prussiens n’avait évidement pas bonne presse durant les années de guerre et après la défaite de 70. La discrétion fut de rigueur d’où un manque de publicité organisé et donc de documentation restante.

*Ernest Eugène Hiolle (1834 1886 ) Prix de Rome1862 sculpteur cf: « Amérique du Nord » statue actuellement sur le Parvis du Musée d’Orsay Paris.

** Charles Rossigneux 1818-1907  Décorateur, a beaucoup collaboré avec la Maison Christofle.

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 Une description polonaise relate la présence de 99 chambres et 34 suites!  les grandes salles d’apparat comme le salon rouge, la grande bibliothèque, la salle de chasse contenaient de nombreuses tapisseries, mosaïques et compositions de Malachite ainsi que de grandes peintures murales. De nombreux tableaux importants furent répertoriés, ainsi de « la femme adultère » et d’un « Saint Thomas l’incrédule » de Murillo, une « Abigail » par Cranach l’ancien . Dans le bureau du comte, il existait une collection de portraits de famille par Franz Von Lenbach  ainsi qu’un Eugène Carrière dans la salle de musique!

L’étude attentive des rares photographies d’intérieurs montrent des éléments décoratifs que l’on peut rapprocher de l’Hôtel des Champs Elysées.

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Une des photographies présente une vue de la cheminée du salon. Chose extraordinaire! Trone devant la cheminée une table qui semble la réunion de deux consoles aux atlantes du grand salon parisien. Mêmes poses, mêmes drapés, l’esprit est en tout point semblable qu’il s’agit evidement d'autre chose que de copies mais une ré-interprétation, une déclinaison du travail de Manguin et de Carrier Belleuse dont nous avons vu que les quatre consoles disparues du grand salon de l’Hôtel des Champs Elysées sont actuellement et heureusement  réparties entre les musée d’Orsay, des Arts décoratifs  et le Museum de Toledo dans l’Ohio ainsi que dans une galerie privée.

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Une des Consoles aux atlantes in situ à Paris et l' exemplaire du Musée d'Orsay.

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Table aux Atlantes

Qui a réalisé cette « table aux Atlantes »? mystère. Etait ce un modèle unique ou existait-il une paire ?  Le travail est en tout point comparable et la conception si elle diffère semble bien une recréation du modèle de Manguin . La Marquise devait réellement regretter ses consoles qu'elle n'avait pu ou voulu emporter car scellées aux murs du grand salon parisien . Leurs disparitions ultérieures fut un vol caractérisé.

L’étude de la photographie du grand salon nous montre une cheminée avec de belle sculptures couchées ainsi que deux cariatides agenouillées. La masse de marbre de l’entablement reçoit un gigantesque vase se reflétant dans un grand miroir.

Nous pouvons remarquer qu’à l'exacte conception du style , les bronzes décoratifs en ajout sur l’architecture de marbre, cette cheminée est comparable aux grandes réalisations du 25 avenue des Champs Elysées. La filiation est évidente, la conception des figures féminines couchées avec leurs cariatides nous ramène aux cheminées de Carrier Belleuse comme à celle de Delaplanche. Qui fut l'auteur de ces figures couchées qui semblent de bronze doré ou argenté ?…. le marbre devait vraisemblablement être rouge, peut être comparable à un rouge des Pyrénées. De quel atelier les bronzes sont-ils issus….mystère. Les recherches sont à faire...


Le grand miroir est très innovant dans sa conception. En triptyque, il déborde de la cheminée pour parer l’intégralité du mur. Les montants de bois dorés sont élégamment terminés par des fougères-palmes qui s’intègrent dans une composition florale de palmiers très décoratifs. Cette conception de mur miroir débordant sera reprise dans les années 1970. Deux statues de faunes dansants, profitent de cette extension de miroirs, pour encadrer la cheminée qui se trouve par se stratagème deux fois plus monumentale. Les murs du salon sont tendus de tissu ou de papier incrustât. Les lambris et entre-murs dessinant de grands pilastres, sortes de parclose ainsi que les entre-poutres sont décorés sur fond clair de motifs géométriques peint d’un style néo-grecque. Les plafonds sont peints avec ce qui semble une myriade de pouti dans l’azur …. Les architecture des portes avec fronton à pan coupé sont très similaires avec ceux de Paris. Nous retrouvons aussi les paires d’angelots en rond de bosse encadrant les armes Donnermarck.  La Marquise semble avoir déclinée en crescendo son environnement parisien qu’elle aimait réellement . Nous sommes dans ce qui semble une « extension » de sa création de 1856.

 

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La grande salle  de « chasse » présente la grande cheminée d’Eugène Hiolle, Gigantesque morceau de bravoure avec au faîte une Diane couchée sur son cerf entourée de ses chiens. Voilà Anet ! voilà les sonneurs de trompe de la renommée !…en termes colossaux sortant du marbre blanc dont la base chantournée s’évase pour former de petites banquettes. Extraordinaires formes dont les courbes très modernes semblent annoncer l’art nouveau.
 Le foyer qui à la taille d’une porte double, semble surmonté d’un panneau de bronze rectangulaire, peut être une scène de chasse comme pour la cheminée de la salle à manger parisienne?
 Hiolle qui a travaillé pour l’Opéra Garnier , l’Hôtel de ville en autre, est un sculpteur connu et reconnu, mais rien dans sa biographie ne nous renseigne sur cette commande et son exécution.

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La salle de chasse apparait avec sa mezzanine surplombant la cheminée, d’une taille impressionnante, l’on aperçoit des trophées d’armes sur les lambris, des faisceaux de fusils à crosses orientales. Les murs sont recouverts de grandes peintures de chasse, l’on y distingue des cavaliers et des chiens ainsi que de grands arbres. Malheureusement, aucunes informations supplémentaires ne nous est encore parvenues concernant le ou les peintres ayant exécutés ce colossal travail.

Le mobilier devrait retenir notre attention. Les grands fauteuils Louis XIV aux accoudoirs en cou de cygne avec un piètement à balustres reliées par une entrejambe chantournée ressemblent terriblement à ceux présents sur les deux vues du salon des Champs-Elysées prises en 1893. Les appliques à branches multiples sont en tout point comparables également dans les différentes photographies à celles existant sur les documents parisiens.

 

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La grande salle à manger, ou plus vraisemblablement salle de réception, salle de banquet parait bien vide. Une table ronde au lourd pied central isolée sur un tapis de grande taille n’est de toute évidence pas à sa place. Cette photographie ressemble à celles prises à Paris en 1893 dans un salon vide où les quelques fauteuils restant ont été disposés à la va vite le long des boiseries.
De quand date cette photographie et quelle fut l’histoire du château pendant les années du Reich Nazi? L’on sait cependant que pendant les préparatifs de l'invasion allemande de Pologne, le fils de Guido, Guido Otto Fürst Henckel von Donnersmarck a rencontré Oberstleutnant Erwin Lahousen de l’Abwehr (renseignements militaires) à Hochdorf le 11 Juin 1939 . Il offrit l'assistance de l'ensemble du personnel forestier de sa succession polonaise. L'offre fut acceptée. Mais ne nous ne savons rien de la vie du château pendant cette période.

 Le meuble à miroirs finissant la pièce est gigantesque. Surmonté des armes Donnersmarck l’on peut voir deux cariatides de part et d’autre de ce qui peut s’apparenter à une desserte. La partie basse présente une série de vases et candélabres avec deux étagères de grandes hauteurs portant des globes; le tout est très étonnant par son gigantisme.  Les grands lustres sont de même ampleur que leurs homologues du salon parisien.
La salle à manger a de quoi surprendre. Les peintures monumentales semblent imiter des tapisseries. Les paires de lévriers du plafond architecturé de disques moulurés  avec de curieuses retombées en forme de toupies, sorte de « sprinkler » géants, encadrés de peintures géométriques sont très particuliers pour ne pas dire extraordinaires.
Le Metropolitan Museum of Art à New York possède une collection d’aquarelles et de gouaches signées par Jules-Edmond-Charles Lachaise et Eugène-Pierre Gourdet, Deux architectes d’intérieurs de talent, très prisés par l'impératrice Eugénie. Ils ont créés de nombreux plafonds pour l'Opéra Comique à Paris, l'Hôtel de Pless à Berlin, l’ Hôtel Rothschild à Vienne, le palais du duc d'Albe à Madrid, le manoir anglais de l’impératrice Eugénie en exil ainsi que de nombreux décors dans des hôtels particuliers et des églises de Paris. Le musée possède trois aquarelles montrant les projets pour le château de Neudeck.

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Salle à Manger Neudeck- Aquarelle du Metropolitain Museum - New York -Lachaise /Gourdet 1880



Le bureau bibliothèque ne nous est connu que par deux photographies dont une montrant une cheminée qui semble être la réplique celle de la bibliothèque du 25 à Paris. De marbre noir avec quatre inclusions de lapis, des griffons et un motif central de venus alanguie….et deux cariatides, anges aux visages et poses similaires  dont les têtes sont peut être plus tournés vers l'intérieur du foyer. On peut aussi remarquer les mêmes petits écussons de bronze avec lions héraldiques aux extrémités du bandeau .

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Les deux cheminées : Neudeck et Champs Elysées, similitude troublante pour une réalisation considérée comme unique.

Une copie? une variante sur le même modèle! Nous ne savons pas qui est l’auteur des bronzes à Paris ,   attribué un temps à Dalou mais fortement contesté son biographe Dreyfous …les cheminées sont anonymes. Mais la Marquise disposait des dessins de Manguin et Lefuel fut le continuateur dirigé et inspiré car il est dit aussi bien par Houssaye que par Lollié que la Marquise voulut transporter pierre par pierre son hôtel lors de son exil!

 

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Que voyons nous au dessus de la cheminée? Enchâssé en trumeau surmonté des armes de famille, un grand portrait de femme avec un long boa de fourrure ou de plume …et une cravache à la main. La pose est simple, de face . La tête légèrement penchée, élégante et détendue. Est ce le fameux portrait de Thérèse, Marquise de Païva, peint par Gérome? Le fameux et unique portrait que Lollié nous dit avoir vu? 

Où est ce Catherine von Slepzow la deuxième époux de Guido?  Cela semble plus probable et très ressemblant .

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Catherine Von Slepzow deuxième Comtesse de Donnersmarck

La Marquise fut remplacée après sa mort, non seulement par une jeune et nouvelle épouse mais par une descendance qui la marginalisa comme un épiphénomène dans la généalogie de la famille Donnersmarck.  Famille qui existe toujours et d’une manière publique, en la personne du réalisateur et scénariste, Florain Henckel von Donnersmarck.
( La vie des Autres « Oscar du meilleur film étranger 2007, The Tourist avec A.Jolie et J.Depp 2010.)

Par l’intermédiaire d’Hector Lefuel, la Marquise commanda à Emmanuel Fremiet les sculptures du parc.
Quatre groupes de sculptures de grandes tailles. Le cerf et l’ours, le cheval et la lionne, l’autruche et le serpent, le pélican et le poisson, réalisées et fondues en France, furent transportées en caisse pour être montées sur de hauts socles de pierre .

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Fremiet ne fit pas le voyage pour superviser l’installation. Ces réalisations très peu connues en France sont aujourd’hui des oeuvres extrêmement admirées en Pologne et comparables aux quatre groupes animaliers du jardin des Tuileries réalisés par Auguste-Nicolas Cain .

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 Emmanuel Frémiet  1824 1810

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Le château fut prit dans la tourmente de l’offensive Oder-vistule en 1945. Il fut dit-on saccagé par les troupes soviétiques qui l’occupèrent puis l’incendièrent . Mais certaines rumeurs attribuent aux communistes polonais l’incendie du « Neue Schloss » avant l’arrivé des Russes.
Il ne reste actuellement du château que les jardins avec leurs bassins et par miracle les grandes statues animalières de haute virtuosité de Fremiet ainsi que quelques sculptures de l’atelier de Theodor Kalide* de taille beaucoup plus modeste.

*Theodor Erdmann Kalide sculpteur allemand 1801 1863

 

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Le Kavalier Palace


Il ne reste pour se rendre compte de l’importance du bâtiment principal, comme du soin apporté à sa construction, que ce que l’on nomme la « Bachelor House » ou la « Kavalier Palace »   c’est à dire la grande dépendance du château construit de même style en 1903 et restauré intégralement. Les jardins sont très visités car la petite ville de Swierklanjec (l’ancien Neudeck) n’est qu’à 21 km de la ville de Kalowice.
Le château fut construit en Voïvodie de  Silésie située territoire Prussien,cette région passa en territoire polonais après 1919 mais resta toujours la propriété de Donnersmarck. En 1939  nouveau changement de frontière, la Silésie revient au Reich puis de nouveau à la Pologne en 1945 mais cette fois-ci la famille fut expropriée par la dictature communiste, ce qui mit fin à près de 300 ans de présence et d’action de la famille Donnersmarck dans cette région .

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1950 ?


Les ruines des deux châteaux Donnersmarck restèrent 17 ans comme de grandes carcasses fascinantes, battues par les vents hautaines et silencieuses.
Elles furent visitées comme des témoignages d’une grandeur passée entretenant le rêve d’un avenir possible .
 En 1957 les ruines sont classées Monuments Historiques par le conservateur régional. Les jardins ouverts à la visite sont une sorte de périple romantique qui rappelle les ruines du château de Saint Cloud prit dans la végétation, objet d’un but de promenades mélancoliques pour les parisiens.
Le ministère des Arts et de la Culture polonais décida le 20 décembre 1961 de la reconstruction du Neues (nouveau ) château appelé affectueusement par la population le « petit Versailles »
( Oberschlesisches Versailles) 

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Photo de colonie de vacances devant les ruines. Les cheminées existent toujours comme la grille d'entrée. (1950 ?)

Mais, soit considérant ces ruines comme un témoignage de la présence allemande à éradiquer ou soit comme une insulte au prolétariat dominant, le commandant de la Silésie passa outre. Le général Zietek ordonna la destruction des ruines et autorisa les syndicats des mineurs à utiliser les décombres pour leurs constructions sociales.
Les deux Châteaux de Neudeck furent scandaleusement rasés entre septembre et novembre 1962.

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Photo de 1956


 Il ne reste plus aucune trace de l’ancien château, fief des Donnersmack depuis 1623, son emplacement s’efface des mémoires alors que le  nouveau château de Lefuel reste présent par son absence visible sur la terrasse devant les jardins dessinés de parterres et de bassins . La grande poterne et sa grille ouvragée furent démontées et réemployées sans aucune autorisation officielle pour l’entrée du zoo de Katowice.

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Le personnel du chateau rassemblé devant la grille. 1910

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Zoo Chorzow


Quels trésors disparurent avec l’incendie? Le pillage est une façon de préserver les oeuvres. L’armée Rouge avec ses asiates délocalisés et ses commissaires politiques intransigeants semblent avoir tout détruit et cela malgré les commissions mises en place par Staline pour confisquer les biens de valeur allemand en guise de compensation pour les dommages de guerre infligés à l’Union soviétique.
  Les tableaux, notamment le portrait de Gérôme et peut-être les quatre toiles du grand salon des Champs Elysées; les meubles et les extraordinaires ouvrages de la maison Christofle; les mille souvenirs de la Marquise, à jamais perdus ainsi que le témoignage de l’excellence française en terre slave..
Le Polonais aujourd’hui profitent du parc et de ses allées aménagées avec escaliers de pierre, petit pont et parterres de fleurs. Ils déambulent admiratifs entre les grandes sculptures de Frémiet. Mais le joyau a disparu.
Remarquable par son ampleur et le soin apportée à sa réalisation, le château de Neudeck fut une extraordinaire entreprise, inconnue en France mais dont nombre de polonais gardent une tendre nostalgie. Il est encore actuellement des voix pour s’élever, pour réclamer la restitution in situ de la grille et son arche de pierre. Certains rêvent même d’une reconstruction !


La visite virtuelle existe Ici.


Visite virtuelle du Château de Neudeck

 

 

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 Grand bassin avec sculptures rappelant les jardins de l'Observatoire. Hommage à Carpeaux?

 

 

 

11 septembre 2014

LES FEUX DE LA PAÏVA


 « Dans le salon énorme, dans la cheminée gigantesque, pas de feu, rien que la chaleur d'un calorifère qui s'allume.

La Païva n'aime pas le feu.

Elle arrive bientôt, ruisselante d'émeraudes sur la chair de ses épaules et de ses bras: «Ah! je suis encore un peu bleue… c'est que je viens de me faire coiffer par ma femme de chambre, les fenêtres toutes grandes ouvertes,» dit-elle. Cette femme est bâtie d'une manière toute spéciale. Par ce temps, elle vit dans l'eau et l'air glacés, à la façon d'une espèce de monstre boréal, inventé par la mythologie scandinave. »

Jules de Goncourt. "Journal des Goncourt" (Troisième volume).
3 janvier 1868

 

 



 

article supprimé

11 mai 2014

L'AVANT GARDE DU CLERGYMAN

 

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Au delà des imperfections du temps, nous qui sommes habitués aux hautes définitions, les images sans paroles du moyen métrage de Germaine Dulac nous saisissent par la vitalité des sensations qu’elles provoquent. Le film « La coquille et le Clergyman » est un chef d’oeuvre qui par son absolu, son implacable démonstration écrase les écrits ayant pour technique de s’émanciper de la contrainte de la pensée ordonnée par la raison. L’écriture automatique utilisées dans les  tentatives surréalistes n’atteint pas la fulgurante des images du Clergyman courant à quatre pattes dans les rues ensoleillées d’une après midi d’hypnose ….mi ange mi bête, le désir crispant ses mains et ses traits, il se projette dans un avenir fantasmatique. Le voilà bientôt courant éperdument, les bras le long du corps comme une machine folle, il tétanise le spectateur qui face au choc inévitable de son désir contre l’objet de ses tourments, à savoir sa propre dévastation intérieure ou la transgression de l’impératif état de solitude nécessaire à sa sainteté recherchée se trouve projetée dans un désir érotique qui rejoint sa quête quasi mystique de l’acceptation de la vie jusque dans la mort….dut-il y affronter la mort morale avant la mort charnelle.

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Le film fut tourné en 1926 et projeté au studio des Ursulines en 1928 devant un aréopage surréaliste accompagnant Antonin Artaud auteur du scénario et dont la compagne, Génica Athanasiou tenait le rôle féminin . Le trio d’acteurs était composé de l’extraordinaire Alex Allin dans le rôle du Clergyman, de Lucien Bataille dans celui du Général / prêtre et de la jolie Guénica Athanasiou qui avait quitté Artaud un an avant la projection .

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Antonin Artaud

Artaud récusa le film et la projection se fit dans un concert de cris et d’invectives, dans un brouhaha indescriptible provoqué d’une part par les partisans d’Artaud de l’autre par les critiques et spectateurs choqués, outrés par la première impression d’incohérence des images.
 En effet il faut avoir à l’esprit que « Le chien Andalou » de Bunel et Dali n’avait pas encore été tourné, pas plus que « l ‘Etoile de mer » de Man Ray. Seul l’irrésistible dadaïste « Entr’Act » de René Clair d'après un scénario de Picabia, avait pu être vu et cela par une minorité de ceux qui s’intéressait au cinéma à cette époque.

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 Antonin Artaud nous renseigne sur ses intentions: « J'ai cherché dans le scénario à réaliser cette idée de cinéma visuel où la psychologie même est dévorée par les actes. (...) Ce scénario recherche la vérité sombre de l'esprit, en des images issues uniquement d'elles-mêmes, et qui ne tirent pas leur sens de la situation où elles se développent mais d'une sorte de nécessité intérieure et puissante qui les projette dans la lumière d'une évidence sans recours. » in Cinéma et Réalité A.Artaud .


Germaine Dulac se réfugiant dans la technique nous explique à son tour : « Tout mon effort a été de rechercher dans l'action du scénario d'Antonin Artaud les points harmoniques, et de les relier entre eux par des rythmes étudiés et composés. Tel par exemple le début du film où chaque expression, chaque mouvement du clergyman sont mesurés selon le rythme des verres qui se brisent ; tel aussi la série des portes qui s'ouvrent et se referment, et aussi le nombre des images ordonnant le sens de ces portes qui se confondent en battements contrariés dans une mesure de 1 à 8. Il existe deux sortes de rythmes. Le rythme de l'image, et le rythme des images, c'est-à-dire qu'un geste doit avoir une longueur correspondant à la valeur harmonique de l'expression et dépendant du rythme qui précède ou qui suit : rythme dans l'image. Puis rythme des images : accord de plusieurs harmonies. Je puis dire que pas une image du Clergyman n'a été livrée au hasard. »  (in « Rythme et technique », FilmLiga, 1928.

 Artaud se senti plus dépassé que dépossédé, car il avait vu juste en parlant d’ une « évidence sans recours » car le propos, s’il est actuellement banalisé à l’extrême par les clichés psychanalytiques, n’en est pas moins très fort dans sa « visualisation ». La coquille géante de nacre étant le plateau naturel des désirs refoulés présentés comme un liquide noir inlassablement versé dans des carafons de cristal ayant la forme d’ex voto de virilité. Inlassablement remplis ces carafons se brisent en tas sur le sol, montrant ainsi l’impossibilité de l’accomplissement des désirs.

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La porte s’ouvre dans le dos du Clergyman affairé, entre alors le général avec son sabre, sa démarche et son envol stationnaire le désigne comme le gardien, l’empêcheur des désirs et fantasmes du Clergyman. Le sabre vibre et fait tomber la coquille. L’habit du clergyman est aussi une sorte de gardien qui par son excroissance surnaturelle deviendra comme des amarres empêchant le départ vers l’Ile de l’amour conquis.

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Il n’est pas de référence plus explicite magnifiquement trouvée par cet effet d’île tournant entre les mains crispées du clergyman. Ile qui se transforme en forteresse puis en galion sur les flots. La digue, la mer, les vagues et la fumée d’un vapeur sont les pendants des courses extatiques qui jalonnent le film.

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Course à quatre pattes dans les rues, courses dans les bois, le long d’un canal, dans les labours ..courses poursuites ou l’on ne sait plus qui poursuit l’autre par la succession volontairement équivoque des plans de coupe. Le clergyman comme la belle dame en déshabillé courent seuls comme en hypnose.
Les portes s’ouvrent avec une clé, les couloirs n’en finissent pas. Le sol est un échiquier géant que l’on retrouvera adapté dans la visualisation de l’inconscient des personnages de David Lynch .

 Face à son désir dans le confessionnal, le clergyman aura l'audace d’arracher le corsage de la pénitente pour tenter de s’emparer de cet insaisissable inconnu qui consume toute raison face à cette écharde dans la chair.

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La scène du corsage est emblématique de la focalisation des désirs. Le clergyman après avoir semblé tuer sa religion en lançant le prêtre à tête de général dans les flots, se saisi du corsage et l’arrache. Il tente de s’approprier par le toucher son désir toujours renouvelé et jamais comblé. Le coquillage d’or qu’il prend dans sa main n’est que la matérialisation de son désir en bijou précieux finissant dans les flammes de sa consomption .

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Une grande salle, un socle avec une boule noire dans laquelle se voit le visage du clergyman, est envahie par une foule de jeune fille en robe noires et tabliers blancs. Elles nettoient frottent et balaient en une chorégraphie sensuelle digne de Vanessa Beecroft. 

Une sorte de gouvernente arrête d'un geste impérieux le ballet des jeunes filles. Elles sortent. Des hommes entrent. La gouvernante n'est autre que la jolie femme désirée par le clergyman.

Nous sommes dans l'arrière monde de sa conscience parmi ses désirs et ses peurs, dans son ça.

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Le ballet de femme nettoyant la salle de l'inconcient du clergyman

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L'éclatement du bulbe protecteur libère les désirs pulsionnels du Moi.

Cette scène est extrêmement réussie par son mouvement, par l’ampleur de la disposition d’acteurs et figurants ainsi que par la beauté graphique du noir et blanc des costumes et des visages. Elle constitue une visualisation de la fabrique du désir émergeant des profondeurs du clergyman. Après les fumées, les gros plans sur l’eau, le bateau, l’ile et le visage du clergyman endormi, la pièce avec sa boule noire devient le lieu des commencements, des désirs d’une nouvelle existence avec la mise en place de son "mariage".

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 L'acephale en céphalophore

Le personnage sans tête descendant l’escalier dans le noir porte un gros paquet emballé. Cette boule de verre qui contient tout ses désirs et tourments, il la brise pour en extraire la grande coquille de nacre qu’il va boire comme une acceptation de sa rupture avec lui même. il ingurgite sa propre image qui se transforme en liquide noir. Il peut ainsi porter le prêtre à tête de général et le lancer au loin.

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Le lustre du bal tourne et se balance comme les couples sur la piste, le trône est la focalisation des désirs du clergyman . Parmi le stupre et l’abandon du bal, ou les corsages s’échancrent, il se dirige vers l’objet de son désir et de sa répulsion.

 

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 Présentant sa coquille puis menaçant de son "oiseau-coquille d’or" les convives et le couple, le clergyman se confronte à ses objets de convoitise et de crainte ; le couple assis disparait dans un « fading » laissant les trônes vides et le bal immobile. La femme en chemise de nuit de sacrifice, apparait sur le damier du couloir, elle a les cheveux dénoués, elle se tient prête à l’offrande dans une simplicité, une fragilité désarmante qui anihile le désir .

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L’ oiseau coquille d’or tombe et s’enflamme sur le sol, le désir perdu se lit dans les yeux fou du clergyman qui vient d’accéder à la frustration ultime en une danse épiléptique filmée par dessous, ce qui rappelle la danseuse sur plaque de verre d’ « Entre’Act » de René Clair tourné l’année précédente.
La course reprend, le clergyman les bras ouverts trottine plus qu’il ne court. La jeune femme tient le pan de sa combinaison blanche, elle à les cheveux noués et le gros plan de son corsage se distord. Le visage au regard provocateur et aguicheur de la femme apparait sur un fond noir, elle tire et coince entre ses lèvres une langue troublante. L’image se distord une nouvelle fois et la course reprend mais ils sont seuls et courent après un impossible qui semble s’excèder lui même. Les rôles se renversent, le désir de la femme qui se montre, vampirise le fantasme du clergyman.

 

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La langue perverse

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Le clergyman est suspendu à une corde dans un vide abyssal et noir... image coupure qui exprime son angoisse profonde. La course reprend dans un couloir ou une porte-grille s’ouvre lentement . C’est à reculons que le clergyman entre lentement pour aller se poster devant la boule de verre sur son socle. Il attire par de petits gestes du doigt, son invisible désir et doucement, lentement le caresse comme pour le câliner de ses mains puis soudainement saisir d’un mouvement brusque ce fantasme qu’il place dans la boule verre. Le visage de la femme y est enfermé comme son désir à jamais refoulé.

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La force et la beauté des images, le rythme et la poésie des séquences entrainent le spectateur non dans une visualisation d’un rêve mais le monde tourmenté des pulsions, du monde obscur du psychisme. La tentation de la transgression devient un désir en soi.  Lorsque l’objet de son fantasme semble prêt pour la transgression de son état, le clergymen s’effondre et rendre dans son surmoi, son état , en refoulant son désir. Le clergyman n’est pas spécialement ici, un clerc anglican mais une représentation de l’homme confronté à la lutte intérieure entre son surmoi et son ça, sa moralité, sa quête de « sainteté », sa vision de soi-même et une libido s’affranchissant de toute morale, le désir de possession de la femme impossible qui comme un succube le hante.

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le damier ancêtre des chevrons de la Twins Peak Red Room


« Ce scénario, La Coquille et Clergyman, n’est pas la reproduction d’un rêve, et ne doit pas être considéré comme tel. Je ne chercherai pas à en excuser l’incohérence apparente par l’échappatoire facile des rêves »  (A.Artaud Oeuvres complète Tome Trois  ) cité par G.Deleuze, in Cours de Cinéma 20 du 25/05/80.

Ainsi nous explique Artaud dans ses écrits, « incohérence apparente » il s’agit bien de cela en effet, mais il y a une « évidence sans recours » et Germaine Dulac l’a mise en scène avec un talent difficilement supportable pour lui qui avait refusé le rôle du clergyman.
Artaud déçu du théâtre espérait beaucoup du jeune cinéma mais après avoir écrit une dizaine de scénarios, aucun des ses projets ne vit le jour. Seul la Coquille et le clergyman fut tourné et cela grâce au talent de Germaine Dulac qui su tirer de l’impossible écriture une réalisation exceptionnelle.

Dans un article de 1933 intitulé «La vieillesse précoce du Cinéma »  Artaud règle son compte à cet art qu’il n’a pas pu, pas su saisir. «  Le monde cinématographique est un monde mort, illusoire et tronçonné. Le monde du cinéma est un monde clos, sans relation avec l'existence. »


Germaine Dulac a su lire au delà du texte d’Artaud et eu la prescience de ce que dira Georges Bataille:
« Il n’y a dans la tentation qu’un objet d’attraction d’ordre sexuel; l’élément mystique, qui arrête le religieux tenté, n’a plus en lui de « force actuelle » il joue dans la mesure où le religieux, fidèle à lui même, préfère la sauvegarde de l’équilibre acquis dans la vie mystique au délire où la tentation le fait glisser »

G.Bataille in « L’Erotisme » Edition de minuit .coll. Arguments.1957, page 261.

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G.Dulac


La polémique issue du chahut provoqué lors de la projection des Ursulines laissa Germaine Dulac sur les bancs oubliés de l’Histoire du Cinéma. Ce n’est que par la puissance de feu des surréalistes qui rejetèrent le film, allié à la colère d’Artaud que Germaine Dulac put être ainsi reléguée en dehors des cercles des créateurs en vue.
La carrière de Germaine Dulac fut néanmoins exemplaire, elle réalisa plus de trente courts et moyens métrages allant de 1915 à 1934 et sept longs métrages de 1919 à 1930. Elle fut la première cinéaste féministe, scénariste et productrice, très active dans la promotion des artistes auteurs et du Ciné club. L’arrivée du cinéma parlant l’éloigne de la réalisation, elle s’engage par ses écrits et ses soutiens dans le club des amis du septième Art avec Abel Gance et est co fondatrice et secrétaire du Club Français du Cinéma puis devient directrice adjointe des Actualités Gaumont jusqu’à sa mort, survenue suite à une crise cardiaque à l’âge de 60 ans en 1942.

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Madame Beudet


De ses réalisations nombreuses l’on peut mentionner comme un chef d’oeuvre « La souriante Madame Beudet » de 1923 qui est catalogué comme le premier film  « féministe ». Très expressif et dynamique, il montre les désarrois et désillusions d’une femme aux prises avec sa condition subalterne au sein d’un couple appartenant à la petite bourgeoisie.

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La fête Espagnole


« La fête Espagnole » réalisé en 1919 est aussi considéré aujourd’hui comme une des ses plus importantes réalisations. Le scénario fut écrit par Louis Delluc, qu’elle rencontra en 1917 et avec lequel elle eu une collaboration importante ce qui posa les bases d’une avant-garde expressionniste en France. La Fête espagnole, nous plonge déjà dans les tourments du désir en confrontant deux hommes dans une joute pour conquérir l’indécise Soledad, interprétée par Eve Francis, qui danse et s’enivre toute la nuit. Rythme et décors naturels, le propos n’est plus seulement narratif mais « exprime » les tourments, les états intérieurs des protagonistes entrainés par la fête utilisée ici comme parenthèse pour mettre au jour les fondamentaux des dominations et soumissions liés à la compétitivité sexuelle des mâles et au désir caché de la femme.

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Germaine Dulac semble aujourd’hui bien injustement oubliée. Elle réussie pourtant a ranger sous son nom ce qui est considéré comme le premier film impressionniste «  la fête espagnole » le premier film féministe « La souriante Madame Beudet » et le premier film surréaliste «  La coquille et le Clergyman »
L’ensemble de son oeuvre comme son rôle extrêmement actif dans la mise en place des structures corporatistes de la société des Artistes Auteurs ont été plus qu’important pour ce septième Art qui est une création française.
Germaine Dulac est aussi une théoricienne qui libère le cinéma de ses grands ainés que sont la littérature et le théâtre. Elle développe dans ses nombreux écrits, la volonté de faire du cinéma un art et une expression à part entière. Par l’avant garde, elle marie nouveautés techniques et expressions psychologiques des personnage pour que rythmes et sensations en fusion d’eux mêmes, élaborent une nouvelle esthétique rejoignant la vie elle-même. Ses écrits ont été rassemblés dans un ouvrage essentiel pour tous les cinéastes : Ecrits sur le cinéma (1919-1937) / Germaine Dulac; textes réunis et présentés par Prosper Hillairet, Paris, Ed. Paris Expérimental, 1994 .


Extrait du scénario d'Atonin Artaud:
“une succession de gros plans la tête du prêtre doucereuse, accueillante quand elle apparaît aux yeux de la femme, et rude, amère, terrible quand elle considère le clergyman. [… ] [Le clergyman] se retrouve au sommet d’une montagne; en surimpression à ses pieds, des entrelacements de fleuves et de plaines. […]  [Le clergyman] se jette sur [la femme] et lui arrache son corsage comme s’il voulait lacérer ses seins.  Mais ses seins sont remplacés par une carapace de coquillages.  Et arrache cette carapace et la brandit dans l’air où elle miroite.  Il la secoue frénétiquement dans l’air et la scène change et montre une salle de bal.  Des couples entrent; les uns mystérieusement et sur la pointe des pieds, les autres extrêmement affairés.  Les lampadaires semblent suivre les mouvements des couples.  Toutes les femmes sont court vêtues, étalent les jambes bombent la poitrine et ont les cheveux coupés. […] Des servants, des ménagères envahissent la pièce avec des balais et des seaux, se précipitent aux fenêtres.  De toutes parts, on frotte avec intensité, frénésie, passion.  Une sorte de gouvernante rigide, toute vêtue de noir, entre avec une bible dans la main et va s’installer à une fenêtre.  Quand on peut distinguer son visage on s’aperçoit que c’est toujours la même belle femme.  Dans un chemin dehors on voit un prêtre qui se hâte, et plus loin une jeune fille en costume de jardin avec une raquette de tennis.  Elle joue avec un jeune homme inconnu.”


 Antonin Artaud, Oeuvres Complètes, Tome III , Paris: Gallimard, 1970, pp. 26.-30.

 

la crispation du désir

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le général prêtre dans une image à la Personna.

 

Le film est visible ici dans son intégralité:

 

 

La Coquille et le Clergyman - Full Movie with Synchronicity Soundtrack by Immara

 

 Germaine Dulac  1882 - 1942

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