NOTE DE LECTURE 2
Les Grenouilles parlent.....
Jean Pierre Brisset (1837 - 1919) in Dix siècle de Littérature Angevine .
Dans cet ouvrage publié par l’Université d’Angers et plus particulièrement par le Centre de Recherches en Littérature et Linguistique de l’Anjou et des Bocages, écrit par le célèbre Georges Cesbron l’on découvre un personnage que l’on croyait angevin mais qui finalement ne l’était pas vraiment et même pas du tout. Enfin il fut en poste à Angers, ce qui le rattache par sa singularité à celle indéniable de l’Athènes du Maine et Loire quoiqu’en pu penser monsieur le professeur Poisson qui devint l’ermite de Saint Florent et comme le chante positivement le poète Bobby Lapointe dans « Avanie et Framboise ».
L’école Angevine du XII° siècle et la littérature de Trouvères, de Seigneurs et de Princes est bien documentées dans cette érudite recension des gloires régionales allant du haut moyen âge jusqu’aux « Thesmophores » et « Georgiphiles » en passant par la fondation de l’académie d’Angers. Un chapitre tout à fait singulier fait la part belle au « linguiste » Jean Pierre Brisset qui est injustement oublié aujourd’hui. Car nous avons bien besoin d’un « Paraphrène linguistique » dans ces temps de déperdition de syntaxe et de précisions « vocabularistique »!
« Toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle. »
Jean P Brisset
Cesbron nous enseigne une simple évidence « La littérature, est d'abord une affaire de rythme : le désordre de la syntaxe ou de la narration est là pour signifier le désordre de esprit. Mais, avec Jean-Pierre Brisset (1837-1923 ), la folie vient de loin. Il atteint une frontière où, comme pour Malllarmé, Roussel ou Walfson, viennent finir ensemble le sens et la raison. Des règles de la parole, profondément remuées par l'ordre du symbolisme, dont on se demande s'il est plein ou vide, Brisset reste le pur théoricien, le grammairien d'un versant occulte… »
Les publications de Jean Pierre Brisset nous enseignent par ses titres la pertinence de ses recherches, lui l’inventeur et dépositaire du brevet de la « ceinture-caleçon aérigène de natation à double réservoir compensateur »..très cohérente avec la publication en 1871 de son ouvrage « La Natation ou l’art de nager appris seul en moins d’une heure ». Malheureusement trop précurseur, ni l’un ni l’autre ne furent un succès commercial.
« La Grammaire logique ou Théorie d’une nouvelle analyse mathématique. » publiée en 1876 avec pour nouveau brevet la « planchette calligraphique » sorte de machine à apprendre à écrire, n’eut pas de suite non plus, la fortune et la renommée se faisaient attendre.
Un « paraphrène" est selon la définition habituelle, une personne atteinte d’un trouble mental rare, se traduisant par un délire chronique sans dissociation mentale, dont le mécanisme prédominant est l'imagination. Les fonctions cognitives sont généralement intactes dit-on. Le trouble est plus ou moins aigu et se trouve facilement dissimulé par la fonction occupée, par exemple: Journaliste, chercheur en Science Humaine ou même syndicalisme militant avec activisme politique…
Pour éclairer sa biographie l’on lira de lui sous la plume de Georges Cesbron, qu’ « il commence à manipuler les langues, déjà soucieux de rendre les mots entièrement méconnaissables ». Entre 1855 et 1877, Brisset fait carrière dans l'armée (campagnes d'Orient, d'Italie, Sedan, captivité en Allemagne) : quand il démissionne, il a le grade de capitaine. Personne ne semble s’être rendu compte de son talent particulier pendant ses années de service. Aucun témoignage particulier ne nous est parvenu. Il semble s’être « très bien comporté » selon la tournure usuelle.
« De 1871 à 1881, il enseigne le français, l'italien, l'allemand, qu'il a appris en autodidacte. Il publie en 1874 la Méthode "Zur Erlernung der französischen Sprache ». A quarante-six ans, « aux portes de la vieillesse », comme il se dit, il a un poste de surveillant à la Gare d’Angers. »
Sa fiche Wikipedia précise toute fois « En 1890, il publie « Le mystère de Dieu est accompli » et donne plusieurs conférences à Paris, en face de la pâtisserie où il fit son apprentissage sur le boulevard du Temple. En 1895, il prend ses fonctions de commissaire de surveillance administrative à la gare Saint-Laud d'Angers, puis termine sa carrière à la gare de L'Aigle dans l’Orne. En 1900, il fait distribuer à Paris par des crieurs une feuille au format d’un quotidien, « La Grande Nouvelle », qui annonce la parution de » La Science de Dieu ou la Création de l’homme ». Puis il publie en 1906 « Les Prophéties accomplies » (Daniel et l’Apocalypse). À la retraite en décembre 1904, il vit à La Ferté Macé, dans l’Orne, jusqu’en septembre 1907, puis il habite à Paris jusqu'en décembre 1908, avant de s'installer à Angers."
Le voilà angevin de coeur sinon d’esprit, prêt pour trôner au panthéon des littérateurs locaux ..Commissaire de la surveillance administrative, voilà un poste, certainement captivant qui favorise sa fascination de « l’extérieur », lui qui vient de la campagne et a un sens inné de la nature. Très tôt bien avant sa retraite, il est au contact des mares et des bocages, il observe les batraciens et formule une théorie linguistique qui explicite comme une grande loi fondamentale dans la « Grande Nouvelles » en 1900.
« Toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle. »
Les grenouilles sont pour lui le révélateur de la loi régissant l’ordonnance du monde sensible dans lequel il évolue. « Mon ami, raconte A. J. Verrier, passait des heures, des soirées entières auprès des marais de Saint Serge, il allait apprendre la langue des grenouilles…. Un jour [dit Brisset] que nous observions ces jolies petites, elles nous répondit en poussant pour nous mêmes ce cri si joli. A nos cris, l’une d'elles nous répondit, les yeux interrogateurs, par deux ou trois fois qu'elle disait : Couac., Cou-ac. ..Quoi que tu dis, Quoi que tu dis, Quoi que tu dis ? Il nous était clair que le contact était établi.. » Les grenouilles vont devenir la matrice de l’homme évolué. Elles nous enseignent par leur langage une généalogie linguistique qui explique les convergences homophoniques : « Tous les hommes, toute l'humanité, ne forme qu'un corps, animé par un même esprit qui se confond avec la parole » (Les Origines humaines, éditions Baudouin, Paris, 1980, p. 20.)
Impressions d’Afrique de Raymond Roussel (1910) et Locus Solus (1922) procède par un système d’assonances et d’associations d’idées, d’alliances par homophonie pour créer un monde qu’il veut lui, romanesque et théâtral. Alfred Jarry ne procèdera pas autrement avec la pataphyqique et le Sur-mâle Ubu. Brisset est l’un des premiers a aller vers la science et ses démonstrations pratiques en publiant des livres de théorie linguistique. Patrice Delbourg écrit que la danse hallucinatoire des théories de Brisset « rend à la grammaire son vacarme primitif. S'ensuit une cascade vertigineuse d'équations, de vocables, une grande aventure du verbe où chaque nouveau bond fait surgir des richesses phonologiques induites par un léger, un inaudible glissement d'un mot à l'autre “tu sais que c'est bien”, “tu sexe est bien” ; “salaud, sale eau, salle au prix, salle aux pris[onniers], saloperie" Patrice Delbourg, « Jean-Pierre Brisset : l'art d'être grammaire », dans Les Désemparés - 53 portraits d'écrivains, Le Castor astral, Paris, 1996, p. 40.
Brisset connu une gloire éphémère et plutôt grinçante. Un quart d’heure Wharolien à la Jacques Villeret comme dans le film de Weber « un diner de con ». Il en fut ainsi pour l’ancien fonctionnaire de l’octroi, Henri Rousseau qui fut célébré au Bateau Lavoir par une fête mémorable un dimanche de 1908. On connait l’histoire de cette soirée où le vieux douanier Rousseau fut porté en triomphe par Picasso, Max Jacob et d’autres alors qu’Apollinaire déclamait « Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire! Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso..! Buvons-les donc, puisque c'est l'heure de boire en criant tous en choeur : « Vive, vive Rousseau ! » Le vieux peintre de quatre vingt dix ans qui eut la joie de voir un des ses tableaux acheté ( "l'institutrice polonaise ») par Picasso qui l’a déniché dans une boutique du quartier ( en face du cirque Medrano) fut très ému et répondit en remerciant que s’il était un grand peintre français, Picasso lui aussi l’était mais dans le genre africain! Et bien, comme pour le douanier Rousseau, Brisset fut invité et élu « Prince des Penseurs » dans une cérémonie imaginé par Jules Romain après la parution des « Origines Humaines »…et cela comme un canular géant destiné à distraire et faire rire ses amis. L’on n’était pas tendre à l‘époque. Élu a quelques voix contre Bergson, il est décrété une « journée Brisset » avec conférences et citations à l’Hôtel des Sociétés Savantes situé 8 rue Danton à Paris, qui est aujourd’hui la Maison de la Recherche, annexe de l'université Paris IV - Sorbonne! Brisset y a pu citer ses aphorisme et sentences comme:
« Le sexe fut le premier excès (...) le pronom je désigne ainsi le sexe et quand je parle, c'est un sexe, un membre viril de l'Eternel-Dieu qui agit par sa volonté ou sa per-mission. C'est en parlant de son sexe que l'ancêtre s'aperçut qu'il parlait de son propre individu, de lui-même (.) Quand on parle de soi on parle de son propre sexe » ( cf:la Science de Dieu)
« Les vents, la bouche, les dents la boucherie, l'aidant la bouche, l'aide en la bouche, laides en la bouche, laid dans la bouche. L'est dans le à bouche. Les dents-là bouche et la marche-debout, la « corps-rection » « Corps érige-toi... Ai-rigé = j'ai dresse... ri-j'ai = j'ai ri, droit ou raide... La parole forcera tout homme à marcher droit au figuré, comme elle a forcé l'ancêtre animal à y marcher au propre. »
«You you you! you you you ! joie! jeu! jour! Youpipi!
Youpipi ! salut père ! Youpiter ! Jupiter. Youdidi! You-didi! salut les didi! Les premiers hommes s'appelaient
Didi, di... »
« La tribu formait un tra, un trait, une ligne fermée et les bêtes étaient poussées dans une happe, ou trappe... Voici le tra formé. Entendez les cris des chefs : Tra in à, tra en avant, Tra in ar, tra en arrière. Tra deû, tra à droite. Tra, là, là, ici, le trac; au secours! Quelle immense émotion nous avons ressentie quand tout à coup ces scènes se sont présentées à notre esprit.’»
Le douanier Rousseau est resté grâce au Bateau Lavoir ..Brisset fut oublié bien que
Michel Foucault se soit intéressé à son oeuvre, il commente ses mots qui « sautent au hasard, comme dans les marécages primitifs nos grenouilles d'ancêtres bondissaient selon les lois d'un sort aléatoire. Au commencement étaient les dés. « La redécouverte, écrit l'auteur des Mots et les Choses, des langues primitives n'est point le résultat d'une traduction : c'est le parcours et la répétition du hasard de la langue. » et de Gilbert Cesbron de conclure :
« Brisset est aussi prophète qu’ écrivain prolixe et l'interprétation philologique fait place à l'hallucination, et ensuite sur une approche linguistique qui vise à cerner le fonctionnement du langage dans la psychose pour retrouver enfin, par le biais d'une interprétation lacanienne, les concepts dits de « linguisterie », sans écarter, recourant, cette fois, à l'investissement freudien de la « représentation de mot » et du « langage d'organe », une lecture psychanalytique qui approcherait le cas de Brisset du cas Schreber étudié par Freud : psychose des blessures sociales, exclusion d'un « Nom-du-Père », reconstruction d'un univers qui rende acceptable le fantasme de la castration par le dédommagement de la mégalomanie...
On estimera peut-être que c'est faire beaucoup de crédit à l'orgiasme linguistique de Brisset. Mais, schizophrène ou paraphrène que la dérive emporte, quel que soit son destin dans la nosographie - ou dans l'hagiographie! - des quelques cent-cinquante faiseurs de langues universelles, de langues philosophiques ou de langues auxiliaires au xix siècle, J.-P. Brisset restera le témoin d'une expérience sans doute unique en Anjou, le héraut de l'aventure folle d'un avent des signes que ses compatriotes n'ont point soupçonné.. »
« Quand on est mort, c'est pour longtemps. » J P Brisset 1883