LE TRIANGLE PARFAIT
« It was the first time I had ever had a client conference in which the client was naked - and not only that, but trying to sit on my lap. However, it had been Linda Sandoval who had insisted on the time and place to meet. She was the one who got naked, not me. »
Il s‘agit d’un ton. D’un ton de voix, une narration si simple et efficace qu’elle se fige dans l’attention du lecteur, sans effort, sans résistance. L’histoire se pose dans l’esprit avec ses petits faits et son enchainement qui dans le premier sens du verbe, nous attache, nous captive. Michael Connelly raconte des histoires.
Il est maintenant une des premières personnalités d’un genre particulier de la « littérature » américaine; le fameux roman policier qui déroule ce monde fascinant et terrifiant des marginalités de la vie courante. Ses protagonistes sont l’incursion de notre normalité dans le monde souterrain des déviances, des moments de rupture dans des vies buttant sur, luttant contre, l’irréparable: la mort.
Il y a toujours des morts et des enquêtes, cela pose le roman comme genre…La justice doit triompher de cet irréparable. Le policier; l'avocat; le journaliste est là pour résoudre les mystères dans le but de faire passer la justice réparatrice du monde. Michael Connelly dresse en saga ses « héros » policiers, avocats ou journalistes qui se rencontrent et se retrouvent suivant les textes et les années.
«We were in a privacy booth at the Snake Pit North in Van Nuys. Deep down I knew it might come to something like this - her getting naked. It was probably why I agreed to meet her in the first place."Linda, please," I said, gently pushing her away.
"Sit over there and I'll sit here and we'll keep talking. And please put your clothes back on."
She sat down on the changing stool in the booth's corner and crossed her legs. I was maybe three feet away from her but could still pick up her scent of sweat and orange-blossom perfume."I can't," she said."You can't? What are you talking about? Sure you can.""No, if my clothes are on I'm not making money. Tommy will see me and he'll fine me.""Who's Tommy?""The manager. He watches us[…] »
« How much will this cost me?" she asked."Twenty-five hundred for starters payable right now. I can take a check or credit card. Then I go see Seiver tomorrow, and if it ends there, that will be it. If it goes further, then you pay as you go. Just like it works in here."
« She stood up to pull on the G-string. Her pubic hair was shaved and cropped into a dark triangle no bigger than a matchbook .There was glitter dust in it so the stage lights would make that perfect triangle glow.
"You sure you don't want to take it in trade?" she asked. "Sorry, darling. A man's gotta eat. "Once she snapped the G-string into place in the back, she stepped toward me and leaned down in an oft-practiced move that made her brown curls tumble over my shoulders.
"A man's gotta eat pussy, too," she whispered in my ear."
Well, that, too. But I still think I'll take the money this time." "You don't know what you're missing." She stood up and raised her right foot, removing her spike. She wobbled for a moment but then steadied herself on one foot. From the toe of her shoe she pulled out a fold of cash. It was all hundred-dollar bills. She counted out twenty-five and gave them to me. »
Le « triangle parfait » est une petite nouvelle de M. Connelly publiée en 2010 dans un livre collectif qui n’a toujours pas pas été traduite en français. Ici, il n’y a pas de drame, de meurtre ou de mystère…Il n’y a que le ton et l’idée et c’est ce qui donne à la narration la force des autres grands romans publiés depuis 1992, dont certains sont des chefs d’oeuvres d’idées et d’agencements d’intrigues ..
Ce petit texte fut donc publié dans un livre collectif intitulé « The Dark End of the Street: New Stories of Sex and Crime » édité par Bloomsbury sous la direction de S.J. Rozan et Johnathan Sanglofer qui réalisa aussi les illustrations. C’est une commande, un exercice de style pour auteurs. Rozan et Sangloter, eux mêmes contributeurs avec chacun une nouvelle, demandèrent à des écrivains en vues d’imaginer une histoire « policière » utilisant le cocktail classique, mélange toujours à renouveler, du sexe et du crime.
Dix neufs nouvelles inégales en tailles et pertinences furent ainsi rédigées par des auteurs aussi différents que Joyce Carol Oats, Jonathan Lethem, Laura Lipman, l’irlandais Patrick McCabe, l’anglais Lee Child et Michael Connelly entre autres.
Cette petite nouvelle non traduite dont il est question ici, signée Connelly est loin des production habituelle de l’auteur qui maintenant avec ses adaptations cinématographiques et télévisuelles très réussies acquière une grande notoriété..déjà fortement établie par des ventes remarquables et des prix comme le MWA« Prix mystère de la critique », l’Anthony Award et le Grand Prix de la Littérature Policière, catégorie roman étranger.
Chaque livre des aventures de l’inspecteur Hieronymous « Harry » Bosch, de l’avocat Mickey Haller ou du journaliste Jack Mac Evoy est traduit en quarante langues et diffusé largement dans le monde entier.
« The perfect triangle » caché dans un ouvrage collectif au succès confidentiel est injustement hors de portée du lecteur non bilingue …Voici ici par une petite note la réparation de cette injustice criante. Car la fécondité de Michael Connelly qui sait derrière l’intrigue de ses romans mettre en place une atmosphère jouant sur l’identification du lecteur opérée à plusieurs niveaux, distille ici dans ce tout petit texte, une poétique exclusivement américaine que l’on peut retrouver par exemple dans les paroles et la musique de Tom Waits comme de Springsteen.
Le propos se déroule en trois temps. Une première discussion avec une jeune femme sous le coup d’une « mise en examen » pour un délit mineur. L’intervention de son avocat pour que l’affaire soit classé ou même rejeté par le bureau de police pour vis de forme, puis de nouveau une rencontre avec la jeune femme pour lui annoncer la bonne nouvelle…
L’ingéniosité de Connelly place la bannière « sex and Crime » sur un registre mineur et très particulier… La jeune femme, Linda Sandoval est une étudiante avocate qui a elle même trouvé la faille dans la procédure …Elle joue son avenir car sa probable condamnation ruinerait sa future carrière. Mike Haller, un des personnages récurrent de Connelly*, est un avocat en cheville avec un policier du nom de Seiver qui supervise les dossiers à présenter au juge …Le monde du sexe est admirablement évoqué en plaçant la discussion dans un club de striptease, le Snake Pit North situé sur l’avenue Van Nuys à Los Angeles. Connelly ne cache pas la sourde excitation de Mike Haller..Il le fait parler, il le fait nous parler, à la première personne..Le « crime » est ce que l’on qualifie d’ "attentat à la pudeur" c'est à dire un bain diurne et naturiste dans le Pacifique…La faille est que le délit n’est recevable qu’en flagrant délit ..alors que dans cette situation, c’est le policier qui a créé le délit en demandant à la jeune femme de sortir de l’eau et donc a lui même provoqué sur le fait, l’attentat répréhensible… Elle aurait dû se vêtir avant de sortir ..Mais le policier lui a ordonné de sortir de l'eau devant témoins. Cette subtilité peut être recevable en droit, mais ne pourrait être immanquablement retenu par le juge donc par sécurité, Seiver, le policier en charge des dossiers, convaincu de l’importance de faire échapper aux foudres de la justice cette futur avocate « protégée » de Mike Haller, trouve un autre subterfuge pour classer l’affaire….
« Actually, no dispo. I want to talk about making the case go away. Completely. Before it's filed." Seiver's head came up sharply and he looked at me.
"This chick was caught completely naked on Broad Beach. She's an exhibitionist, Haller. It's a slam-bang conviction. Why would I make it go away? Oh, wait, don't tell me. I get it. The sandwich was really a bribe. You're working with the FBI in the latest investigation into corruption of the Justice system. I didn't know it was called Operation Brisket. »
« What are you talking about, an entrapment defense? Is this a joke?"
"It's not entrapment but it's not a valid arrest. The deputy created the crime and that makes it an illegal arrest. He also humiliated her by having her dragged out of the water and put on public display. I think she's probably got cause for civil action against the county. »
(.......)
« But you have an alternate plan," I prompted."Of course I do, Haller."He stood up and moved what was left of his sandwich from the clear spot on his desk."Hold this, Haller."I stood up and he handed me a file with the name Linda Sandoval on the tab. He then stepped up onto his desk chair and used it as a ladder to step up onto the clear spot of his desk.
"What are you doing, Seiver? Looking for a spot to tie the noose? That's not an alternative."He laughed but didn't answer. He reached up and used both hands to push one of the tiles in the drop ceiling up and over. He reached a hand down to me and I gave him the file. He put it up into the space above the ceiling, then pulled the lightweight tile back into place.Seiver got down and slapped the dust off his hands."There," he said."What did you just do?""The file is lost. The case won't be filed. »
La scène finale pose le dilemme intérieur de l’avocat Haller; il est heureux d’annoncer à Linda Sandoval qu’elle échappera pour toujours aux tracas judiciaires et pourra poursuivre son intention d’intégrer le barreau. Il lutte contre son sur-moi face aux réminiscences des propositions de récompenses formulées lors de son premier entretien avec Linda Sandoval. Connelly joue avec son public masculin et flatte son public féminin.
Les lumières du bar, les néons du bureau fonctionnel, le mobilier et les ambiances des deux lieux antagonistes, la boite de Strip et la petite pièce surchargée de dossiers du fonctionnaire fonctionnent à merveille pour se renforcer l’un l’autre ..la scène de la baignade uniquement racontée par Haller s’entoure de visions en parfaites résonances avec la position érotisée de Linda Sandoval dans ses entretiens avec Mike Haller. La fin est un « Happy ending » qui satisfait le lecteur….Cette nouvelle n’est pourtant pas « cinématographiable » car la puissance d’évocation est supérieure à tout ce que l’image pourrait montrer, dévoiler et pour ce faire, minimiser. Si simple, si efficace comme un Haiku, le Triangle Parfait est peut être aussi intraduisible sans enlever la pure poésie particulière américaine, existant par ailleurs dans les silences d’Edward Hopper par exemple.
« But I had to see her one more time. Her body had left a memory imprint on me in the privacy booth. And I had started dreaming about being with her now that the case was closed and it could be argued - before the Bar if necessary - that she was no longer a client. Bar or no Bar, I wanted her. There was something intoxicating about having the smartest girl in the room moving up and down on you. »
« She paused for a moment, her face hard in the red light bouncing off the mirrors in the club."Okay. Then let's go make Tommy happy."She came back and took hold of my tie. She led me toward the back rooms and the whole way there I thought that there was no doubt that she was going to be a better lawyer than she was a stripper. One day she was going to be a killer in court. »
« Elle s'arrêta un instant, son visage dur dans la lumière rouge qui rebondissait sur les miroirs du club. "D'accord. Alors allons rendre Tommy heureux." Elle est revenue et a saisi ma cravate. Elle m'a conduit vers les arrière-salles et pendant tout le trajet, j'ai pensé qu'il ne faisait aucun doute qu'elle serait meilleure avocate qu'elle n'était strip-teaseuse. Un jour, elle allait être tueuse au tribunal. »
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Extraits de
Short Stories
Michael Connelly
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* Mickey Haller apparait dans six romans de Michael Connelly dont le dernier intitulé "The Law of Innocence" a été publié en 2020.