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FLORIDUM MARE................................
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7 juin 2020

Soul of MALAYSIA

Capture d’écran 2020-05-28 à 09

« Dès le premier soir où nous nous sommes donnés à la mer. Elle s’étalait sous le ciel sans lune, noire avec un liséré blanc. Mais nos pieds en la touchant soulevèrent des étincelles: l’eau était pleine d’une poussière phosphorescente et si tiède qu’on s’y sentait pas pénétrer, mais seulement devenir plus léger. Je caressais de la main la surface polie de ses ondulations pour la voir s’argenter comme un cousin de velours. Je me redressais, et sur mes épaules coulaient des rivières de diamants. Je ne me lassais pas de ce jeu. Rolain, qui m’avait devancé avec les jeunes malais, m’appela. En nageant pour les rejoindre, je vis mon corps tout enveloppé d’un halo, transfiguré, radieux, le corps d’un ange. J’évoluais sans effort comme on flotte dans les rêves, et je traçais une belle voie lactée. Autour de moi d’autres êtres séraphiques tiraient du néant des nébuleuses. Si maintenant je mourrais, pensais-je, il n’y aurait pas de différence, je continuerais à nager dans un univers où des millions de mondes naissent et meurent… »

Voilà qui semble être une expérience de conscience parallèle, de rêve éveillé digne des visions extra lucides des adeptes du Grand Jeu.
Magnétisé par Roger Gilbert-Lecomte, lui même fasciné par la Stryge, le Jeu "simpliste" entraînera ses amis Daumal et Vaillant dans une spirale poétique où la notion d’"illusio" devient un moteur de voyance. Henri Fauconnier lui à la même période décrit non son rêve mais une sensation réelle, physique et naturelle car vécue: Il nage dans la lumière. Il rentre dans le corps d’un ange.


Le plancton luminescent est une expérience. Petites lumières dans l’eau d’un bain de minuit sous les tropiques ou formidable aventure dans les eaux noires d’un des Cayos du Belize. J’ai nagé dans des cathédrales lumineuses, mes palmes soulevaient des lucioles de braise. Autour de moi descendaient des processions de milliards de lumière qui disparaissaient dans le gouffre au dessus duquel je nageais. Les bulles rejetées par mon détendeur se mêlaient à des points de lumière verte pâle. J’ai vu les rivières de diamant glissées le long de mes jambes gainées de néoprène.
Fauconnier sans fournir les clefs de son expérience replace cette évocation dans la poésie qui imprègne l’ouvrage. Les Pantouns malais forment une toile de fond, une armature secrète d’autant plus forte que ces petits poème en incipit des chapitres comme dans le corps de texte ne sont pas traduit dans l’édition du Goncourt.

Les souvenirs accumulés d’une vie en complète rupture avec la vie régulière et réglementé de la métropole transforme son unique « roman » en une oraison poétique. Décalage avec une morale sociale, un guide de comportement qui était en 1900 extrêmement tenu. Carcan des esprits et des corps issue de la morale bourgeoise dévoyée, elle même succédanée abâtardie de l’ancien régime. Le choc des mondes est ici augmenté par le fracas de batailles de tranchées. Revenu de la guerre, Lescale retrouve par un hasard heureux et espéré, l’énigmatique Rolain. Soldat égaré avec lequel il s’était retrouvé dans un trou d’obus. « Rencontre fortuite au soir d’un jour de massacre. »

 

Capture d’écran 2020-05-28 à 09


La Malaisie est pour lui un rêve évoqué dans le froid et les ténèbres par cet ainé qui y avait vécu dix ans. Il lui parle «  de pays lointains qu’il avait connus, d’une vie large et libre sous les grandes forêts équatoriales ». L’attrait de l’ailleurs sous les grand cieux de la troposphère là où les cumulus montent plus haut en grandissant le ciel. Là où la nature dévorante se gorge de soleil de pluie lavant l’homme de son obligation de la contraindre pour survivre. Henri Fauconnier est l’homme d’un seul livre. Il y a dans ce roman, couronné par le prix Goncourt en 1930, un sens ésotérique qui distille ses secrets comme un précipité de Nature. La forme et le fond sont si bien imbriqués que le livre ne vieillit pas. Il est en 2020 d’une fraicheur intacte. L’attrait des iles, l’aspiration à l’aventure qu’inspiraient les colonies sont un sentiment lié à l’appel de la route qui existe encore pour certain. L’empire n’est plus mais les chemins de traverse sont encore là pour ceux qui ont soif de lointain. La lecture de Fauconnier ravive un sang chaud juvénile que les Pantouns tempèrent par la poésie de l’amour.
Le Pantoun malais est peu connu en France bien qu’il soit l’objet depuis longtemps d’études et d’admiration. Petits poèmes courts, récités ou improvisés, le Patoun est malléable pour l’instant, son sens peut être tourné et détourné, suivant le contexte ou les circonstances. Il parle d’amour, de joie ou de peine, il est obscur ou ironique mais toujours lié à la culture et à la tradition Malaise. Comme les Haïkus ou les petits sonnets songeurs de la Renaissance mais surtout comme les Tankas japonais qui en ont la brièveté, les Pantouns sont une des formes majeures de la poésie mondiale.

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 Dans « Malaisie » les quatre parties commencent chacune par un Pantoun non traduit. La page de titre comporte aussi un vers ou le mot pantun se répète.
«  Les Malais ont aussi eu leur trois couches: animiste, hindouisme, islam » Pour Fauconnier «  les chrétiens sont des païens badigeonnés de judaïsme et de christianisme.. »; «  La vie des Malais se passe à essayer de ne pas marcher sur le pied invisible de quelques divinité »
La poésie est une forme de conjuration qui soustrait à la pesanteur des jours le fatum qui les positionne comme des jouets dans la main des dieux.

Lescale sent la présence des esprits lorsqu’il rentre dans la grande forêt humide. « A mesure que nous avancions dans les profondeurs de la jungle, ma première impression s’accentuait. Je ne voyais aucun être vivant, et pourtant je me sentais au coeur même d’une vie intense. Anomalie si saisissante que je comprenais mieux maintenant pourquoi les vieilles légendes ont peuplé les forêts d’êtres invisibles ou dont l’existence fait corps avec celle des plantes. Et comme le jour commençait à tomber je devinais que les présences mystérieuses allaient devenir plus réelles et nous enserrer de plus près avec l’ombre. »

Pourquoi lors de sa parution, Henri Fauconnier trouva-t-il judicieux de ne pas traduire les petits vers en ouverture des quatre chapitres? Avait-il besoin d’expliquer la chose ? Devait-il faire le conférencier, écrivait-il un guide didactique? Non, revenu en Malaisie lors d'une  permission en 1917 pendant la guerre. Il y fait encore de nombreux voyages après la fin du conflit alors qu'il s’installe avec sa famille en Tunisie en 1925. Il écrit en 1930 son seul roman et remporte le prix Goncourt. Il n’entre pas en littérature, il se veut épistolier. Malaisie est une ode à une certaine jeunesse, un certain éden, ce n’est pas autobiographique, c’est une sorte de mise en lumière d’une sensation rentrée en lui qui ne le quittera pas malgré la vie de famille, la vie mondaine et sociale. C’est une clairière dans l’épaisseur touffus des jours, une clairière qu’il ouvre avec le Pantoun et la sensualité du souvenir.

 Le narrateur Lescale, L’énigmatique planteur, Rolain qui ne parle que des idées jamais de fait. La vie nu au soleil, « on s’habitue aussi facilement à la nudité qu’aux accoutrements ridicules, car au fond rien n’est ridicule - si ce n’est la peur de l’être, notre simiesque attachement à la mode » le panthéisme laïque, «  l’ascension de ces montagnes célestes qui depuis des heures planaient sur notre avance et maintenant s’abaissaient lentement pour nous accueillir »,  la douce et caressante Palaniaï qui l’apercevant « détournait la tête ou se cachait à moitié le visage, mais laissait paraître un sein négligent… »

Capture d’écran 2020-05-27 à 21

 

Il vibre à l'unisson du peuple et du pays. S'impregne de la langue malaise qu'il maitrise et fait de ses serviteurs Smaïl ou Ngah, un danseur, conteur et enchanteur venu du fond de la péninsule traditionnelle, affiné par des générations de poètes. Cela semble décrire un songe qui repose sur des faits vécus, ressentis dans la monotone dureté des jours dans les plantation d’Hévéas. Fauconnier aime le pays et ses habitants mais il fait du négoce. La beauté est dehors il s’échappe par la fenêtre sans vitre de la grande paillote.
C’est « Le voyage » ou la conquête d’une liberté intérieure qui résonne comme une adoration au soleil, à la mer, au corps libéré de ces entraves occidentales.

Capture d’écran 2020-05-28 à 09


 Ce n’est que dans la dernière partie intitulée « Amok » que l’on aura quelques bribes d’une vie quotidienne passée à gérer une plantation avec toutes les préoccupations d’un entrepreneur en terre indigène..C’est peine effleuré que le drame surgit, la présence de la guerre renait, le mystère malais de déroule en deux phases:  «  C’est Pa Daoud, le Pawang, un grand sorcier.. » qui entraine la maison dans une nuit d’exorcisme .. « Je me souviens de cette nuit comme d’une veillée mortuaire, coupée de pertes de conscience, et quand j’émergeais de ces torpeurs épaisses c’était pour entrer dans l’hallucination » …Puis c’est le cri « Amok! » «  Car on sait que l’amok, dès qu’il a vu le sang couler, n’épargnera personne, ni amis, ni enfants, parents. » Le Kriss rouillé à soif ..le sang l’appelle. Le sang coulera. La boucle se referme sur une nouvelle projection, la vie décrite  à la maison des Palmes s’arrête pour se reprendre d’une autre manière. Fauconnier ferme son livre sur son sommeil … « maintenant tu dors …tu dors… » Le rêve est une seconde vie comme nous enseigne le poète. Le soleil d’une jeunesse ivre d’un rêve éveillé se transmute en un songe couché sur le papier. Le dernier pantoum non traduit est un signe caché:

Kalau tuan mudek ka-ulu


charikan sahaya bunga kemoja


Kalau tuan mati dahulu


nantikan sahaya di-pintu shurga



La réédition de Malaisie en 1996 comportera les traductions des pantouns faites en 1954 par Henri Fauconnier. L’excellent article de Jean Claude Trutt paru en mars 2013 nous met en perspective les traductions de Fauconnier ainsi qu’une très intéressante direction d’explication du contexte.


Voici la traduction de celui précédemment cité:

Si tu vas vers les sources du fleuve
Cueille pour moi la fleur frangipane
Si tu meurs avant moi
Attends-moi à la porte du ciel



Le pantoum de la page d’ouverture comporte comme on l’a dit deux fois le mot Pantun
le voici avec se traduction:


Pantun sahaya pantun kelam


Kalau ta-tahu jangjan di-sindir


Mes chants sont des chants occultes
Si ne comprenez n'en soyez offensé

Traduction H Fauconnier 1954

Capture d’écran 2020-05-28 à 09

le Latex


Pantum du chapitre Planteur :

Jikalau tidak kama bintan

g
masakan bulan terbit tinggi


Jikalau tidak kama abang


masakan datang adek k-mari


Si ce n'est pour les étoiles
Pourquoi la lune brillerait-elle au ciel?
Si ce n'est pour son aîné
Pourquoi le cadet serait-il venu?

 

Voilà un livre à lire en écoutant la musique d'Edgar Froese "Epsilon in Malaysia"

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