ATTENTION À LA PEINTURE
Massacre à Créteil 1980 acrylique et paillettes 195X 195cm
Muni de balais dans une sorte de fosse aux lions dans la Maison des Arts et de la Culture de Créteil alors que le public clairsemé passe sur les mezzanines, Robert termine à grands splash d’outremer une toile posée sur le sol.
Sex drugs rock ‘n roll and peinture …
Jean- françois Bizot nous explique que « depuis dix ans, il veut monter sur scène, être un rocker, brosser des tableaux comme cinq riffs de guitare électrique, arracher des émotions au public et finir sa toile d’un accord sec qui les jette hors du concert avec ce mélange d’énergie et de frustration, cette beauté suspendue d’un coup qui fait la force du rock »
Cette performance fut l’ultime concert de Robert Malaval …Peu après il se tira une balle dans la tête ; la nuit du 8 ou 9 août 1980 , rue du Pont Louis-Philippe dans le IV° arrondissement.
Il se tient actuellement jusqu’au 25 octobre 2009 au Musée des Beaux Arts d’Angers une rétrospective assez complète des œuvres de Robert Malaval. Les différentes périodes se succèdent depuis « Aliments blancs » jusqu'à « l’exposition pirate, Attention à la peinture » de Créteil .
Rock Dandy autodidacte qui de bifurcation en bifurcation explose une carrière toute tracée par les mannes pompidoliennes , Robert suit sa route de peintre en parallèle d’une actualité seventies des icônes rock. La peinture comme moyen pour agir, la peinture qui se dérobe et qu’il abandonne, la peinture qu’il retrouve en forçant ses penchants .Il passe d’une technique à la Atlan dans les années 57 / 60 , puis décolle avec l’aliment blanc qui lui font déjà quitter la peinture vers une « technique mixte » ce qui l’entraîne dans une modernité d’installations sculptures concepts. Inspiré des sécrétions envahissantes des chenilles du bombyx ; l’aliment blanc sort des toiles pour déborder sur des meubles ou autre objet comme un débordement de grège dans l’élevage du vers à soie .
« L’aliment blanc était une métaphore. En dehors de son origine obsessionnelle et névrotique, je me suis vite rendu compte que ça exprimait autre chose. C’est à dire que derrière l’idée de grouillement organique que je représentais, se profilait à mes yeux le grouillement qui est le propre de notre société.et contre lequel je me suis toujours révolté. »
Les temps sont bénéfiques aux courses folles de l’art qui n’en peut plus d’être abstrait …Klein Raysse Arman Buren sont prêt ..Malaval a 23 ans, il est jeune et beau c’est le succès . Dali l’invite à diner, Robert est toujours habillé de blanc, hygiéniste avant l’heure, il ne prend que du riz au lait à la Coupole ,laisse des traces de dentifrice sur son passage ….Pendant quatre ans il devient l’artiste blanc …son moule est prêt ….il peut produire des gaufres toutes sa vie …. "le style c’est comme un moule à gaufre… " disait Picasso.
Seulement Robert Malaval casse tout …sa vie , sa carrière…en 1964 Warhol est à Paris , le Pop et la Pop arrive ..Robert psychédélise..le LSD et le Rock sont là. Il peint Bernadette Lafond en rose et devient dans le maëlstrom de soixante huit un exilé ..les aliments blancs virent au jaune. Il arrête de peindre.
Who are you Floating baby 1968 Acrylique sur toile 81X 100 Coll Y Lambert
Il veut faire de la musique ,les Rollings Stones l’entraine…il s’acoquine avec le batteur de Vince Taylor signe chez Barclay au vue d’une maquette de Gitans ..Barclay les encadre avec un directeur artistique…Robert intransigeant et superbe, refuse cette supervision et dans l’altercation cogne le Directeur artistique. Il arrête la musique.
Il veut faire du cinéma. Pas d’argent ,il se lance dans la publicité, il aura un contrat avec un annonceur, mais un refus devant sa réalisation trop…moderne.
Les cheveux long, il fume et dessine des petits points sur des feuilles……il refuse d’être peintre mais s’enfonce dans du dessin régressif, machinal, automatisé pour aller au point zéro du geste …..Exposition en 1971 « Transat-Marine-Campagne, Rock ‘n roll, Expérience d’animation+ 100 demi heures de dessin quotidien » au centre national d’art contemporain à Paris. Il présente une série de dessins et d’installations qui ne plaisent à personne et surtout pas au ministère de la culture que n’y comprend rien. Il part dans le Morvan pour un été de peinture dans un atelier grange … divorcé depuis longtemps ,il privilégie son obsession picturale à sa famille. Il a deux enfants.
Il peint à l’acrylique une série de toiles exposées en octobre à la galerie Daniel Gervis à Paris « Été pourri-peinture fraîche »
« J’avais sélectionné mes couleurs pour la luminosité : on peut les superposer sans risque d’obscurcissement. J’ai voulu montrer des choses douces dans ce Paris qui devient terrifiant. »
« Après mon abandon de la peinture quand j’ai repris mon travail, j’ai décidé de donner une plus grande importance à l’ornementale… Quand j’ai recommencé à peindre, je suis parti peindre à la campagne (dans le Morvan , il pleuvait dehors mais pas dedans ) d’ou le titre de l’exposition…..L’année suivante, j’ai recommencé à la campagne et j’ai fait une expo intitulée "Multicolor " utilisant les tons pastels. Le désir coloriste revenait » (Entretien avec Michel Giroud 1979)
Les toiles se succèdent avec leurs tons charmants de rose et mauve, de bleu tendre, figures géométriques ordonnées en séries légères de contrastes et correspondances. Les lignes sont souples et dansantes loin du rigorisme sec du dessin industriel à la Mondrian.
sous la pergola 1973 acrylique 130X195 cm coll.Daniel Gervis.
« sous la pergola » « fraise et pistache » « Happy » sont les titres bien choisis de peintures douces et calmes ou les paillettes font quelques apparitions…le « Glitter » arrive avec le rythme des outrances de la scène Rock.
Dans la tempête (3 petits avions) 1975 acrylique et paillette. 114X146 cm Saint Etienne Métropole Musée d'Art moderne.
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« Poussière d’étoiles » acrylique et paillettes 1973 « je suis une étincelle » acrylique et paillettes 1974 sont les grands manifestes du désir d’aller plus loin par la peinture vers les sphères conquises par le Rock’n Roll qui de la mèche d’Eddy Cochrane a atteint la rouge crête hirsute d’Aladdin Sane.
« La paillette, c’est le make-up de la peinture…. J’ai vu que la paillette multipliait,amplifiait le coup de pinceau( comme le passage de la guitare classique rock avec ses effets de distorsion). Le Rock c’est la paillette, c’est l’articulation globale qui est importante : la paillette augmente l’intensité….Par la paillette, j’ai repris le goût au geste de peindre, au plaisir physique, manuel, de bouger . » mais les ventes ne suivent pas ,l’argent manque..les femmes ,l’alcool, les drogues sont aussi des paillettes qui le cernent, l’aspirent en un courant descendant vers le cri de l’époque ..la fin des seventies sonne le glas des espérances d’une génération baignée de Flower power et sataniste contestataire ….le mouvement Punk déferle comme une purge. Malaval devient le Kamikaze Rock …
La galerie Beaubourg géré par Pierre Nahon et Patrice Trigano organise une exposition Malaval …le vernissage ,haut lieu parisien dans ce centre de la culture branché voit arriver Robert la gueule en vrac couvert de pansements, les yeux noirs . Il est ivre, incohérent et palucheur… Scandale ! la galerie casse le contract . Au Gibus, la veille, lors d’un concert de Téléphone, suite à une bousculade avec un membre de la famille du patron, il s’est fait dérouiller par le service d’ordre.
Kamikaze Rock ,Ether et Trichlo sont les ivresses des sans le sou….les vaches sont maigres les nuits interminables, les roulements du « No Futur » de Johnny Rotten scandent les perspectives qui s’ouvre à l’aube de ses quarante ans …
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« La vente du commissaire Binoche s’est déroulée dans la plus grande agitation comme un concert de rock’n’roll, il y avait là aussi beaucoup de monde, l’Espace Cardin était plein à craquer mais beaucoup était venus pour voir la « Bête » et ceux là en ont eu pour leur argent car le show était gratiné ; tout le monde est reparti de paillette(mais pas qu’un peu) et la toile de l’avis de tous était fort belle mais la vente en générale assez basse ( et même très basse) il faut dire que dès que j’ai commencé à faire gicler la peinture quelques personnes ont quitté la salle écoeurées ; les autres les ont huées ; c’était un chahut pas possible tout ça à été filmé et j’attends les résultats ( c’est en cours de montage) Dans le style kamikaze c’était difficile de faire mieux ! Le résultat de tout ça est que sans doute personne n’oubliera ma présence. »
Lettre à Antonio Sapone Avril 1979
La peinture qui gicle, Robert sait le faire . Les dernières toiles sont les plus fortes. La rétrospective d’Angers en témoigne ,un collectionneur anonyme en a prêté les plus beaux exemplaires . Maitre Binoche aussi avec la superbe toile « Sulfuric Rock »…. L'exposition regroupe les multiples périodes de travail. Les dessins, les petits points , les sérigraphies, les sculptures, le foisonnement d'idées se juxtaposent aux outrances du geste. Les dessins sont rigoureux et précis, les toiles explosent, la couleur brille ...et si la peinture moderne avait le droit d'être décorative?
"la peinture n'a pas uniquement pour but de "s'exprimer" mais de faire un objet concret pour les autres. C'est pourquoi le côté décoratif ne me dérange pas la moins du monde Léger Matisse ont été décoratifs. Si un tableau n'est pas du tout décoratif, on ne le regarde pas"
Propos recueillis par S. Lecombre en 1980
Sulfuric Rock acrylique et paillettes 1979 - 150X150 cm
La peinture gicle, gicle même sur les beaux habits des mélomanes venus écouter un concert d’Isaac Stern …Confrontation avec un peintre ivre et la gentry…Les notes des teinturiers seront réglé par la Maison des Arts de Créteil .
« La note arrive. J’ai bien vécu et je n’ai pas envi de payer l’addition »
Robert Malaval se suicide à 42 ans en laissant un mot.